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A-744-88
Life Underwriters Association of Canada/L'Asso- ciation des Assureurs-Vie du Canada (appelante)
c.
Provincial Association of Quebec Life Underwri- ters/L'Association Provinciale des Assureurs-Vie du Québec (intimée)
RÉPERTORIÉ: L'Assoc. DES ASSUREURS-VIE DU CANADA c. L'Assoc. PROVINCIALE DES ASSUREURS-VIE DU QUÉBEC (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjardins, J.C.A.—Ottawa, 20 février et 15 juin 1990.
Assurance Le juge de première instance a conclu que l'art. 2(c), (d) et (e) de la Loi constitutive de l'appelante sont ultra vires pour le motif que les pouvoirs qui lui sont conférés relèvent de la compétence exclusive des provinces en matière d'éducation et de réglementation des professions En appel, l'art. 2(c) et (d), qui autorisent l'appelante à faire subir des examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie et à accorder des certificats, ont été déclarés intro vires La législation fédérale n'est pas inconstitutionnelle pour le seul motif qu'elle autorise une société fédérale à exercer des activi-
tés soumises à la réglementation provinciale L'art. 2(e) qui permet à l'appelante de conférer le titre d'«Assureur-vie agréé» est ultra vires puisqu'il confere des titres professionnels relevant de la compétence provinciale.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs La loi fédérale constituant l'appelante en société lui permet de faire subir des examens à ses membres et de les accréditer On ne peut contester la constitutionnalité de cette Loi pour le seul motif qu'elle confere à l'appelante le pouvoir d'exercer une activité dont la réglementation relève des provinces Le texte qui confere à l'appelante le pouvoir d'autoriser ses membres à porter le titre d'«Assureur-vie agréé» est ultra vires du Parle- ment du Canada puisqu'il relève de la compétence des provin ces en matière de droits civils et de réglementation des professions.
Pratique Jugements et ordonnances Annulation ou modification La Règle 1212, qui autorise la Cour à modi fier un jugement porté en appel en se fondant sur le consente- ment des parties, ne s'applique pas lorsque la constitutionna- lité de la loi fait l'objet d'un litige Le procureur général du Québec qui s'est vu conférer le statut d'intervenant par le protonotaire-chef s'opposait au jugement dont les parties avaient convenu.
Il s'agit en l'espèce d'un appel formé à l'encontre du juge- ment de première instance, déclarant inconstitutionnels les alinéas 2(c), (d) et (e) de la Loi constitutive de l'appelante, pour le motif que les pouvoirs conférés par ces alinéas relèvent de la compétence exclusive des provinces en matière d'éducation et de réglementation des professions. Les alinéas en question permettent à l'appelante de faire subir des examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, d'accorder des certi-
ficats de compétence et d'autoriser ses membres à porter le titre d'«Assureur-vie agréé» (A.V.A.). Avant l'audition de l'appel, les parties intéressées prévinrent la Cour qu'elles étaient arrivées à un compromis mettant fin au litige. L'une des conditions de ce compromis, auquel le procureur général du Québec n'avait pas acquiescé à titre d'intervenant, était que la Cour devait rendre un jugement accueillant l'appel en partie en remplaçant la déclaration d'inconstitutionnalité par une déclaration affirmant la constitutionnalité des dispositions en cause. Il s'agit de savoir si la Cour pouvait, en vertu de la Règle 1212, modifier un jugement fondé sur le consentement des parties lorsque la constitutionnalité de la loi est contestée, et si les dispositions en cause étaient inconstitutionnelles.
Arrêt (le juge Marceau, J.C.A., étant en partie dissident): l'appel doit être en partie accueilli.
Le juge Pratte, J.C.A.: La constitutionnalité des lois ne dépend pas de la volonté des plaideurs et des compromis qu'ils peuvent faire. La Règle 1212, qui permet à la Cour de modifier un jugement porté en appel en se fondant sur le consentement des parties, ne s'applique pas.
