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T-107-90
Shawn Milner (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: MILNER C. CANADA (COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES) (I" INST.)
Section de première instance, juge Addy —Van- couver, 22 et 24 janvier 1990.
Libération conditionnelle L'art. 1611(2) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus prévoit que l'audition par la Commission en vertu de l'art. 21.4(2)b), a lieu («shall» be held) au moins 13 semaines avant la date prévue de la libération du détenu L'audition a été fixée par erreur à une date qui n'accordait pas un délai de 13 semaines de la date d'échéance prévue de la libération du prévenu Rien n'indi- que que c'était l'intention du législateur de rendre l'art. 16.1(2) obligatoire La Loi ou le Règlement ne prévoit aucune conséquence qui découlerait de l'inobservation de la disposi tion en question Les modifications apportées à la Loi en 1986 ont remplacé la mise en liberté obligatoire et elles ont été adoptées pour protéger le public des conséquences d'une mise en liberté Le mot «shall» est simplement directif La Commission des libérations conditionnelles a compétence pour procéder à l'audition.
Interprétation des lois L'art. 16.1(2) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus prévoit que l'audition par la Commission a lieu («shall» be held) au plus tard à une certaine date Il s'agit de savoir si le mot «shah » est, directif ou impératif Lorsqu'une disposition concerne l'exercice d'une fonction publique, il faut examiner l'objet de la loi, l'injustice causée à des individus n'ayant aucun contrôle sur les responsables de cette fonction, les conséquences découlant de l'inobservation de la disposition, et toute indication que c'était l'intention du législateur de rendre la disposition obli- gatoire L'objet de la modification législative est de protéger le public contre les conséquences découlant d'une mise en liberté Le mot «shall» est simplement directif
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), chap. P-2, art. 21.3(1) (édicté par L.R.C. (1985) (2' suppl.), chap. 34, art. 5), (2) (mod., idem).
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 16.1(2) (édicté par DORS/86-817, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Montreal Street Railway Company v. Normadin, [1917] A.C. 170 (P.C.); Melville (City of) c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3; (1981), 129 D.L.R. (3d) 488 (1" inst.); Apsassin c. Canada (Ministère des Affai-
res indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20; [1988] 1 C.N.L.R. 73; (1987), 14 F.T.R. 161 (1" inst.).
AVOCATS:
Patricia A. Sasha Pawliuk pour le requérant. Esta Resnick pour l'intimée.
PROCUREURS:
Patricia A. Sasha Pawliuk, Abbotsford
(Colombie-Britannique), pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: Le requérant demande qu'un bref de prohibition soit délivré contre l'intimée pour l'empêcher de procéder à une audition con- formément au paragraphe 21.3(2) de la Loi sur la libération conditionnelle [L.R.C. (1985), chap. P-2 (édicté par L.R.C. (1985) (2 e suppl.), chap. 34, art. 5)]. Les paragraphes 21.3(1) et (2) prévoient:
21.3 (1) Le commissaire doit faire examiner par le Service, préalablement à la date prévue pour la libération, le cas de tout détenu qui purge une peine d'emprisonnement qui comprend une peine imposée, à la suite d'une mise en accusation, pour une infraction prévue à l'annexe.
(2) Au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération, le Service renvoie le cas à la Commission, en lui communiquant tous les renseignements en sa possession qu'il juge utiles, s'il estime que les conditions suivantes sont réunies:
a) le détenu purge une peine d'emprisonnement qui com- prend une peine imposée à la suite d'une mise en accusation, pour une infraction prévue à l'annexe;
b) l'infraction a causé la mort ou un tort considérable;
c) il existe des motifs raisonnables de croire qu'il commettra vraisemblablement, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction telle que celle visée à l'alinéa b).
