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T-3307-90
Sa Majesté la Reine du Chef de l'Alberta (requérante)
c.
Ministre de l'Environnement, l'honorable Robert De Cotret, et la Commission d'évaluation environ- nementale, constituée par le ministre de l'Environ- nement pour étudier le projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman et composée de William A. Ross, Helen Tremaine, James Glad- stone, Michael Healey, Rolf Kellerhaus et Tracy Anderson (intimés)
RÉPERTORIÉ: ALBERTA C. CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRON- NEMENT) (J re INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Edmonton, 25 avril; Ottawa, 21 mai 1991.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Commis sion d'évaluation environnementale établie sous le régime du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua- tion et d'examen en matière d'environnement dans le but d'examiner le projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman L'Alberta cherchait à obtenir une ordonnance de certiorari, une ordonnance de prohibition et/ou une injonction pour empêcher la Commission de procéder à un examen public du projet pour le motif que les attributions de la Commission constituaient une application inconstitutionnelle du pouvoir ou de la discrétion du ministre en vertu du Décret sur les lignes directrices La demande de la province a été ajournée sine die en attendant que la C.S.C. détermine, dans le cadre de l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), si le Décret sur les lignes directrices est général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitutionnelle de 1867.
Environnement Projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman Examen environnemental Commission d'évaluation environnementale établie sous le régime du Décret sur les lignes directrices Demande visant à faire interrom- pre le processus d'examen pour le motif que les attributions de la Commission constituaient une application inconstitution- nelle du pouvoir conféré au ministre en vertu du Décret sur les lignes directrices Demande ajournée sine die en attendant que la C.S.C. détermine si le Décret sur les lignes directrices est inconstitutionnel parce qu'il empiète sur la compétence des provinces.
Pratique Suspension d'instance La province cherchait à obtenir une ordonnance de certiorari, une ordonnance de prohibition et/ou une injonction empêchant la Commission d'évaluation environnementale de procéder à l'examen public d'un projet de construction de barrage pour le motif que les attributions de la Commission étaient inconstitutionnelles Le ministre cherchait à obtenir une suspension d'instance pour le motif que la question avait été soumise à la C.S.C. Le critère invoqué dans l'affaire Association of Parents Support Croups In Ontario (Using Toughlove) Inc. c. York et autres a
été appliqué: la partie qui demande une suspension doit établir que l'intérêt de la justice justifie une telle mesure et l'emporte sur le droit qu'a l'intimé de poursuivre une action La suspension a été accordée, mais cette mesure exceptionnelle a pour effet de différer l'accès à un redressement qu'une partie aurait autrement le droit de poursuivre Même si le point en litige était sérieux, l'affaire a été différée dans l'intérêt du public La prépondérance des inconvénients faisait pencher la balance en faveur du ministre Il était juste et convenable d'ajourner l'affaire sine die en attendant la décision de la C.S.C. Il était préférable pour l'intérêt de la justice et l'efficacité du système judiciaire d'ajourner l'examen de la demande de la province.
La présente affaire a trait à l'examen environnemental du projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman. Le ministre fédéral de l'Environnement a constitué une Commis sion d'évaluation environnementale pour examiner le projet. La province de l'Alberta a tenté de faire suspendre cet examen au moyen d'une ordonnance de certiorari, d'une ordonnance de prohibition ou d'une injonction pour le motif que les attribu tions fixées par le ministre constituaient une application incons- titutionnelle du pouvoir ou de la discrétion que lui confère le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua- tion et d'examen en matière d'environnement. En réponse à cette démarche, le ministre a tenté d'obtenir que la requête de la province soit ajournée sine die en attendant que la Cour suprême du Canada rende sa décision sur un appel, entendu en février 1981, du jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), la question constitutionnelle serait analysée. A la fin du mois d'avril 1991, la construction du barrage était terminée à 98 % environ et tout le projet était terminé à 94 %.
Essentiellement, la province contestait le fait que l'adminis- tration fédérale puisse prévoir un examen de questions liées à l'environnement, à la situation socio-économique et à la sécurité qui soit général au point d'englober des «matières» qui, habi- tuellement, ressortissent à la compétence législative des provin ces en vertu des articles 92, 92A, 95 et 109 de la Loi constitu- tionnelle de 1867.
Jugement: la requête de la province devrait être ajournée sine die.
