T-1678-88
William Clarence Thomas, Conseil scolaire des
Péguis et bande indienne des Péguis (deman-
deurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen-
tée par le ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: THOMAS c. CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES
INDIENNES ET DU NORD CANADIEN) (1' INS T.)
Section de première instance, juge Reed Winni-
peg, 4 février; Ottawa, 15 février 1991.
Couronne — Contrats — Un haut fonctionnaire a démis-
sionné de son poste pour devenir surintendant de l'éducation
d'une bande indienne Il est allégué que la Couronne a
accepté d'augmenter le budget d'éducation de la bande d'un
montant équivalent au salaire et aux avantages que recevait le
surintendant Le Ministère a par la suite changé son mode
de financement — Le Ministère a refusé de payer le salaire au
motif qu'il était inclus dans la nouvelle formule de finance-
ment Application des principes contractuels ordinaires
La nouvelle formule de financement ne prévoyait pas de mon-
tant au titre du salaire L'entente de paiement du salaire
était contenue dans des lettres Cela constituait une entente
de paiement d'un montant en sus du montant normalement
prévu au budget — Il s'agit de savoir si le destinataire de la
promesse doit démontrer que l'Administration avait l'intention
de s'obliger en droit L'Administration est liée si sa conduite
est susceptible d'inciter une personne raisonnable à s'y fier.
Peuples autochtones Il s'agit de savoir si la Couronne a
accepté de payer le salaire du surintendant de l'éducation du
conseil scolaire des Péguis Le Ministère a remplacé le
financement article par article des écoles indiennes par le
financement global La demanderesse prétend qu'il existe un
rapport fiduciaire entre les parties en raison d'un traité aux
termes duquel la Couronne convenait de maintenir des écoles
dans les réserves et que par conséquent il incombe à la
défenderesse de prouver que le salaire du surintendant est
encore financé — Examen de la jurisprudence relative à la
relation fiduciaire entre la Couronne et les Indiens La
question du manquement aux obligations fiduciaires n'est pas
déterminante étant donné que l'action est accueillie en fonction
des principes du droit des contrats.
En 1984, un haut fonctionnaire, qui était au service du
Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien depuis
1971, a démissionné de son poste pour accepter le poste de
surintendant de l'éducation au sein du conseil scolaire des
Péguis. Il occupait ce poste depuis 1977 tout en demeurant à
l'emploi du Ministère. Il a donné sa démission à la suite de trois
lettres qui constitueraient un engagement de fournir à la bande
les fonds nécessaires pour payer son salaire. La première de ces
lettres déclarait que le Ministère entamerait les négociations
budgétaires habituelles avec le conseil scolaire des Péguis pour
intégrer un poste du surintendant, ainsi que le salaire et les
dépenses y afférents; la deuxième lettre réitérait l'offre d'inclu-
Sion dans le budget du conseil d'un montant équivalent au
salaire et aux avantages que recevait le surintendant; et la
troisième lettre précisait que des fonds supplémentaires affectés
à la rubrique «administration» seraient ajoutés au montant de
base du budget tant que l'ancien fonctionnaire demeurerait à
l'emploi de la bande. Après sa démission, une somme a été
ajoutée au budget de l'éducation de la bande pour les deux
exercices suivants. Mais en 1987-1988, le Ministère a adopté la
formule de financement global des écoles des bandes indiennes.
Il ne calculait plus le montant total du budget à la suite d'une
négociation article par article. Il multipliait plutôt le nombre
d'élèves inscrits par un coût unitaire par étudiant pour en
arriver à un montant global. La bande s'est opposée au système
du financement global au motif que cette formule diminuait le
montant des fonds et qu'elle ne prévoyait aucun montant pour
payer le salaire du surintendant.
Le Ministère prétend que (I) le financement global compre-
nait un montant destiné à payer le salaire du surintendant; (2)
l'entente de 1984 ne pouvait prévoir le paiement à la bande
d'un montant «en sus du montant habituel accordé pour le
financement des programmes» parce qu'à l'époque, aucun mon-
tant n'était accordé pour le «financement habituel des program
mes», étant donné que le budget de chaque bande était établi
individuellement; (3) les demandeurs savaient qu'il fallait faire
approuver tout budget par le Conseil du Trésor et que l'autori-
sation du Parlement était requise; (4) il n'existait pas d'inten-
tion de s'obliger par contrat.
Les demandeurs prétendent que le traité aux termes duquel
la Couronne a convenu de maintenir une école dans chaque
réserve créait un rapport fiduciaire entre la Couronne et les
demandeurs et que la défenderesse devrait à tout le moins être
tenue de prouver que le salaire du surintendant est encore
financé.
Jugement: le conseil scolaire et la bande devraient obtenir
gain de cause.
Même si une grande partie des débats a porté sur la question
de savoir si la Couronne avait manqué à ses obligations fidu-
ciaires envers les Indiens, il n'est pas nécessaire de trancher
l'affaire en fonction de ces prétentions. La présente action peut
être décidée en fonction des principes ordinaires des contrats.
Le financement global ne prévoyait pas de montant au titre
du salaire du surintendant. Cette conclusion est appuyée par le
fait qu'aucune partie du montant global ne cessera d'être payée
lorsqu'il quittera son emploi à la bande. En acceptant de payer
son salaire, la Couronne convenait de payer un montant en sus
du montant qui était normalement prévu au budget et qui était
versé au conseil scolaire des Péguis. Le montant accordé pour
son salaire devait être une subvention temporaire qui ne devait
durer qu'aussi longtemps qu'il demeurait à l'emploi de la
bande. L'entente se trouvait dans les trois lettres. La dernière
précisait bien que les fonds étaient expressément affectés au
salaire de l'ancien fonctionnaire et qu'ils ne devaient être payés
qu'aussi longtemps qu'il demeurait au service de la bande.
