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A-309-89
Le procureur général du Canada, le Sénat, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, Sa Majesté la Reine (appelants) (intimés incidents)
c.
Southam Inc. et Charles Rusnell (intimés) (appe- lants incidents)
RÉPERTORIÉ: SOUTHAM INC. C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉ- RAL) (C.A.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Stone et Décary, J.C.A.—Ottawa, 21 juin et 23 août 1990.
Compétence de la Cour fédérale Section de première
instance Appel formé contre une décision par laquelle la Section de première instance a statué que la Cour avait la compétence voulue pour connaître d'une action intentée par l'éditeur d'un journal en vue d'obtenir un jugement déclara- toire portant que le refus de permettre d'assister aux audiences d'un comité sénatorial va à l'encontre de la Charte Ni la Charte ni la Loi sur la Cour fédérale ne confèrent la compé- tence voulue Les conditions prévues dans l'arrêt ITO pour établir la compétence n'ont pas été respectées Un comité sénatorial ne constitue pas un «office fédéral» car ses pouvoirs ne sont pas prévus par une loi du Parlement mais par la Constitution La Loi sur le Parlement du Canada n'est pas une «loi du Canada» au sens de l'art. 101 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 En vertu de l'art. 5 de la Loi sur le Parlement du Canada, les pouvoirs des deux chambres du Parlement font partie du «droit général et public du Canada».
Droit constitutionnel Charte des droits Recours La Cour fédérale n'a pas la compétence voulue pour connaître d'une action en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le refus de permettre d'assister aux audiences d'un comité
sénatorial contrevient à la Charte L'art. 24(1) de la Charte n'attribue pas aux tribunaux une compétence plus étendue que celle qu'ils possèdent déjà.
L'éditeur du Ottawa Citizen et l'un de ses journalistes se sont vu refuser la permission d'assister aux audiences du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration portant sur des allégations de détournement, par le sénateur Hazen Argue, de fonds et de services du Sénat relativement à la mise en candidature de son épouse dans une élection fédérale. Les intimés tentaient d'obtenir des jugements déclaratoires portant que leur exclusion violait le droit à la liberté d'expression garanti par la Charte et contrevenait à la Déclaration canadienne des droits. Ils essayaient en outre d'obtenir un bref de certiorari et une injonction.
À la suite de requêtes présentées par le légiste et conseiller parlementaire du Sénat et par le procureur général du Canada pour faire annuler la jonction du Sénat, du Comité sénatorial et de Sa Majesté la Reine comme parties défenderesses, le juge de première instance a statué entre autres que la Cour fédérale avait la compétence voulue pour recevoir l'action. La principale
question à trancher pour la Cour d'appel était de savoir si la Loi sur la Cour fédérale ou la Charte confère à la Cour la compétence voulue pour connaître d'un tel litige.
Arrêt: L'appel devrait être accueilli tandis que l'appel inci dent, formé contre la décision par laquelle le juge Strayer a statué que ni le Sénat ni le Comité sénatorial ne constituaient une entité capable d'ester en justice, devrait être rejeté.
(1) Compétence de la Cour fédérale en vertu de la Charte
Bien que le paragraphe 24(1) de la Charte parle de tribunal compétent pour ce qui est d'obtenir réparation en cas de violation de la Charte, cette disposition et la Charte en général n'attribuent aux tribunaux aucune compétence qu'ils ne possè- dent déjà. Selon une citation de la Cour suprême dans l'arrêt Mills c. La Reine, «[L]a Charte ne fait aucune tentative de fixer ou de circonscrire la compétence ... Elle ne fait qu'accor- der un droit de s'adresser à un tribunal compétent.»
(2) Compétence de la Cour fédérale en vertu de la Loi sur la Cour fédérale
La première condition prévue dans l'arrêt ITO pour établir la compétence de la Cour fédérale—soit une attribution de com- pétence par une loi fédérale—n'a pas été respectée. Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le Comité sénatorial pouvait virtuellement entrer sous la défini- tion d'«office fédéral» pour le motif que c'est un «organisme, une personne ou un groupe de personnes ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale», c'est-à-dire la Loi sur le Parlement du Canada. Les termes «prévus par une loi fédérale» qui figurent à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale signifient que la source des pouvoirs qui sont prévus doit être une loi fédérale. La Loi sur le Parlement du Canada qui prévoit les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat est l'expression des pouvoirs du Sénat; elle n'en est pas la source. La source de ces privilèges, immunités et pouvoirs se trouve dans la Constitution. Contrairement aux offices fédéraux dont les pouvoirs sont prévus par des lois fédérales, les pouvoirs du Sénat sont prévus directement par l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme le Sénat n'entre pas sous la définition d'«office fédéral», il s'ensuit que la Section de première instance n'a pas compétence en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Même si cette interprétation de l'article 18 de la Loi consti- tutionnelle de 1867 était erronée, le sens ordinaire des mots «office fédéral» exclurait encore toute allusion au Sénat ou à ses comités. Le Sénat fait partie intégrante du processus de créa- tion des offices fédéraux. À ce titre, il ne peut pas être considéré au même niveau que ces entités. En outre, tenir le Sénat pour un office fédéral, ce serait nier le sens ordinaire de ces mots.
Il n'est pas possible non plus d'admettre que, lorsque le Parlement a adopté la Loi sur la Cour fédérale, il avait l'intention de donner à la Cour fédérale un pouvoir de contrôle judiciaire sur le Sénat, la Chambre des communes ou leurs comités. Cet aspect de la Loi avait principalement pour but de transférer à la Cour fédérale le pouvoir de contrôle qu'exer- çaient les cours supérieures des provinces sur les offices fédé- raux; les articles 18 et 2 ont donc été libellés en conséquence.
Un autre argument fondé sur les article 91 et 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 militait contre la compétence de la Cour. L'article 101, qui est le fondement constitutionnel de la Cour fédérale, autorise le Parlement du Canada à créer des tribunaux «pour la meilleure administration des lois du Canada», c'est-à-dire des «lois adoptées sous le régime de l'article 91», comme l'a dit le juge Estey dans l'arrêt Law Society of British Columbia. Vu que la loi en litige ne relève pas de l'article 91 mais de l'article 18 de la Loi constitution- nelle de 1867, il s'ensuit que le Parlement ne peut pas, en incorporant par renvoi dans une loi fédérale des pouvoirs déjà prévus par la Constitution, attribuer une compétence exclusive sur ces pouvoirs à une cour créée par une loi fédérale.
