A-619-90
Gur Raj Singh Grewal (requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
RÉPERTORIA' GREWAL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRAT/ON) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, MacGuigan, et Linden,
J.C.A.—Toronto, 21 juin; Ottawa, 12 septembre
1991.
Immigration — Statut de réfugié — Réouverture de l'en-
quête — Refus de l'arbitre de rouvrir l'enquête pour permettre
au requérant de revendiquer le statut de réfugié — Les faits
nouveaux articulés après la décision d'expulsion (risque de
persécution au retour en Inde) ont été considérés à deux repri
ses par la Commission d'appel de l'immigration avant qu'elle
n'ait rejeté l'appel contre la mesure d'expulsion et refusé d'en-
tendre l'appel de nouveau, par la ministre avant qu'elle n'ait
refusé d'intervenir sur la base des motifs humanitaires, et par
l'arbitre avant qu'elle n'ait refusé de rouvrir l'enquête — L'ar-
bitre rappelle que l'art. 35 de la Loi sur l'immigration autorise
la réouverture à seule fin de recueillir des preuves et témoi-
gnages nouveaux, .susceptibles de justifier la modification de la
décision antérieure — Distinction faite entre la cause en ins
tance et l'affaire Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration) (réouverture par exemption constitutionnelle si
la situation est manifestement injuste) par ce motif qu'il n'y a
pas eu en l'espèce violation de l'art. 7 de la Charte — L'ar-
bitre a compétence pour examiner les arguments constitution-
nels — Elle n'a pas refusé d'exercer sa compétence.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Recours en annulation du refus de l'arbitre de rou-
vrir l'enquête d'immigration pour permettre au requérant de
revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention — Il
y a eu observation de l'art. 7 de la Charte pour ce qui est de la
possibilité de présenter des preuves nouvelles à l'autorité com-
pétente, qui doit les instruire pleinement — La justice fonda-
mentale n'exige pas telle ou telle méthode d'instruire des
points de fait ou de droit.
Recours en annulation du refus de l'arbitre de rouvrir l'en-
quête d'immigration pour permettre au requérant de revendi-
quer le statut de réfugié au sens de la Convention. Le requérant
avait été reconnu coupable de tentative de meurtre pour avoir
tiré sur un agent de police au cours d'une manifestation à
Toronto contre le gouvernement de l'Inde. Durant son incarcé-
ration, il fit l'objet d'une mesure d'expulsion à l'issue d'une
enquête d'immigration. Avant que son appel en la matière ne
fût entendu par la Commission d'appel de l'immigration
(compte tenu de «tous les faits de la cause»), un livre avait été
publié qui rapportait ce qui s'était passé lors de la manifesta
tion et ce qui s'ensuivit. La Commission a rejeté l'appel, quali-
fiant de «pure conjecture» la crainte du requérant d'être persé-
cuté s'il retournait en Inde. Des articles sur l'appel rejeté du
requérant et sur son expulsion imminente parurent dans la
presse punjabi. Le requérant soutient que ces articles ont
poussé la police à faire des perquisitions dans son village natal
et à avertir avec menaces les villageois de ne pas l'abriter s'il
revenait. Des villageois qui craignaient pour sa sécurité l'ont
averti de ne pas revenir chez lui. Le requérant a demandé par la
suite, sans plus de succès, à la ministre d'intervenir sur la base
des motifs humanitaires, en faisant valoir que sa vie serait en
danger s'il retournait en Inde. La Commission d'appel de l'im-
migration (Section d'appel), saisie d'une demande fondée sur
de nouvelles informations, refusa à son tour d'entendre de nou-
veau l'appel contre la mesure d'expulsion. Par la suite, l'arbitre
a refusé de rouvrir l'enquête à l'issue de laquelle l'expulsion
du requérant avait été ordonnée, par ce motif que l'article 35
de la Loi sur l'immigration autorisait la réouverture de l'en-
quête «à seule fin de recueillir des preuves et témoignages nou-
veaux, susceptibles de justifier la modification de la décision
antérieure d'un arbitre». Elle a distingué la cause en instance
de l'affaire Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), dans laquelle il a été jugé qu'une enquête pouvait être
rouverte par exemption constitutionnelle si la situation était
«manifestement injuste», alors qu'en l'espèce, il n'y avait pas
eu violation des droits du requérant, que garantit l'article 7 de
la Charte.
