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T-2439-90
Brian Gough (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: GOUGH c. CANADA (COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES) (1 Ys INST.)
Section de première instance, juge Reed — Toronto, 26 novembre; Vancouver, 14 décembre 1990.
Libération conditionnelle Suspension fondée sur des allé-
gations, dont les détails n'ont pas été révélés au requérant en vertu de l'art. 17(5) du Règlement sur la libération condition- nelle de détenus (permettant la non-divulgation lorsque la divulgation met en danger la sécurité des individus ou fait
remonter à une source de renseignements) La connaissance des incidents ne justifie pas la non-divulgation, puisque garder secrète l'identité des indicateurs serait alors vain Le requé- rant a droit à des détails suffisants pour lui permettre de
répondre intelligemment aux allégations Violation de
l'art. 7 de la Charte La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles n'a pas prouvé l'existence d'une limite raisonnable de l'art. 17(5), au sens de l'art. premier de la
Charte La base probante justifiant la non-divulgation n'a pas été établie Le recours à des exemptions prévues par la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la preuve au Canada est hors de propos.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Libération conditionnelle suspendue en raison d'al- légations, dont les détails n'ont pas été révélés pour protéger l'identité des indicateurs Le requérant bénéficiait d'une «libération conditionnelle mitigée» (niveau de restriction le plus bas) Les garanties prévues à l'art. 7 varient avec les
circonstances La liberté du requérant est aussi proche que possible, dans le système correctionnel, de celle d'un individu qui jouit d'une liberté inconditionnelle Les préoccupations institutionnelles relatives à l'identification des indicateurs n'existent pas, puisque les incidents allégués ont eu lieu en dehors du milieu carcéral La liberté d'un individu compte beaucoup par comparaison avec les intérêts opposés Le requérant a droit à des détails suffisants pour répondre intelli-
gemment aux allégations Distinction faite avec les décisions qui ont énoncé les exigences de l'art. 7 concernant les détenus On n'a même pas fourni au requérant l'«essentiel» des allégations Violation de l'art. 7 de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita-
tive L'art. 17(5) du Règlement sur la libération condition- nelle de détenus exige de divulguer les renseignements condui- sant à la suspension à moins que, de l'avis de la Commission, la sécurité des individus serait mise en danger ou l'identité des indicateurs serait révélée, ce qui entraverait les enquêtes
menées en vertu de la Loi ou du Règlement 11 ne s'agit pas d'une limite raisonnable dont la justification peut se démon- trer sous le régime de l'art. premier de la Charte Rien ne prouve que la divulgation porterait atteinte à une enquête en
cours Inexistence d'une base probante justifiant la non-
divulgation Il n'y a pas preuve que d'autres instances démocratiques ont adopté de semblables procédures.
Accès à l'information La Commission nationale des
libérations conditionnelles n'a pas révélé les détails des alléga- tions qui sous-tendaient la révocation de la libération condi- tionnelle Le recours à des exemptions prévues par la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des
renseignements personnels est hors de propos Elles ne s'appliquent pas lorsque les renseignements qui sous-tendent les décisions affectent la liberté de l'individu qui cherche à obtenir ces renseignements.
Juges et tribunaux La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles n'a pas révélé les détails des allégations qui sous-tendent la révocation de la libération conditionnelle L'argument selon lequel la révélation des renseignements à une audience à huis clos porterait atteinte au système de la
libération conditionnelle n'est pas digne de foi Mention de diverses situations d'intérêt public la Cour est au courant de renseignements confidentiels.
Il s'agit d'une demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la Commission nationale des libérations condition- nelles a suspendu la libération conditionnelle du requérant, et à l'obtention d'un bref de mandamus. Le requérant était en libération conditionnelle depuis cinq ans et demi lorsque sa libération conditionnelle a été révoquée par suite de plaintes selon lesquelles il aurait commis des actes d'agression sexuelle qui comportaient l'utilisation de drogues illégales et des actes de contrainte, dont les détails ne lui ont pas été révélés. Son dossier de libération conditionnelle était exemplaire. Il bénéfi- ciait d'une «libération conditionnelle mitigée». Il s'agit des conditions de libération conditionnelle les moins restrictives qu'on puisse donner à un libéré conditionnel. Le requérant soutient que le défaut de lui fournir les détails des allégations sur lesquelles la Commission s'est appuyée constituait une violation du droit qu'il tient de l'article 7 de la Charte, celui d'exiger qu'il ne soit pas porté atteinte à sa liberté, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans sa réponse, la Commission prétend qu'on a donné au requérant suffisamment de renseignements pour répondre aux allégations parce qu'il était déjà au courant des incidents. La Commission soutient en outre que la non-divulgation était justifiée par le paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération condition- nelle de détenus, qui permet la non-divulgation des renseigne- ments qui sous-tendent la décision portant révocation de la libération conditionnelle lorsque, de l'avis de la Commission, la divulgation mettrait en danger la sécurité des individus ou pourrait entraver les enquêtes menées en vertu de la Loi ou du Règlement. Il est allégué que le système de la libération conditionnelle s'effondrerait si les particuliers ne pouvaient fournir de renseignements aux agents du Service correctionnel sans craindre de représailles. En tout état de cause, les exigen- ces constitutionnelles ont été remplies parce que l'«essentiel» des allégations a été communiqué au requérant, ce qui satisfait aux exigences de l'article 7 dans le contexte libération condition- nelle/pénitencier selon les décisions Cadieux et Latham. Il échet d'examiner s'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte en raison de la non-divulgation de la part de la Commission, fondée sur le paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, et, dans l'affirmative, si le paragra- phe était justifié dans les circonstances ou sous le régime de l'article premier de la Charte.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Si, comme l'a suggéré la Commission, le requérant connais- sait les incidents qui sous-tendent la suspension de la libération conditionnelle, il connaîtrait déjà l'identité des indicateurs et rien ne justifierait la non-divulgation.
Il y a eu violation des droits que le requérant tient de l'article 7 de la Charte du fait que la Commission a refusé de lui fournir les renseignements sur lesquels elle s'est appuyée. Les règles de justice fondamentale permettent à un particulier de connaître l'accusation portée contre lui dans un processus décisionnel qui conduit à une diminution de sa liberté. Le requérant a droit à des détails suffisants sur les allégations laites à son encontre pour lui permettre d'y répondre intelligemment, à moins que l'intimée ne puisse rapporter la preuve du contraire. Les garan- ties prévues à l'article 7 de la Charte varient selon les circons- tances. Bien que la liberté du requérant soit conditionnelle et puisse être révoquée sans qu'il faille appliquer toutes les garan- ties procédurales judiciaires, sa position est aussi proche de celle d'un individu qui jouit d'une liberté inconditionnelle qu'elle peut l'être dans le système correctionnel. Les incidents reprochés ayant eu lieu en dehors du milieu carcéral, les préoccupations institutionnelles relatives à l'identification des indicateurs n'existent pas. La liberté d'un individu (même la liberté conditionnelle dont un libéré conditionnel jouit) doit compter beaucoup par comparaison avec les intérêts opposés. En plus de l'intérêt public au nom duquel la société doit être protégée contre les libérés conditionnels, c'est également dans l'intérêt public qu'il faut employer des procédures qui soient justes dans le traitement de tous les membres de la société, dont les libérés conditionnels. Les décisions qui indiquent que l'arti- cle 7 exige seulement que les détenus obtiennent l'«essentiel» ou les «grandes lignes» des allégations ont fait l'objet d'une distinc tion car, dans chaque cas, la liberté du détenu était plus restreinte que celle du requérant. En tout état de cause, on n'a pas fourni au requérant l'«essentiel» des allégations.