N'ont pas non plus été respectées les deuxième et troisième conditions prévues dans l'arrêt ITO savoir l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales et le fait que la loi invoquée doit être une «loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867). Bien que l'on puisse dire que la loi fédérale servant les fins de la deuxième condition est la Loi sur le Parlement du Canada, ce n'est pas une «loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour ce qui est de la troisième condition. Cette interpréta- tion est corroborée par l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada qui déclare que les privilèges, immunités et pouvoirs du Parlement font partie du «droit général et public du Canada». Une telle déclaration vient confirmer que ces privilèges, immu- nités et pouvoirs ne sont pas des «lois du Canada» au sens de l'article 101. C'est encore plus évident lorsqu'on lit la version française de l'article 5, «droit général et public du Canada», qui n'est pas l'équivalent de l'expression «des lois du Canada» utilisée dans la traduction non officielle de l'article 101. La Constitution du Canada constitue la partie la plus importante du droit général et public du Canada et l'article 5 précise que les privilèges du Parlement font également partie de ce droit. Par conséquent, il n'y a pas de «lois du Canada» au sens on l'entend dans la troisième condition de l'arrêt ITO et, partant, la Cour fédérale n'a pas la compétence voulue pour connaître de la présente action.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte pour définir les privilèges, immunités et attribu tions du Sénat et de la Chambre des Communes, et pour protéger d'une manière sommaire les personnes chargées de la publication des documents parlemen- taires, S.C. 1868, chap. 23.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 2b), 24(1), 32(1)a), 33.
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen- dice III, art. ld)f).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, chap. 1 I (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), préambule, art. 17, 18 (abrogé et réédicté par 38 & 39 Vict., chap. 38 (R.-U.), art. l [L.R.C. (1985), appendice II, 13]), 91, 92(14), 101.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, chap. 8, art. 1 (non encore en
vigueur)),. 18.
Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), chap.
P-1, art. 4, 5.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
419.
Règles du Sénat du Canada, Règle 73.
The Bill of Rights (1688), 1 Wm. III & Mary, 2nd Sess.,
chap. 2 (Imp.), art. 9.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 67 N.R. 241; R. c. Morgentaler, Smoling and Scott (1984), 48 O.R. (2d) 519; 14 D.L.R. (4th) 184; 16 C.C.C. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 262; 14 C.R.R. 107; 6 O.A.C. 53 (C.A.); ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autres, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Chambre des communes c. Conseil canadien des rela tions du travail, [1986] 2 C.F. 372; (1986), 27 D.L.R. (4th) 481; 86 C.L.L.C. 14,034; 66 N.R. 46 (C.A.); Procureur général du Canada et autres c. Law Society of British Columbia et autres, [1982] 2 R.C.S. 307; (1982), 137 D.L.R. (3d) 1; [1982] 5 W.W.R. 289; 37 B.C.L.R. 145; 19 B.L.R. 234; 66 C.P.R. (2d) 1; 43 N.R. 451.
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; (1981), 34 Nfld. & P.E.I.R. 1; 125 D.L.R. (3d) 1; [1981] 6 W.W.R. 1; 95 A.P.R. 1; 11 Man. R. (2d) 1; 39 N.R. 1; Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225 (P.C.); Stockdale v. Hansard (1839), 48 Rev. Rep. 326 (Q.B.); Landers et al. v. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158; Vallière c. Corporation de la paroisse de Saint- Henri de Lauzon (1905), 14 Rap. Jud. 16 (C.B. Roi); Chamberlist v. Collins et al. (1962), 34 D.L.R. (2d) 414; 39 W.W.R. 65 (B.C.C.A.); Re Clark et al. and Attor- ney-General of Canada (1977), 17 O.R. (2d) 593; 81 D.L.R. (3d) 33; 34 C.P.R. (2d) 91 (H.C.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Renvoi relativement au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148; (1987), 40 D.L.R. (4th) 18; 77 N.R. 241; 22 O.A.C. 321; MacLean v. Nova Scotia (Attorney General) (1987), 76 N.S.R. (2d) 296; 35 D.L.R. (4th) 306; 189 A.P.R. 296; 27 C.R.R. 212 (S.C.).
DOCTRINE
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. V, sess., 28' Lég., 25 mars 1970, aux p. 5470 et 5471. Dickson, R. G. B. «Keynote Address», in The Cambridge Lectures 1985. Montréal: Éditions Yvon Blais Inc., 1985, aux p. 2 à 4.
Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed. Oxford: Cla- rendon Press, 1974, «board», «commission», «tribunal». Tassé, R. «Application de la Charte canadienne des droits
et libertés», dans Charte canadienne des droits et liber- tés, éd., 1989, Beaudoin et Ratushny, aux p. 71-72.
AVOCATS:
W. Ian Binnie, c.r. et David W. Hamer pour les appelants (intimés incidents).
Richard G. Dearden, Alan D. Reid, c.r. et Neil R. Wilson pour les intimés (appelants incidents).
Edward R. Sojonky, c.r. et Yvonne E. Milo- sevic pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
McCarthy, Tétrault, Toronto, pour les appe- lants (intimés incidents).
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour les intimés (appelants incidents).
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Il s'agit d'un appel formé par M. Raymond L. du Plessis, c.r., légiste et conseiller parlementaire du Sénat («l'ap- pelant»), pour le compte des défendeurs [«appel- lants» dans l'intitulé de cause] que sont le Sénat et le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration («le comité du Sénat»), contre une ordonnance en date du 8 juin 1989 du juge Strayer [[1989] 3 C.F. 147 (1fe inst.)] concernant notamment des requêtes pour obtenir la radiation des défendeurs en vertu de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663]. Les intimés, Southam Inc. et M. Char- les Rusnell, ont interjeté un appel incident relative- ment à certains aspects de l'ordonnance du juge Strayer mentionnés dans l'énoncé des faits qui suit.
LES FAITS
La société intimée, Southam Inc., est éditeur et propriétaire du quotidien The Ottawa Citizen, tandis que le particulier intimé, M. Charles Rus- nell, travaille comme journaliste pour ce journal. En juin 1988, le comité du Sénat a entrepris une enquête au sujet de certaines allégations visant le sénateur Hazen Argue et l'utilisation par ce der-
nier de certains fonds et services du Sénat pour la mise en candidature de son épouse dans la circons- cription électorale fédérale de Nepean. Au début de juillet 1988, le Sénat a mis sur pied un sous- comité qu'il a chargé d'examiner ces allégations de détournement des fonds publics et de présenter un rapport à leur sujet; ce sous-comité a remis au comité du Sénat un rapport en date du 29 juillet 1988. Le sous-comité a entendu quatorze témoins au cours de réunions qu'il a tenues avant de sou- mettre son rapport, que le comité du Sénat a examiné à au moins une occasion, lors d'une réu- nion tenue le 18 août 1988.