En 1984, il existait un «financement normal des programmes»
en ce sens que le budget «article par article» de l'exercice servait
de base au calcul «article par article» du budget de l'exercice
suivant. Dans le cadre de ce système, le montant payé au titre
du salaire du surintendant était versé en sus du montant
habituel accordé pour le financement des programmes. Le fait
que seule la bande des Péguis avait un surintendant de l'éduca-
tion indique que le montant payé pour ce poste était une
dépense extraordinaire et supplémentaire. C'est parce qu'ils
connaissaient ce système que les demandeurs ont pris soin de
faire préciser avec soin la garantie. L'engagement suivant
lequel le montant serait ajouté à la base du budget de la bande
constituait une garantie de payer les augmentations annuelles
différentielles de salaire auxquelles le surintendant aurait eu
droit s'il avait conservé le poste qu'il occupait au Ministère;
l'engagement de poursuivre les paiements tant qu'il demeure-
rait au service de la bande visait de toute évidence à lui
accorder une certaine garantie et à éviter de mettre en place
une obligation de payer indéfiniment le montant supplémen-
taire, comme cela se produirait probablement si ce montant
était considéré comme un poste budgétaire ordinaire. ll est peu
probable qu'un haut fonctionnaire aurait donné sa démission
sans que soit mis en place un système lui garantissant une
sécurité financière. Les demandeurs ont agi, à leur détriment,
sur la foi de l'engagement du Ministère de payer un montant en
sus du montant disponible en vertu du programme habituel de
financement. Le Ministère ne peut maintenant se dédire. Ainsi
que l'a écrit Waddams dans son ouvrage The Law of Contracts:
[TRADUCTION] «En matière de contrats administratifs, certains
ont prétendu que le destinataire d'une promesse doit établir que
l'Administration publique avait l'intention de s'obliger en droit
[...] Toutefois, si [sa] conduite est susceptible d'inciter une
personne raisonnable à s'y fier, [l'Administration publique] doit
être liée».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C: (1985),
appendice I1, no 44], art. 35.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. 1-5, art. 114 à
122.
Traité conclu entre Sa Majesté la Reine et les Chip-
paouais et les Cris du Manitoba et des territoires
adjacents. Canada. Treaties. Indian Treaties and Sur
renders from 1680 to 1890. Vol. I, Treaty No. 124.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Nowegijick c. La Reine, [1983] I R.C.S. 29; (1983), 144
D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20:
83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Regina v. Taylor and Wil-
liams (1979), 55 C.C.C. (2d) 172; [1980] 1 C.N.L.R. 83
(C. div. Ont.), conf. par (1981), 34 O.R. (2d) 360; 62
C.C.C. (2d) 227; [1981] 3 C.N.L.R. 114 (C.A.); autori-
sation de pourvoi refusée à [1981] 2 R.C.S. xi; [1982] I
C.N.L.R. 183; Guerin et autres c. La Reine et autre,
[1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321;
[1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1
C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. I;
Attorney -General for British Columbia v. E.squimalt and
Nanaimo Railway Company, [ 1950] A.C. 87 (C.P.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Sparrow, [1990] I R.C.S. 1075; [1990] 4 W.W.R.
410; Desjarlais et autres c. Canada (Ministre des Affai-
res indiennes et du Nord canadien), [1988] 2 C.N.L,R.
62 (C.F. l inst.).
DOCTRIN E
Waddams, S. M., The Law of Contracts, 2' éd., Toronto:
Canada Law Book Inc., 1984.
AVOCATS:
Victor S. Savino pour les demandeurs.
Barbara Shields pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Savino & Company, Winnipeg, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: Le litige porte en l'espèce sur la
question de savoir si la défenderesse a violé l'en-
tente qu'elle aurait conclue avec les demandeurs
au sujet du financement qui devait être accordé
pour payer le salaire de M. Thomas à titre de
surintendant de l'éducation de la bande indienne
des Péguis. La question centrale concerne les con-
séquences que l'adoption d'une méthode de finan-
cement pour l'exercice 1987-1988 et les exercices
suivants a eues sur l'entente en question.
Les faits
Au milieu des années soixante-dix, plusieurs
bandes indiennes ont entrepris des démarches en
vue d'établir et de gérer des écoles dans leurs
réserves. La bande indienne des Péguis («la
bande») était l'une de ces bandes. Pour mener à
bien ce projet, la bande a essayé en 1977 d'obtenir
une gestion solide pour son conseil scolaire. Le
ministère des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien («le Ministère») était également intéressé à ce
que la bande acquière cette compétence. Dans les
présents motifs, le mot «Ministère» désigne collec-
tivement un ou plusieurs fonctionnaires du minis-
tère des Affaires indiennes et du Nord canadien
qui exercent l'autorité et les responsabilités du
ministre des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien («le ministre»).
À l'époque, M. Thomas était un employé du
Ministère. Il était au service du Ministère depuis
1971. En 1971-1972, il occupait le poste de direc-
teur régional adjoint de l'éducation pour la région
de l'Alberta. De 1972 à 1974, il était directeur
régional des Affaires indiennes pour la région du
Manitoba. En 1975 et 1976, il a suivi un pro
gramme de maîtrise en éducation (administration
scolaire) à l'University of Alberta. Après avoir
obtenu sa maîtrise, il est retourné au Ministère
pour travailler à des projets relatifs à des program
mes pédagogiques destinés aux enseignants
autochtones. Dès 1977, il occupait un poste de
haute direction au sein du Ministère (un poste
classé SX -1).
La bande indienne des Péguis est l'une des
signataires du Traité conclu entre Sa Majesté la
Reine et les Chippaouais et les Cris du Manitoba
et des territoires adjacents [Canada. Treaties.
Indian Treaties and Surrenders from 1680 to
1890. Vol. I, Treaty No. 124], qui a été signé le 3
août 1871. Ce traité est désigné sous le nom de
traité n° 1; c'est le premier d'une série de onze
traités signés entre 1871 et 1923 qui couvrent
ensemble la presque totalité sinon la totalité du
territoire des provinces des Prairies et des parties
du nord de l'Ontario, de la Colombie-Britannique,
du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Le
traité n° 1 vise une partie du sud du Manitoba.
Comme tous les autres traités portant un numéro,
le traité n° 1 renferme une clause au sujet de
l'éducation. Voici le libellé de la disposition appli
cable du traité n° 1:
... Et de plus, Sa Majesté convient de maintenir une école dans
chaque réserve par le présent établie, dès que les sauvages de
telle réserve en manifesteront le désir.
Les obligations que cette clause du traité impose
au gouvernement ont donné lieu à la conclusion
d'un certain nombre d'ententes en matière scolaire.
Dans certains cas, le ministre a passé, au nom de
la Couronne, des contrats avec diverses institutions
religieuses pour la direction d'écoles dans les réser-
ves. Dans d'autres cas, le Ministère dirigeait lui-
même les écoles. Dans d'autres cas encore, des
dispositions ont été prises pour que les élèves fré-
quentent les écoles provinciales. On a présenté
certains éléments de preuve qui tendent à démon-
trer que ces établissements n'étaient pas très adé-
quats, du moins dans le passé. On a particulière-
ment critiqué les écoles résidentielles. Pour les
fréquenter, les enfants devaient être séparés de
leur famille pendant des périodes prolongées.