La Commission n'a pas démontré ou bien que les faits particuliers justifiaient la non-divulgation, ou bien qu'un sys- tème de libération conditionnelle qui autorise la Commission à refuser la divulgation de renseignements conformément au paragraphe 17(5) pouvait être justifié sur le fondement de l'article premier de la Charte. Rien ne prouve l'existence d'une enquête policière en cours à laquelle la divulgation des rensei- gnements porterait préjudice. La seule enquête qui existe est celle qui a conduit à la révocation de la libération condition- nelle du requérant, et les motifs de commodité administrative ne justifient pas un déni de justice fondamentale. Le Service correctionnel ne saurait s'appuyer sur les exemptions prévues par la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui prévoient les cas les individus n'auront pas certains renseignements qu'ils cherchent à obtenir du gouvernement. Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque l'individu qui cherche à obtenir des renseignements fait face à une perte de liberté par suite de décisions rendues sur la base de ces renseignements. L'affirmation selon laquelle les renseignements étaient exacts manque d'objectivité, et il ne s'agit pas d'une réponse à l'idée de traitement arbitraire que le requérant se fait. Il n'existe aucune preuve convaincante selon laquelle la divulgation révélerait l'identité des indicateurs, leur sécurité a été mise en danger ou le système de la libération conditionnelle serait sapé si les renseignements étaient divul- gués. Fait également défaut la preuve comparative de l'exis-
tence de semblables procédures dans d'autres instances démocratiques.
L'argument selon lequel la divulgation à une audience à huis clos porterait atteinte au fonctionnement du système de la libération conditionnelle n'est pas digne de foi. La Cour connaît de plusieurs situations des renseignements confidentiels sont portés à sa connaissance en vertu de lois telles que la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la preuve au Canada.
Il n'est pas nécessaire de décider si le paragraphe 17(5) est ultra vires. Ce paragraphe ne s'applique pas pour refuser à un libéré conditionnel les renseignements qui sous-tendent la déci- sion portant révocation de la libération conditionnelle. Il est d'une portée générale préoccupante en ce sens qu'il ne fait aucune distinction entre la non-divulgation de renseignements essentiels à la connaissance par un individu de l'accusation portée contre lui et la non-divulgation de renseignements qui sont de nature plus marginale. Il semble autoriser la non-divul- gation simplement parce que les renseignements sont reçus de façon confidentielle. Cela ne peut jamais justifier de restreindre les garanties de la justice fondamentale. Qui plus est, il semble exiger seulement la possibilité et non la probabilité d'un préju- dice. En dernier lieu, il est douteux qu'une procédure qui permet au même organisme de décider du bien-fondé de la révocation de la libération conditionnelle du requérant et de la partie des renseignements dont il dispose qui va être divulguée à celui-ci remplisse les exigences de l'article premier de la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 1, 7.
Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), chap. P-2.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, art. 37.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), chap. P-21.
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1. Règlement sur la libération conditionnelle de détenus,
C.R.C., chap. 1249, art. 17(5) (mod. par DORS/86-
817, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 19 D.L.R. (4th) 502; 11 Admin. L.R. 63; 19 C.C.C. (3d) 195; 45 C.R. (3d) 242; 17 C.R.R. 5; 57 N.R. 280 (C.A.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration, [1985] 1 R,C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Hunter et autres c. Southarn Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; (1984), 9 D.L.R. (4th) 393; 5 Admin. L.R. 70; 12 C.C.C. (3d) 9; 39 C.R. (3d) 78 (1" inst.); Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; (1984), 9 Admin. L.R. 50; 13 C.C.C. (3d) 330; 41 C.R. (3d) 30; 10 C.R.R. 248 (1" inst.); Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74; (1986), 21 Admin. L.R. 227; 30 C.C.C. (3d) 55; 53 C.R. (3d) 88; 5 F.T.R. 160; 69 N.R. 135 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] 1 C.F. 160 (1 fe inst.); Gough c. Canada (Commission nationale des libérations condi- tionnelles), [1991] 1 C.F. 171 (C.A.); Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), T-2439-90, C.F. (1" inst.), juge Reed, directives en date du 8-11-90, encore inédites.
DÉCISION CITÉE:
Maxie c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1987] 1 C.F. 617; (1986), 32 C.C.C. (2d) 231; 55 C.R. (3d) 143; 27 C.R.R. 337; 79 N.R. 176 (C.A.).
DOCTRINE
Evans, J. M. de Smith's Judicial Review of Administra tive Action, 4th ed., London: Stevens & Sons Ltd., 1980.
AVOCATS:
David P. Cole pour le requérant. Geoffrey S. Lester pour l'intimée.
PROCUREURS:
David P. Cole pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Le litige dans la présente demande porte sur la mesure dans laquelle l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] ] exige de donner à un libéré
conditionnel des renseignements concernant les allégations sur lesquelles la Commission nationale des libérations conditionnelles s'est appuyée pour révoquer sa libération conditionnelle.
J'ai été pour la première fois saisie de la demande le 3 octobre 1990. J'ai rendu à l'audience une décision [[1991] 1 C.F. 160] donnant à la Commission nationale des libérations conditionnel- les le choix d'une des deux ordonnances possibles que je me proposais de rendre. La première était une ordonnance qui infirmerait la décision par laquelle la Commission avait, le 21 juin 1990, révoqué la libération conditionnelle du requérant. La deuxième était une ordonnance exigeant une audience à huis clos tenue devant la Cour, à laquelle la Commission aurait la possibilité de démontrer que son refus de divulguer certains renseignements au requérant était justifié. (Les renseignements en question sous-tendaient la déci- sion par laquelle la Commission avait révoqué la libération conditionnelle du requérant.) La Com mission a choisi la deuxième possibilité, étant entendu qu'elle interjetterait appel de l'ordonnance qui serait rendue.
Le 29 octobre 1990, la Cour d'appel a rendu son arrêt [[1991] 1 C.F. 171], me renvoyant l'affaire pour que je reprenne l'audience et m'avertissant que je ne pourrais forcer la Commission à produire les renseignements confidentiels en question pour que la Cour les examine. Dans ses motifs écrits, le juge Mahoney a dit que, à la reprise de l'audience, je n'étais pas «tenu(e) de renouveler ou de conti- nuer les options» que j'avais auparavant offertes. Je n'étais pas non plus tenue «de concevoir de nouvelles options»; il a ajouté que, quelle que fût ma décision, «c'est à elle de décider». J'ai par la suite donné des directives, en date du 8 novembre 1990 [T-2439-90, encore inédites], relatives à la reprise de l'audience. L'audience a eu lieu le 26 novembre 1990.