Le juge de première instance a eu tort de juger que les alinéas 2(c) et (d) étaient inconstitutionnels. La constitutionna- lité d'une disposition législative adoptée par le Parlement fédé- ral ne peut être contestée pour le seul motif que cette disposi tion confère à une société qu'elle a créée le pouvoir d'exercer une activité dont la réglementation relève des provinces. Toute- fois, il a eu raison de conclure que l'alinéa 2(e) était ultra vires. Le Parlement n'a pas, sauf dans les matières qui relèvent de sa compétence, le pouvoir de légiférer pour accorder à des person- nes le droit de porter ou d'utiliser un titre, qu'il s'agisse d'un titre professionnel ou autre. La loi contestée n'autorise pas l'appelante à exercer une activité, mais elle lui confère le droit de porter le titre d'«Assureur licencié en assurance-vie au Canada». Le Parlement ne peut donner à une société le pouvoir de conférer un droit qu'il ne pouvait lui-même accorder. Toute réglementation sur ce sujet relève du domaine des droits civils et de la compétence des provinces.
Le juge Marceau, J.C.A. (en partie dissident): La Règle 1212 ne s'applique pas lorsque les parties à un appel demandent de modifier d'un commun accord un jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité d'une disposition législative et ce, même si tous les procureurs généraux intéres- sés au litige y consentent. Le rôle joué par le procureur général, à titre de gardien de l'intérêt public, ne remplace pas le rôle assigné exclusivement aux tribunaux qui doivent décider quelles sont les limites des pouvoirs législatifs de l'un ou l'autre palier de gouvernement.
Les alinéas 2(c), (d), et (e) qui conféraient à la corporation certains pouvoirs déterminés, sont intra vires. Le Parlement peut constituer des compagnies et déterminer leurs pouvoirs, même si le pouvoir de constituer en personne morale n'inclut pas celui de réglementer l'exercice des pouvoirs conférés par la constitution. On a répondu à l'argument selon lequel la régle- mentation des professions relève du domaine exclusif des pro vinces en soulignant que la Loi ne vise pas à réglementer une profession. Les désignations conférés par l'alinéa 2(e) n'impo- sent aucune obligation ni ne créent une immunité contre les lois provinciales. Même si elles sont considérées comme créant «des droits civils d'un caractère nouveau>, cela n'excède pas en soi la compétence du Parlement. Le simple fait de conférer un titre ne
serait pas, en vertu de la Constitution, réservé exclusivement au pouvoir législatif habilité à réglementer la profession. Le fait de conférer et de détenir un titre professionnel peut faire partie de la réglementation de la profession, mais dans le sens restreint cela est directement lié à l'exercice de la profession. Autre- ment, il s'agit d'un acte neutre qui n'est pas limité par le partage des pouvoirs. Les termes «au Canada» figurant dans la description contrôlée par l'appelante étaient suffisants pour la distinguer de la description mentionnée à l'article 335 de la Loi sur les assurances du Québec. On ne pouvait pas dire que le titre avait fait l'objet d'une réglementation professionnelle par une loi provinciale et qu'en conséquence, il échappait à la compétence fédérale.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Le refus du procureur général du Québec d'acquiescer au jugement par consentement présenté par les parties empêchait la Cour d'intériner ce consentement, à supposer que le consentement des parties et de l'intervenant puisse régler un litige d'ordre constitutionnel, ce sur quoi on ne saurait se prononcer.
L'alinéa 2(e) est inconstitutionnel parce qu'il est réputé donner à l'appelante le pouvoir de conférer un titre profession- nel. Le Parlement ne peut donner aux compagnies qu'il consti- tue le pouvoir de conférer un titre professionnel puisque ce pouvoir relève des provinces en matière de réglementation des professions. L'ajout des mots «au Canada» ne peut légitimer cette disposition sur le plan constitutionnel.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code de procédure civile, L.R.Q. chap. C-25, art. 95, 98, 99.
Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada, S.C. 1924, chap. 104, art. 2. Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5] art. 91, 92(11).
Loi sur les assurances, L.R.Q. 1977, chap. A-32, art. 335.
Loi sur les compagnies, L.R.Q. 1977, chap. C-38.
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 5, 1101, 1212.
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Association des Assureurs-vie du Canada c. Association provinciale des Assureurs-vie du Québec, [1989] 1 C.F. 570; (1988), 33 C.C.L.I. 62; 19 C.I.P.R. 261; 22 C.P.R. (3d) 1; 20 F.T.R. 274 (1'° inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 405 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.); John Deere Plow Com pany v. Wharton, [1915] A.C. 330 (P.C.); Great West Saddlery Co. v. The King, [1921] 2 A.C. 91 (P.C.).
DOCTRINE
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed.
Toronto: The Carswell Company Limited, 1985.