De toute façon, comme je l'ai déjà signalé, au
milieu des années soixante-dix, la bande indienne
des Péguis a pris des mesures pour diriger sa
propre école. Une entente a été conclue avec le
ministre en 1977. Aux termes de cette entente, la
bande convenait de se charger de la fourniture des
services pédagogiques dans la réserve. Le ministre
a accepté, au nom de la Couronne, d'affecter des
fonds à cette fin. Une disposition de l'entente
prévoyait que celle-ci demeurerait [TRADUCTION]
«en vigueur d'année en année sous réserve des
modifications que les parties conviendront d'un
commun accord d'y apporter». Une des modalités
relatives au financement prévoyait:
[TRADUCTIONI Le ministre finance les programmes et les
services pédagogiques de la bande conformément aux disposi
tions de l'annexe X ci-jointe pour l'exercice 1977-1978, et
conformément aux modalités qui seront négociées chaque
année, pour les exercices suivants.
Comme nous l'avons signalé, en même temps
qu'elle décidait d'assumer la responsabilité de la
fourniture des services pédagogiques, la bande des
Péguis a essayé de recruter une personne expéri-
mentée et compétente à titre de surintendant de
l'éducation pour son conseil scolaire. Pour l'aider à
atteindre cet objectif, le Ministère a conclu avec la
bande une entente d'échange de cadres aux termes
de laquelle M. Thomas assumait les responsabilités
de surintendant de l'éducation à la réserve des
Péguis. L'entente a pris effet en juillet 1977. L'en-
tente prévoyait initialement que la bande rembour-
serait le Ministère du salaire de M. Thomas. Cette
disposition a toutefois été modifiée, car la bande
n'avait pas de fonds disponibles à cette fin. Le
Ministère a accepté de ne pas réclamer le rem-
boursement du salaire qu'il payait à M. Thomas.
L'entente d'échange de cadres était initialement
d'une durée de deux ans. Elle a été par la suite
prolongée de trois années. Le Ministère a continué,
dans l'intervalle, à payer le salaire de M. Thomas
sans être remboursé par la bande. L'entente pro-
longée a pris fin le 30 juin 1982. La bande a
demandé que l'entente soit à nouveau prolongée,
mais le Ministère a refusé. Une note de service
interministérielle, datée du 10 août 1982, porte:
[TRADUCTION] I. M. W.C. Thomas a fait l'objet d'un échange
de cadres pendant cinq ans, du 1" juillet 1977 au 30 juin
1982. La Commission de la fonction publique n'était pas
disposée à prolonger cette affectation au-delà de cette date.
Dans le cas d'un échange de cadres, une affectation dure
normalement trois ans et la nouvelle prolongation demandée
par la bande (5 ans) aurait donné lieu à une affectation de 10
ans. L'échange de cadres n'était plus acceptable.
En même temps, le Ministère a offert de détacher
M. Thomas auprès de la bande pour une autre
période de deux ans. Le Ministère s'engageait, aux
termes de cette entente, à continuer à payer le
salaire de M. Thomas.
La bande a été informée qu'au terme de la
période de détachement de deux ans, elle pouvait
engager M. Thomas ou que celui-ci pouvait retour-
ner travailler au Ministère. En acceptant le déta-
chement, M. Thomas a écrit, en juin 1982, [TRA-
DUCTION] «J'accepte les conditions de cette offre
si l'on accorde à la bande un budget pour en
couvrir les frais». M. Thomas a expliqué plus en
détail sa position dans une lettre datée du 7 juillet
1982:
[TRADUCTION] Du reste, bien que je doive signer votre lettre
pour pouvoir garder mon emploi, je n'aurais aucune difficulté à
travailler pour la bande pendant encore deux ans. Mais vous
devez admettre que comme dans le passé la bande n'a pas eu
l'argent nécessaire pour payer mon salai-e, il faudrait à l'avenir
lui accorder un budget à cette fin. C'est à cette condition que je
signe.
Il est malheureux que l'on ne m'ait jamais donné l'occasion
de discuter de cette question avec M. Goodwin.
Le Ministère a interprété les lettres écrites par
M. Thomas en juin et juillet 1982 comme un
empressement de sa part à accepter le détache-
ment. Il est évident, toutefois, qu'à ce moment-là,
le Ministère n'acceptait pas la condition portant
sur la période postérieure à l'expiration de l'en-
tente de détachement. Autrement dit, le Ministère
n'a pas initialement accepté la condition que l'on
accorde un budget à la bande pour payer le salaire
de M. Thomas. Peu de temps après, M. Goodwin,
le sous-ministre adjoint des Affaires indiennes, a
envoyé la lettre suivante, datée du 16 août 1982, à
la bande:
[TRADUCTION] Pour réitérer l'entente déjà conclue, la Com
mission de la fonction publique ne peut prolonger davantage le
programme d'échange de cadres et elle y a mis fin le 30 juin
I 982. M. Thomas a été détaché pour deux ans (du 30 juin 1982
au 30 juin 1984) par le ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien.
À la fin de cette période, le bureau régional du Manitoba
entamera les négociations budgétaires habituelles avec le con-
seil scolaire des Péguis pour intégrer le salaire d'un surinten-
dant et les dépenses y afférentes. Chaque conseil scolaire a
évidemment besoin d'un surintendant, et ces négociations ne
devraient pas selon moi entraîner de complications majeures.
[C'est moi qui souligne.]
Vers la fin de l'entente de détachement, d'autres
négociations ont eu lieu. Voici le texte d'une lettre
datée du 21 février 1984 adressée au président du
conseil scolaire des Péguis:
[TRADUCTION] Comme vous le savez, l'entente spéciale relative
à l'emploi de M. W.C. Thomas prend fin le 31 mars 1984.
Nous avons été informés que M. D.K. Goodwin a offert au
conseil scolaire une solution de rechange qui consisterait pour le
Ministère à inclure dans le budget du conseil scolaire des
Péguis un montant équivalent au salaire et aux avantages que
reçoit M. Thomas pour permettre au conseil d'employer M.
Thomas.
Si le conseil décide d'accepter l'offre de M. Goodwin et d'em-
ployer M. Thomas, une somme de 60 000 $ sera incluse sous la
rubrique «administration» de votre budget 1984-l985.
Cette lettre a amené la bande a demander des
éclaircissements, particulièrement au sujet de la
question de savoir si le Ministère consentait à
payer le montant en question uniquement pour
l'exercice 1984-1985, ou s'il continuerait à accor-
der des fonds par la suite. Ce point a été clarifié
dans une lettre datée du 21 mars 1984:
[TRADUCTION] Pour faire suite à ma lettre du 21 février 1984,
veuillez noter que l'offre d'augmentation des fonds affectés à la
rubrique «administration» de votre budget pour permettre au
conseil d'engager M. W.C. Thomas visait à montrer que ces
fonds seraient ajoutés au montant de base tant que M. Thomas
demeurera à l'emploi du conseil scolaire.
La présente lettre se veut une clarification de ma lettre anté-
rieure. [C'est moi qui souligne.]