Les faits
Je n'ai pas l'intention de répéter les faits et les analyses figurant dans les trois décisions qui ont déjà été rendues. Il suffit de dire que le requérant était en libération conditionnelle depuis cinq ans et demi lorsqu'il a été arrêté, et que sa libération conditionnelle a été révoquée. Son dossier de libé- ration conditionnelle était exemplaire. Il bénéfi-
ciait, à l'époque, d'une «libération conditionnelle mitigée». À mon avis, il s'agit des conditions de libération les moins restrictives qu'on puisse donner à un libéré conditionnel.
La libération conditionnelle du requérant a été suspendue à la suite de plaintes formulées auprès du Bureau du Service correctionnel les 2 et 3 mai 1990. D'après ces plaintes, il aurait commis des actes d'agression sexuelle qui comportaient l'utili- sation de drogues illégales, et des actes de con- trainte à l'endroit d'un certain nombre d'adultes de sexe féminin. Les renseignements donnés au requé- rant relativement aux actes allégués se trouvent dans les motifs que j'ai prononcés le 3 octobre 1990. Les extraits suivants peuvent démontrer la qualité générale des renseignements donnés:
[TRADUCTION] [un rapport] terminé le 10 avril 1990 par le Service correctionnel du Canada, renferme des renseignements d'une source communautaire au sujet d'une agression sexuelle ... en novembre 1989.
[Dans le rapport] on fait allusion à l'utilisation de drogues et au fait que la victime a finalement pu se défendre avec un couteau. Le même [rapport] fait état d'un autre incident d'agression sexuelle survenu à l'automne 1989 à l'endroit d'une autre victime.
On n'a donné au requérant aucun renseignement sur les dates et lieux précis ou même approximatifs de la perpétration des actes allégués, ni aucun nom des victimes présumées. (Il ressort d'une partie de l'interrogatoire du requérant par la Commission que son attention se concentrait également sur la fin de semaine du 23 et 24 juillet 1989.)
I1 le sait déjà?
La Commission prétend tout d'abord qu'on a donné au requérant suffisamment de renseigne- ments pour lui permettre de répondre aux alléga- tions faites à son encontre parce qu'il connaît les incidents en question. On peut facilement répondre à cette première prétention. Si le requérant a connaissance des incidents allégués qui sous-ten- dent la suspension de sa libération conditionnelle, il n'y a alors aucune raison de ne pas .lui divulguer les renseignements que la Commission possédait relativement à ces incidents. S'il est au courant des incidents, il doit connaître les prétendues victimes. Il se peut qu'il ne connaisse pas les indicateurs, mais il ne s'agit pas là, en tout état de cause, d'un fait pertinent. Je le répète, ce n'est pas une réponse que de dire qu'il n'est pas nécessaire qu'on lui donne les renseignements parce qu'il est au courant.
Le respect du paragraphe 17(5) du Règlement
Même si le requérant ne connaît pas exactement les incidents précis dont il a été fait état dans les renseignements sur lesquels la Commission s'est appuyée, on prétend que la non-divulgation est justifiée en application du paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus [C.R.C., chap. 1249 (mod. par DORS/86- 817, art. 4)]. En vertu de ce paragraphe, la Com mission n'est pas tenue de communiquer un détenu ou à un détenu en libération condition- nelle), les renseignements sur lesquels elle fonde sa décision lorsque, de l'avis de la Commission, la divulgation des renseignements:
17(5) ...
a) risquerait vraisemblablement de mettre en danger la sécu- rité d'une personne;
e) risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement d'enquêtes licites ou d'examens faits en vertu de la Loi ou du présent règlement, notamment des renseignements qui per- mettraient de remonter à une source de renseignements obtenus de façon confidentielle.
L'avocat de l'intimée soutient que je dois, avant de rendre une autre décision, déterminer si la Com mission a respecté le paragraphe 17(5). Ce para- graphe, ainsi qu'il a été noté ci-dessus, exige de communiquer au libéré conditionnel les renseigne- ments sur lesquels la Commission va s'appuyer à moins que, «de l'avis de la Commission», cette divulgation risquerait vraisemblablement de mettre en danger la sécurité d'une personne ou de nuire au déroulement d'enquêtes faites en vertu de la Loi [Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C., (1985), chap. P-2]. Je ne pense pas que le fait de déterminer si la Commission a respecté le paragraphe 17(5) du Règlement confirme l'argu- ment d'une façon ou d'une autre. La question n'est pas de savoir si la Commission s'est conformée au paragraphe 17(5). Il s'agit de déterminer si et dans quelles circonstances la Commission peut révoquer la libération conditionnelle d'une personne qui se trouve dans la situation du requérant sans lui donner suffisamment de renseignements pour répondre à l'accusation portée contre lui, et ce, sans violer l'article 7 de la Charte.
Il est fort possible que, en l'absence de la Charte, l'acte de la Commission en l'espèce soit inattaquable. Il est certain que le législateur peut déroger aux principes de justice naturelle consa-
Grés en common law s'il décide de le faire. En l'espèce, la dérogation s'est effectuée par voie de réglementation et non par voie législative, mais on n'a nullement prétendu que le paragraphe 17(5) du Règlement constituait de toute façon une sous- délégation non autorisée ou un exercice non auto- risé du pouvoir de réglementation. On n'a pas allégué que la Commission n'avait pas respecté les exigences du paragraphe 17(5) en s'appuyant sur la décision des agents du Service correctionnel relative à la nécessité de garder ces renseignements confidentiels plutôt que de prendre cette décision elle-même. Je ne crois pas que l'avocat du requé- rant ait contesté la décision de la Commission en invoquant le motif que la Commission ne s'était pas conformée au paragraphe 17(5) du Règlement. Je trouve inutile de trancher cette question qui doit recevoir une réponse selon l'insistance de l'avocat de l'intimée.
L'article 7 de la Charte
L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est ainsi rédigé:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Il est de droit constant que, tant en common law qu'en vertu de l'article 7 de la Charte, les règles de justice fondamentale exigent qu'un particulier ait le droit de connaître l'accusation portée contre lui dans un processus décisionnel qui conduit à une diminution de sa liberté. La . Commission admet que, si le requérant n'était pas un libéré condition- nel, ce serait une violation flagrante des droits qu'il tient de la Charte que de le priver de sa liberté sans lui donner les détails des allégations qui sous- tendent cette privation. Simultanément, l'avocat du requérant souligne que son client serait dans une bien meilleure position s'il avait été accusé d'infractions criminelles relativement aux incidents allégués. Si des accusations avaient été portées, il y aurait lieu à l'obligation de révéler les noms des victimes et de divulguer avec une certaine préci- sion les dates, l'époque et les lieux des événements.
L'obligation de permettre à un particulier de connaître l'accusation portée contre lui et d'avoir la possibilité d'y répondre s'impose non seulement pour empêcher les abus des gens qui portent de fausses accusations mais aussi pour assurer à l'ac- cusé qu'il ne fait pas l'objet d'un traitement arbi-
traire. L'historique particulièrement éloquent de ce principe se trouve dans de Smith's Judicial Review of Administrative Action (4e éd., 1980), aux pages 157 et 158:
[TRADUCTION] Le fait qu'aucun homme ne doive être jugé sans qu'il soit entendu était un précepte connu des Grecs, gravé à l'époque ancienne sur des images se trouvant aux endroits la justice est rendue, proclamé dans Medea de Seneca, consacré dans l'Écriture sainte, mentionné par Saint Augustin, figurant dans les proverbes germaniques et africains, que l'almanach attribue à la loi de la nature, dont Coke affirme qu'il est un principe de justice divine et dont un juge du dix-huitième siècle a établi qu'il remontait aux événements du jardin d'Éden. [Renvois omis.]