Toutes les réunions du comité du Sénat et de son sous-comité se sont déroulées à huis clos. M. Rus- nell a demandé à plusieurs reprises l'autorisation d'assister aux audiences du comité du Sénat ou de son sous-comité, mais ses demandes ont toutes été rejetées. Il a également demandé que son avocat soit autorisé à venir expliquer pourquoi il devrait obtenir la permission d'assister aux audiences. Le 23 juin 1988 et le 18 août 1988, M. Rusnell et son avocat ont attendu à l'extérieur du lieu se tenaient les réunions à huis clos du comité du Sénat. Le 24 juin 1988, M. Rusnell a été autorisé à soumettre, par l'intermédiaire de son avocat, des arguments écrits appuyant sa demande d'accès aux audiences, mais le comité du Sénat n'a pas changé d'avis. À deux reprises, le sénateur Royce Frith, vice-président du comité du Sénat, lui a fait savoir ' que le comité continuerait de se réunir à huis clos.
Devant ces refus, les intimés ont intenté la pré- sente action le 22 août 1988. Dans leur déclara- tion', ils demandent que soient prononcés des juge- ments déclaratoires portant que les refus du comité du Sénat de leur permettre d'assister aux audien ces contreviennent à la liberté d'expression garan- tie par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] et ne sont
Dossier d'appel, à la p. 7.
pas justifiées par l'article premier de la Charte; que la Règle 73 du Règlement du Sénat 2 , comme tout refus fondé sur la Règle 73, contrevient à la Charte pour les mêmes motifs; que ces refus con- treviennent également aux alinéas 1d) et f) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III] [TRADUCTION] «ainsi qu'à la common law»; et que les refus d'autoriser les inti- més à exposer verbalement au comité leur point de vue au sujet de leur droit d'accès constituent un manquement au devoir du comité du Sénat d'en- tendre des arguments et de les prendre en considé- ration. Les intimés demandent que soient décernés un bref de certiorari annulant les décisions du comité du Sénat de tenir ces audiences à huis clos, ainsi qu'une injonction contre le comité, vu sa
persistance à interdire aux intimés d'assister aux audiences.
Le 28 septembre 1988, la déclaration a été signifiée au sénateur Roméo LeBlanc, qui était alors vice-président du comité du Sénat. Le 4 octobre 1988, les avocats du Sénat et du comité du Sénat ont accepté la signification au nom du séna- teur Guy Charbonneau, président du Sénat,
comme s'il s'était agi d'une signification à personne.
L'appelant a ensuite présenté, au nom du Sénat et du comité du Sénat, la requête contestée en l'espèce, dans laquelle il a demandé que soient prononcées des ordonnances lui donnant qualité pour présenter sa requête, rejetant l'action intentée contre le Sénat et le comité du Sénat, et déclarant que la signification de la déclaration à l'honorable Guy Charbonneau ne constituait pas une significa tion régulière au Sénat, au comité du Sénat ou à ses membres. Le procureur général du Canada («le procureur général») a lui aussi présenté une requête dans laquelle il s'est opposé à la jonction de Sa Majesté la Reine et de lui-même comme
parties dans une action qui n'était dirigée contre ni l'une ni l'autre.
Le 8 juin 1989, le juge Strayer, qui a été saisi des requêtes de l'appelant et du procureur général, a conclu que l'appelant avait la qualité voulue pour
2 La Règle 73 du Règlement du Sénat [Règlement du Sénat du Canada] précise que:
73. Toute réunion d'un comité du Sénat est publique, à moins que le comité ne prescrive le contraire.
présenter sa requête; que la Cour fédérale était compétente pour connaître de l'action des intimés; que le Sénat et le comité du Sénat devaient être radiés en tant que défendeurs, mais que les intimés étaient autorisés à produire, dans les trente jours, une déclaration modifiée nommant comme défen- deurs les personnes qui étaient membres du comité du Sénat durant les mois de juin, juillet et août 1988; que Sa Majesté la Reine devait être radiée en tant que défenderesse; et que le procureur général pouvait valablement être désigné comme partie au dossier 3 .
Pour leur part, les intimés ont interjeté un appel incident contre la conclusion du juge Strayer que le Sénat et le comité du Sénat ne sont pas des entités pouvant être poursuivies, et ils prétendent que le Sénat et le comité du Sénat ont été correcte- ment constitués défendeurs. Il convient également de mentionner que le procureur général, même s'il a décidé de ne pas interjeter appel de l'ordonnance du juge Strayer, a demandé plutôt tardivement de participer à l'appel et a été autorisé à le faire.
QUESTIONS SOULEVÉES DANS L'APPEL
L'appelant prétend que le juge de première ins tance a commis une erreur: (i) en concluant que l'action des intimés relevait de la compétence attri- buée par la loi à la Cour fédérale; (ii) en préten- dant définir la compétence «des tribunaux en géné- ral» à l'égard des questions soulevées dans la déclaration; (iii) en rejetant l'argument voulant qu'il s'agisse d'une question théorique étant donné la dissolution de la 33e législature, et (iv) en accordant aux intimés la permission de modifier ce que le juge Strayer a lui-même appelé une «nullité».
Outre la question de la compétence soulevée par l'appelant, d'autres questions ont été soulevées par les intimés dans l'appel et l'appel incident, c'est-à-dire:
(i) L'appelant a-t-il respecté le critère applicable aux radiations prévu à la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale?
(ii) Le Sénat et le comité du Sénat ont-ils été correctement constitués défendeurs dans cette affaire?
3 Dossier d'appel, 88-110, ordonnance et motifs de l'ordon- nance du juge Strayer.
(iii) La signification de la déclaration à l'honora- ble Guy Charbonneau et à l'honorable Roméo LeBlanc constituait-elle une signification régulière au Sénat et au comité du Sénat ou à leurs mem- bres respectifs?
(iv) Les questions soulevées dans l'action des inti- més sont-elles théoriques? et
(v) La déclaration peut-elle être modifiée afin de pouvoir poursuivre le comité du Sénat sous une désignation appropriée?
