Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1458-90
The Wellcome Foundation Limited et Burroughs Wellcome Inc. (demanderesses)
c.
Apotex Inc., Novopharm Ltd., PDI-Pharma Dis tribution Inc., Rene Hunderup et Fisker Cargo Inc. (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: WELLCOME FOUNDATION LTD. C. APOTEX INC. (1" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon — Ottawa, 7 et 8 juin 1990.
Brevets Contrefaçon Les défenderesses Apotex et Novopharm ont importé un médicament fabriqué selon un procédé protégé par un brevet canadien avant d'obtenir des licences obligatoires Elles voulaient vérifier l'innocuité et la stabilité du médicament mis sous forme de comprimé afin de préparer des demandes relatives à l'obtention de licences obli- gatoires Nul n'a le droit d'importer, sauf le titulaire du brevet, le titulaire d'une licence obligatoire (art. 39(4) de la Loi sur les brevets) ou le titulaire d'une licence temporaire (art. 39(7)).
Brevets Pratique Une ordonnance de type Anton Piller a été décernée sur la foi d'éléments de preuve défectueux Dans leurs affidavits, les demanderesses ont laissé entendre que les quantités importées illégalement étaient beaucoup plus considérables qu'elles ne l'étaient en réalité Les défendeurs ont contrefait le brevet Comme les deux parties sont fautives et que les requêtes sont contradictoires, la Cour doit peser le pour et le contre et décerner l'ordonnance qu'elle juge équitable Elle ordonne que la substance saisie continue d'être conservée sous garde jusqu'à ce que des analyses per- mettent d'établir s'il s'agissait du médicament breveté; dans l'affirmative, le médicament devra être conservé sous garde jusqu'à ce que les défendeurs obtiennent une licence obligatoire ou jusqu'au jugement final Dans la négative, les propriétai- res pourront reprendre possession de la substance Il est interdit aux défendeurs d'importer, d'utiliser ou de vendre le médicament breveté jusqu'au jugement final ou jusqu'à la délivrance des licences obligatoires.
Il s'agit d'une demande en vue d'obtenir la conservation sous garde jusqu'au jugement final d'une substance tenue pour être de l'acyclovir, qui a été saisie chez les défendeurs; une ordon- nance autorisant les demanderesses à prélever des échantillons afin de déterminer si la substance saisie est de l'acyclovir; et une ordonnance interdisant aux défendeurs d'importer de l'acy- clovir jusqu'au jugement final. Les demanderesses sont titulai- res du brevet de procédé canadien relatif au médicament acyclovir. Les défenderesses Apotex et Novopharm ont importé, avant d'obtenir des licences obligatoires, de l'acyclovir qu'elles voulaient mettre sous forme de comprimés pour en établir la stabilité et l'innocuité, ce qui était nécessaire pour préparer la demande relative à l'obtention d'un avis de conformité et d'une identification numérique du médicament. La question en litige est de savoir si cette importation était légale.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Selon l'article 42 de la Loi sur les brevets, le titulaire d'un brevet a le droit exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre l'objet de l'invention. Il ressort de l'interprétation judi- ciaire qui a été faite dans l'arrêt Rhône-Poulenc• que ces droits comprennent le droit d'importer. Depuis que ce jugement a été rendu, le Parlement a expressément prévu qu'il faut obtenir une licence obligatoire ou une licence temporaire pour importer des médicaments brevetés. Il y a lieu de distinguer la présente espèce de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Micro -Chemicals Limited c. Smith Kline & French Inter -American Corporation, [1972] R.C.S. 506, qui a conclu que l'utilisation à titre expérimental d'un procédé bre- veté ne constitue pas une contrefaçon lorsqu'elle est faite dans le but de perfectionner l'invention ou de prouver que le produit peut être fabriqué à l'échelle commerciale, et non dans le but de fabriquer l'objet pour faire des profits. Ni Apotex, ni Novo- pharm ne fabriquaient de l'acyclovir, mais elles en faisaient toutes deux l'importation.