Les garanties prévues à l'article 7 vont varier selon les circonstances
Il est clair que les exigences de justice fonda- mentale couvrent un large spectre. La teneur de ces exigences varie selon les circonstances de l'af- faire. La Cour d'appel fédérale a bien précisé cette idée dans l'affaire Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642, à la page 661:
... à mon avis, la norme à respecter pour répondre aux exigences de l'article [article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés] en matière de procédure n'est pas nécessaire- ment la procédure la plus parfaite, la plus subtile ou la plus élaborée qu'on puisse imaginer, mais simplement en fait une procédure qui soit fondamentalement équitable. Ce que cela exigera ne manquera pas de varier selon la situation particu- lière et la nature du dossier. Un tribunal impartial, la connais- sance par la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont menacées de l'accusation contre laquelle elle doit se défendre, une occasion raisonnable de se défendre et une décision prise à la lumière de la preuve produite à l'appui de l'accusation et de la défense présentée à l'encontre de cette accusation, sont autant de caractéristiques d'une telle procédure. [C'est moi qui souligne.]
Et à la page 663, le juge en chef Thurlow donne des explications relatives au droit d'un détenu d'être représenté par avocat:
... il me semble que la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne peut être considérée comme une question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéqua- tement la cause du détenu exige la représentation par avocat. Il se peut que, lorsque les circonstances ne mènent pas à cette conclusion, le fonctionnaire responsable dispose néanmoins d'un pouvoir résiduaire lui permettant d'autoriser la présence d'un avocat, mais ce point n'entre pas, selon moi, dans le champ d'application de l'article 7. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Strayer a fait une observation semblable dans l'affaire Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734 (1 fe inst.), aux pages 747 et 748:
... la justice fondamentale exige une équité procédurale qui corresponde à l'intérêt touché ... et l'équité exige au moins qu'on donne, à la personne que visent les allégations examinées par un tribunal pour décider s'il y a lieu de priver cette personne de sa liberté, les grandes lignes de ces allégations. [C'est moi qui souligne.]
Le libéré conditionnel—Liberté conditionnelle seulement
L'intimée soutient que le requérant, en tant que libéré conditionnel, jouit seulement d'une liberté conditionnelle, et que ce droit restreint à la liberté justifie le refus par la Commission de rendre dispo- nibles les renseignements en question. Elle fait valoir que l'intérêt public dans la non-divulgation (exprimé au paragraphe 17(5) du Règlement) doit être examiné par rapport au droit de l'individu d'avoir suffisamment de renseignements pour répondre à l'accusation portée contre lui. Toujours selon l'intimée, le système de la libération condi- tionnelle va s'effondrer et devenir impraticable si les particuliers ne peuvent fournir de renseigne- ments aux agents du Service correctionnel sans crainte de représailles. Elle soutient encore que les gens doivent être à même de donner des renseigne- ments sur les activités de détenus en libération conditionnelle, étant entendu que ces renseigne- ments vont être tenus confidentiels, et que la Com mission des libérations conditionnelles doit être autorisée à s'appuyer sur ces renseignements en décidant de la continuation de la libération condi- tionnelle d'un détenu.
Il ne fait pas de doute que la liberté du requé- rant est conditionnelle'. Elle peut être révoquée sans qu'il faille prouver les infractions criminelles hors de tout doute raisonnable ni appliquer toutes les garanties procédurales judiciaires. En même temps, on ne doute guère que le droit à la liberté conditionnelle du requérant se trouve, en l'espèce, en tête du spectre. La position du requérant est proche de celle d'un individu qui jouit d'une liberté
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734 (1" inst.), aux p. 744-745; Cadieux c. Directeur de l'éta- blissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378 (1"° inst.), aux p. 396 à 398; Maxie c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1987] 1 C.F. 617 (C.A.).
inconditionnelle. Elle est aussi proche de cette position qu'elle peut l'être dans le système correc- tionnel. Le requérant jouit d'une libération condi- tionnelle totale et ce, depuis plusieurs années. Il a un statut de «libération conditionnelle mitigée». Les incidents qui se seraient produits sont survenus en dehors du milieu carcéral. Les préoccupations institutionnelles relatives à l'identification des indi- cateurs au sein du milieu carcéral n'existent pas. La liberté d'un individu (même la liberté condi- tionnelle dont un libéré conditionnel jouit) compte beaucoup par comparaison avec les intérêts en concurrence.
Je ferai remarquer que, bien qu'il soit habituel de qualifier les droits du requérant de droits «indi- viduels», qui font contrepoids à l'intérêt public (qui veille à ce que les libérés conditionnels ne commet- tent pas d'actes nuisibles aux membres du public), c'est également dans l'intérêt public qu'il faut employer des procédures qui soient justes dans le traitement de tous les membres de la société dont les libérés conditionnels. Les procédures qui sont apparemment arbitraires ne correspondent pas de par leur nature même à l'intérêt public.
Les exigences de l'article 7 dans le contexte «libé- ration conditionnelle/pénitencier»
L'avocat de l'intimée soutient que les exigences constitutionnelles ont été remplies parce que «l'es- sentiel» des allégations faites contre le requérant lui a été communiqué. Dans l'affaire Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378 (ire inst.), j'ai fait savoir que, en vertu de l'article 7 de la Charte, un détenu qui avait vu son programme d'absence temporaire sans escorte annulé était en droit de connaître l'«essentiel» des allégations faites contre lui. Dans l'affaire Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734 (ire inst.), le juge Strayer a statué que les exigences de justice fondamentale figurant à l'arti- cle 7 font qu'un libéré conditionnel qui a vu sa libération conditionnelle de jour révoquée devrait avoir droit aux «grandes lignes» des allégations examinées par la Commission la page 748]:
Une loi qui prétend opérer même cette privation ne constitue pas une limite raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte des droits garantis par son article 7. L'article 17 du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus ne devrait donc pas s'appliquer de manière à nier ce droit.
Qu'on qualifie cette obligation d'obligation de donner l'«essentiel» des allégations ou d'obligation de donner «les grandes lignes de ces allégations» importe peu. Dans les deux cas, il faut donner à l'individu suffisamment de détails pour lui permet- tre de répondre aux allégations. L'intimée à l'ins- tance n'a pas fourni au requérant «l'essentiel» des allégations au sens que l'affaire Cadieux a donné à ce terme.