Le requérant soutient que l'arbitre a commis une erreur en
refusant de rouvrir l'enquête pour entendre l'argument de vio
lation de l'article 7 de la Charte. Et qu'il est constitutionnelle-
ment nécessaire, lorsque les circonstances s'y prêtent, de per-
mettre la réouverture de l'enquête pour que l'intéressé puisse y
revendiquer le statut de réfugié. Il échet d'examiner s'il y a eu
violation des droits que l'article 7 de la Charte garantit au
requérant (c'est-à-dire s'il y a eu violation des principes de jus
tice fondamentale) et si l'arbitre a refusé d'exercer sa compé-
tence faute d'avoir examiné les arguments constitutionnels.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Il a été jugé qu'une enquête pouvait être rouverte si le refus
en constituait un déni de justice fondamentale. L'article 7
exige que le demandeur de statut de réfugié se voie accorder la
possibilité de présenter les nouvelles preuves du risque de per-
sécution dans son pays d'origine à l'autorité compétente qui
doit les instruire pleinement. Tel a été le cas en l'espèce. Le
requérant a eu la possibilité de présenter ses faits nouveaux,
sous une forme ou sous une autre, à plusieurs autorités. Il se
peut que ces faits nouveaux n'aient pas été examinés comme il
aurait voulu qu'ils le fussent, mais la justice fondamentale
n'exige pas telle ou telle méthode d'instruire des points de fait
ou de droit. Rien, à la date de l'enquête primitive, ne privait le
requérant de son droit à la justice fondamentale.
L'arbitre avait compétence pour examiner les arguments
constitutionnels, et elle l'a exercée en distinguant la cause en
instance de l'affaire Kaur. Bien que son analyse de la question
constitutionnelle fût succincte, elle n'a pas refusé d'examiner
cette question.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 35(1),
43 (mod. par L.R.C. (1985) (4o suppl.), chap. 28, art.
14), 114(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th)
481; [1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d)
57; 66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 104
N.R. 50 (CA.); Mattia c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration), [1987] 3 C.F. 492; (1987), 10 F.T.R.
170 (1« inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), [1990] 2 C.F. 299; (1990), 67 D.L.R. (4th) 697;
42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R.
107 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Gray c. Fortier, [1985] 2 C.F. 525; (1985), 21 D.L.R.
(4th) 14; 61 N.R. 197 (C.A.); Chandra c. Canada (Minis-
tre de l'Emploi et de l'immigration), A-753-86, juge en
chef Thurlow, jugement en date du 22-5-87, C.A.F., non
publié; Ramnarian v. Minister of Employment and Immi
gration (1981), 55 N.R. 67 (C.A.F.); Singh et autres c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S.
177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14
C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Re Seaboyer and The Queen
(1987), 61 O.R. (2d) 290; 37 C.C.C. (3d) 53 (C.A.); conf.
par [1991] 2 R.C.S. 577; Longia c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288; (1990),
44 Admin. L.R. 264; 10 Imm. L.R. (2d) 312; 114 N.R.
280 (C.A.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487; (1989), 61 D.L.R.
(4th) 573; 47 C.R.R. 361; 8 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.);
Gayme c. La Reine et al., [1991] 0 R.C.S. 000; Armadale
Communications Ltd c. Arbitre (Loi sur l'immigration),
[1991] 3 C.F. 242; (1991), 127 N.R. 342 (C.A.);
Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et
de l'immigration) [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R.
(4th) 358; 91 CLLC 14,023; 126 N.R. 1; Cuddy Chicks
Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail)
[1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC
14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep. 790; Dou-
glas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3
R.C.S. 570; (1990), 91 CLLC 17,002.
AVOCATS:
Barbara Jackman pour le requérant.
Jacqueline L. Ott pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Joseph & Associates, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Gur Raj Singh Grewal est
venu au Canada en 1980 en provenance de l'Inde. A
l'automne de 1982, Grewal, qui avait alors 19 ans,
participa à une manifestation publique au centre-ville
de Toronto pour protester contre le gouvernement de
l'Inde. A cette manifestation participaient deux
groupes rivaux de Sikh dont les vues s'opposaient sur
le double plan politique et religieux. Les esprits
s'échauffèrent, la violence éclata, des coups de feu
furent tirés et des gens blessés. Au cours de la mêlée,
le requérant Grewal tira, avec une arme à main en sa
possession, sur l'agent de police Christopher Fernan-
dez, qui cherchait à arrêter un autre manifestant,
lequel avait aussi tiré des coups avec son revolver.