La Cour suprême ayant refusé d'ajouter la question de la validité des attributions aux points à examiner en appel, la présente demande, qui repose sur l'argument que les attribu tions constituent une application inconstitutionnelle du Décret sur les lignes directrices, n'est pas une «demande ... en instance devant un autre tribunal», au sens de l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. Il existe un point sérieux à juger: la validité des attributions de la Commission. La question est celle de savoir s'il faut accorder ou non une suspension ou un ajournement, ce qui aurait pour effet de différer le règlement du litige.
Quelle que soit l'issue de l'affaire, l'une ou l'autre des parties subirait vraisemblablement un préjudice quelconque, mais celui-ci ne serait pas irréparable. Cependant, la meilleure façon de servir l'intérêt public, en attendant la décision de la Cour suprême du Canada, serait de supposer que les attributions de la Commission sont valides. Le critère qui convient en l'espèce est celui qui a été appliqué dans l'affaire Association of Parents
Support Groups In Ontario (Using Toughlove) Inc. c. York et autres: la partie qui demande une suspension doit faire la preuve que l'intérêt de la justice justifie clairement une telle mesure et l'emporte sur le droit qu'a l'intimé de poursuivre son action.
Il est préférable, pour l'intérêt de la justice et l'efficacité du système judiciaire, d'ajourner l'examen de la demande de la province parce que: 1) la Cour suprême se prononcera vraisem- blablement bientôt sur la validité du Décret sur les lignes directrices; 2) même si la Cour suprême ne traite pas directe- ment du point soulevé en l'espèce, celui-ci pourrait être réglé plus facilement et, peut-être, mieux examiné à la lumière de la décision de la Cour suprême. Il serait donc déraisonnable qu'un juge des requêtes se prononce sur un point étroitement lié à des questions sur lesquelles la Cour suprême du Canada se penche déjà.
Le fait d'ajourner une affaire dans des circonstances qui ont pour résultat effectif de différer l'accès à un redressement qu'une partie aurait, autrement, le droit de poursuivre est une mesure inhabituelle mais, dans ce cas-ci, justifiée. Même s'il existait un point sérieux à juger, il était dans l'intérêt du public d'en différer l'examen à ce stade-ci. Le fait d'interrompre maintenant le processus d'examen perturberait davantage les choses et serait plus préjudiciable au processus d'examen envi- ronnemental public que le fait de poursuivre ce processus en attendant que la Cour suprême rende sa décision.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C., 1985, appendice II, 5], art. 91, 92, 92A (édicté par la Loi constitutionnelle de 1982), 95, 109.
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18, 50(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 323.
Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1978-79, chap. 13, art. 14.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Association of Parents Support Groups In Ontario (Using Toughlove) Inc. c. York et autres (1987), 14 C.P.R. (3d) 263 (C.F. I" inst.); Edmonton Friends of the North Environmental Society c. Canada (Ministre de la Diversification de l'Économie de l'Ouest) (1990), 69 D.L.R. (4th) 143; 75 Alta. L.R. (2d) 1; 34 F.T.R. 137 (C.F. 1" inst.); Little Red River Band of Indians c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), voir Edmonton Friends of the North Environmental Society c. Canada (Ministre de la Diversification de l'Économie de l'Ouest).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man.R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341.
DÉCISION EXAMINÉE:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Minis- tre des Transports), [1990] 1 C.F. 248; [1990] 2 W.W.R. 150; (1989), 70 Alta. L.R. (2d) 289; 4 C.E.L.R. (N.S.) 137; 30 F.T.R. 108 (1'° inst.), inf. par [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R. (3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565; Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586; (1990), 68 D.L.R. (4th) 699; 43 Admin. L.R. 18; 108 N.R. 293 (C.A.); R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401; (1988), 48 D.L.R. (4th) 161; [1988] 3 W.W.R. 385; 25 B.C.L.R. (2d) 145; 40 C.C.C. (3d) 289; 84 N.R. 1; Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213; [1980] 5 W.W.R. 511; (1980), 113 D.L.R. (3d) 513; 53 C.C.C. (2d) 97; 9 C.E.L.R. 115; 32 N.R. 230; Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292; (1980), 113 D.L.R. (3d) 1; [1981] 1 W.W.R. 681; 53 C.C.C. (2d) 353; 9 C.E.L.R. 145; 2 F.P.R. 296; 32 N.R. 541; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868; (1988), 15 Q.A.C. 181; 85 N.R. 260; R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21; (1989), 56 D.L.R. (4th) 309; 33 C.P.C. (2d) 163; 68 C.R. (3d) 97; 37 C.R.R. 235; [1989] 1 C.T.C. 255; 91 N.R. 18; Vickery c. Cour suprême de la Nou- velle-Écosse (Protonotaire), 21598 (C.S.C.), jugement en date du 28-3-91, juge Stevenson, encore inédit.