Par suite de la conclusion de cette entente, M.
Thomas a remis sa démission au Ministère dans
une lettre datée du 28 mars 1984. Une somme a
été ajoutée au titre de son salaire dans le budget
d'éducation du conseil scolaire de la bande
indienne des Péguis pour l'exercice 1985-1986
(61 664 $) et pour l'exercice 1986-1987 (67 214 $)
et a été versée au conseil scolaire à cette fin.
Au cours de l'exercice 1987-1988, le Ministère a
changé sa méthode de financement des écoles des
bandes indiennes. De façon générale, cette
méthode consiste à établir le budget en fonction du
nombre d'élèves en multipliant ce chiffre par un
montant en dollars. On obtient ainsi une somme
globale qui est versée aux conseils scolaires pour le
fonctionnement des écoles (financement global).
Le calcul lui-même est légèrement plus détaillé
que ce que j'ai indiqué, mais il n'est pas nécessaire
d'entrer dans les détails.
Avant l'instauration de ce système de finance-
ment global (la formule de financement national),
chaque bande «négociait» son budget avec le
bureau régional du Ministère. Le montant total du
budget était établi après une étude article par
article de ce dont on aurait besoin pour couvrir
chaque poste l'année suivante. C'est ce qu'on a
qualifié dans la preuve de «négociation» article par
article. On parle de «négociation» en ce sens que le
conseil scolaire devait justifier les fonds qu'il
demandait au bureau régional du Ministère. Si les
fonctionnaires de ce bureau convenaient que ces
prévisions étaient raisonnables, le bureau régional
transmettait à l'Administration centrale du Minis-
tère, à Ottawa, le budget tel qu'il avait été
approuvé à l'échelle régionale (consolidé avec celui
d'autres bandes). C'était toujours au gouverne-
ment que revenait la décision finale relativement à
la somme d'argent qui était accordée à la bande.
Le montant total (montant global accordé à
l'échelle nationale aux écoles gérées par les
bandes) devait être approuvé par le Conseil du
Trésor et l'affectation des fonds devait être autori-
sée par le Parlement. Le partage entre les régions
des sommes ainsi approuvées et autorisées relevait
de l'Administration centrale du Ministère à
Ottawa. C'est le bureau régional qui distribuait
entre les bandes les fonds alloués à la région.
Les postes du budget qui nous intéressent en
l'espèce et qui étaient ventilés article par article
avant le budget de 1987-1988, relevaient de trois
principales rubriques: (1) autorité scolaire; (2)
personnel enseignant; (3) administration scolaire.
Sous la rubrique «autorité scolaire» (conseil sco-
laire), on trouvait les postes suivants: «directeur de
l'éducation», «surintendant de l'éducation», «agent
financier», «greffier», «secrétaire» (deux person-
nes), «perfectionnement professionnel», «congés
d'études», «transport», et «recrutement des cadres.»
Lorsqu'une catégorie d'employés était inscrite au
budget, on indiquait, suivant la méthode article
par article, la somme d'argent nécessaire pour
engager les personnes concernées pour le poste
indiqué. Lorsqu'une activité (par exemple, le
«transport»), et non un emploi, était inscrite au
budget, le montant requis pour cette activité était
indiqué. Les éléments inscrits sous la rubrique
«personnel enseignant» comprenaient notamment
le directeur d'école, le directeur d'école adjoint, les
enseignants, les paraprofessionnels, le perfection-
nement professionnel et les congés d'études.
Comme nous l'avons fait remarquer, le montant à
allouer pour chacun de ces postes était négocié
chaque année par le conseil scolaire avec des repré-
sentants du bureau régional du Ministère, et le
conseil scolaire rendait compte de la façon dont ces
fonds avaient été dépensés suivant la même
méthode dite «article par article».
Comme nous l'avons signalé, on avait ajouté au
budget 1984-1985 des Péguis une rubrique concer-
nant le poste de surintendant de l'éducation, ainsi
qu'un montant pour payer le salaire du titulaire de
ce poste. Cette mesure était conforme à l'entente
de 1984 conclue avec le Ministère au sujet du
paiement du salaire de M. Thomas. La preuve
révèle qu'il n'existait pas au Manitoba d'autre
bande dont le personnel du conseil scolaire com-
prenait à la fois un surintendant de l'éducation et
un directeur de l'éducation. Certains conseils
avaient des personnes qui occupaient des postes de
surintendant des services aux étudiants. Il arrivait
que ces personnes travaillent à partir de leur
bureau respectif au conseil scolaire, mais elles
n'exécutaient pas les mêmes tâches que le direc-
teur de l'éducation ou que le surintendant de l'édu-
cation du conseil scolaire des Péguis.
Le système de financement global a été imposé à
la bande des Péguis et à d'autres bandes. Comme
nous l'avons déjà signalé, il comportait l'établisse-
ment d'un coût unitaire par étudiant et la multipli
cation de ce chiffre par le nombre prévu d'élèves
inscrits. Ce système n'avait pas été élaboré après
consultation des diverses bandes, mais à la suite
d'études menées par divers fonctionnaires du
Ministère. La bande des Péguis s'est opposée dès le
début au nouveau système de financement global
(la formule de financement national) aux motifs
(1) que cette formule diminuait le montant des
fonds qu'elle aurait autrement reçus; (2) et que, en
particulier dans le cas de M. Thomas, aucun mon-
tant n'était prévu pour le paiement de son salaire.
Devant l'insistance de la bande sur le fait que
l'entente de 1984 n'était pas respectée, et à la suite
des demandes pressantes qu'elle a faites auprès du
ministre, la bande s'est vue accorder une somme
supplémentaire de 60 000 $ à titre de poste spécial
pour son budget de l'exercice 1987-1988. Autre-
ment dit, la bande a reçu pour cet exercice
60 000 $ de plus que ce qui lui avait été alloué en
application de la formule de financement national.
Il a été précisé que ce versement ne valait que pour
cet exercice.
Le Ministère a toujours adopté le point de vue
que le financement global comprenait un montant
destiné à payer le salaire de M. Thomas. Si j'ai
bien compris, le Ministère prétend que lorsque la
formule de financement national a été élaborée, il
était entendu qu'elle englobait tous les frais admi-
nistratifs, y compris les dépenses des autorités
scolaires (les conseils scolaires). Le salaire de M.
Thomas faisait donc partie du montant global.