Ces dispositions ainsi que plusieurs autres arti cles de la Loi en question ont été ajoutés à titre de modifications apportées à la Loi sur la libération conditionnelle et adoptées en 1986. Personne ne
conteste le bien-fondé de la sentence imposée au requérant à la suite d'une mise en accusation pour une infraction qui a causé un tort considérable à une autre personne. Par conséquent, la seule ques tion que la Commission des libérations condition- nelles est tenue de trancher est celle que soulève l'alinéa 21.3(2)c) susmentionné, et qui consiste à savoir s'il existe des motifs raisonnables de croire que le détenu commettra vraisemblablement avant l'expiration de sa peine une infraction causant la mort ou un tort considérable à une autre personne.
On ne conteste pas non plus le fait que le cas a été renvoyé par le Commissaire à la Commission six mois avant la date prévue pour la libération (qui était auparavant la date de libération obligatoire).
Le paragraphe 16.1(2) du Règlement [Règle- ment sur la libération conditionnelle des détenus, DORS/78-428 (édicté par DORS/86-817, art. 4)] pris en vertu de la Loi sur la libération condition- nelle dispose:
16.1 ...
(2) L'audition par la Commission en vertu de l'alinéa 15.4(2)b) de la Loi [maintenant l'alinéa 21.4(2)b) de la Loi] a lieu:
a) si le cas du détenu a été renvoyé à la Commission ou au président de la Commission au moins 17 semaines avant la date prévue de la libération du détenu, au moins 13 semaines avant cette date;
La seule question à résoudre est de savoir si le mot «shall» figurant au paragraphe 16.1(2) du Règlement susmentionné est impératif ou directif. S'il possède un caractère impératif, il s'ensuit que la Commission des libérations conditionnelles n'aura plus compétence pour entendre l'affaire, et que le requérant sera de plein droit admissible à une mise en liberté conditionnelle à compter du 11 mars 1990.
Le requérant a été formellement avisé le 8 octo- bre 1989 que l'audition aurait lieu devant la Com mission, le 15 février 1990. Il avait déjà été avisé en septembre que l'audition aurait lieu au cours du mois de février. Il est évident qu'il n'y a pas un délai de treize semaines entre la date d'échéance prévue de la libération du détenu et celle initiale- ment fixée pour l'audition. Personne ne conteste que la date du 15 février a été fixée par erreur et que dès le moment l'intimée s'en est aperçue, c'est-à-dire peu après le 15 octobre, l'audition a
immédiatement été reportée au 19 janvier 1990. Une date antérieure à celle-ci n'a pas été établie à ce moment-là, parce qu'on voulait donner au requérant suffisamment de temps pour préparer sa cause. Lorsque la présente demande a été intro- duite devant la Cour fédérale, l'audition devant la Commission des libérations conditionnelles a de nouveau été reportée au 6 février, afin de permet- tre à la Cour de décider si la Commission des libérations conditionnelles avait encore compé- tence pour connaître du litige.
Dans l'arrêt du Conseil privé Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.), aux pages 174 et 175, Sir Arthur Channell a exposé le point de droit suivant:
[TRADUCTION] Les lois sont silencieuses sur les conséquences de l'inobservance de ces dispositions. On soutient au nom des appelantes que cela a pour conséquence que l'instruction fut coram non judice et qu'elle doit être considérée comme une nullité.
Il est nécessaire d'examiner les principes adoptés pour l'inter- prétation des lois de ce genre et la jurisprudence, dans la mesure il y en a, sur le point particulier soulevé ici. On s'est souvent demandé si les dispositions d'une loi étaient supplétives ou impératives dans ce pays; on a répondu qu'aucune règle générale ne pouvait être énoncée et qu'il fallait considérer chaque cas d'espèce que visait la loi. On trouvera la jurispru dence sur le sujet rassemblée dans Maxwell on Statutes, 5' éd., aux pages 596 e_ suivantes. Lorsque les dispositions d'une loi concernent l'exercice d'une fonction publique et que juger nuls et non avenus des actes exécutés en ignorance de cette obliga tion causera 't des inconvénients généralisés sérieux, ou encore une injustice à des individus n'ayant aucun contrôle sur les responsables de cette fonction, tout en ne favorisant pas l'objet principal recherché par le législateur, il a été d'usage de statuer que ces dispositions n'étaient que supplétives et que cette . ignorance, quoique condamnable, n'invalidait pas ces actes.