DOCTRINE
Hogg, Peter W., Constitutional Law of Canada, 2nd ed., Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
AVOCATS:
B. Zalmonawitz et G. D. Chipeur pour la requérante.
J. C. DePencier pour le ministre de l'Environ- nement (intimé).
W. A. Tilleman et S. J. Hammel pour la Commission d'évaluation environnementale (intimée).
M. W. Mason pour la Friends of the Oldman River Society (intervenante).
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour la requé- rante.
Le sous-procureur général du Canada pour le ministre de l'Environnement (intimé).
Cook, Duke, Cox, Edmonton, pour la Com mission d'évaluation environnementale (inti- mée).
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour la Friends of the Oldman River Society (intervenante).
Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par
LE JUGE MACKAY: La requérante, Sa Majesté la Reine du Chef de l'Alberta (ci-après appelée «la province»), par la voie d'une nouvelle requête datée du 21 janvier 1991, cherche à obtenir un redresse- ment initialement demandé par voie de requête en date du 17 décembre 1990. Par cette première requête, la requérante cherchait à obtenir à la fois un redressement interlocutoire sous la forme d'une injonction et un redressement permanent sous la forme d'ordonnances mentionnées ci-après en rap port avec les attributions que le ministre de l'Envi- ronnement (ci-après appelé le «ministre»), partie intimée en l'espèce, avait établies pour la Commis sion d'évaluation environnementale (ci-après appe- lée la «Commission»), elle aussi partie intimée en l'espèce, que le ministre avait constituée pour étu- dier le projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman.
Le 20 décembre 1990, mon collègue, le juge Rouleau, a étudié et rejeté la requête initiale dans la mesure celle-ci se rapportait à un redresse- ment interlocutoire, soit une demande d'injonction pour empêcher la Commission d'effectuer une étude publique du projet tant que la Cour suprême du Canada n'aurait pas statué sur l'appel interjeté contre le jugement de la Cour d'appel fédérale, en date du 13 mars 1990, dans l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports)'. La demande dont il est question en l'espèce a pour but d'obtenir une ordonnance de certiorari annulant les attributions établies par le ministre qui fixent le mandat de la Commission et
1 [1990] 2 C.F. 18 (C.A.).
le cadre de son étude, de même qu'une ordonnance de prohibition ou, subsidiairement, une injonction empêchant la Commission d'entreprendre un examen public du projet. Les motifs sur lesquels repose la requête relative à ce redressement, lequel est sollicité en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale 2 , sont que les attributions que le ministre a établies sont réputées constituer une application inconstitutionnelle du pouvoir ou de la discrétion que lui confère le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (ci-après appelé le «Décret sur les lignes directrices») 3 .
À l'instruction de cette demande à Edmonton, le 25 avril 1991, il a été entendu en même temps une requête du ministre, datée du 29 janvier 1991, pour que la demande de redressement permanent de la province soit suspendue ou ajournée sine die, en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, ou de la Règle 323 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada rende sa décision, maintenant attendue, après avoir entendu le plai- doyer des parties en février 1991.
Ont comparu à l'audition de cette affaire des avocats représentant la province, le ministre, la Commission et la Friends of the Oldman River Society («ci-après appelée la «FORS»). Les avocats qui étaient présents à l'audience relative à l'obten- tion d'un redressement interlocutoire en décembre 1990 ont reconnu que la requête qu'avait présentée à ce moment l'avocat de la FORS pour participer à cette affaire avait été accueillie verbalement, et que mon collègue, le juge Rouleau, avait considéré que la Société avait qualité pour agir comme partie intimée. Il n'en était fait aucune mention dans le dossier de la Cour. Avec le consentement des avocats de la requérante et du ministre, j'ai ordonné que la FORS soit inscrite comme partie intimée dans cette demande à partir du 20 décem- bre 1990.