Les demanderesses ont établi l'existence prima facie d'une question sérieuse à juger, mais elles n'ont pu démontrer qu'elles subiraient un préjudice irréparable car il se pourrait que l'ac- tion soit instruite avant que les défendeurs n'obtiennent les licences obligatoires et les avis de conformité.
Les affidavits sur la foi desquels le juge Denault a été amené à décerner l'injonction de type Anton Piller étaient trompeurs car le nombre d'envois avait été grossi, ce qui a porté le juge à conclure que la quantité importée illégalement était plus grande qu'elle ne l'était en réalité. Comme les deux parties sont fautives (les demanderesses ont obtenu une injonction de type Anton Piller contraignante sur la foi d'éléments de preuve défectueux, tandis que les défendeurs ont importé illégalement de l'acyclovir), la Cour a peser le pour et le contre et décerner l'ordonnance qu'elle jugeait équitable. Elle a donc ordonné que les marchandises saisies soient soumises à des analyses et, s'il s'agit effectivement d'acyclovir, qu'elles soient conservées sous garde jusqu'à ce que les défendeurs obtiennent des licences obligatoires ou jusqu'au jugement final. Dans la négative, que leurs propriétaires en reprennent possession. La Cour a interdit à Apotex et à Novopharm d'importer, de vendre ou d'annoncer l'acyclovir tant qu'elles n'auront pas obtenu des licences obligatoires.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, art. 39(4),(7), 39.11 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), chap. 33, art. 15).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Société des Usines Chimiques Rhône-Poulenc et al. v. Jules R. Gilbert Ltd. et al. (1967), 35 Fox Pat. C. 174 (C. de l'É.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Micro Chemicals Limited c. Smith Kline & French Inter -American Corporation, [1972] R.C.S. 506; (1971), 25 D.L.R. (3d) 79; 2 C.P.R. (2d) 193.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Astra Pharmaceuticals Canada Ltd. et autres c. Apotex Inc. (1984), 1 C.P.R. (3d) 513 (C.F. 1" inst.); Takeda Chemical Industries Ltd. et autres c. Novopharm Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 426 (C.F. lre inst.); Cimaroli v. Pugliese (1987), 25 C.P.C. (2d) 10 (C.S. Ont.); Midway Mfg. Co. c. Bernstein, [1983] 1 C.F. 510; (1982), 67 C.P.R. (2d) 112 (1te inst.).
AVOCATS:
Patrick E. Kierans et C. Ross Carson pour les demanderesses.
Harry B. Radomski et Tim Gilbert pour la défenderesse Apotex Inc.
Malcolm S. Johnston, c.r. pour la défende- resse Novopharm Ltd.
Joseph I. Etigson pour les défendeurs PDI- Pharma Distribution Inc., Rene Hunderup et Fisker Cargo Inc.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les demande- resses.
Goodman & Goodman, Toronto, pour la défenderesse Apotex Inc.
Malcolm S. Johnston, c.r., Toronto, pour la défenderesse Novopharm Ltd.
Hughes, Etigson, Concord (Ontario), pour les défendeurs PDI-Pharma Distribution Inc., Rene Hunderup et Fisker Cargo Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE MULDOON: Les parties se disputent au sujet de l'importation par la défenderesse du médi- cament appelé acyclovir, dont le procédé de fabri cation est décrit dans les brevets de la demande- resse étrangère.
Parmi les dispositions générales de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, que j'appellerai ci-après la Loi, se trouve l'article 42 [mod. par L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 33, art. 16], qui dispose qu'un brevet confère à son titulaire:
le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, cons- truire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'il l'exploitent, l'objet de l'invention, .. .
À cette énumération de droits exclusifs on doit ajouter, vu l'interprétation judiciaire, le droit d'im- porter. En effet, en mars 1967, le juge Thurlow,
qui faisait alors partie de la Cour de l'Échiquier du Canada, a rendu un jugement dans l'affaire Société des Usines Chimiques Rhône-Poulenc et al. v. Jules R. Gilbert Ltd. et al. (1967), 35 Fox Pat. C. 174. Le sommaire qui figure à la page 176 dit précisément que le juge Thurlow a notamment conclu:
[TRADUCTION] 16. Qu'on doit considérer le principe voulant que l'importation au Canada de substances produites à l'étranger selon un brevet de procédé canadien constitue une contrefaçon de ce brevet comme une question réglée à la Cour de l'Échiquier, en l'absence de toute décision de la Cour suprême.