Dans l'affaire Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74, le juge Hugessen, qui rendait l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, a examiné les exigences de l'article 7 telles qu'elles s'appliquent à un détenu qui a été transféré d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale. Selon lui, un détenu a droit à un avis suffisant des alléga- tions qui justifient le transfèrement et à la possibi- lité équitable d'y répondre. Le juge Hugessen s'est prononcé en ces termes aux pages 77 et 78:
Si on exige qu'un avis soit donné à une personne contre laquelle on se propose d'agir, c'est pour permettre à celle-ci d'y répondre intelligemment ... Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on n'entend pas tenir une audience ni conférer à la personne en cause le droit d'être mis directement en présence de la preuve présentée contre elle, il est particulièrement impor tant que l'avis soit le plus détaillé possible; sinon le droit d'y répondre devient tout à fait illusoire. L'espèce illustre parfaite- ment de quelle façon un avis insuffisant peut rendre un tel droit inopérant. On fait savoir à l'appelant qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il a introduit du cyanure dans la prison. Aucune indication ne lui est fournie sur la nature de ces motifs. Les allégations formulées à son sujet ne comportent aucun détail significatif. Où? Quand? Comment? D'où prove- nait le poison? Comment avait-il été obtenu? Pour quelles fins? Quelle en était la quantité? Les allégations sont censées être fondées sur des renseignements obtenus du personnel de Mill - haven et de la Sûreté de l'Ontario. Quels renseignements proviennent de quelle source? Y a-t-il un indicateur en cause? Si tel est le cas, quelle partie de sa déclaration peut-on dévoiler tout en gardant son identité secrète? La police a-t-elle poursuivi son enquête? A-t-elle procédé à des arrestations? Les questions s'enchaînent presque à l'infini.
Comme il était simplement allégué qu'il existait des motifs de croire qu'il avait introduit du cyanure dans la prison, l'appelant était réduit à nier les faits allégués ce qui en soi est presque toujours moins convaincant qu'une affirmation et à se livrer à des spéculations futiles sur la nature réelle de la preuve présentée contre lui.
Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignements confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour enfants de coeur et, si certains renseignements provenaient d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être
possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les renseignements dont la non-communication était strictement nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable, une affirmation générale, comme celle en l'espèce, voulant que [TRADUCTION] «tous les renseignements concernant la sécurité préventive» soient «confidentiels et (ne puissent) être communi- qués», est tout simplement trop large pour être acceptée par un tribunal chargé de protéger le droit d'une personne à un traitement équitable. En dernière analyse, il s'agit de détermi- ner non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseigne- ments communiqués suffisent à permettre à la personne concer- née de réfuter la preuve présentée contre elle. Mais quelle que soit la façon dont ce critère est énoncé, on n'y a pas satisfait en l'espèce. [Renvoi omis.] [C'est mai qui souligne.]
Les affaires Latham, Cadieux et Demaria por- taient toutes sur des situations le détenu avait droit à une liberté beaucoup plus restreinte que celle du requérant à l'instance. Il s'agissait de libération conditionnelle de jour, du programme d'absence temporaire sans escorte et de transfère- ment entre pénitenciers. Il ne fait pas de doute que le requérant à l'instance a droit à des détails suffisants sur les allégations faites à son encontre pour lui permettre d'y répondre intelligemment, à moins que l'intimée ne puisse rapporter la preuve du contraire.
Restriction «par une règle de droit»—Article premier
Pour déterminer s'il y a eu abrogation de droits garantis par la Charte, il y a lieu pour le requérant de prouver tout d'abord un droit apparemment fondé sur la Charte, et il incombe par la suite à l'intimée de prouver le caractère «raisonnable» de la restriction en question «dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». L'article premier de la Charte est ainsi rédigé:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énorcés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Dans le cas de l'article 7, puisque les droits qui y sont garantis constituent un spectre de garanties, il y a à déterminer tout d'abord la teneur des princi- pes de justice fondamentale qui découlent de l'arti- cle 7 applicable au processus décisionnel particu- lier qui est contesté (compte tenu des faits particuliers de l'affaire, de la nature des intérêts en
cause, des motifs et des éléments de preuve qui ont été donnés pour justifier les restrictions qui ont été imposées à ce qui est réclamé comme garanties de l'article 7). Lorsque les restrictions ne sont pas imposées «par une règle de droit», l'enquête prend fin à ce stade. Lorsqu'elles le sont, l'enquête conti nue jusqu'à l'examen de la question de savoir si une justification fondée sur l'article premier pour- rait exister.
Le paragraphe 17(5) constitue une restriction imposée par une règle de droit. Il incombe alors à l'intimée de démontrer qu'il s'agit d'une qui soi[]t raisonnable[] et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
La justification de la Commission nationale des libérations conditionnelles
Trois affidavits ont été déposés, deux par un certain M. Stienburg et un par un certain M. Harvey. On peut en général qualifer les justifica tions qui y sont énoncées d'affirmation selon laquelle la non-divulgation est nécessaire au fonc- tionnement efficace du système de la libération conditionnelle. En fait, l'avocat de l'intimée est allé jusqu'à affirmer qu'une ordonnance qui ne protégeait pas le type de renseignements confiden- tiels qui est en litige en l'espèce saperait le système de la libération conditionnelle tout entier, et que la Commission devrait simplement cesser d'accorder des libérations conditonnelles. (Telle était la con clusion de l'avocat; il ne s'agit pas d'une consé- quence affirmée dans les affidavits déposés.) On invoque un autre motif pour la non-divulgation: l'exactitude de ces renseignements est soigneuse- ment vérifiée avant que la Commission ne s'appuie sur ceux-ci. Je vais citer des extraits de ces affidavits.
Voici une partie de l'affidavit établi par M. Stienburg le 20 novembre 1990:
[TRADUCTION] 7. Que, ainsi qu'il ressort de la formulation de plusieurs des rapports de renseignements confidentiels, les ren- seignements y figurant et se rapportant aux allégations d'agres- sion sexuelle ont été donnés confidentiellement. Lesdites alléga- tions ont été faites à des membres du Service correctionnel et à des assistants sociaux qui travaillent dans le domaine relatif au système des services correctionnels.
8. Qu'il ressort desdits rapports de renseignements que les deux victimes ne voulaient pas engager de poursuites par crainte de représailles de la part du requérant, et que l'une d'elles ne voulait pas signer une déclaration pour des raisons que je ne
peux divulguer sans donner suffisamment de renseignements pour permettre au requérant de déduire l'identité de la victime. L'une des victimes a pris des mesures pour éviter le requérant; je ne peux pas non plus détailler ces mesures sans permettre au requérant de déduire son identité.
9. Que lesdits rapports de renseignements contenaient égale- ment des détails sur le comportement des victimes d'agression alléguée, comportement dont les auteurs desdits rapports croyaient qu'il était le résultat desdites agressions. Encore une fois, il ne m'est pas loisible de révéler plus de détails sans risquer de permettre au requérant de déduire les identités des sources.
10. Que je sollicite l'autorisation de me référer à mon affidavit antérieur, en particulier au paragraphe 24 de cet affidavit. Compte tenu des renseignements figurant dans les rapports de renseignements confidentiels et en particulier de la plainte selon laquelle il y a eu une série d'agressions sexuelles, le comité a estimé que, de par la véritable nature des agressions alléguées et des expressions de crainte de la part des sources pour la sécurité des victimes, les allégations compromettaient les victi- mes et représentaient un danger pour leur sécurité.
11. Que comme suite au paragraphe 10 de la présente, le corps tout entier de la preuve a été obtenu des sources par les nombreux auteurs des rapports, et que les auteurs ont déclaré que certaines de ces sources avaient des craintes évidentes et objectives de représailles de la part de l'appelant.