L'avocat de la Commission a présenté avant l'audience un mémoire et de la jurisprudence con- cernant le bien-fondé de certains aspects de la demande de la province, fondant apparemment sa
2 L.R.C. (1985), chap. F-7, dans sa forme modifiée.
3 DORS/84-467 établi aux termes du paragraphe 6(2) de la Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1978-79, chap. 13, art. 14.
participation sur l'affaire Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton 4 . Il a été indiqué qu'il ne se proposait pas de soutenir la requête du ministre pour que les procédures soient ajournées sine die. J'ai indiqué que si la requête en ajourne- ment était rejetée et si les plaidoyers portaient sur le bien-fondé de la demande de la province, je réglerais d'abord la question de savoir s'il était nécessaire d'entendre l'avocat de la Commission sur un aspect quelconque du principal point en litige, compte tenu du fait que la Commission a été créée par le ministre, de son manque de connais- sances techniques au sujet de la question de la validité constitutionnelle de ses attributions, ainsi que des observations du juge Mahoney, de la Cour d'appel, dans l'affaire Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374 5 . Comme j'ai décidé, après avoir entendu les argu ments présentés pour le compte de la requérante, du ministre et de la FORS, qu'il faudrait faire droit à la requête du ministre et ajourner sine die la demande de la province, il était inutile à ce moment de régler la question de la participation de la Commission aux plaidoyers présentés à la Cour, et je n'ai pas tenu compte de l'argumentation écrite présentée au nom de la Commission pour l'ordonnance rendue ou pour les présents motifs.
Il a été convenu que la province exposerait d'abord sa demande; cela serait suivi de la présen- tation de la demande de suspension ou d'ajourne- ment de la part du ministre ainsi que de celle de la FORS à l'appui de la demande de ce dernier; ensuite, la province aurait l'occasion de répondre aux arguments avancés en faveur d'une suspension ou d'un ajournement. Après argumentation de cette demande, la Cour trancherait la question et, si la demande était rejetée, les avocats des intimés feraient ensuite connaître leur point de vue sur le bien-fondé de la demande de la province, après quoi l'avocat de cette dernière aurait l'occasion de présenter sa réplique.
Après avoir entendu les arguments relatifs à la demande procédurale préliminaire pour que la pré- sente procédure soit suspendue ou ajournée, j'ai ordonné que la demande du ministre soit accueillie et celle de la province ajourné sine die, sans enten- dre tous les arguments sur le bien-fondé de la
4 [1979] 1 R.C.S. 684.
5 [1990] 2 C.F. 586, la p. 591.
demande de la province. À ce moment, j'ai exposé verbalement mes motifs, en indiquant toutefois que je fournirais plus tard des motifs écrits. Ces motifs sont ceux que j'expose ici.
Rappel des faits
Les demandes dont il est question en l'espèce découlent d'un important différend au sujet de l'application du Décret sur les lignes directrices sur le projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman. Un aperçu sommaire de ce différend, ainsi que des étapes qui ont mené à la constitution de la Commission, partie intimée en l'espèce, et à la mise en marche de ses travaux, expose le con- texte dans lequel les présentes demandes sont présentées.
La dernière étape de procédures antérieures, soit l'audition d'un appel interjeté devant la Cour suprême du Canada, s'est déroulée rapidement en février 1991, et l'on attend maintenant une déci- sion de la Cour. Ce processus a commencé par la présentation d'une demande à la Cour d'appel pour que soit soumise à un examen judiciaire la décision par laquelle le ministre des Transports, en vertu de la Loi sur la protection des eaux naviga- bles 6 , a approuvé le projet de construction, par la province, d'un barrage sur la rivière Oldman. Cette demande, par laquelle on cherchait à obtenir une ordonnance enjoignant à des ministres fédé- raux de se conformer au Décret sur les lignes directrices, fut rejetée par le juge en chef adjoint Jerome dans l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports)'. La Cour d'appel infirma cette décision, annulant l'au- torisation que le ministre des Transports avait donnée au projet et ordonnant que ce dernier et le ministre des Pêches et Océans se conforment au Décret sur les lignes directrices s .
La province demanda l'autorisation d'interjeter appel de la décision de la Cour d'appel fédérale, demande à laquelle la Cour suprême du Canada fit droit le 13 septembre 1990. Dans cette demande, la province souleva, pour la première fois, des questions d'ordre constitutionnel au sujet du Décret sur les lignes directrices et de l'application de ce dernier au projet. Le 30 octobre 1990, le juge
6 S.R.C. 1985, chap. N-22.
' [1990] 1 C.F. 248 (1" inst.).
'Précité, note 1.
en chef de la Cour suprême du Canada énonça une question constitutionnelle à examiner dans l'appel que la province interjetait:
Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua- tion et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467, est-il général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitutionnelle de 1867, et d'être, par conséquent, consti- tutionnellement inapplicable à l'Oldman River Dam apparte- nant à l'appelante Sa Majesté La Reine du Chef de l'Alberta 9 ?