Les deux brevets en litige sont les brevets n°s 1,062,257 et 1,096,863; le second est un brevet de procédé canadien. Les avocats ont été incapables de trouver ou de citer une décision contraire de la Cour suprême du Canada. Il ne fait aucun doute que la substance appelée acyclovir, que tous les défendeurs sauf Fisker Cargo Inc. avaient en leur possession, a été importée car elle est une sub stance produite à l'étranger. L'avocat des défen- deurs PDI, Hunderup et Fisker Cargo Inc. a cependant mentionné qu'en 1969, la Loi avait été modifiée, comme il l'a dit, pour permettre l'impor- tation. Il est certain qu'en ce qui a trait aux produits et aux substances chimiques, l'alinéa a) du paragraphe 39(4) autorise l'importation d'un médicament sous le régime d'une licence obliga- toire. Ce paragraphe est ainsi libellé:
39....
(4) Si, dans le cas d'un brevet portant sur une invention destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins, une personne présente une demande pour obtenir une licence en vue de faire l'une ou plusieurs choses suivantes comme le spécifie la demande:
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven- tion pour la préparation ou la production de médicaments, importer tout médicament dans la préparation ou la produc tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica- ment dans la préparation ou la production duquel l'invention a été utilisée;
L'alinéa b) vise les inventions qui consistent en autre chose qu'un procédé. Puis, le paragraphe dispose que:
39. (4) ...
le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les choses spécifiées dans la demande à l'exception de celles pour lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas accorder une telle licence.
Le paragraphe 39(7) est à-peu-près au même effet, et il est ainsi libellé:
39....
(7) À l'expiration du délai spécifié par le commissaire dans l'avis au breveté mentionné au paragraphe (6), le commissaire accorde, s'il n'a pas statué définitivement sur la demande, une licence temporaire au demandeur pour faire les choses spéci- fiées dans la requête à l'exception de celles pour lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas accorder une telle licence.
De toute évidence, le commissaire pourrait avoir de bonnes raisons, par exemple, de ne pas autoriser l'importation ou toute autre chose mentionnée dans la demande ou dans la licence.
La Loi sur les brevets, qui règle la question, du moins en ce qui a trait à la procédure, exige donc la délivrance d'une licence obligatoire ou tempo- raire pour l'importation de médicaments brevetés notamment, à moins que le commissaire ait de bonnes raisons, même alors, de ne pas en autoriser l'importation.
Les deux firmes Taro et Genpharm possèdent déjà des licences obligatoires et n'attendent que l'expiration du délai prévu aux paragraphes 39.11(1) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), chap. 33, art. 15] et (2). Ces dispositions imposent d'autres restrictions à l'importation d'une sub stance comme l'acyclovir, qui fait l'objet du présent litige. Il convient de citer d'abord le para- graphe (1):
39.11 ...
(1) ... si l'invention est un procédé, d'importer pour vente au Canada le médicament dans la préparation ou la production duquel l'invention a été utilisée, ou, si elle n'est pas un procédé, d'importer l'invention pour des médicaments ou pour la prépa- ration ou la production de médicaments pour vente à la con- sommation au Canada.
Le paragraphe 39.11(2) [édicté, idem] précise la durée des interdictions susmentionnées relative- ment à l'importation de médicaments:
39.11 ...
(2) L'interdiction est levée à l'expiration des délais suivants:
a) sept ans après la délivrance du premier avis de conformité à l'égard du médicament ...
Puis il y a l'alinéa b) qui est, je pense, l'alinéa pertinent en l'espèce:
39.11 (2) ...
b) huit ans après la délivrance du premier avis de conformité si, au 27 juin 1986, l'avis était délivré et si aucune licence n'a été accordée pour le médicament et aucun avis de conformité n'a été délivré à une personne autre que le breveté;
La définition du terme «breveté» pourrait nous amener, et nous amène effectivement, à conclure que la demanderesse Burroughs Wellcome est bel et bien le titulaire du brevet au sens de la défini- tion prévue dans cette partie de la Loi sur les brevets.