[TRADUCTION] «La balle érafla l'occiput [de l'agent],
laissant un sillon de cinq pouces qui nécessitait vingt-
cinq points de suture»I. Par suite, Grewal a été
inculpé de tentative de meurtre, déclaré coupable le
19 mars 1983 et condamné à une peine d'emprison-
nement de 14 ans (peine subséquemment réduite en
appel à 9 ans).
Vers la fin de l'année 1985, durant son incarcéra-
tion au pénitencier de Joyceville, Grewal, qui s'était
vu accorder le statut d'immigrant reçu, fit l'objet
d'une mesure d'expulsion à l'issue d'une enquête
d'immigration. Appel a été interjeté auprès de la
Commission d'appel de l'immigration, par ce motif
entre autres que, [TRADUCTION] «compte tenu de tous
les faits de la cause», il ne fallait pas expulser Grewal
car il [TRADUCTION] «pourrait en pâtir» s'il devait être
1 Voir Soft Target (1989), ouvrage joint à titre de pièce à un
affidavit versé au dossier.
renvoyé en Inde, vu la publicité donnée à son crime
et à sa condamnation. Avant que cet appel ne fût
entendu, un ouvrage intitulé Soft Target avait été
publié, qui rapportait ce qui se passait lors de la
manifestation et ce qui s'en était suivi. D'autres
informations concernant des cas de violation des
droits de la personne en Inde avaient également vu le
jour. Le 17 novembre 1989 cependant, l'appel fut
rejeté, la Commission d'appel de l'immigration ayant
qualifié de «pure conjecture» la crainte de Grewal
d'être persécuté s'il retournait en Inde. Autorisation
d'appel devant la Cour fut demandée et refusée.
Au début de février 1990, des articles sur l'appel
rejeté de Grewal et sur son expulsion imminente
parurent dans la presse punjabi. Le requérant soutient
que ces articles ont poussé la police à faire des per-
quisitions dans son village natal au Punjab et à avertir
avec menaces les villageois de ne pas l'abriter s'il
revenait. Grewal prétend que par la suite, diverses
personnes qui se trouvaient en Inde l'ont averti de ne
pas rentrer car à leur avis, il risquait des actes de vio
lence ou même la mort.
La Cour ayant refusé l'autorisation d'appel, Gre-
wal a demandé à la ministre de revoir son cas pour
raisons humanitaires, conformément au paragraphe
114(2) de la Loi [Loi sur l'immigration, L.R.C.
(1985), chap. I-2], en faisant valoir que sa vie serait
en danger s'il retournait en Inde. Dans sa demande, le
requérant suggéra qu'on l'autorisât à recourir à l'ex-
pédient dit «Buffalo shuffle» qui consistait à le ren-
voyer du Canada aux États-Unis, puis à lui permettre
de rentrer immédiatement au Canada en vertu d'un
permis ministériel, ce qui lui permettrait de démon-
trer aux autorités sa pleine réadaptation sociale. Le
19 avril 1990, la ministre fit savoir qu'elle n'inter-
viendrait pas dans le dossier de Grewal sur la base de
motifs humanitaires.
Grewal demanda alors à la Commission de l'immi-
gration (Section d'appel) d'entendre de nouveau son
appel contre la mesure d'expulsion, appel qu'elle
avait rejeté le 17 novembre 1989. Cette demande était
fondée sur de nouvelles informations sur le risque
que Grewal pourrait courir à la suite des articles de la
presse punjabi, des perquisitions de la police qui le
cherchait et des avertissements qu'on lui avait
envoyés. Le 16 mai 1990, la Commission instruisit
puis rejeta la demande de réouverture de l'appel.
Le lendemain, savoir le 17 mai 1990, l'avocate du
requérant écrivit à G. R. McBrien, l'arbitre qui prési-
dait l'enquête d'immigration sur le requérant au péni-
tencier de Joyceville. Elle lui demanda de rouvrir
cette enquête à l'issue de laquelle l'expulsion du
requérant fut ordonnée, afin de permettre à ce dernier
de déposer une revendication du statut de réfugié, ce
qu'il n'avait pas fait lors de l'enquête initiale puis-
qu'à ce moment-là, il n'avait aucune raison de redou-
ter son retour en Inde. Cette démarche était faite en
application du paragraphe 35(1) de la Loi sur l'immi-
gration, que voici:
35. (1) Sous réserve des règlements, l'arbitre peut, à tout
moment, rouvrir une enquête—menée ou non par lui—afin
d'entendre de nouveaux témoignages et de recevoir d'autres
éléments de preuve; le cas échéant, il peut confirmer, modifier
ou infirmer la décision antérieure.