13. Que, comme suite au paragraphe 11 de la présente, compte tenu en outre de la nature hautement confidentielle des rensei- gnements et du refus des sources d'accepter la divulgation des renseignements par crainte de représailles, le comité a partagé tous les renseignements possibles et seulement retenu le mini mum de renseignements qu'elle pouvait retenir en vertu du paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération condition- nelle.
14. Que lesdits rapports de renseignements confidentiels sur lesquels s'est appuyé le comité ont tous été établis dans le cadre d'enquêtes licites et d'examens faits en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle, et que, de par la formulation de ces rapports il s'agissait d'un point important dans le contexte, les renseignements provenant des sources avaient été donnés à titre confidentiel. A mon avis, fort de mon expérience avec la police et la collectivité, le système carcéral et le système de la libération conditionnelle en général, si les renseignements ras- semblés au cours d'une enquête fondée sur la Loi et le Règle- ment sur la libération conditonnelle ne peuvent être donnés sans l'assurance qu'ils seront gardés confidentiels, cela nuirait au déroulement de ces enquêtes et, par conséquent, à la capacité de la Commission d'évaluer le risque.
15. Que, à mon avis, le partage de la teneur des rapports de renseignements confidentiels dans leur totalité ne servirait pas l'intérêt public. Ces renseignements ont été donnés à titre confidentiel à la condition qu'ils ne soient pas partagés avec le requérant ...
16. Que je sollicite l'autorisation de me reporter encore à mon affidavit antérieur et en particulier au paragraphe 1 de celui-ci. Compte tenu de l'expérience que j'ai acquise en tant que membre de la Commission des libérations conditionnelles, je suis persuadé que le fait d'être tenu par la loi de partager la teneur complète des rapports de renseignements confidentiels
ou tout autre renseignement de nature confidentielle sans exception, ou même de faire examiner ces documents par l'avocat du requérant ou par un juge de cette Cour, quoiqu'à huis clos, porterait sérieusement atteinte au processus du ras- semblement de renseignements par le Service correctionnel du Canada, donc à la capacité de la Commission nationale des libérations conditionnelles d'évaluer le risque.
17. Que, à mon avis, pour le fonctionnement approprié du système de la libération conditionnelle établi sous le régime de la Loi sur la libération conditionnelle et de son règlement d'application, il est très important que la, Commission des libérations conditionnelles maintienne le pouvoir qu'elle tient du paragraphe 17(5) du Règlement, celui de n'être pas tenu de communiquer tout renseignement dont la divulgation nuirait à l'intérêt public et, entre autres, les renseignements dont la divulgation relèverait de divers alinéas de ce paragraphe. [C'est moi qui souligne.]
Les motifs invoqués dans l'affidavit établi par M. Stienburg le 20 novembre 1990 ne diffèrent pas beaucoup de ceux figurant dans son affidavit anté- rieur du 18 octobre 1990. Je vais toutefois en citer un paragraphe:
[TRADUCTION] 24. Que, comme suite au paragraphe 23 de la présente, le Comité a estimé que le Service correctionnel du Canada avait pris les mesures raisonnables et nécessaires pour vérifier la fiabilité des renseignements figurant dans lesdits rapports et que, dans les circonstances, le Comité peut sans danger agir sur la base des renseignements figurant dans lesdits nombreux rapports. En tentant d'évaluer la qualité de la vali- dité des renseignements, la Commission a examiné et était tenue d'examiner très soigneusement la teneur des Rapports de renseignements confidentiels, et il lui a été absolument impossi ble de ne pas tenir compte de la nature très sérieuse des allégations.
Selon le Comité, il n'y avait pas lieu de croire que les alléga- tions n'étaient rien d'autre que la description des incidents que les victimes avaient connus. La confiance qu'avait le Comité dans la fiabilité des renseignements s'est trouvée renforcée par le fait que certains des renseignements avaient été obtenus d'une source qui n'était pas essentiellement impliquée, qui avait indiqué d'une façon très détaillée ou très claire qu'une personne avait été avisée du comportement du requérant, et avait en fait confirmé que le requérant avait effectivement tenté d'entrer dans la demeure de l'une des victimes. En conséquence, le Comité était convaincu que la preuve produite révélait une augmentation très substantielle du niveau de risque que le requérant représentait pour la collectivité. En bref, selon le Comité, il ressortait de la preuve dont il était saisi qu'il s'agissait d'un comportement qui était non seulement inaccep- table pour une personne en libération conditionnelle, mais qui était aussi de nature criminelle. [C'est moi qui souligne.]
L'affidavit établi par M. Harvey le 19 novembre 1990 explique la procédure de rassemblement de renseignements:
[TRADUCTION] 10. Dans le cas des RRC [Rapports de rensei- gnements confidentiels], les renseignements sont donnés au Service correctionnel du Canada seulement à la condition expresse que le Service garantisse que tout renseignement qui,
selon la source, doit être gardé confidentiel, doit l'être. Tous les renseignements de ce genre ne sont pas acceptés dans ces conditions, et le Service correctionnel n'acceptera ces renseigne- ments confidentiels que s'ils relèvent des exceptions expresses énumérées dans la Loi sur l'accès à l'information et dans la Loi sur la protection des renseignements personnels (particulière- ment l'alinéa 16(1)c) et l'article 17 de la Loi sur l'accès à l'information et le paragraphe 22(1) et l'article 25 de la Loi sur la protection des renseignements personnels), c'est-à-dire, seu- lement dans les cas la divulgation risquerait vraisemblable- ment de nuire à la sécurité des individus ou lorsque la divulga- tion de ces renseignements compromettrait une enquête policière en cours.
12. Dans le cas d'une enquête policière en cours, le partage d'une connaissance, notamment du simple fait même qu'une enquête est en cours peut ruiner des mois ou des années de travail par les forces policières. Toutefois, ces renseignements peuvent être d'une importance directe pour une décision en matière de libération conditionnelle puisque, bien qu'ils ne permettent pas de porter de nouvelles accusations ou d'obtenir des condamnations, ils peuvent constituer des indices clairs qui satisfont à la norme différente de la preuve de la violation d'une condition de la libération conditionnelle, à savoir, par exemple, qu'il ne faut pas s'associer avec les criminels connus, etc.
13. Lorsque ces renseignements sont reçus, des mesures raison- nables sont prises pour vérifier leur fiabilité. L'agent de libéra- tion conditionnelle sur le terrain ou l'équipe de gestion des cas vont faire enquête sur les allégations et présenter dans le rapport toutes les circonstances entourant ces renseignements, notamment la question de savoir s'ils peuvent faire l'objet d'une justification indépendante ou s'il existe des facteurs ou des mobiles qui pourraient affecter la crédibilité de la source.
15. Les agents de libération conditionnelle et les agents de gestion des cas sont bien au courant de la possibilité d'un abus, en ce sens que ces renseignements peuvent être donnés par des personnes qui s'intéressent à la vengeance et non à la vérité. C'est pour cette raison qu'on fait enquête sur ces renseigne- ments et qu'on examine si les renseignements, ainsi que la crédibilité et la possibilité d'un conflit d'intérêts de la part de la source, peuvent être vérifiés indépendamment.