AVOCATS:
Roger T. Hughes, c.r. et Stephen M. Lane
pour l'appelante.
Hugues G. Richard pour l'intimée.
James M. Mabbutt, c.r. pour le procureur
général du Canada.
Robert Monette pour le procureur général du
Québec.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour l'appe- lante.
Leger, Robic & Richard, Montréal, pour l'intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Bernard, Roy & Associés, Montréal, pour le procureur général du Québec.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Ce litige oppose deux associations d'agents d'assurance-vie. L'intimée est une société sans but lucratif créée en 1962 en vertu de la Partie III de la Loi sur les compagnies du Québec' qui groupe les agents d'assurance de cette province. L'appelante, elle, recrute ses membres dans tout le pays; elle a été constituée en corpora tion en 1924 par une loi spéciale du Parlement fédéral [Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada] 2 qui définit ainsi, à l'article 2, ses objets et pouvoirs:
2. Les objets et les pouvoirs de l'Association sont de favori- ser, par tous les moyens légitimes, la pratique régulière et effective du commerce d'assurance-vie dans le Dominion du Canada; et à cette fin,
(a) de publier, distribuer et vendre des opuscules, revues, journaux, livres et autre littérature se rattachant au commerce d'assurance-vie;
' L.R.Q. 1977, chap. C-38. 2 S.C. 1924, chap. 104.
(b) d'utiliser les fonds de l'Association pour favoriser le bien-être de ses membres de la manière que l'Associa- tion peut décider;
(c) de faire subir les examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, ou sur les connaissances générales, ainsi qu'il peut être jugé à propos;
(d) d'accorder des certificats de compétence à ses membres;
(e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'»Assureur licencié en assurance-vie au Canada».
Depuis sa création, l'appelante a organisé des cours de formation pour ses membres destinés à augmenter leurs connaissances dans le domaine de l'assurance-vie. Elle décerne à ceux qu'elle juge suffisamment compétents les titres «Chartered Life Underwriter» (en abrégé C.L.U.) et «Assureur-vie agréé» (en abrégé A.V.A.). Elle a même enregistré les sigles C.L.U. (enregistrement 335 823) et A.V.A. (enregistrement 335 977) comme mar- ques de certification en vertu de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10].
Le 5 janvier 1988, l'appelante a poursuivi l'inti- mée alléguant que celle-ci était sur le point d'orga- niser des cours de formation pour ses membres et voulait conférer à ceux-là qui les suivraient avec succès le droit d'utiliser les titres «Chartered Life Underwriter» et «Assureur-vie agréé» et leurs abré- viations C.L.U. et A.V.A. Ces agissements, suivant l'appelante, étaient source de confusion et violaient ses droits. Elle demandait donc une injonction et d'autres redressements appropriés.
L'intimée plaida, en défense, que l'appelante n'avait aucun droit sur les titres et désignations en question et, par demande reconventionnelle, demanda à la Cour d'ordonner la radiation des marques de commerce enregistrées par l'appelante et, aussi, de déclarer que la Loi constitutive de l'appelante était inconstitutionnelle et ultra vires du Parlement du Canada.
Prévenu du problème constitutionnel que soule- vait l'intimée, le procureur général du Québec obtint de la Section de première instance la per mission d'intervenir dans le litige.
Finalement, la Section de première instance rejeta l'action de l'appelante [[1989] 1 C.F. 570] avec dépens et, statuant sur la demande reconven- tionnelle de l'intimée, ordonna la radiation des marques de commerce de l'appelante et déclara
inconstitutionnels les alinéas 2(c), (d) et (e) de la Loi constitutive de l'appelante au motif que les pouvoirs conférés par ces alinéas relèvent de la compétence exclusive des provinces en matière d'éducation et de réglementation des professions.
L'appelante interjeta appel de cette décision; l'intimée, elle, fit appel de cette partie de la déci- sion qui avait rejeté sa prétention que toute la Loi constitutive de l'appelante devait être invalidée.
L'appel était sur le point d'être entendu lorsque l'appelante et l'intimée prévinrent le greffe qu'elles en étaient arrivées à un compromis mettant fin au litige. L'une des conditions de ce compromis, auquel n'avait pas acquiescé le procureur général du Québec, était que la Cour devait rendre un jugement, accueillant en partie l'appel de l'appe- lante en remplaçant la déclaration d'inconstitu- tionnalité des alinéas 2(c), (d) et (e) de la Loi constitutive de l'appelante par une déclaration affirmant la constitutionnalité de ces dispositions; le jugement de première instance devait, à tous autres égards, être confirmé.