Selon une autre disposition de la Loi, la revendication
du statut de réfugié se fait à l'enquête même, faute de
quoi l'intéressé ne sera plus en droit de revendiquer
ce statut par la suite. Les paragraphes (1) et (2) de
l'article 43 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap.
28, art. 14] portent:
43. (1) Avant que ne soient présentés des éléments de preuve
au fond, l'arbitre donne à la personne qui fait l'objet de l'en-
quête la possibilité de faire savoir si elle revendique le statut de
réfugié au sens de la Convention.
(2) En l'absence de la revendication visée au paragraphe (1),
l'enquête se poursuit et la question du statut de réfugié ne peut
plus être prise en considération au cours de l'enquête ni au
cours des demandes, appels ou autres procédures qui en décou-
lent.
Le 25 mai 1990, Mme J. Algar, chargée du dossier
à la place de M. McBrien, refusa de rouvrir l'enquête
motif pris que l'article 35 de la Loi sur l'immigration
autorisait la réouverture de l'enquête [TRADUCTION] «à
seule fin de recueillir des preuves et témoignages
nouveaux, susceptibles de justifier la modification de
la décision antérieure d'un arbitre». Elle expliqua
encore que cet article ne permettait pas à un arbitre
[TRADUCTION] «de rouvrir l'enquête pour permettre à
l'intéressé de revendiquer le statut de réfugié au sens
de la Convention». Dans sa décision, l'arbitre s'est
fondée sur des décisions antérieures par lesquelles
cette Cour avait donné une interprétation stricte de
l'article 35 (Gray c. Fortier, [1985] 2 C.F. 525
(C.A.); Chandra c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration), A-753-86, C.A.F., 22 mai 1987;
Ramnarian v. Minister of Employment and Immigra
tion (1981), 55 N.R. 67 (C.A.F.). L'arbitre a distin-
gué la cause en instance de l'affaire Kaur c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2
C.F. 209 (C.A.) par ce motif qu'il n'y avait pas [TRA-
DUCTION] «violation des droits (du requérant) garantis
par l'article 7 de la Charte, au cours de son enquête».
Autorisation de saisir la Cour d'une demande fondée
sur l'article 28 fut subséquemment accordée par le
juge Heald, J.C.A., le 2 août 1990.
Le jour où la cause fut venue en bon ordre devant
la Cour, l'avocate du requérant n'était pas en mesure
de dire avec certitude où se trouvait celui-ci, tout en
faisant savoir que son procureur avait communiqué
avec lui. Elle déclara qu'il ne se trouvait plus au
Canada, ayant été expulsé en Inde en mai 1990.
Aucune preuve n'a été produite devant la Cour de
difficultés graves que Grewal aurait rencontrées
depuis son retour en Inde.
Par une argumentation détaillée et solide, l'avocate
du requérant soutenait que l'arbitre avait commis une
erreur en refusant de rouvrir l'enquête pour instruire
l'argument de violation de l'article 7 de la Charte. Il
est constant que la jurisprudence établie par cette
Cour ne permet normalement pas la réouverture
d'une enquête pour que l'intéressé puisse y revendi-
quer le statut de réfugié (Voir Gray c. Fortier, Chan-
dra, Ramnarian, précité). L'avocate du requérant
s'est cependant fondée sur l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la Par-
tie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] pour soutenir
qu'il est maintenant constitutionnellement nécessaire
de permettre la réouverture de l'enquête à cette fin,
lorsque les circonstances s'y prêtent. L'article 7
porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Il a été jugé que l'expulsion des réfugiés porte
atteinte à leur droit à la sécurité de leur personne
(Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1985] 1 R.C.S. 177. Cela ne signifie bien
entendu pas que les gens ne peuvent être expulsés
pour une bonne raison, c'est-à-dire pour autant qu'il
n'y ait pas violation des principes de justice fonda-
mentale. Ainsi, par exemple, une personne peut être
expulsée si elle a commis un crime grave. Le juge
Pratte de la Cour de céans s'est prononcé en ces
termes dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 299 (C.A.) [à
la page 310]:
En effet, il n'est nullement injuste d'exiger l'expulsion d'une
personne qui a perdu le droit de demeurer au pays. Il n'est pas
injuste non plus de prescrire qu'un étranger admis chez nous
comme résident permanent perdra le droit d'y demeurer s'il est
déclaré coupable d'une infraction que le Parlement juge grave
en elle-même.