Le principal argument que l'appelant et les inti- més ont fait valoir durant l'audition de l'appel concernait la compétence de la Cour fédérale. A mon avis, il est inutile de trancher les autres questions soulevées par les parties, malgré leur importance en termes d'intérêt et d'administration publics. Je dis cela à cause du jugement que je rends sur la question préliminaire de savoir si la Cour fédérale a la compétence voulue pour connaî- tre de l'action des intimés. Le juge Strayer a conclu que la Cour était compétente. Avec toute la déférence qui s'impose, je ne suis pas du même avis.
COMPÉTENCE DE LA COUR FÉDÉRALE
L'appelant prétend que ni la Loi sur la Cour fédérale 4 ni la Charte canadienne des droits et libertés ne donnent à cette Cour la compétence voulue pour connaître de l'action des intimés. J'ai- merais tout d'abord régler la question de savoir si la Cour est compétente en vertu de la Charte.
L'avocat des intimés a semblé prétendre que la Cour fédérale avait la compétence voulue pour être saisie des questions soulevées dans la déclaration parce que les travaux du Sénat et du comité du Sénat sont assujettis aux dispositions de la Charte, étant donné que la Charte s'applique au Parle- ment. Il confond la compétence de la Cour avec l'applicabilité et la violation de la Charte. C'est bien possible que le Parlement soit assujetti aux dispositions de la Charte (c'est un point dont je traiterai brièvement plus loin), mais n'est pas la question à trancher à propos de la compétence. Il faut plutôt se demander si la Charte attribue une compétence quelconque à la Cour fédérale; selon moi, elle ne lui en attribue aucune.
4 L.R.C. (1985), chap. F-7.
Bien que le paragraphe 24(1) de la Chartes parle de tribunal compétent pour ce qui est d'obte- nir réparation en cas de violation de la Charte, cette disposition et la Charte en général n'attri- buent aux tribunaux aucune compétence qu'ils ne possèdent pas déjà. À cet égard, il me suffit de citer le juge McIntyre qui a dit, dans l'arrêt Mills c. La Reine 6 :
En premier lieu, on doit reconnaître que la compétence des différentes juridictions canadiennes est fixée par les législatures des provinces et par le Parlement du Canada. Il n'appartient nullement aux juges d'attribuer à tel ou tel tribunal compétence relativement à certaines questions. Cette fonction se trouve complètement en dehors du ressort des tribunaux. De fait le Parlement et les législatures ont délimité la compétence des tribunaux pour précisément les tenir en bride en limitant leurs actions aux domaines qui sont les leurs. Le paragraphe 24(1) de la Charte confère le droit, en cas de violation ou de négation alléguée d'un droit garanti par la Charte, de s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que ce tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. La Charte ne fait aucune tentative de fixer ou de circonscrire la compétence pour entendre de telles demandes. Elle ne fait qu'accorder un droit de s'adresser à un tribunal compétent'. [C'est moi qui souligne.]
Il a ensuite cité avec approbation l'extrait sui- vant de la décision rendue par le juge d'appel Brooke dans l'arrêt R. v. Morgentaler, Smoling and Scott B :
[TRADUCTION] La jurisprudence penche nettement vers l'opi- nion selon laquelle le par. 24(1) ne crée pas de tribunaux compétents, mais a simplement pour effet d'investir de pouvoirs supplémentaires les tribunaux qui ont déjà compétence indé- pendamment de la Charte. Nous sommes d'accord avec M' Doherty qu'un tribunal est compétent s'il possède une compé- tence ratione personae et ratione materiae, conférée par la loi, et s'il détient en outre le pouvoir de rendre l'ordonnance sollicitée'.
En ce qui concerne la compétence prévue dans la Loi sur la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada a conclu que trois conditions doivent être remplies pour établir la compétence de la Cour fédérale dans une affaire:
'Le paragraphe 24(1) de la Charte dispose que:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de néga- tion des droits et libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
6 [1986] 1 R.C.S. 863.
Id., aux p. 952 et 953.
8 (1984), 48 O.R. (2d) 519 (C.A.), à la p. 525.
9 Précité, note 6, à la p. 960.
(i) il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;
(ii) il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence;
(iii) la loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] 10 .
Le juge Strayer a vu dans l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale une attribution de compé- tence. Cet article est ainsi libellé:
18. La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de manda- mus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure enga gée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.
Cet article renvoie à la définition de l'expression «office fédéral» qui figure à l'article 2 de la Loi:
2....
«office fédéral> Conseil, bureau, commission ou autre orga- nisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exer- çant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Le juge de première instance a conclu que l'ac- tion intentée contre un comité du Sénat pourrait être entendue par la Cour fédérale sous le régime de l'article 18, à condition que ce comité soit correctement désigné dans l'action et que la signi fication ait été régulièrement faite. Il a déclaré:
Ce que l'on recherche en l'espèce, c'est un jugement déclara- toire et la délivrance d'un bref de certiorari, deux recours mentionnés à l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale. Bien
10 ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la p. 766 (le juge McIntyre).
que, dans le langage courant, un comité du Sénat puisse ne pas être désigné comme un «office, commission ou autre tribunal fédéral», cette expression se trouve définie expressément à l'article 2 de la Loi que nous venons de citer. Il ressort clairement, à mon sens, qu'un comité du Sénat peut être visé par cette définition soit parce qu'il constitue un «organisme», soit parce qu'il est constitué de «personnes». De plus, j'ai conclu qu'il était allégué que le comité dont il est question dans la présente espèce était un comité «exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parle- ment du Canada ou sous le régime d'une telle loi ...
Le juge Strayer a donc rejeté la prétention de l'avocat de l'appelant voulant que le Sénat ou ses comités exercent les pouvoirs qui leur sont conférés non pas sous le régime d'une loi du Parlement, mais sous le régime de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui attribue lui-même des privilèges, des immunités et des pouvoirs au Sénat. Cet article, dont le texte original a été abrogé et remplacé en 1875, est ainsi libellé:
18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilè- ges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immu- nités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bre- tagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre 12 .
Je reviendrai sur ce point plus tard, et je me contenterai de dire pour l'instant que le juge Strayer a conclu que l'adoption par le Parlement, le 22 mai 1868 13 , d'une première loi définissant les privilèges, les immunités et les pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes a eu pour effet de
Aux p. 160 et 161.
12 Loi de 1875 sur le Parlement du Canada, 38-39 Vict., chap. 38 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 13]. Le texte de l'article original [(1867), 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]] est le suivant:
18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat, la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par acte du parlement du Canada; ils ne devront cependant jamais excéder ceux possédés et exercés, lors de la passation du présent acte, par la chambre des communes du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bre- tagne et d'Irlande et par les membres de cette chambre.