20. L'usage de RRC est soigneusement contrôlé pour empêcher l'abus du processus par les sources et le personnel du Service. Toutefois, la question du partage des renseignements avec le détenu n'est pas une question simple. Bien que des changements de circonstances ultérieurs puissent donner lieu à la divulgation des renseignements ou que les renseignements puissent être divulgués par suite d'une décision rendue en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l'accès à l'information, nos préoccupations principales visent deux buts: tout d'abord, sans la garantie d'un anonymat, les renseignements essentiels à la protection de la société ne seraient pas disponibles dans plusieurs cas; et deuxièmement, lorsque ces renseignements sont divulgués contre la volonté d'une source, le système actuel n'est pas à même de protéger cette personne de la menace de violence. [C'est moi qui souligne.]
Détermination de la valeur des affidavits
Dans la détermination de la valeur des affidavits déposés pour le compte de la Commission natio- nale des libérations conditionnelles, il faut tout d'abord se rappeler clairement que le litige en l'espèce ne porte pas sur la contestation du droit des agents du Service correctionnel de recevoir des renseignements à titre confidentiel et de conserver leur confidentialité. Le litige en l'espèce n'influe pas sur le processus du rassemblement de rensei- gnements par le Service corrrectionnel du Canada (paragraphe 16 de l'affidavit en date du 20 novem- bre 1990 de M. Stienburg). Il ne s'agit pas de savoir si la Commission des libérations conditon- nelles devrait être tenue de divulguer le dossier complet des services correctionnels au libéré condi- tionnel (paragraphe 16 de l'affidavit en date du 20 novembre 1990 de M. Stienburg). La question n'est pas non plus de savoir si la Commmission doit divulguer l'identité des indicateurs. A l'évi- dence, elle n'y est pas tenue. Il n'y a jamais lieu à l'obligation de révéler les noms des indicateurs, puisque ce fait ne se rapporte jamais à la décision qui doit être prise. Une question ne se pose que lorsque la divulgation de renseignements va néces- sairement révéler l'identité de l'indicateur. Il échet d'examiner si la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles est tenue soit de divulguer des renseignements au requérant (lorsque la divulga- tion va nécessairement révéler la source de ces renseignements) soit de s'abstenir de s'appuyer sur ces renseignements en décidant de la libération conditionnelle du requérant.
Pour ce qui est des points particuliers soulevés dans les affidavits, rien ne prouve l'existence d'une enquête policière en cours, en l'espèce, à laquelle la divulgation des renseignements en question porte- rait préjudice (paragraphe 12 de l'affidavit de M. Harvey). La seule enquête au sujet de laquelle il existe des éléments de preuve est celle faite en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle et son Règlement d'application et qui a conduit à la révocation de la libération conditionnelle du requé- rant (paragraphes 14 et 17 de l'affidavit en date du 20 novembre 1990 de M. Stienburg). L'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, a établi que les motifs de commodité administrative ne justi- fient pas le déni de justice fondamentale. Si je
comprends bien l'argument de l'intimée, en l'es- pèce, c'est plus que la commodité administrative qui est censée exiger les restrictions qui ont été imposées. Néanmoins, dans la mesure une partie de l'argument de l'intimée pourrait reposer sur un motif de commodité administrative, il y a été répondu dans l'arrêt Singh précité.
Le recours aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1 et de la Loi sur la protection des renseignements person- nels, L.R.C. (1985), chap. P-21 est hors de propos. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces dispositions législatives prévoient les cas les individus n'au- ront pas certains renseignements qu'ils cherchent à obtenir du gouvernement. Toutefois, ces exemp tions ne sont pas conçues pour s'appliquer au contexte d'une situation l'individu qui cherche à obtenir les renseignements fait face à de sérieuses conséquences relatives à sa liberté par suite de décisions rendues sur la base de ceux-ci. Ces lois prévoient la restriction de l'accès d'un individu à l'information lorsque l'information cherchée peut être demandée sans autre raison que la curiosité pure et simple. De même, dans ce contexte, cette Cour a une fonction de contrôle qui voit à ce que les exemptions réclamées soient réclamées de façon
appropriée rôle qui, l'intimée le nie catégorique- ment, est approprié dans les circonstances plus sérieuses se trouve le requérant.
L'intimée prétend que l'exactitude des rensei- gnements en question a soigneusement été exami née. Il peut en être ainsi, mais je ne pense pas que cela justifie de refuser de fournir au requérant les renseignements qu'il cherche à obtenir. L'affirma- tion selon laquelle les renseignements sont exacts manque d'objectivité, et il ne s'agit pas d'une réponse à l'idée de traitement arbitraire que le requérant se fait. Le fait de restreindre la liberté d'un individu sans être tenu de donner des détails sur les accusations portées contre lui n'est pas couvert par l'affirmation du décideur selon laquelle ces renseignements sont exacts.
Il reste à examiner le trait principal de l'argu- ment de l'intimée: les renseignements ont été donnés de façon confidentielle; les individus qui ont donné ces renseignements se préoccupaient de ce que si leurs identités étaient connues, ils feraient l'objet de représailles de la part du requérant; les renseignements ne sauraient être divulgués sans
révéler en même temps l'identité des indicateurs. Et si la Commisssion des libérations conditionnel- les ne peut s'appuyer sur ces renseignements, l'ap- titude de la Commission à évaluer les risques se trouve sérieusement diminuée et le fonctionnement du système de la libération conditionnelle, sapé.
Les affidavits abordent deux questions: les faits particuliers du cas du requérant, et le raisonne- ment quant à la procédure établie par le paragra- phe 17(5) du Règlement et à la teneur de celui-ci. On pourrait considérer la preuve relative aux faits particuliers du cas de requérant comme servant davantage à déterminer s'il y a eu violation de la justice fondamentale qu'à déterminer si une justifi cation fondée sur l'article premier existe. En tout état de cause, pour ce qui est des faits particuliers du cas du requérant, l'affirmation de M. Stienburg selon laquelle, compte tenu de ce qui a été dit dans les divers rapports confidentiels, la Commission des libérations conditionnelles est persuadée que fournir au requérant des renseignements addition- nels reviendrait à divulguer l'identité de la source, ne constitue pas une déposition convaincante quant à la question de savoir si la divulgation aurait en fait cette conséquence. De même, l'affirmation de M. Stienburg selon laquelle, compte tenu des des criptions figurant dans les rapports confidentiels (au sujet des agressions alléguées et des expres sions de crainte de la part des indicateurs), le Comité a conclu qu'une menace pour la sécurité des indicateurs existerait si la divulgation avait lieu, ne prouve pas de façon convaincante que la divulgation aurait cette conséquence.
On se demande par exemple pourquoi le problè- me de la protection des indicateurs est plus sérieux dans les circonstances actuelles que dans le cas des nombreuses situations de violence familiale. On se demande pourquoi ce problème est plus grave que celui de la protection des témoins qui déposent aux procès criminels. Ces types de problèmes ne con- cernent pas uniquement la situation d'un libéré conditionnel.