Il s'ensuit qu'il est possible d'expulser un résident
permanent qui a commis un crime grave, sans qu'il y
ait atteinte à la Charte tant que les principes de justice
fondamentale auront été observés au préalable à son
égard. Il échet donc d'examiner s'il y a eu en l'espèce
violation des principes de justice fondamentale. La
législation et la jurisprudence antérieure de cette
Cour doivent le céder aux prescriptions de l'article 7.
Dans Kaur c. M.E.I., supra, il a été jugé qu'une
exemption constitutionnelle pouvait être accordée
dans des cas exceptionnels, grâce à laquelle une
enquête pouvait être rouverte. Tel serait le cas si la
situation est «manifestement injuste», pour citer le
juge Heald, ou «remarquable», pour citer Mme le
juge Desjardins dans Kaur, supra, en pages 324 et
334, reprenant à leur compte les conclusions tirées
par le juge Grange de la Cour d'appel de l'Ontario
dans Re Seaboyer and The Queen (1987), 61 O.R.
290 (C.A.) (confirmé par d'autres motifs par C.S.C.,
22 août 1991, [199112 R.C.S. 577). La Cour de céans
a jugé par le passé qu'en application de la Charte, une
enquête pouvait être rouverte si le refus en constituait
un déni de justice fondamentale. C'est ainsi qu'il a
été jugé que si une personne ne revendiquait pas le
statut de réfugié au moment de l'enquête sous l'effet
de la contrainte (Kaur c. M.E.I., supra) ou en raison
d'une incapacité mentale (Mattia c. Canada (Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 3 C.F. 492
(i r e inst.)), l'enquête pouvait être rouverte. S'il y a
déni de justice naturelle lors de l'enquête primitive,
la Commission pourrait considérer sa première déci-
sion comme nulle et rouvrir l'enquête pour qu'il n'y
ait pas déni de justice fondamentale (Longia c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
[1990] 3 C.F. 288 (C.A.)). En outre, l'article 7 peut
forcer la prorogation du délai de demande de nou-
velle décision au-delà du délai rigide prévu par la Loi
sur l'immigration (Bains c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487
(C.A.)).
Y a-t-il eu donc en l'espèce violation des droits
que l'article 7 garantit au requérant? Contrairement
aux requérants qui avaient saisi la Cour dans les deux
causes Mattia et Kaur, ce requérant ne se plaint pas
d'une injustice tenant à l'enquête primitive. Rien, à la
date de cette enquête, ne le privait de son droit à la
justice fondamentale. Ce qu'il relève, ce sont les cir-
constances survenues après l'enquête primitive, et il
soutient qu'il devrait être en mesure de les faire
valoir au cours d'une nouvelle enquête pour assurer
le respect des droits que lui garantit l'article 7.
À mon avis, la justice canadienne n'a pas, de façon
inique, fermé sa porte au requérant. Au contraire,
celui-ci a eu la possibilité de présenter ses faits nou-
veaux, sous une forme ou sous une autre, à plusieurs
autorités, sans qu'il ait réussi à les convaincre. Il se
peut que ces faits nouveaux n'aient pas été examinés
comme il aurait voulu qu'ils le fussent, mais la jus
tice fondamentale n'exige pas l'observation de telle
ou telle méthode d'instruire des points de droit ou de
fait. Ce qu'exige l'article 7 dans les cas comme celui
qui nous intéresse en l'espèce, c'est que le deman-
deur de statut de réfugié se voie accorder la possibi-
lité de présenter les nouvelles preuves du risque de
persécution dans son pays d'origine, à l'autorité com-
pétente qui doit les instruire convenablement. II est
manifeste que cette obligation a été remplie, à travers
l'instruction des arguments présentés par le requérant
après l'enquête primitive. En formant appel contre la
mesure d'expulsion de 1985, l'intéressé a fait valoir
ses faits nouveaux, pour la première fois, devant un
comité pour soutenir que sa vie serait menacée s'il
était renvoyé en Inde. Le comité a entendu cet argu
ment et l'a rejeté comme «pure conjecture». En outre,
lorsque le requérant a demandé à la ministre d'inter-
venir sur la base de motifs humanitaires, il a fait
valoir pour la deuxième fois le fait nouveau que sa
vie serait en danger s'il retournait en Inde. En rejetant
sa demande, la ministre doit avoir examiné cette nou-
velle preuve qu'elle n'a pas dû trouver convaincante.