La loi autorise-t-elle l'importation de médica- ments brevetés avant la délivrance d'une licence obligatoire, pour que la personne, l'entreprise ou la société qui a fait une demande de licence obliga- toire, ou qui prévoit en faire une, puisse préparer la demande qu'exige la Direction générale de la protection de la santé avant d'accorder un avis de conformité ou une identification numérique de la drogue? L'avocat n'a pu citer aucune autre dispo sition législative à part l'article 39 susmentionné. Comme on l'a souligné, l'article 39 autorise l'im- portation de médicaments une fois qu'une licence obligatoire ou temporaire a été délivrée.
Les avocats des défendeurs se sont fondés sur la décision qu'a rendue la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Micro Chemicals Limited c. Smith Kline & French Inter -American Corporation, [1972] R.C.S. 506. La décision unanime de la Cour a été rendue par le juge Hall le 5 octobre 1971. La contrefaçon reprochée se serait produite à compter du 10 janvier 1961, et aurait consisté en l'utilisation à titre expérimental d'un procédé bre- veté avant que la défenderesse ne présente une demande de licence obligatoire. Il a été convenu que les expériences de la défenderesse avaient pour objet de fabriquer du trifluopérazine au moyen du procédé breveté, non pas pour perfectionner l'in- vention, mais pour prouver que la défenderesse pouvait fabriquer le produit à l'échelle commer- ciale. La petite quantité de trifluopérazine pro- duite (avant le 22 janvier 1966) avait été mise en bouteilles et conservée par la défenderesse Micro
Chemicals, qui ne l'a jamais mise en marché; de plus, la demanderesse n'au subi aucun dommage et Micro n'a fait aucun profit.
Le juge Hall a dit, aux pages 519 et 520 du Recueil des arrêts de la Cour suprême:
À mon avis, il [le juge de première instance] a commis une erreur en décidant que celui qui utilise expérimentalement, sans licence, un article breveté dans des expériences qu'il fait de bonne foi est, en droit, un contrefacteur. Le raisonnement du Juge Jessel (Maître des Rôles) dans Frearson v. Loe ((1878), 9 Ch. D. 48), lequel a été approuvé par le vice-chancelier Bris- towe dans Proctor v. Bayley & Son ((1889), 6 R.P.C. 106 à 109), s'applique ici. Le Juge Jessel dit, pp. 66-67:
[TRADUCTION] L'autre question soulevée est curieuse et loin d'être sans difficulté; ce qui est arrivé à cet égard, c'est qu'à divers moments, le défendeur a fabriqué des vis en blanc, comme il les a appelées; il en a fait, en tout, au plus deux livres, utilisant divers moyens par lesquels étaient indubita- blement fabriquées les vis en blanc selon le brevet de 1870 ainsi que selon le brevet de 1875 du demandeur; ces moyens semblent avoir violé les deux brevets. Le défendeur affirme ne l'avoir fait qu'à titre d'expérience; à coup sûr, si quelqu'un fabrique un objet uniquement à titre d'expérience faite de bonne foi et non pas dans l'intention de vendre ou d'utiliser l'objet ainsi fabriqué dans le même but que celui dans lequel le brevet a été accordé, mais en vue de perfectionner l'inven- tion qui fait l'objet du brevet, ou en vue d'étudier s'il est possible de la perfectionner ou non, il n'y a pas empiéte- ment sur les droits exclusifs accordés par le brevet. Les droits en vertu de brevets n'ont jamais eu pour but d'empêcher ceux qui ont un esprit inventif d'exercer leurs talents de façon juste. Mais si on n'utilise ni ne vend l'invention en vue d'en tirer un profit, la seule fabrication à des fins expérimentales, et non pas à des fins frauduleuses, ne devrait pas être tenue pour une violation et, en tous les cas, ne peut sûrement pas faire l'objet d'une injonction.