Pour ce qui est des éléments de preuve concer- nant la procédure permettant de refuser la divul- gation, conformément au paragraphe 17(5) du Règlement, la preuve convaincante fait défaut encore une fois. L'affirmation selon laquelle le fonctionnement du système de la libération condi- tionnelle sera sapé si les renseignements du genre
en question sont révélés au requérant (et par ana- logie à d'autres requérants qui se trouvent dans des situations similaires) est une opinion qui ne repose sur aucun fondement factuel. Je fais remarquer en outre que fait complètement défaut la preuve de la nature comparative habituelle, qu'on produit sou- vent dans ces genres de cas pour démontrer que d'autres instances démocratiques ont jugé néces- saire d'établir des procédures d'un genre similaire.
L'intimée a eu la possibilité de produire des éléments de preuve particuliers pour démontrer ou bien que les faits particuliers du demandeur justi- fiaient la restriction qui avait été imposée, ou bien que l'application du système de la libération condi- tionnelle qui autorise la Commission des libéra- tions conditionnelles à refuser la divulgation de renseignements conformément au paragraphe 17(5) du Règlement peut être justifiée sur le fon- dement de l'article premier de la Charte. La Com mission n'a pas produit de tels éléments de preuve.
Le contrôle judiciaire
L'intimée s'est vu offrir une audience à huis clos pour établir le fondement factuel de ses affirma tions, assortie de l'engagement par l'avocat du requérant de ne pas divulguer à son client ni en fait à toute autre personne les renseignements dont il prendrait connaissance. L'intimée prétend que même cette mesure porterait sérieusement atteinte au fonctionnement du système de la libération conditionnelle (paragraphe 16 de l'affidavit de M. Stienburg). Cet argument n'est simplement pas digne de foi.
Cette Cour connaît de plusieurs situations des renseignements confidentiels sont produits devant elle et sont utilisés ou ne sont pas utilisés dans un litige, selon le cas. Souvent, des restric tions sont imposées à l'usage de ces renseignements pour protéger leur caractère confidentiel. Dans certaines instances, seules la Cour et la partie qui a produit les renseignements y ont accès. Dans d'au- tres instances, bien que les avocats et la Cour aient accès aux renseignements, la partie adverse n'y a pas accès. (En l'espèce, l'intimée ne s'est nullement opposée à ce que l'avocat du requérant prenne connaissance des renseignements; ce à quoi elle s'est opposée était l'établissement d'un précédent.)
Ainsi qu'il a été noté, cette Cour exerce une fonction de contrôle en vertu de la Loi sur l'accès
à l'information. Elle tient de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, le pouvoir de trancher des questions telles que la question de savoir si la divulgation publique de certains rensei- gnements devant une cour porterait atteinte à la défense nationale ou à la sécurité nationale. On peut également lui demander de déterminer si la divulgation de renseignements pourrait nuire aux relations internationales. En vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, la Cour peut déterminer si les renseignements que le ministre considère comme ne devant pas être divulgués «dans l'intérêt public» sont à juste titre ainsi quali- fiés. Il est difficile de conclure que le fait de divulguer à cette Cour certains renseignements concernant la situation particulière du requérant ou justifiant la règle de non-divulgation énoncée au paragraphe 17(5) du Règlement aurait les con- séquences défavorables qui sont alléguées.
L'intimée fait valoir que cette Cour n'a pas compétence pour forcer la production des rapports de renseignements confidentiels concernant le requérant ou d'autres types de renseignements qui se rapportent à l'espèce. Que les renseignements concernant le requérant fassent partie du dossier ou non et que leur production devant la Cour puisse être forcée ou non, il s'agit d'un argument qui a été éclipsé par les arguments portant sur les droits que le requérant tient de la Charte. L'argu- ment selon lequel la production de ces renseigne- ments pourrait être forcée parce qu'ils font partie du dossier a été au début invoqué, mais on ne l'a pas invoqué de façon vigoureuse dans le stade plus récent des procédures. Indépendamment de la question de savoir si la Cour a un pouvoir coercitif à cet égard, le fait pour l'intimée de n'avoir pas produit d'autres éléments de preuve a pour consé- quence qu'elle n'a pas en l'espèce établi la valeur probante des arguments qu'elle cherche à invo- quer.
Restriction imposée par le paragraphe 17(5) du Règlement
J'aborde maintenant le texte du paragraphe 17(5) lui-même. Les considérations de principe qui sous-tendent ce règlement et les faits particuliers relatifs au cas du requérant, comme en témoignent les affidavits de M. Stienburg et M. Harvey, ont été examinés. Et qu'en est-il des dispositions du Règlement lui-même?
Je fais remarquer tout d'abord que le paragraphe 17(5) est d'une portée très générale. Aucune distinction n'est faite entre la non-divulga- tion de renseignements esssentiels à la connais- sance par un individu de l'accusation portée contre lui et la non-divulgation de renseignements qui sont de nature plus marginale. En outre, l'alinéa 17(5)e) est si général qu'il semble autoriser la non-divulgation simplement parce que les rensei- gnements sont reçus de façon confidentielle. Cela ne peut jamais justifier de restreindre les garanties de la justice fondamentale, comme on l'a claire- ment énoncé dans l'affaire Demaria précitée, à la page 7&. Qui plus est, l'alinéa 17(5)a) semble exiger seulement la possibilité d'une menace et non la probabilité qu'un préjudice pourrait être causé à un individu. Il s'agit de dispositions d'une portée générale qui est préoccupante. Bien que je ne juge pas nécessaire de décider si le paragraphe 17(5) est ultra vires (il s'applique peut-être dans certai- nes circonstances), il suffit de dire que, lorsqu'on recourt à ce paragraphe pour refuser à un libéré conditionnel le genre de renseignements qui a été refusé en l'espèce, il est inopérant à cette fin.
En outre, je ne suis pas convaincu qu'un système qui met entre les mains du même organisme tant la décision sur le fond (la révocation de la libéra- tion conditionnelle du requérant) que la décision sur la partie des renseignements dont il dispose qui va être divulguée au requérant soit un système qui remplit les exigences de l'article premier de la Charte. Je doute fort qu'une telle procédure puisse être justifiée lorsqu'il s'agit d'une personne qui se trouve dans la position du requérant (une personne qui est en libération conditionnelle depuis plusieurs années et dont le dossier est exemplaire). À cet égard, on peut établir un parallèle en se référant à l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145, il a été jugé qu'un mandat de perquisition était invalide s'il n'était pas délivré par un organisme judiciaire indépendant de l'orga- nisme enquêteur.
Conclusion
En conclusion, il y a eu violation des droits que le requérant tient de l'article 7 de la Charte du fait que la Commission a refusé de lui fournir les renseignements confidentiels sur lesquels elle s'ap- puie. L'intimée n'a pas produit d'éléments de preuve pour justifier la non-divulgation ni à l'égard
des circonstances particulières de l'espèce ni à l'égard de la thèse voulant que le paragraphe 17(5) impose une limite raisonnable aux droits du requé- rant en vertu de l'article premier de la Charte. En conséquence, je rendrai une ordonnance portant annulation de la décision de la Commission et une ordonnance de mandamus enjoignant la tenue d'une nouvelle audience par un comité différent de la Commission nationale des libérations condition- nelles.
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