Il est donc nécessaire d'étudier la genèse de la
formule de financement national. Elle a été élabo-
rée à la suite d'études menés par le Ministère dans
lesquelles on a comparé et analysé des budgets
d'éducation et la façon dont ils étaient implantés
dans les systèmes scolaires des provinces, dans
certains systèmes des États-unis, ainsi que dans les
écoles financées par le Ministère. Les auteurs de
ces études ont conclu qu'en règle générale, les
salaires et les dépenses liées aux avantages que
touchait le personnel non enseignant représen-
taient environ 30 % du budget et que les salaires et
les avantages versés aux enseignants représentaient
l'autre 70 %. Il fallait donc ensuite délimiter les
diverses catégories de dépenses que l'on pourrait
considérer comme faisant partie du 30 % (le trans
port, par exemple, est un poste qui n'est pas inclus,
ni les dépenses liées aux besoins très dispendieux
d'éducation spécialisée ou la location de locaux).
Les frais administratifs, dont le financement des
conseils scolaires, ont été classés comme faisant
partie de la formule.
Pendant le premier exercice (1987-1988) au
cours duquel on a appliqué la formule de finance-
ment national, on a établi le coût du salaire des
enseignants (d'après le salaire fixé à la suite des
négociations entamées avec le Conseil du Trésor),
et ce, dans le but de calculer le coût régional du
salaire des enseignants. Le nombre d'enseignants
dont chaque école avait besoin a été calculé en
fonction d'un rapport élèves-maître. Par de simples
calculs mathématiques (le nombre d'enseignants
multiplié par le salaire régional), on pouvait obte-
nir un chiffre qui représentait environ 70 % du
budget requis pour une école donnée. C'était
ensuite une simple question de mathématiques de
calculer ce que devait être l'enveloppe budgétaire.
Si j'ai bien compris, on n'a pas procédé école par
école, mais en fonction des chiffres de l'ensemble
de la région. Le coût unitaire par étudiant était
rajusté à la hausse chaque année selon l'augmenta-
tion annuelle probable prévue par le bureau régio-
nal. Le coût unitaire par étudiant alloué à la bande
indienne des Péguis pour l'exercice de 1988-1989
était, par exemple, de 3 927 $. Depuis que la for-
mule est appliquée, le total absolu accordé à la
bande n'a jamais diminué.
Il y avait plusieurs raisons, de l'avis du Minis-
tère, qui justifiaient d'adopter le nouveau système.
En premier lieu, ce système était plus facile à
administrer; il dispensait de la nécessité de discuter
du budget article par article. En deuxième lieu, il
accordait au conseil scolaire des bandes indiennes
un plus grand degré d'autonomie; elles pouvaient
utiliser les fonds à des fins éducatives selon ce
qu'elles jugeaient bon sans devoir rendre compte
article par article de chaque dépense. En outre, il
permettait d'obtenir une plus grande certitude
dans le processus budgétaire; le Ministère pouvait
prévoir avec plus de certitude la montant requis
pour financer les écoles d'année en année. En
dernier lieu, il était conçu pour assurer un finance-
ment plus équitable entre les bandes. De l'avis du
Ministère, certaines bandes étaient financées en
trop par rapport à d'autres.
Je passe maintenant aux diverses questions qui
ont été soulevées, certaines de façon indirecte, par
la preuve et la procédure écrite.
La violation du traité n° 1 n'est pas en litige
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de se pro-
noncer sur la question de savoir s'il y a eu violation
des conditions du traité n° 1. La Cour n'est pas
saisie de cette question et d'ailleurs si on l'exami-
nait, plusieurs questions auxquelles on ne pourrait
répondre surgiraient: Quand a-t-on demandé d'éta-
blir une école dans la réserve? Dans quelle mesure
une obligation de «maintenir une école dans
chaque réserve» comporte-t-elle l'obligation d'assu-
rer un certain niveau des services pédagogiques? Il
est certain que si le niveau de service était manifes-
tement insuffisant, il y aurait violation, mais la
preuve présentée en l'espèce indique qu'au moins
au cours des dernières années, le financement
accordé aux écoles situées dans des réserves est
comparable, sinon supérieur, à celui qui est
accordé aux écoles provinciales se trouvant dans la
même situation.
La violation de l'entente de 1977 n'est pas en litige
La Cour n'est pas saisie non plus d'une alléga-
tion concernant une violation de l'entente de 1977
en vertu de laquelle la bande des Péguis a assumé
la charge des services pédagogiques dans la
réserve. On a fait allusion dans la preuve à cette
condition de l'entente, qui prévoit la négociation
annuelle du budget article par article. Par contre,
cette entente n'a pas été invoquée dans les actes de
procédure, et elle n'a pas été produite au cours de
l'enquête préalable. De plus, si une violation éven-
tuelle était en litige, il faudrait se demander dans
quelle mesure le fait pour la bande d'accepter le
financement accordé en vertu de la nouvelle for-
mule annulerait la violation présumée. Mais sur-
tout, il faudrait déterminer si de toute façon l'en-
tente n'était conçue que comme une entente
annuelle résiliable sur préavis de l'une ou l'autre
partie. L'extrait de l'entente qui a été versé au
dossier indique que l'entente se voulait une entente
qui était valide «d'année en année».
Pertinence de la relation fiduciaire
L'avocat des demandeurs prétend que les faits
de la présente affaire amènent à conclure que la
défenderesse a manqué aux obligations fiduciaires
qu'elle avait envers les demandeurs. Il tire ce
moyen des décisions suivantes: Nowegijick c. La
Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; Regina v. Taylor and
Williams (1979), 55 C.C.C. (2d) 172 (Cour de
div. de l'Ont.); confirmé à (1981), 34 O.R. (2d)
360 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la Cour
r suprême refusée à [1981] 2 R.C.S. xi; Guerin et
autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335 et
R. c. Sparrow, [1990] 1 S.C.R. 1075, ainsi que du
texte du traité n° 1, précité, et de l'article 35 de la
Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]].
Les arrêts Nowegijick et Taylor and Williams
posent le principe que les traités, comme le traité
n° 1, doivent recevoir une interprétation libérale et
que toute ambiguïté concernant leur interprétation
doit profiter aux Indiens. Dans l'arrêt Taylor and
Williams, le tribunal a fait remarquer [à la page
367] que [TRADUCTION] «lorsqu'il s'agit d'inter-
préter les conditions d'un traité [.. .] il y va tou-
jours de l'honneur de la Couronne et aucune appa-
rence de "manoeuvres malhonnêtes" ne doit être
tolérée». De plus, le tribunal a statué que, s'ils
comportent une ambiguïté, les mots ou les expres
sions employés doivent non seulement être inter-
prétés à l'encontre des rédacteurs des traités, mais
que le texte doit être interprété de manière à ne
pas causer de préjudice aux Indiens, pourvu que
cette interprétation soit raisonnablement possible.
En dernier lieu, on peut tenir compte d'éléments de
preuve concernant les circonstances entourant la
conclusion du traité ou de faits historiques, et
notamment de la conduite des parties, pour déter-
miner le sens des conditions d'un traité.