'3 Acte pour définir les privlèges, immunités et attributions du Sénat et de la Chambre des Communes, et pour protéger d'une manière sommaire les personnes chargées de la publica tion des documents parlementaires, S.C. 1868, chap. 23.
donner à ces privilèges un fondement légal que l'on trouve actuellement dans la Loi sur le Parlement du Canada 14 . Selon l'analyse du juge Strayer, cette loi est clairement une loi fédérale au sens on l'entend dans la définition de l'expression «office fédéral» qui figure à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Par conséquent, le comité du Sénat serait un «office fédéral» au sens de la Loi sur la Cour fédérale et la Section de première instance serait compétente sous le régime de l'arti- cle 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Selon le juge Strayer, la première condition prévue dans l'arrêt ITO relativement à la compétence de la Cour fédérale, soit une attribution de compétence par une loi fédérale, serait dès lors respectée.
Il a aussi conclu que la Loi sur le Parlement du Canada remplissait les deux autres conditions, soit l'existence d'une loi fédérale applicable aux ques tions en litige qui soit une «loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
J'aimerais maintenant analyser plus attentive- ment chacune des trois conditions à remplir pour qu'une compétence soit reconnue à la Cour fédérale.
L'avocat de l'appelant a prétendu que les arti cles 2 et 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne créent aucun pouvoir de contrôle judiciaire à l'égard des travaux du Parlement pour les raisons suivantes:
a) un tel pouvoir irait à l'encontre du droit et de la pratique de la Constitution, que le Parlement est censé respecter lorsqu'il légifère' 5 ,
b) il n'y a pas de disposition expresse sur les privilèges et immunités parlementaires dans la Loi sur la Cour fédérale, et
c) le libellé de la loi ne permet pas d'englober l'exercice des privilèges et immunités parlementaires 16 .
14 L.R.C. (1985), chap. P-1.
15 Voir Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, à la p. 885.
16 Voir l'exposé des faits et du droit de l'appelant, paragra- phes 19 à 35.
Le procureur général a souscrit aux arguments de l'appelant en affirmant qu'il ne fallait pas donner une interprétation littérale à ces articles, mais plutôt rechercher l'intention du législateur, et que celui-ci n'avait pas l'intention d'attribuer à la Cour fédérale une compétence à l'égard des tra- vaux parlementaires lorsqu'il a adopté la loi créant la Cour en 1970.
Ces arguments ne sont pas déterminants, mais ils sont utiles en l'espèce en tant que principes d'interprétation. En effet, ils mènent à la conclu sion que pour reconnaître la Cour compétente en l'espèce, il faut être en mesure de trouver dans la loi constitutive des dispositions claires et sans équi- voque à cet effet. C'est la solution qu'il convient d'adopter en l'espèce car le contrôle des travaux du Parlement ne doit pas être pris à la légère étant donné la déférence qu'ont toujours manifestée les cours de justice envers le Parlement et le respect au pouvoir législatif en général. Je m'empresse d'ajouter que cela ne signifie pas qu'il ne doit exister aucune responsabilité, qu'elle soit légale ou autre. Bien au contraire, les tribunaux doivent être prompts à réagir pour faire respecter la primauté du droit, quelque puissante ou privilégiée que soit la partie justiciable, ou si impopulaire que soit la décision à rendre". Quoi qu'il en soit, la présente espèce concerne l'interprétation du mandat de cette Cour, et je suis d'avis qu'il faut s'appuyer sur un texte clair à première vue pour conclure à l'existence d'une compétence ayant pour effet d'at- tribuer à la Cour un pouvoir de contrôle judiciaire sur le Sénat ou l'un de ses comités.
" Les tribunaux n'ont pas hésité à se prononcer sur la question de savoir si ce qu'un organe parlementaire prétend être un privilège doit être accepté comme tel: voir p. ex. Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225 (P.C.); Stockdale v. Hansard (1839), 48 Rev. Rep. 326 (Q.B.); Landers et al. v. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158; Vallières c. Corporation de la paroisse de Saint-Henri de Lauzon (1905), 14 Rap. Jud. 16 (C.B. Roi); Chamberlist v. Collins et al. (1962), 34 D.L.R. (2d) 414 (C.A.C.-B.); Re Clark et al. and Attorney -General of Canada (1977), 17 O.R. (2d) 593 (H.C.) (le juge en chef Evans), à la p. 611:
[TRADUCTION] On s'est toujours demandé si les tribunaux étaient compétents pour déterminer la nature et l'étendue d'un privilège parlementaire. Il semblerait tout à fait naturel que le Parlement, en tant qu'organe législatif suprême, soit la source des lignes directrices faisant autorité en la matière. En revanche, il y a quelque chose d'inadmissible en soi dans le fait que des députés et des sénateurs définissent la nature et l'étendue de leurs propres droits et privilèges. C'est l'argu- ment qu'ont sans cesse invoqué les tribunaux pour contrôler la nature et l'étendue des privilèges parlementaires.
Plus précisément, comme je l'ai déjà mentionné, l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale attribue à la Section de première instance une compétence exclusive, en première instance, pour ce qui est d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral, que l'on définit à l'article 2 de la Loi comme un organisme, une personne ou un groupe de person- nes ayant, exerçant ou censé exercer une compé- tence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. L'avocat de l'appelant a insisté sur le fait que le terme «prévu» a le sens d'«accordé» ou de «conféré», et que les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat ou de ses comités ne leur ont pas été «accor- dés» ou «conférés» par une loi fédérale ou sous le régime d'une telle loi, mais par l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour sa part, l'avo- cat des intimés a soutenu que l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne fait que conférer le [TRADUCTION] «pouvoir de définir les privilèges, immunités et pouvoirs que possédera et exercera le Sénat». Une fois que ce pouvoir a été prévu par une loi, les conditions prévues dans la définition de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale sont remplies et, partant, la compétence de la Cour en vertu de l'article 18 de cette Loi est établie, comme l'a dit avec raison le juge Strayer.
J'estime cependant que les termes «prévus par une loi fédérale» qui figurent à l'article 2 signifient que la source de la compétence ou des pouvoirs qui sont prévus doit être une loi fédérale. Or, les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat sont prévus par la Constitution, pas par une loi, bien qu'ils soient définis ou explicités par une loi. Une telle loi est donc l'expression des privilèges du Sénat, mais elle n'en est pas la source, puisque celle-ci réside dans l'article 18 de la Loi constitu- tionnelle de 1867.