On fit savoir aux intéressés que l'appel serait quand même entendu au jour fixé parce qu'il n'était pas certain que la Cour accepte, dans ces circonstances, de substituer une déclaration de constitutionnalité à la déclaration d'inconstitution- nalité prononcée par le premier juge.
À l'audience, l'avocat de l'appelante a d'abord soutenu que la Cour pouvait se fonder sur les seuls consentements de l'appelante et de l'intimée pour prononcer le jugement dont elles ont convenu. Il s'est ensuite appliqué à démontrer que, contraire- ment à ce qu'a décidé le premier juge, les alinéas 2(c), (d) et (e) de la Loi constitutive de l'appelante ont été validement édictés. L'avocat du procureur général du Canada, qui s'était prévalu de la Règle 1101 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], a soutenu lui aussi ce dernier point de vue que l'avocat du procureur général du Québec a été seul à contester. L'avocat de l'intimée, en effet, ne prit aucune part aux débats se contentant d'af- firmer qu'il n'entendait pas poursuivre son contre-appel.
La prétention de l'appelante à l'effet que la Cour doit nécessairement, vu le compromis inter- venu entre elle et l'intimée, prononcer le jugement dont elles ont convenu me paraît devoir être reje-
tée. Il est vrai que la Règle 1212 des Règles de la Cour fédérale' autorise la Cour à modifier un jugement porté en appel en se fondant sur le seul consentement des parties. Mais je ne crois pas que la Cour puisse s'autoriser de cette règle pour faire une déclaration relative à la constitutionnalité d'une loi. La constitutionnalité des lois, qu'il s'agisse de lois publiques ou privées, ne dépend pas de la volonté des plaideurs et des compromis qu'ils peuvent faire.
Il faut donc s'interroger sur la constitutionnalité des alinéas 2(c), (d) et (e) que le premier juge a déclarés invalides. Le texte de ces dispositions, je le rappelle, est le suivant:
2. Les objets et les pouvoirs de l'Association sont de favori- ser, par tous les moyens légitimes, la pratique régulière et effective du commerce d'assurance-vie dans le Dominion du Canada; et à cette fin,
(c) de faire subir les examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, ou sur les connaissances générales, ainsi qu'il peut être jugé à propos;
(d) d'accorder des certificats de compétence à ses membres;
(e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'«Assureur licencié en assurance-vie au Canada».
Il est maintenant bien établi que si les provinces ont le pouvoir exclusif, en vertu du paragraphe 92(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]], de créer «des compa- gnies pour des objets provinciaux», le Parlement fédéral peut néanmoins créer des sociétés devant exercer leurs activités dans plus d'une province (et qui, à cause de cela, ne sont pas constituées pour des «objets provinciaux») même si ces activités sont
3 Règle 1212. Un intimé peut consentir à ce que le jugement porté en appel soit infirmé ou modifié en donnant à l'appelant un avis indiquant qu'il consent à ce que le jugement soit infirmé ou modifié de la manière y indiquée, et la Cour doit ensuite, à la demande de l'appelant, rendre jugement en conformité de l'avis à condition que ledit jugement en soit un qui puisse être prononcé du consentement mutuel des parties.
telles que leur réglementation relève de la compé- tence exclusive des provinces 4 . Il s'ensuit donc qu'on ne peut contester la constitutionnalité d'une disposition législative adoptée par le Parlement fédéral au seul motif que cette disposition confère à une société qu'il a créée le pouvoir d'exercer une activité dont la réglementation relève des provin ces.
Si on lit l'article 2 de la Loi constitutive de l'appelante à la lumière de ces principes, il m'ap- paraît clair que le juge de première instance a eu tort de juger que les alinéas 2(c) et (d) étaient inconstitutionnels. Le seul reproche que l'on puisse faire à ces deux alinéas, c'est qu'ils autorisent l'appelante à exercer des activités dont la régle- mentation relève de la compétence exclusive des provinces. Or, je viens de le dire, ce n'est pas un motif d'inconstitutionnalité.
Il en va différemment, cependant, de l'alinéa 2(e) qui confère à l'appelante le pouvoir
2....
(e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'«Assureur licencié en assurance-vie au Canada».