En l'espèce, le chef de la bande des Péguis a
témoigné que, suivant la tradition orale, l'objet de
la clause relative à l'éducation contenue dans le
traité n° 1 était d'assurer des services pédagogiques
aux Indiens pour leur permettre d'être sur un pied
d'égalité avec les Blancs après la signature du
traité. Il a souligné que cela faisait partie de
l'entente aux termes de laquelle les Indiens avaient
renoncé aux droits qu'ils possédaient sur le terri-
toire visé par le traité.
Il a été établi dans l'arrêt Guerin que, lorsqu'elle
administre des terres situées sur des réserves pour
le compte d'une bande indienne, la Couronne est
soumise à une obligation d'equity—à une obliga
tion fiduciaire. Voici un extrait du sommaire [à la
page 336] de l'arrêt (qui reprend une partie du
texte qu'on trouve à la page 384 de l'arrêt):
Lorsqu'une loi, un contrat ou peut-être un engagement unilaté-
ral impose à une partie l'obligation d'agir au profit d'une autre
partie et que cette obligation est assortie d'un pouvoir discré-
tionnaire, la partie investie de ce pouvoir devient un fiduciaire.
L'equity vient alors exercer un contrôle sur ce rapport en
imposant à la partie en question l'obligation de satisfaire aux
normes strictes de conduite auxquelles le fiduciaire est tenu de
se conformer. [C'est moi qui souligne.]
La Cour a précisé [à la page 384] que «[c]omme
en matière de négligence, il faut se garder de
conclure que les catégories de fiduciaires sont
exhaustives» et que si la Couronne manquait aux
obligations fiduciaires qu'elle avait envers les
Indiens, elle serait responsable envers eux de la
même manière et dans la même mesure que si une
fiducie existait.
L'arrêt Guerin portait sur l'obligation fiduciaire
à laquelle était tenue la Couronne à l'égard d'opé-
rations concernant des terres situées dans des
réserves. La situation factuelle et, d'ailleurs, l'in-
troduction de ce procès étaient antérieures à
l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Le
procès Sparrow a toutefois été entamé après la
promulgation de cette Loi. Le paragraphe 35 (1) de
la Loi constitutionnelle de 1982 dispose:
35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de trai
tés — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et
confirmés.
La Cour suprême a interprété l'article 35
comme s'appliquant aux droits ancestraux de
pêche (qui n'étaient pas issus d'un traité mais qui
existaient «depuis des temps immémoriaux»), et
elle a statué que ces droits ne pouvaient être
supprimés que si leur suppression était justifiée. À
, la page 1109, la Cour déclare:
En d'autres termes, le pouvoir fédéral doit être concilié avec
l'obligation fédérale et la meilleure façon d'y parvenir est
d'exiger la justification de tout règlement gouvernemental qui
porte atteinte à des droits ancestraux.
Et à la page 1110:
En accordant aux droits ancestraux le statut et la priorité
propres aux droits constitutionnels, le Parlement et les provin
ces ont sanctionné les contestations d'objectifs de principe
socio-économiques énoncés dans des textes législatifs, dans la
mesure où ceux-ci portent atteinte à des droits ancestraux. Ce
• régime constitutionnel comporte implicitement une obligation
de la part du législateur de satisfaire au critère de la justifica
tion [...] La mesure dans laquelle une loi ou un règlement a un
effet sur un droit ancestral existant doit être examinée soigneu-
sement de manière à assurer la reconnaissance et la confirma
tion de ce droit. [C'est moi qui souligne.]
La Cour a poursuivi en énumérant plusieurs fac-
teurs dont on peut tenir compte pour déterminer si
des droits ont été supprimés: la restriction est-elle
déraisonnable? le règlement est-il indûment rigou-
reux? le règlement refuse-t-il aux titulaires du
droit le recours à leur moyen préféré de l'exercer?
La Cour a statué que si l'on conclut à l'existence
d'une atteinte à première vue, il faut ensuite pour-
suivre l'analyse en se demandant si cette atteinte
est justifiée. Pour ce faire, il faut se demander s'il
existe un objectif législatif régulier qui justifie
l'atteinte en question. Dans le cas des droits de
pêche, la Cour a jugé régulier l'objectif consistant
à préserver les droits en question par la conserva
tion et la gestion d'une ressource naturelle. Il en
irait de même dans le cas d'une atteinte qui aurait
pour objectif de protéger l'ensemble de la popula-
tion ou les peuples autochtones eux-mêmes d'un
préjudice. La Cour a ajouté qu'il pouvait exister
d'autres objectifs réguliers, pourvu qu'ils soient
impérieux et réels.
S'il conclut à l'existence d'un objectif législatif
régulier, le tribunal doit ensuite analyser la justifi
cation de cette atteinte en se posant certaines
questions, et notamment celle de savoir si, en
tentant d'obtenir le résultat souhaité, on a porté le
moins possible atteinte à des droits, si une juste
indemnisation est prévue en cas d'expropriation et
si le groupe d'autochtones en question a été con
sulté au sujet des changements. Ces facteurs ne
sont pas considérés comme une liste exhaustive. La
Cour a conclu, à la page 1119:
Nous ne nous proposons pas de présenter une énumération
exhaustive des facteurs à considérer dans l'appréciation de la
justification. Qu'il suffise de souligner que la reconnaissance et
la confirmation exigent que le gouvernement, les tribunaux et
même l'ensemble des Canadiens soient conscients des droits des
peuples autochtones et qu'ils les respectent.
L'avocat des demandeurs m'invite à appliquer
cette jurisprudence aux faits de la présente espèce.
Il souligne que le traité n° 1 crée en faveur de la
bande des Péguis le droit au maintien d'une école
dans la réserve. Il constate que le législateur a
délégué au ministre, aux articles 114 à 122 de la
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. I-5, la
mission de s'acquitter des obligations auxquelles il
est assujetti. Il soutient que les dispositions du
traité créent un rapport fiduciaire analogue à celui
dont on a discuté dans les arrêts Guerin et Spar
row, que la Couronne est soumise à cette obliga
tion envers les Indiens et qu'elle possède un pou-
voir discrétionnaire quant à la façon de s'acquitter
de cette obligation. Il ajoute que la Couronne a
une latitude absolue sur l'exercice de ce pouvoir
discrétionnaire. L'avocat allègue qu'un manque-
ment à l'obligation fiduciaire peut découler des
actes administratifs des fonctionnaires et du minis-
tre ainsi que des mesures prises par voie législative
ou réglementaire. Dans l'arrêt Sparrow, la sup
pression découlait d'un règlement. Cela n'empêche
pas cependant les principes qui y sont énoncés de
s'appliquer aux décisions administratives (le refus
de financer le salaire de M. Thomas).