Le juge Collier de cette Cour a approuvé et appliqué le principe susmentionné dans l'affaire Melville (City of) c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3 (1"e inst.). Voici ce qu'il déclare à la page 14 du recueil:
L'article, ainsi que la loi, a pour objet de forcer les autorités réglementaires à rendre leurs règlements publics. Mais les dispositions qui exigent une transmission en temps opportun au greffier du Conseil privé n'enlèvent pas, à mon avis, tout effet à ce décret. Le principe qu'énonça l'arrêt Montreal Street Rail way Company c. Normandin [1917] A.C. 170 s'applique à la situation en cause. Voici un extrait de l'avis du Conseil privé, aux pages 174 et 175:.. .
J'ai également traité d'un problème semblable lorsque j'ai examiné les conséquences découlant de l'inobservance des dispositions d'une loi dans l'af-
faire Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20 (1" inst.). Il est dit à la page 71:
L'examen de l'objet de la Loi montre qu'une décision invali- dant la cession pour la seule raison que les formalités prescrites par le paragraphe 51(3) n'ont pas été respectées ne favoriserait certainement pas la réalisation du principal objectif de la législation lorsque toutes les exigences essentielles ont été rem- plies. Il se pourrait fort bien que des personnes n'ayant aucune autorité sur ceux qui sont chargés de prouver l'observation des formalités prescrites subissent de ce fait de graves inconvénients ou fassent l'objet d'une injustice. Contrairement au paragraphe (1) qui porte qu'en cas d'inobservation de ces dispositions, la cession n'est ni valide ni obligatoire, le paragraphe 51(3) n'envisage pas les conséquences du non-respect de ses exigen- ces. Je conclus donc que les dispositions du paragraphe 51(3) sont simplement supplétives, et non impératives.
En décidant si le mot «shall» figurant dans la version anglaise du paragraphe 16.1(2) du Règle- ment est directif ou impératif, on doit donc exami ner s'il existe des dispositions dans la Loi qui pourraient indiquer clairement que c'était l'inten- tion du législateur de rendre la disposition obliga- toire. S'il en est ainsi, il est évident que Cour doit donner suite à l'intention du législateur. En outre, rien dans la Loi le Règlement n'indique en l'espèce qu'il y aurait quelque conséquence que . ce soit qui découlerait de l'inobservance de la disposition relative à une audition qui doit avoir lieu au moins treize semaines avant la date ,prévue de la libération. Il n'y a rien non plus qui indique que cette disposition serait obligatoire. Puisqu'il n'existe aucune indication à cet effet, il faut donc examiner l'objet général de la loi. En ce qui con- cerne l'objet général de la Loi sur la libération conditionnelle, il semble évident que la Loi elle- même, et plus particulièrement, les modifications apportées en 1986, et qui ont remplacé la mise en liberté obligatoire, ont été adoptées non seulement pour favoriser les prisonniers mais aussi et surtout pour protéger le public des conséquences éventuel- les découlant d'une mise en liberté, puisque le droit absolu du détenu au bénéfice d'une mise en liberté conditionnelle, lorsqu'il a purgé une partie de sa peine, a été supprimé et que sa libération devient assujettie au contrôle de la Commission des libéra- tions conditionnelles.
On peut facilement imaginer le danger auquel le public pourrait être exposé dans certains cas, si la disposition en question devait être considérée comme impérative. À la suite d'une simple erreur matérielle, comme en l'espèce, un meurtrier psy-
chopathe d'habitude devrait être mis en liberté à la date prévue pour sa libération sans égard au fait qu'il pourrait être considéré comme un très dange- reux criminel et susceptible de commettre un autre meurtre.
Il m'est facile en l'espèce de conclure que le mot «shall» figurant au paragraphe 16.1(2) du Règle- ment est simplement directif et qu'en conséquence, la Commission des libérations conditionnelles a encore compétence pour procéder à l'audition.
L'intimée aura droit aux dépens de la présente demande.
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