Par la suite, lorsqu'il a demandé à la Section d'appel
de revoir sa décision de 1989, il a fait valoir pour la
troisième fois les faits nouveaux établissant que sa
vie était en danger et, encore une fois, il a échoué.
Par cette demande visant à rouvrir l'enquête de 1985,
laquelle est attaquée en l'espèce, le requérant a fait
valoir, pour la quatrième fois, les faits nouveaux sur
le danger qui le menacerait s'il était renvoyé en Inde
et, de nouveau, il n'a pas réussi à persuader l'arbitre
de rouvrir l'enquête. Cela ne l'a pas empêché de sai-
sir la Cour en soutenant que les droits que lui garantit
l'article 7 ont été violés par l'arbitre. Je n'en suis pas
convaincu. Le requérant a eu pleinement la possibi-
lité de convaincre différentes instances administra-
tives de l'importance de ses faits nouveaux, et chaque
fois il a échoué. Il n'y a pas eu déni de justice fonda-
mentale. On peut citer à ce propos cette conclusion
tirée par le juge La Forest dans un autre contexte
dans R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387 [à la page 412]:
... l'art. 7 de la Charte garantit des procédures équitables sans
pour autant garantir les procédures les plus favorables que l'on
puisse imaginer.
Des arguments ont été présentés à la Cour au sujet
de l'opportunité de déclarer inconstitutionnel tout ou
partie des dispositions législatives applicables en la
matière, et de la possibilité d'une exemption constitu-
tionnelle à accorder au requérant. Depuis l'audition
orale de cette demande fondée sur l'art. 28 [Loi sur la
Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], la Cour
suprême du Canada a rendu ses deux arrêts R. c. Sea-
boyer et R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577 (22 août
1991). La question des exemptions constitutionnelles
a fait l'objet d'une analyse en pages 41 44 des
motifs de jugement de Mme le juge McLachlin. En
l'espèce cependant, comme la Cour a conclu que les
droits que l'article 7 garantit au requérant n'ont pas
été violés, il est inutile d'examiner s'il faut déclarer
inconstitutionnel tout ou partie des dispositions légis-
latives applicables ou si l'exemption constitutionnelle
serait une option valide en l'espèce.
Le requérant a soutenu, dans son argumentation
orale et par mémoires soumis subséquemment, que
l'arbitre a refusé d'exercer sa compétence faute
d'avoir examiné les arguments constitutionnels pré-
sentés dans cette affaire. A l'issue de l'argumentation
orale en appel, un autre collège de la Cour a décidé
que les arbitres avaient compétence pour examiner
les arguments constitutionnels, puisqu'ils avaient la
«capacité pratique» de rendre des décisions sur des
questions de droit, notamment sur les questions rela
tives à l'application et à la suprématie de la Charte et
qu'il leur était loisible de «juger une disposition
législative incompatible avec la Charte». (Voir les
motifs de jugement du juge Hugessen, J.C.A., aux
pages 247 et 249, Armadale Communications Ltd. c.
Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242
(C.A.), adoptant Tétreault-Gadoury c. Canada (Com-
mission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2
R.C.S. 22. Voir aussi Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario
(Commission des relations de travail) [1991] 2
R.C.S. 5; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Dou-
glas College, [1990] 3 R.C.S. 570. Il s'ensuit que
l'arbitre était investie de ce pouvoir, qu'elle a effecti-
vement exercé en l'espèce (bien que la Cour ait été
informée qu'elle n'était pas saisie d'arguments cons-
titutionnels) comme en témoigne cette conclusion:
[TRADUCTION] ... il faut distinguer cette affaire de la cause
Kaur attendu qu'il n'y a pas eu violation dans cette enquête des
droits (du requérant) prévus à l'article 7 de la Charte.
Il se peut que son analyse de la question ne fût pas du
tout celle qu'elle aurait dû être, mais elle n'a pas
refusé d'examiner la question constitutionnelle. Il
s'ensuit qu'elle n'a pas manqué à l'exercice de sa
compétence, ce qui aurait entaché sa décision.
Ayant conclu que l'arbitre n'a pas commis une
erreur en fin de compte, je juge inutile d'examiner les
arguments détaillés que présentaient les mémoires
écrits sur les pouvoirs de réparation des arbitres.
Par ces motifs, la demande fondée sur l'article 28
sera rejetée.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-
dessus.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.