L'avocat des demandeurs a appelé l'attention de
la Cour sur le jugement rendu par le juge Strayer
dans l'affaire Desjarlais et autres c. Canada
(Ministre des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien), [1988] 2 C.N.L.R. 62 (C.F. ire inst.), à la
page 67. Dans cette affaire, on a soulevé la ques
tion de savoir si les fonds affectés au logement des
Indiens «prennent naissance dans le droit public,
lequel ne crée aucun rapport fiduciaire». Le juge
Strayer a fait allusion au fait que cette question
avait été soulevée dans l'arrêt Guerin (précité). Il a
noté:
Ce sont des questions fort complexes qui ne peuvent être
tranchées de façon adéquate dans le cadre d'une requête inter-
locutoire. Il me semble toutefois qu'il existe une question
juridique sérieuse, en l'occurrence celle de savoir si on peut
démontrer l'existence d'un rapport fiduciaire.
L'avocat des demandeurs soutient que la ques
tion n'a pas été tranchée dans le jugement Desjar-
lais parce que cette affaire portait sur une requête
interlocutoire. Il soutient par ailleurs que, depuis
lors, l'arrêt Sparrow a été rendu et qu'il confirme
la thèse des demandeurs. Je ne suis pas convaincu
que l'arrêt Sparrow nous aide à analyser la ques
tion. L'arrêt Sparrow ne portait pas sur une obli
gation comportant l'affectation de fonds publics. Il
ne s'intéressait qu'aux restrictions législatives aux
droits de pêche. Par ailleurs, suivant la lecture que
j'en fais, le jugement Desjarlais ne portait pas sur
une obligation issue d'un traité comportant l'affec-
tation de fonds. Ainsi donc, bien que des fonds
puissent exister pour le logement des Indiens dans
des circonstances qui ne donnent pas naissance à
un rapport fiduciaire, cela est moins probable dans
le cas des dépenses qu'il faut engager pour s'ac-
quitter des obligations prévues par un traité.
Si j'ai bien compris son raisonnement, l'avocat
prétend que l'application de cette jurisprudence
démontre à tout le moins qu'il existe en l'espèce un
rapport fiduciaire entre les demandeurs et la
défenderesse et que par conséquent il incombe à la
défenderesse de prouver que le salaire de M.
Thomas est encore financé. Toute ambiguïté à cet
égard doit profiter à la bande.
J'ai exposé en détail le raisonnement, tel que je
le comprends, qu'a suivi l'avocat au sujet de l'exis-
tence et des conséquences d'un rapport fiduciaire,
parce que ce raisonnement occupe une grande
partie de sa thèse. Par ailleurs, pour les motifs qui
suivent, je ne crois pas nécessaire de trancher
l'affaire en fonction de ces prétentions.
Y a-t-il eu violation de l'entente contractuelle?
À mon avis, la présente affaire peut être tran-
chée à partir des principes habituels qui s'appli-
quent en matière d'obligations contractuelles. La
défenderesse a convenu, en 1984, de financer le
salaire de M. Thomas. La bande a accepté d'enga-
ger M. Thomas. M. Thomas, sur la foi de ces
déclarations, a démissionné de son poste au sein de
la fonction publique. En 1987-1988, le Ministère a
décidé de changer sa méthode de financement des
programmes des écoles gérées par les bandes. Il a
adopté une méthode qui était basée sur des formu-
les générales et des moyennes. Le nouveau système
visait notamment à assurer un financement équita-
ble pour les bandes; chaque bande devait être
traitée plus ou moins sur un pied d'égalité, indé-
pendamment de son budget de l'exercice précé-
dent.
Je ne puis conclure que le financement global
comprenait un montant au titre du salaire de M.
Thomas. En acceptant de payer le salaire de M.
Thomas, le Ministère convenait de payer un mon-
tant en sus du montant habituel qui était prévu au
budget et qui était versé au conseil scolaire des
Péguis. Le montant accordé pour le salaire de M.
Thomas devait être une subvention temporaire; il
ne devait durer qu'aussi longtemps que M.
Thomas demeurait à l'emploi de la bande. Si
l'entente s'était limitée au texte de la lettre du 16
août 1982 de M. Goodwin, je serais d'accord avec
l'avocate de la défenderesse pour dire que, ce qui
était envisagé, c'était d'ajouter un montant au
budget de la bande, dans le cadre de son enveloppe
budgétaire habituelle. Mais l'entente ne se trouve
pas seulement dans cette lettre. La lettre du 21
février 1984 et celle du 21 mars 1984 font égale-
ment partie de l'entente. Il ressort à l'évidence, en
particulier de la lettre du 21 mars, que les fonds en
question étaient expressément affectés au salaire
de M. Thomas et qu'ils ne devaient être payés
qu'aussi longtemps qu'il demeurait au service de la
bande. Pour déterminer si les fonds reçus en appli
cation de la formule de financement national com-
prenaient un montant au titre du salaire de M.
Thomas, il convient de tenir compte du fait qu'au-
cune partie du montant global ne cessera d'être
payé lorsque M. Thomas quittera son emploi à la
bande. À lui seul, ce facteur démontre bien que le
financement du salaire de M. Thomas ne fait pas
partie du montant payé en vertu de la formule de
financement national.
L'avocate de la défenderesse allègue que l'en-
tente de 1984 ne pouvait prévoir le paiement à la
bande d'un montant «en sus du montant habituel
accordé pour le financement des programmes»
parce qu'à l'époque, aucun montant n'était accordé
pour le «financement habituel des programmes».
Le budget de chaque bande était, comme nous
l'avons déjà dit, établi individuellement. Elle sou-
tient également que les demandeurs ont conclu
l'entente de 1984 en étant parfaitement au courant
du processus budgétaire et en sachant que le mon-
tant des fonds alloués fluctuait d'une année à
l'autre. Les demandeurs savaient également que
les fonds disponibles à cette fin étaient soumis à
l'approbation du Conseil du Trésor et à l'autorisa-
tion du Parlement. L'avocate de la défenderesse
prétend qu'il n'existait pas d'intention de s'obliger
légalement par contrat et que sans cette intention,
un contrat ne peut être formé.
En ce qui concerne l'argument que l'entente de
1984 ne prévoyait pas le paiement d'un montant en
sus du montant habituel qui était accordé pour le
financement des programmes, il est vrai qu'il n'y
avait pas de «financement habituel des program
mes» au sens normalisé où cette expression est
employée dans la formule de financement national.
Il existait toutefois un «financement normal des
programmes» en ce sens que le budget «article par
article» de l'exercice servait de base au calcul du
budget «article par article» de l'exercice suivant.