Vient ensuite un passage qu'ont cité les avocats de toutes les parties au litige, et dans lequel le juge Hall dit ceci la page 520]:
Micro a utilisé la substance brevetée, non pas pour en tirer un profit mais pour voir si elle pouvait fabriquer un produit de qualité suivant le mémoire descriptif inclus dans la demande de l'intimée en vue d'obtenir le brevet 612204. Le Juge Walsh a conclu que les expériences qu'a faites Micro avant le 22 janvier 1966 constituent une contrefaçon en droit strict car elles n'ont pas été faites dans le but de perfectionner le procédé mais afin de permettre à Micro de commencer à produire à l'échelle commerciale dès qu'elle pourrait obtenir la licence sollicitée. Je ne puis voir comment ce genre d'expériences et de préparatifs constituent une contrefaçon. Ils me semblent être la consé- quence logique du droit de demander une licence obligatoire.
Puis, M. Radomski a cité l'extrait suivant de la décision du juge Hall, à la même page:
Toutefois, le fait que le demandeur se met dans la possibilité de démontrer qu'il possède le matériel, la compétence et les con-
naissances requises, grâce à ses expériences, ne veut pas néces- sairement dire, à mon avis, qu'il est un contrefacteur.
M. Kierans a cité le passage suivant la page 521]:
La conclusion du Juge Walsh qu'il y a eu contrefaçon entre le 25 janvier 1966 et le 21 juin 1966 du fait que Micro a transféré la substance à Gryphon, que cette dernière a fabriqué des comprimés et que Maney a sollicité des clients éventuels est amplement étayée par la preuve. L'intimée a donc droit à des dommages-intérêts pour contrefaçon au cours de cette période.
Ma question est la suivante: cette décision de la Cour suprême permet-elle de conclure que les défendeurs ont le droit d'importer l'acyclovir (la substance brevetée), de sorte que Apotex et Novo- pharm puissent en faire des comprimés afin d'en établir la stabilité et l'innocuité? Ni l'une ni l'autre n'est titulaire d'une licence obligatoire et Apotex n'a même pas encore fait de demande en ce sens.
Les avocats de la demanderesse affirment que les fabricants de médicaments génériques que sont les défenderesses sont dans une situation analogue à celle de Gryphon dans l'arrêt Micro Chemicals mais, en réalité, la preuve n'établit pas qu'elles ont fait de la publicité pour vendre les comprimés d'acyclovir.
L'arrêt Micro Chemicals est-il tout à fait identi- que à la présente espèce? Je ne le crois pas. Ni Apotex ni Novopharm ne tentent de produire l'acyclovir dans leur propre laboratoire, elles pourraient surveiller les travaux et voudraient s'abstenir d'en communiquer les résultats. Non. Elles importent déjà toutes deux l'acyclovir en question. Il ne faut pas oublier ce que le juge Thurlow a dit au sujet de l'importation dans l'arrêt Rhône-Poulenc. Cela s'applique encore, sauf que le Parlement a expressément autorisé l'importation d'une substance lorsqu'une licence obligatoire a été délivrée, si le commissaire n'a pas de bonnes rai- sons de l'interdire. Il n'y a pas d'autre disposition législative citée en l'espèce qui permette de déroger à un brevet.
Les choses ont-elles par ailleurs changé depuis l'époque la contrefaçon reprochée a été exami née dans l'arrêt Micro Chemicals? Oui. Avant d'exploiter une licence obligatoire, il faut mainte- nant que le titulaire de la licence obtienne un avis de conformité ainsi qu'une identification numéri- que de la drogue auprès de la Direction générale
de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Les étapes prévues dans la loi sont les suivantes: première- ment, il faut obtenir une licence obligatoire; ensuite, on peut importer une substance à des fins expérimentales pour pouvoir soumettre les deman- des appropriées à la Direction générale de la pro tection de la santé et obtenir un avis de conformité.