Ce texte n'autorise pas l'appelante à exercer une activité; il lui accorde le pouvoir de conférer à certains de ses membres le droit de porter le titre d'«Assureur licencié en assurance-vie au Canada». Il me paraît certain que le Parlement ne peut donner à une société le pouvoir de conférer à ses membres un droit qu'il ne pourrait pas lui-même leur conférer. Or, le Parlement n'a pas, sauf dans les matières qui relèvent de sa compétences, le pouvoir de légiférer pour accorder à des personnes le droit de porter ou d'utiliser un titre, qu'il s'agisse d'un titre professionnel ou autre. Toute réglementation sur ce sujet relève du domaine des droits civils; elle est, à cause de cela, de la compé- tence exclusive des provinces. Le Parlement fédé- ral ne pouvait donc conférer à l'appelante le pou
r Voir à ce sujet: Citizen Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.), à la p. 116; John Deere Plow Company v. Wharton, [1915] A.C. 330 (P.C.), à la p. 340; Great West Saddlery Co. v. The King, [1921] 2 A.C. 91 (P.C.), à la p. 115.
Voir aussi: Hogg, Constitutional Law of Canada, 2' éd., p. 511 et suivantes.
5 Par exemple, il peut certainement donner des noms aux sociétés qu'il crée et peut légiférer à ce sujet.
voir d'accorder à ses membres le droit d'utiliser le titre d'assureur licencié en assurance-vie parce qu'il ne pouvait lui-même leur accorder ce droit.
Le premier juge a donc eu raison de juger que l'alinéa 2(e) était inconstitutionnel et, en consé- quence, il me semble impossible de donner intégra- lement effet au compromis intervenu entre les parties. J'accueillerais donc l'appel de l'intimée en partie seulement et je modifierais le jugement de la Section de première instance en y remplaçant les paragraphes 3 et 4 par le paragraphe suivant:
La Cour déclare que l'alinéa 2(e) de la Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada (14-15 George V, chapitre 104) est inconstitutionnel et ultra vires du Parlement du Canada.
De, plus, j'ordonnerais à l'appelante de payer tous les frais de l'intimée, tant en première ins tance qu'en appel, et, suivant l'entente des parties, je fixerais le montant de ces frais à 75 000 $.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (dissident en partie): Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue le juge Pratte sur la question préliminaire du jugement déclaratoire par consentement mais malheureusement, je ne peux souscrire à son point de vue sur la question fondamentale de la constitutionnalité.
1. Ma position sur la question préliminaire est simple et peut se résumer en quelques mots. Dans notre système judiciaire contradictoire, il ne fait aucun doute que les parties elles-mêmes sont dans une grande mesure maîtres de la ligne de conduite qu'elles suivent, et dans les cas elles peuvent en arriver à un accord, les tribunaux sont disposés à donner suite à leur consentement. Mais à mon avis, ce principe n'a pas une portée telle qu'il permettrait aux parties à un appel de modifier ou d'infirmer, d'un commun accord, un jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité d'une disposition législative, pas plus qu'un tel jugement déclaratoire ne pourrait être prononcé de prime abord, s'il n'était appuyé que par le consentement
des parties. La Règle 1212 des Règles de la Cour ne s'applique pas 6 .
J'ajoute que j'adopterais le même point de vue même si tous les procureurs généraux qui ont choisi de prendre part au conflit donnaient leur assentiment à l'ordonnance proposée par les par ties aux fins de trancher la question constitution- nelle. Même si un procureur général jouit du statut particulier de gardien de l'intérêt public, ce statut ne remplace évidemment pas le rôle assigné exclu- sivement aux tribunaux qui doivent décider, de façon exécutoire, quelles sont les limites des pou- voirs législatifs de l'un ou l'autre palier de gouvernement.
2. La question constitutionnelle est plus com- plexe mais je pense pouvoir expliquer brièvement ma dissidence eu égard au point de vue adopté par mon collègue, puisque nos points de vue conver gent en grande partie.