Dans le cas ordinaire d'un office fédéral, il est juste de dire que celui-ci est une émanation de l'exercice du pouvoir législatif attribué au gouver- nement fédéral par l'article 91 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 mais, dans un tel cas, c'est la loi fédérale adoptée sous le régime de cet article qui attribue le pouvoir ou la compétence à l'office fédéral, pas le pouvoir général de faire des lois prévu à l'article 91. Tel qu'il est libellé, l'article 18
de la Loi constitutionnelle de 1867 attribue direc- tement une compétence au Sénat; par conséquent, ni le Sénat ni l'un de ses comités ne sont un office fédéral au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. La Section de première instance n'est donc pas compétente pour instruire la présente action sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale; dès lors, la première condition énoncée dans l'arrêt ITO n'est pas remplie car aucun pouvoir n'est attribué par une loi fédérale.
Quoi qu'il en soit, même si je commets une erreur en concluant que l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 est attributif de privilè- ges, d'immunités et de pouvoirs au Sénat, je ne vois pas comment le Sénat ou l'un de ses comités peut être considéré comme un «office fédéral» selon le sens ordinaire des mots utilisés à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Le Sénat, qui est l'une des chambres du Parlement mentionnées à l'article
17 de la Loi constitutionnelle de 1867, est un organe qui, avec la Chambre des communes, fait partie intégrante du processus de création des offi ces fédéraux et, à ce titre, il n'est tout simplement pas au même niveau que ces entités.
Dans l'arrêt Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail'', le juge Huges- sen, J.C.A., a dit ceci à propos de la Chambre des communes:
Bien que, dans un certain sens, il soit possible de dire que la Chambre des communes est une création de la Loi constitu- tionnelle de 1867, je suis d'avis qu'une telle qualification a pour conséquence de déprécier et la Chambre et la Constitution. La Chambre est beaucoup plus qu'une création de la Constitution: elle en est un élément essentiel en plus d'être l'institution la plus importante de notre système de gouvernement libre et démocra- tique. Pour sa part, la Constitution est beaucoup plus qu'une loi: elle est la loi fondamentale du pays 19 .
Même s'il existe des différences évidentes entre la Chambre des communes et le Sénat, la portée des remarques du juge Hugessen, J.C.A., s'étend au Sénat qui est, lui aussi, beaucoup plus qu'une création de la Constitution. Tout comme la Cham- bre des communes, le Sénat est un élément central de la Constitution. Le fait de considérer le Sénat comme un office fédéral non seulement a pour effet d'en déprécier le rôle, mais va aussi au-delà
18 [1986] 2 C.F. 372 (C.A.). 19 Id., à la p. 389.
du sens ordinaire de ces mots 20 . À cet égard, je conviens avec le juge Strayer qu'il n'est pas cou- rant de parler du Sénat comme d'un simple office fédéral soumis au contrôle judiciaire.
Il m'est également impossible d'admettre que lorsque le Parlement a adopté la Loi sur la Cour fédérale en 1970, il avait l'intention de donner à la Cour fédérale un pouvoir de contrôle judiciaire sur le Sénat, la Chambre des communes ou leurs comités, comme s'il s'agissait d'«offices fédéraux». Cet aspect de la Loi sur la Cour fédérale avait principalement pour but de transférer à la Cour fédérale nouvellement créée 21 le pouvoir de con- trôle qu'exerçaient les cours supérieures des pro vinces sur les offices fédéraux; les articles 18 et 2 ont donc été libellés en conséquence. Pour pouvoir conclure à l'intention du législateur d'attribuer à la Cour fédérale un pouvoir de contrôle sur les deux chambres du Parlement, il faudrait, comme je l'ai déjà mentionné, que la loi le dise clairement.
J'aimerais aussi ajouter que l'avocat de l'appe- lant a fait valoir un autre argument digne de mention. Il a soutenu que le Parlement ne pourrait pas, en incorporant par renvoi dans une loi fédé- rale les privilèges, les immunités et les pouvoirs déjà prévus par la Constitution, se donner le pou- voir d'attribuer une compétence exclusive sur ces questions à une cour créée par une loi fédérale. Dans l'arrêt Procureur général du Canada et autres c. Law Society of British Columbia et autres 22 , le juge Estey a déclaré:
Si le Parlement peut attribuer une compétence exclusive à la Cour fédérale, ce n'est qu'en vertu des pouvoirs exclusifs que lui confère l'art. 91 de la Loi constitutionnelle. Dans la mesure on prétend que le Parlement a outrepassé ses pouvoirs à cet égard, l'art. 101 de la Loi constitutionnelle ne peut servir de justification pour affirmer que les cours supérieures n'ont pas le pouvoir de se prononcer sur cette question 23 . [C'est moi qui souligne.]
20 Selon le Shorter Oxford English Dictionary, un «board» (office) désigne les personnes qui se réunissent autour de la table d'un conseil; une «commission» (commission) est un groupe de personnes chargé d'une fonction particulière; un «tribunal» (tribunal) est une cour de justice, une assemblée judiciaire ou une autorité judiciaire.
21 On trouvera les remarques du ministre de la Justice de l'époque, l'honorable John N. Turner à ce sujet dans les Débats de la Chambre des communes, vol. V, sess., 28» Lég. (25 mars 1970), aux p. 5470 et 5471.
22 [19 82] 2 R.C.S. 307.
23 Id., à la p. 329.
L'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 24 , qui est le fondement constitutionnel de la Cour fédérale, autorise le Parlement du Canada à créer des tribunaux «pour la meilleure administra tion des lois du Canada». Comme l'a dit le juge Estey dans l'arrêt Law Society of British Colum- bia, il est uniquement question, à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, de la meilleure administration des «lois adoptées sous le régime de l'article 91»; et comme la loi en litige ne relève pas de l'article 91, mais de l'article 18, puisqu'il s'agit des privilèges, des immunités et des pouvoirs du Sénat, la Cour fédérale ne peut être investie d'au- cune compétence exclusive.
Ce point m'amène aux deuxième et troisième conditions prévues dans l'arrêt ITO, à savoir l'exis- tence d'un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence, et le fait que la loi invoquée doit être une «loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je constate que je n'ai nullement besoin d'analyser ces conditions: en effet, comme les trois conditions prévues dans l'arrêt ITO doivent être respectées et que la première ne l'est pas, il n'y a pas lieu d'aller plus loin. Toutefois, étant donné l'importance des questions en litige, il m'apparaît important de faire quelques remarques à ce sujet.