J'en arrive à la conclusion que les demanderes- ses ont établi, à première vue, l'existence d'une question sérieuse à juger; toutefois, comme il s'écoulera un certain temps avant que les défende- resses Apotex et Novopharm puissent obtenir une licence obligatoire et un avis de conformité, et comme l'action des demanderesses pourrait avoir été instruite d'ici là, celles-ci n'ont pu démontrer qu'elles pourraient subir un préjudice irréparable.
La Cour constate que les affidavits sur la foi desquels les demanderesses ont persuadé le juge Denault d'accorder l'ordonnance de type Anton Piller demandée étaient si défectueux qu'ils ont induit la Cour en erreur. MM. Rowan et Desma- rais ont grossi le nombre d'envois et, par consé- quent, la quantité d'acyclovir qui avait été impor- tée. Dans son affidavit, M. Rowan n'a pas traité de façon juste et franche la question des expériences que les défenderesses Apotex et Novopharm envi- sagaient de faire. D'autres exemples ont été four- nis par les avocats des défendeurs. Il convient de citer à cet égard l'arrêt Cimaroli v. Pugliese (1987), 25 C.P.C. (2d) 10. Il s'agit d'une décision rendue par le protonotaire Sandler de la Cour suprême de l'Ontario, qui a été confirmée par le juge O'Driscoll [(1988), 25 C.P.C. (2d) 10]; la permission d'interjeter appel de cette dernière décision a été refusée. Dans cette affaire, le docu ment litigieux avait été communiqué au juge de première instance, mais il était constitué des fameuses clauses imprimées en petits caractères, que l'on n'avait pas spécifiquement portées à l'at- tention du juge. La faute était peut-être moins grave que celle qui est ressortie de la preuve des demanderesses communiquée au juge Denault.
Les parties ont fourni à la Cour une liste d'ar- rêts parmi lesquels il convient de noter la décision rendue par le juge Joyal dans l'affaire Astra Phar maceuticals Canada Ltd. et autres c. Apotex Inc. (1984), 1 C.P.R. (3d) 513 (C.F. 1'e inst.) et celle du juge en chef adjoint de cette Cour dans l'affaire
Takeda Chemical Industries Ltd. et autres c. Novopharm Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 426 (C.F. ire inst.). Elles n'ont pas été oubliées.
Le litige dont je suis saisi en l'espèce en est un qui fait appel à une «première impression» et il n'est pas facile de le trancher parce les deux parties ont, semble-t-il, été fautives: en effet, les demanderesses ont obtenu une injonction de type Anton Piller très contraignante en fournissant des éléments de preuve qui laissaient à désirer. Pour leur part, les défendeurs ont importé une substance à l'égard de laquelle ils ne détenaient aucune licence d'importation.
Comme on demandait à la Cour, dans les deux requêtes, de décerner toute autre ordonnance qu'elle pourrait juger équitable, celle-ci pourrait devoir faire preuve d'une certaine imagination pour régler la question, puisque deux requêtes contradictoires ont été déposées.
Dans l'arrêt Midway Mfg. Co. c. Bernstein, [1983] 1 C.F. 510; (1982), 67 C.P.R. (2d) 112 (l'e inst.), le juge Collier a dit, d'après le sommaire [C.P.R.]:
[TRADUCTION] Jugement: la partie de l'ordonnance accor- dant l'injonction interlocutoire est annulée. Le reste de l'ordon- nance de type Anton Piller n'est pas annulé.
Voilà ce que j'appelle une décision imaginative. Même si je ne rends pas exactement la même décision que le juge Collier, je pense que la Cour devrait décerner l'ordonnance qu'elle juge équita- ble.
Pendant l'instruction, on a dit que si les défen- deurs avaient demandé aux demanderesses la per mission d'importer de l'acyclovir afin de faire des expériences, il n'aurait sans doute pas été néces- saire de mener une telle enquête et de prendre des mesures aussi contraignantes..
La demanderesse affirme que les défendeurs ont pu, de cette façon, gagner du temps auquel ils n'avient pas droit, pour ce qui est de produire et de vendre une substance sous le régime d'une licence obligatoire.