La compétence du gouvernement fédéral pour constituer les compagnies et déterminer leurs pou- voirs est reconnue depuis longtemps et je ne con- nais aucune autorité importante qui préconise des restrictions à cette compétence en se fondant sur les objets de la compagnie qui est constituée. Mais il est clair qu'un tel pouvoir de constituer une personne morale n'inclut pas celui de réglementer l'exercice des pouvoirs conférés par la constitution. Compte tenu de ces deux principes de base, je ne vois pas comment on pourrait prétendre que l'une ou l'autre des dispositions contenues aux alinéas (c), (d) ou (e) de l'article 2 de cette Loi constituant en corporation The Life Underwriters Association of Canada, S.C. 1924, chap. 1047, dispositions qui conféraient à la corporation certains pouvoirs déterminés, est inconstitutionnelle.
6 Je reproduis cette règle pour des raisons de commodité: Règle 1212. Un intimé peut consentir à ce que le jugement porté en appel soit infirmé ou modifié en donnant à l'appe- lant un avis indiquant qu'il consent à ce que le jugement soit infirmé ou modifié de la manière y indiquée, et la Cour doit ensuite, à la demande de l'appelant, rendre jugement en conformité de l'avis à condition que ledit jugement en soit un qui puisse être prononcé du consentement mutuel des parties.
' Pour des raisons pratiques, je reproduis à nouveau l'article 2 de cette Loi:
2. Les objets et les pouvoirs de l'Association sont de favoriser, par tous les moyens légitimes, la pratique régulière et effective du commerce d'assurance-vie dans le Dominion du Canada; et à cette fin,
(Suite à la page suivante)
On conteste la validité de l'alinéa 2(e) en disant que la réglementation des professions relève du domaine exclusif des provinces. Mais la Loi ne vise pas à réglementer une profession. Les désignations conférées par l'alinéa 2(e) n'imposent aucune obli gation ni ne créent une immunité contre les lois provinciales. On pourrait peut-être au plus consi- dérer qu'elles créent [TRADUCTION] «des droits civils d'un caractère nouveau», le droit à un titre, comparable aux droits créés par une marque de commerce nationale établie par une loi du Parle- ment applicable à un produit de façon à attester la conformité de ce produit à un certain critère défini par la Loi. Mais dans l'arrêt Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 405, le Comité judiciaire du Conseil privé a statué qu'en soi, cela n'excède pas la compétence du Parlement.
Je ne vois pas pourquoi le simple fait de conférer un titre serait, en vertu de la constitution, réservé exclusivement au pouvoir législatif habilité à régle- menter la profession auquel le titre pourrait de quelque façon être relié. Pour être qualifié de professionnel, un titre, tel un certificat, doit, me semble-t-il, être directement lié à l'exercice de la profession; il doit avoir des conséquences quant au droit et à la capacité de son titulaire de pratiquer la profession. Le fait de conférer et de détenir un titre professionnel en ce sens peut, bien sûr, faire partie de la réglementation de la profession mais autrement, il s'agit d'un acte neutre qui, me sem- ble-t-il, n'est pas limité par le partage des pouvoirs. L'achalandage ou l'influence économique généré par l'octroi d'un tel titre ne serait qu'aux efforts de l'Association et de ses membres et non à l'état de la législation.
(Suite de la page précédente)
(a) de publier, distribuer et vendre des opuscules, revues, journaux, livres et autre littérature se rattachant au commerce d'assurance-vie;
(b) d'utiliser les fonds de l'Association pour favoriser le bien-être de ses membres de la manière que l'Associa- tion peut décider;
(c) de faire subir les examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, ou sur les connaissances générales, ainsi qu'il peut être jugé à propos;
(d) d'accorder des certificats de compétence à ses membres;
(e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'«Assureur licencié en assurance-vie au Canada».
Mais ne pourrait-on pas dire qu'un titre peut faire l'objet d'une réglementation professionnelle par une loi provinciale et échapper ainsi au con- trôle et même être hors de portée d'une institution fédérale? Il ne serait pas exact, je pense, de dire que c'est ce qui est arrivé en l'espèce, les termes «au Canada» figurant dans la désignation contrôlée par l'association nationale, étant suffisants pour la distinguer de la désignation mentionnée à l'article 335 de la Loi sur les assurances du Québec'. Mais quoi qu'il en soit, même s'il était possible que la législation provinciale ait pour effet d'interdire à quiconque dans la province d'utiliser le titre alors qu'il pratique la profession, l'intégrité de l'institu- tion fédérale en tant que personne morale ainsi que tous ses pouvoirs et la validité constitutionnelle de sa loi constitutive demeureraient intacts.