Le juge Strayer a parlé brièvement de ces deux conditions dans les termes suivants:
La loi fédérale dont il est question en l'espèce est essentielle- ment constituée des articles 4 et 5 de la Loi sur le Parlement du Canada qui ont été cités plus haut. Même si une partie des règles de droit dont il est question tire son origine d'une sorte de common law du Parlement ou lex parliamenti, le Parlement lui-même déclare à l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada:
5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie inté- grante du droit général et public du Canada ...
Il est évident que cette disposition est une disposition fédérale valide, qui a été clairement autorisée par l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit l'adoption de la loi
24 L'article 101 dit que:
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour général d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meil- leure administration des lois du Canada.
britannique comme loi fédérale. Ainsi les deuxième et troisième conditions d'existence de la compétence de la Cour fédérale se trouvent-elles établies".
Il est utile de reproduire les articles 4 et 5 de la Loi sur le Parlement du Canada 26 dans leur intégralité:
Privilèges, immunités et pouvoirs Nature
4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants:
a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;
b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possé- daient, à l'adoption de ces lois, la Chambre des communes du
' Parlement du Royaume-Uni et ses membres.
5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie inté- grante du droit général et public du Canada et n'ont pas à été démontrés, étant admis d'office devant les tribunaux et juges du Canada.
Bien que l'on puisse dire que la loi fédérale servant les fins de la deuxième condition prévue dans l'arrêt ITO est la Loi sur le Parlement du Canada précitée, je ne considère pas que cette loi est une < span> du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour ce qui est de la troisième condition. Cela ressort de l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada.
Cet article a deux objectifs: premièrement, déclarer que les privilèges, immunités et pouvoirs du Parlement sont partie intégrante du droit géné- ral et public du Canada et, deuxièmement, dispo- ser qu'ils n'ont pas à être démontrés, vu qu'ils sont admis d'office. Toutefois, le fait de déclarer qu'ils sont partie intégrante du droit général et public du Canada confirme que ces pouvoirs, privilèges et immunités ne sont pas des «lois du Canada» au sens on l'entend à l'article 101 de la Loi consti- tutionnelle de 1867. C'est encore plus évident lors- qu'on lit la version française de l'article 5. À mon
25 À la p. 165.
26 L.R.C. (1985), chap. P-1. Selon le juge Strayer, les dispo sitions des Lois révisées de 1985 sont identiques à celles qui étaient en vigueur au moment se sont produits les événe- ments dont il est question en l'espèce (p. 162).
sens, on ne peut pas considérer l'expression «droit général et public du Canada» comme l'équivalent de l'expression «des lois du Canada» utilisée dans la traduction non officielle de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 27 . La Constitution du Canada, qui comprend la Charte canadienne des droits et libertés, constitue la partie la plus importante du droit général et public du Canada, et l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada précise que les privilèges, immunités et pouvoirs du Parlement font aussi partie du droit général et public du Canada. Pour cette raison, il n'y a pas de «lois du Canada» au sens on l'entend dans la troisième condition de l'arrêt ITO et, partant, la Cour fédérale n'a pas la compétence voulue pour connaître de la présente action.
En résumé, je ne vois rien dans le libellé de la Loi sur la Cour fédérale qui attribue clairement à la Cour la compétence nécessaire pour instruire une affaire comme celle dont elle est saisie. Je suis plutôt convaincu du contraire 28 .
COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX EN GÉNÉRAL À L'ÉGARD DES TRAVAUX PARLEMENTAIRES
En temps normal, je m'arrêterais ici en disant que l'appel devrait être accueilli et que l'appel incident devrait être rejeté. Toutefois, il ne s'agit pas d'une affaire ordinaire, et j'aimerais ajouter quelques commentaires au sujet de la compétence des tribunaux en général pour appliquer les limites
27 101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'oc- casion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada. [Référence omise.]
28 Je note que l'article 1 du projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi sur la Cour fédérale, etc., sess., 34» Lég. Eliz. II, 1989-90, sanctionné le 29 mars 1990, modifie par adjonction la définition d'«office fédéral» qui figure dans la Loi:
2....
(2) Il est entendu que sont également exclus de la défini- tion d'«office fédéral» le Sénat et la Chambre des communes ou tout comité ou membre de l'une ou l'autre chambre. [C'est moi qui souligne.]
Les procureurs des parties ont tenté de tirer parti de cette modification, mais je m'abstiens de tout commentaire étant donné la conclusion à laquelle j'arrive sur la question principale de la compétence.
que la Constitution impose à l'exercice des privilè- ges attribués au Sénat ou à l'un de ses comités. Dans sa plaidoirie et dans son argumentation écrite, l'avocat de l'appelant a semblé concéder que toute compétence à cet égard était dévolue aux cours supérieures des provinces créées par des lois adoptées sous le régime de la rubrique 14 de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 29 .
Le juge Strayer a déclaré que les tribunaux possédaient une telle compétence et a conclu, plus précisément, que l'adoption de la Charte a fonda- mentalement modifié la nature de la Constitution canadienne; celle-ci n'est plus «semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni», comme on le précise dans le préambule de la Loi constitution- nelle de 1867 3 °. Puisque nous devons convenir que l'adoption de la Charte a transformé dans une large mesure l'ancien régime de suprématie parle- mentaire en un régime de suprématie constitution- nelle, comme l'a qualifié l'ancien juge en chef Dickson'', la portée de la remarque du juge
29 Toutefois, comme je l'ai mentionné plus haut, l'avocat de l'appelant a également soutenu que le juge Strayer avait commis une erreur en prétendant définir la compétence des tribunaux en général à l'égard des questions soulevées dans la déclaration. Je ne pense pas que le juge ait eu tort d'examiner cette question, d'autant plus qu'il a conclu que l'argument de l'avocat de l'appelant consistait principalement à affirmer qu'aucun tribunal n'était compétent pour appliquer la Charte au Sénat ou à l'un de ses comités. Cela ressort de l'avis de requête de l'appellant demandant le rejet de l'action: Dossier d'appel, à la p. 2.