Dans le cadre de ce système, le montant payé au
titre de M. Thomas était un montant supplémen-
taire versé en sus du montant habituel accordé à la
bande pour le financement des programmes. Le
fait que seul le conseil scolaire des Péguis avait des
postes administratifs de directeur de l'éducation et
de surintendant de l'éducation indique également
que le montant payé pour le salaire de M. Thomas
était une dépense extraordinaire et supplémen-
taire. Comme je l'ai déjà fait remarquer, le paie-
ment était de nature temporaire et devait prendre
fin en même temps que l'emploi de M. Thomas.
En ce qui concerne l'argument que les deman-
deurs connaissaient les grandes lignes du processus
budgétaire et qu'ils savaient qu'il fallait obtenir
l'approbation de Conseil du Trésor et l'autorisation
du Parlement, cet argument est une arme à deux
tranchants. C'est précisément à cause de cette
connaissance que les demandeurs ont pris soin de
faire préciser avec soin la garantie. L'engagement
suivant lequel le montant serait ajouté à la base du
budget de la bande constituait une garantie de
payer les augmentations annuelles différentielles
de salaire auxquelles M. Thomas aurait eu droit
s'il avait conservé le poste qu'il occupait au Minis-
tère au moment de sa démission. L'engagement de
poursuivre les paiements tant que M. Thomas
demeurerait au service de la bande visait de toute
évidence à accorder à M. Thomas une certaine
garantie et à éviter de mettre en place une obliga
tion de payer indéfiniment le montant supplémen-
taire, comme cela se produirait probablement si ce
montant était considéré comme un poste budgé-
taire ordinaire.
M. Thomas était à l'époque âgé de 51 ans. Il
avait des personnes à sa charge. Il occupait un
poste de haute direction au Ministère, avec la
sécurité que cela comporte. Il est peu probable que
M. Thomas aurait accepté de quitter ce poste, ou
que la bande le lui aurait demandé, sans que soit
mis en place un système lui garantissant une sécu-
rité financière. Je suis d'avis que c'est parce qu'ils
connaissaient le fonctionnement habituel du sys-
tème que les demandeurs ont demandé l'engage-
ment de financement qu'ils ont obtenu.
Le Ministère a déclaré, dans les lettres qu'il a
envoyées aux demandeurs, qu'il avait l'intention de
payer les fonds demandés. Il s'est engagé à payer
un montant en sus du montant obtenu en vertu du
programme habituel de financement. Les deman-
deurs ont agi sur la foi de cet engagement, et ont
adopté une conduite qu'ils n'auraient pas eue
autrement. On ne devrait pas permettre mainte-
nant au Ministère de se dédire et de ne payer que
les sommes calculées conformément à la formule
de financement national.
L'avocate de la défenderesse invoque l'arrêt
Attorney -General for British Columbia v. Esqui-
malt and Nanaimo Railway Company, [1950]
A.C. 87 du Conseil privé. Cette affaire portait sur
une loi provinciale qui prévoyait une taxe sur le
bois d'oeuvre extrait de certaines terres de chemin
de fer. En 1883, une loi provinciale avait été
adoptée pour aider à la réalisation de ce projet et
avait abouti à la construction du chemin de fer. La
loi prévoyait une exemption fiscale pour les terres
de chemin de fer à condition qu'elles servent aux
chemins de fer. La Cour a statué qu'il n'y avait eu
ni offre ni acceptation relativement à une entente
précise entre le gouvernement provincial et la com-
pagnie de chemin de fer. La Cour a statué qu'il
n'existait pas d'intention de créer un rapport
contractuel.
Cependant, le critère de l'intention contractuelle
est un critère objectif. Il ne dépend pas de l'analyse
de l'état d'esprit effectif des parties, mais de l'im-
pression que la conduite du destinataire de la
promesse créerait chez une personne raisonnable
placée dans les mêmes circonstances que l'auteur
de la promesse. Voici les commentaires que for-
mule Waddams au sujet de cette condition dans
son ouvrage The Law of Contracts (2e éd. 1984), à
la page 119:
[TRADUCTION] En matière de contrats administratifs, certains
ont prétendu que le destinataire d'une promesse devait établir
que l'Administration publique avait l'intention de s'obliger en
droit. Ainsi, dans la décision A.-G. B.C. v. Esquimalt and
Nanaimo R. Co., le tribunal a jugé qu'une exemption fiscale
accordée à une compagnie de chemin de fer ne constituait pas
une promesse exécutoire. Il est facile de justifier cette décision
au motif qu'aucune interprétation raisonnable de l'exemption
ne pouvait avoir pour effet d'obliger l'Administration publique
éternellement. Cependant, une décision récente du Nouveau-
Brunswick illustre le risque d'établir un critère particulier en
matière d'intention. Dans cette affaire, l'Administration avait
annoncé la mise sur pied d'un programme de subvention pour
l'achat des surplus de production de pommes de terre. Les
pommes de terre devaient être détruites après une inspection
réglementaire. Une fois inspectées en bonne et due forme, les
pommes de terre de l'appelant ont été détruites, mais l'Admi-
nistration a refusé de verser la subvention. Le tribunal a
accueilli l'action de l'appelant en s'appuyant sur la déclaration
de Williston selon laquelle:
[TRADUCTION] «[...] la véritable interprétation d'une offre
ou d'une acceptation ne s'établit pas en fonction de la
signification que son auteur lui attribuait ou avait l'intention
de lui attribuer, mais en fonction de la signification qu'une
personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances
que les parties lui aurait attribuée [...]H
La décision et ses motifs sont bien fondés. Il ne fait pas de
doute que l'Administration publique, au même titre que les
autres personnes, tente de tirer le plus grand profit possible en
s'engageant le moins possible. Toutefois, si sa conduite est
susceptible d'inciter une personne raisonnable à s'y fier, elle
doit être liée. L'affaire Grant [Grant v. Province of New
Brunswick (1973), 35 D.L.R. (3d) 141 (C.S. N.-B. div.
d'app.)] dans laquelle le demandeur a détruit sa récolte sur la
foi de la promesse de l'Administration publique, illustre bien à
quel point une conclusion contraire serait injuste. [Renvois
omis.]
Si l'on applique un critère objectif à l'affaire qui
nous occupe, on en arrive à la conclusion que l'on
voulait créer des obligations juridiques.
Par ces motifs, la Cour rendra un jugement
condamnant la défenderesse à verser aux deman-
deurs, le conseil scolaire des Péguis et la bande
indienne des Péguis, un montant supplémentaire
pour l'exercice 1987-1988 de manière à ce que ce
montant concorde avec ce qui aurait dû être payé
conformément à l'entente de 1984. La Cour con-
damne également la défenderesse à payer aux
demandeurs, le conseil scolaire des Péguis et la
bande indienne des Péguis, des sommes pour
l'exercice 1988-1989 et les exercices suivants con-
formément aux présents motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.