On a aussi laissé entendre que les demanderesses auraient dû, au lieu de prendre les mesures radica- les qu'elles ont prises ou d'amener le juge Denault à leur permettre de les prendre, communiquer avec les défendeurs et leur dire: «Bon, nous savons que
vous importez de l'acyclovir, et cela contrevient au brevet».
Les défendeurs ont évidemment fait remarquer avec insistance que s'ils ne sont pas autorisés à importer cette substance maintenant, les demande- resses bénéficieront par le fait même d'une proro- gation de leurs brevets, ce qui nuira à la délivrance d'une licence obligatoire.
Ces questions ne sont pas faciles à trancher. On pourrait en débattre pendant une semaine ou un mois. Le temps ne nous permet toutefois pas de le faire.
Ma décision est la suivante:
1. Sous réserve de ce qui suit, la substance saisie et tenue pour être de l'acyclovir doit être conservée sous garde et la demanderesse peut, dans les plus brefs délais, sans mélanger les différents contenus, prélever au hasard un petit échantillon suffisant pour effectuer l'analyse destinée à établir si la substance saisie est effectivement formée des mêmes composants et éléments que l'acyclovir, conformément au paragaphe 39(2) de la Loi sur les brevets; et
a) s'il s'agit d'acyclovir, toute quantité de sub stance saisie est toujours conservée sous garde et peut être photographiée et remise à la personne désignée par les parties pour sa conservation jusqu'à la réalisation des événements suivants:
(i) l'obtention par la défenderesse Apotex d'une licence obligatoire en vertu de la Loi et selon laquelle la substance et celle qui est destinée à la défenderesse sont remises au propriétaire ou aux propriétaires respectifs;
(ii) l'obtention par la défenderesse Novo- pharm d'une licence obligatoire selon laquelle la substance et celle qui est destinée à la défenderesse sont remises au propriétaire ou aux propriétaires respectifs;
b) si la substance saisie n'est pas identique, ou réputée identique, conformément au paragraphe 39(2) de la Loi, à la substance brevetée, l'acy- clovir, elle est remise sans délai, après obtention des résultats de l'analyse par l'analyste ou la personne chargée de l'analyse, à ses propriétai- res respectifs parmi les défendeurs; les parties peuvent alors s'adresser à la Cour pour obtenir une ordonnance visant à rendre publics les résul-
tats d'analyse dans un délai raisonnable, à donner mainlevée de la substance saisie et d'au- tres ordonnances quant aux dépens;
c) en ce qui concerne les substances respectives d'Apotex et de Novopharm qui ont été saisies, elles sont conservées sous garde jusqu'à ce que ses propriétaires respectifs obtiennent une licence obligatoire en application de la Loi, et les frais de garde sont à la charge des parties condamnées au paiement des dépens à l'issue de l'instance ou jusqu'à nouvelle ordonnance de cette Cour;
d) les dépens des demanderesses, accordés le 8 juin 1990 pour la procédure relative à leur requête entendue hier et aujourd'hui, seront taxés sur la base de frais entre parties, et les défenderesses Apotex et Novopharm en suppor- teront chacune la moitié; si l'une de ces défende- resses paie les dépens en entier, elle aura le jugement sommaire pour la moitié contre l'autre défenderesse.
2. Jusqu'à ce qu'il soit statué sur la présente affaire, ou jusqu'à ce que Apotex et Novopharm obtiennent respectivement une licence obligatoire à l'égard de l'acyclovir, conformément aux disposi tions de la Loi sur les brevets, ou jusqu'à nouvelle ordonnance de cette Cour, selon le premier des trois événements à survenir, Apotex et Novo- pharm, ainsi que leurs dirigeants, directeurs, man- dataires, préposés et employés, et ceux des autres défendeurs ainsi que les autres défendeurs eux- mêmes, ne peuvent importer, utiliser, offrir en vente, vendre, faire la promotion ou faire en sorte que des tiers importent, utilisent, offrent en vente, vendent et fassent la promotion du médicament acyclovir produit par le procédé divulgué et reven- diqué dans les brevets canadiens numéros 1,062,257 et 1,096,863.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.