A la p. 156. Le juge Strayer a également jugé inapplicable l'article 9 du Bill of Rights (1688) [1 Wm. III & Mary, secs., chap. 2 (Imp.)l, qui dispose que la liberté de parole et les débats ou les travaux au sein du Parlement ne doivent être contestés devant aucun tribunal ni ailleurs qu'au Parlement. Il a souligné que les tribunaux du Royaume-Uni et du Canada avaient, malgré l'existence de l'article 9 du Bill of Rights, révisé les actes posés dans l'exercice de prétendus privilèges du Parlement lorsque cet exercice empiétait sur des droits indivi- duels, et il a cité à cet égard les arrêts Stockdale v. Hansard, Kielley v. Carson et Landers et al. v. Woodworth, précités, note 17.
Le très honorable R. G. B. Dickson, «Keynote Address», dans The Cambridge Lectures 1985 (F. McCardle éd.), 1, à la p. 4. Le juge en chef Dickson a dit que la suprématie du Parlement était protégée dans une certaine mesure par la clause dérogatoire de l'article 33 de la Charte. Il a également noté que la Constitution britannique met en jeu trois principes non écrits: la souveraineté de la Couronne, la primauté du droit, qui est protégée par un organe judiciaire indépendant, et la supré- matie du Parlement. Le juge en chef a souligné que même avant l'adoption de la Charte, la suprématie du Parlement au sens on l'entend en Grande-Bretagne n'avait jamais été absolue au Canada. Id., aux p. 2 et 3.
Strayer voulant que notre Constitution ne soit plus semblable dans son principe à celle du Royaume- Uni est plutôt vaste. Certes, beaucoup de choses ont changé sur le plan constitutionnel depuis l'adoption de la Charte. Cependant, si les tenants d'un fédéralisme pur ont appris à vivre avec la constitution fédéraliste dont le Canada s'est doté en 1867 en s'inspirant des principes de gouverne- ment parlementaire régissant l'État unitaire qu'é- tait et qu'est encore le Royaume-Uni, il me semble que le régime britannique de gouvernement consti- tutionnel continuera de coexister avec la Charte, sinon dans son intégralité, ce qui n'a d'ailleurs jamais été le cas, au moins sous bien des aspects importants. La nature et l'étendue de cette coexis tence dépendront évidemment des décisions que rendront les tribunaux à propos des questions dont ils seront saisis.
Le juge Strayer a également déclaré que l'alinéa 32(1)a) de la Charte 32 , par sa mention expresse du Parlement, impose les limites de la Charte aux éléments constitutifs du Parlement, de la même manière que la mention du mot «gouvernement» dans cet article rend la Charte applicable à chaque composante et à chaque fonctionnaire du gouver- nement agissant en cette qualité 33 . À cet égard, un éminent auteur a affirmé que l'emprise de la Charte s'étend au Sénat et à la Chambre des communes, quelle que soit l'action prise par eux:
... en vertu des droits et attributions traditionnellement recon- nus à ces deux Chambres et affectant les droits individuels. Il pourrait en être ainsi, à titre d'exemple, des sanctions à carac- tère pénal qu'elles pourraient infliger à une personne reconnue coupable de «mépris de Parlement». La Charte canadienne s'applique au Parlement dans l'exercice de son pouvoir législa-
32 L'alinéa 32(1)a) de la Charte dispose que:
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;
33 À la p. 159. Le juge Strayer a noté que la Cour suprême du Canada a conclu sans difficulté que, par l'effet de l'article 32, la Charte s'appliquait à l'exercice de la prérogative royale dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux p. 463 et 464.
tif. Il serait incongru que les Chambres ne soient pas tenues d'en respecter les dispositions lorsque leurs actions non-législa- tives [sic] portent atteinte aux valeurs fondamentales protégées par la Charte 34
Toutefois, cette affirmation soulève des ques tions et suscite des arguments contraires. A titre d'exemple, comme je l'ai déjà mentionné, l'alinéa 32(1)a) de la Charte s'applique au Parlement qui, aux termes de l'article 17 de la Loi constitution- nelle de 1867, comprend les trois composantes que sont la Chambre des communes, le Sénat et Sa Majesté la Reine. Mais l'alinéa 32(1)a) s'appli- que-t-il lorsque la Chambre des communes ou le Sénat pris séparément (ou l'un de ses comités) est en cause 35 ? L'application des dispositions de la Charte est-elle écartée parce qu'un autre article préexistant de la Loi constitutionnelle de 1867, à savoir l'article 18, attribue expressément des privi- lèges, des immunités et des pouvoirs à la Chambre des communes et au Sénat 36 ? En cette ère de Charte, quelle est l'incidence de la jurisprudence affirmant la réticence des tribunaux à s'ingérer dans les travaux de nature interne du Parlement (en supposant que de tels travaux soient en cause en l'espèce)"?
De toute évidence, il s'agit d'une question très importante. Toutefois, comme elle n'était pas au coeur des arguments qui nous ont été soumis et qu'elle n'est pas essentielle au règlement de l'ap- pel, je n'en dirai pas plus long là-dessus.
34 R. Tassé, «Application de la Charte canadienne des droits et libertés», dans Charte canadienne des droits et libertés (2e éd. 1989), Beaudoin et Ratushny, éd. 77, à la p. 84.
35 Cette question est soulevée par R. Tassé, id., à la p. 83.
36 Voir Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148. Le juge Strayer a rejeté cet argument en disant que la Charte doit être considérée comme ayant remplacé toute immunité constitution- nelle implicite empêchant la révision judiciaire de l'exercice, par les organes du Parlement, de ce qui serait leurs privilèges, à tout le moins lorsqu'on considère que cet exercice enfreint des droits et libertés individuels garantis par la Charte (p. 157).
37 Pour un exemple récent, voir l'arrêt MacLean v. Nova Scotia (Attorney General) (1987), 76 N.S.R. (2d) 296 (CS.) dans lequel le juge en chef Glube a dit que le pouvoir d'expulser un député au moyen d'une résolution adoptée par l'Assemblée législative ne pourrait normalement pas être révisé par les tribunaux: id., à la p. 304. Néamoins, le juge en chef Glube a par la suite révisé et confirmé en vertu de la Charte une disposition législative adoptée par l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse portant sur l'expulsion d'un député.
DISPOSITIF
En conclusion, j'accueillerais l'appel et je rejet- terais l'appel incident. J'annulerais aussi l'ordon- nance en date du 8 juin 1989 rendue par le juge Strayer dans la mesure elle rejetait la requête de l'appelant tendant au rejet de l'action et, ren- dant le jugement qu'il aurait rendre, je rejette- rais l'action des intimés.
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'y souscris. LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: J'y souscris.
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