À mon avis, la partie du jugement de première instance déclarant que les alinéas 2(c), (d) et (e) de la Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada sont incons- titutionnels est mal fondée et devrait être annulée.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Le protonotaire- chef a accordé au procureur général du Québec le droit d'intervenir devant le juge de première ins tance et de faire des représentations d'ordre consti- tutionnel lors de l'audition de la cause en titre en application de l'article 5 des Règles de la Cour fédérale et des articles 95, 98 et 99 du Code de procédure civile du Québec; les modalités d'inter-
8 L'article 335 de la Loi sur les assurances du Québec, L.R.Q. 1977, chap. A-32, est ainsi conçu:
335. Quiconque a droit au titre d'agent d'assurance peut, le cas échéant, avoir également droit aux titres suivants:
a) assureur-vie;
b) assureur-vie agréé (A.V.A.) ou «chartered life insurer» (C.L.U.), moyennant l'agrément de l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec et conformément aux statuts de cette association;
c) courtier d'assurance-vie, s'il représente plus d'une com- pagnie d'assurance sur la vie;
d) courtier d'assurance, s'il représente plus d'une compa- gnie d'assurance de dommages;
e) tout titre auquel lui donne droit la Loi des courtiers d'assurances (chapitre C-74).
vention, déterminées par analogie avec la Règle 1010 des Règles de la Cour fédérale, étant que l'intervenant s'en tienne «aux seuls arguments légaux à la fin de l'audition, sous réserve de ses droits quant à des faits qui seraient révélés et qui mettraient en cause le Procureur général ou le Ministre».
Même si le statut du procureur général du Québec n'équivaut pas pour autant à celui de partie, son rôle demeure celui de gardien de l'inté- rêt public. Son refus d'acquiescer au jugement de consentement présenté par les parties, à cause de la position constitutionnelle qu'elles adoptent, empêche cette Cour d'entériner ce consentement à supposer qu'un consentement des parties et de l'intervenant soit possible pour régler un litige d'ordre constitutionnel,—ce sur quoi je ne me pro- nonce pas. Sur ce premier point, je suis d'accord avec mes deux collègues.
Sur le deuxième point, je souscris à la conclusion à laquelle en arrive le juge d'appel Pratte. L'alinéa 2(e) de la Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada 9 donne à l'appelante le droit d'autoriser ceux de ses mem- bres qu'elle désigne «à porter le titre et à avoir la qualité d'Assureur licencié en assurance-vie au Canada»: («the use by such of its members ... of the title and description «Chartered Life Under writer of Canada»). L'appelante dispense de fait
9 S.C. 1924, chap. 104. L'article 2 en son entier se lit comme suit:
2. Les objets et les pouvoirs de l'Association sont de favori- ser, par tous les moyens légitimes, la pratique régulière et effective du commerce d'assurance-vie dans le Dominion du Canada; et à cette fin,
(a) de publier, distribuer et vendre des opuscules, revues, journaux, livres et autre littérature se rattachant au commerce d'assurance-vie;
(b) d'utiliser les fonds de l'Association pour favoriser le bien-être de ses membres de la manière que l'Association peut décider;
(c) de faire subir les examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, ou sur les connaissances générales, ainsi qu'il peut être jugé à propos;
(d) d'accorder des certificats de compétence à ses membres;
(e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'9Assureur licencié en assurance-vie au Canada».
les titres «assureur-vie agréé» (A.V.A.) et «Char- tered Life Underwriter» (C.L.U.)) 10 . Il s'agit par conséquent d'un titre professionnel qui s'ajoute au certificat de compétence. L'ajout des mots «au Canada» («of Canada») ne change rien à la quali fication de cette disposition législative et ne peut la légitimer sur le plan constitutionnel.
La compétence fédérale relative aux pouvoirs que le Parlement peut conférer aux compagnies constituées par lui s'arrête commence le champ de juridiction provinciale. Le Parlement canadien peut constituer en corporation des com- pagnies qui poursuivent des objets autres que «provinciaux»", mais il ne peut leur donner le pouvoir de conférer un titre professionnel, ce pou- voir relevant de la juridiction provinciale en matière de réglementation des professions.
Je disposerais de l'appel de la manière suggérée par le juge d'appel Pratte.
10 Dossier d'appel à la p. 2217. Voir également p. 2249.
11 Loi constitutionnelle de 1867, L.R.C. (1985), appendice II, 5, paragraphe 92(11) et article 91, paragraphe introductif.
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