Le 25 octobre 1990, la FORS formula une demande en vue d'obtenir une ordonnance de mandamus exigeant du ministre de l'Environne- ment qu'il constitue une commission pour effectuer un examen public en accord avec le Décret sur les lignes directrices. On inscrivit cette demande pour audition le 20 novembre, mais elle fut ajournée sine die lorsque le ministre constitua la Commis sion le 16 novembre.
Par la suite, après que le ministre eut annoncé les attributions et la constitution de la Commission en vue de la tenue d'une évaluation publique du projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman en accord avec le Décret sur les lignes directrices, la province s'adressa à la Cour suprême du Canada pour qu'elle modifie la ques tion constitutionnelle posée en ajoutant une seconde question portant sur les attributions de la Commission; cette dernière question est la suivante:
[TRADUCTION] Les attributions de la Commission d'évalua- tion environnementale de l'Oldman River Dam que le ministre de l'Environnement a établies en vertu du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-867, sont-elles générales au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitu- tionnelle et d'être, par conséquent, inconstitutionnelles?
Le 14 décembre, la Cour suprême du Canada rejeta cette demande mais fit droit à celle que la province avait soumise en même temps pour que les attributions de la Commission soient présentées comme nouvelle preuve devant la Cour suprême.
Le ministre des Transports et celui des Pêches et Océans furent ajoutés comme appelants à l'appel, la FORS était l'intimée. Les procureurs géné- raux de six autres provinces, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, quatre organismes d'autochtones et six organismes de particuliers
9 Cour suprême du Canada, Bulletin des procédures, 2 novembre 1990, la p. 2262.
s'intéressant à des questions d'environnement et d'intérêt public agirent comme intervenants devant la Cour suprême du Canada. Celle-ci entendit rapidement l'appel les 19 et 20 février 1991 et réserva le prononcé du jugement.
Après s'être heurtée au refus de la Cour suprême pour que soit modifiée la question consti- tutionnelle, la province, au mois de décembre 1990, formula la demande dont il est question en l'espèce, que le juge Rouleau examina le 20 décembre relativement au redressement interlocu- toire demandé, et dont la présente Cour est main- tenant saisie relativement au redressement perma nent demandé, concernant les attributions de la Commission. L'ordonnance de mon collègue, le juge Rouleau, en date du 20 décembre, fut portée en appel par la voie d'un avis déposé le 28 décem- bre 1990; toutefois, l'avocat de la province a fait savoir à l'audition de la présente demande de redressement permanent que ledit avis d'appel avait été retiré.
En même temps que se déroulait cette action en justice, le ministre des Transports et celui des Pêches et Océans, à la suite de la décision de la Cour d'appel fédérale et en accord avec l'ordon- nance rendue par cette dernière, soumirent la question du projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman au ministre de l'Environne- ment pour qu'un examen public soit effectué en accord avec le Décret sur les lignes directrices. Le 16 novembre 1990, le ministre de l'Environnement annonça la constitution de la Commission qui effectuerait un examen public en vertu du Décret, et il en fixa les attributions. Lesdites attributions sont, dit-on, d'une «large portée», et la province s'y oppose. Elles comprennent, notamment, le mandat suivant:
[TRADUCTION] examiner les effets environnementaux et socio- économiques éventuels du projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman. La Commission est chargée d'entrepren- dre une évaluation et de formuler des recommandations appro- priées au sujet de la conception et de la sécurité du barrage proposé, de l'importance des répercussions possibles du projet de barrage et de son exploitation sur le plan environnemental et socio-économique, ainsi que des possibilités d'atténuer ces répercussions. La Commission présentera ses recommandations
sous forme de rapport aux ministres de l'Environnement, des Transports et des Pêches et Océans 10 .
La Commission entreprit de tenir des réunions d'information publique en Alberta à la mi-décem- bre, après avoir commencé à examiner les rensei- gnements disponibles et des informations de base sur le projet. A la fin du même mois, la Commis sion diffusa une lettre publique décrivant les tra- vaux qu'elle avait accomplis à ce jour, de même que ses plans. Au mois de janvier, elle diffusa au public un énoncé de ses procédures opérationnelles. A la mi-mars, elle publia un [TRADUCTION] «Bul- letin 1», un [TRADUCTION] «Résumé des mémoires reçus» en date du 11 février et un énoncé de [TRADUCTION] «Autres renseignements requis», comprenant les lacunes perçues, sur le plan des renseignements d'ordre socio-économique, que la Commission tente de combler. La Commission a retenu les services d'experts techniques dans une variété de domaines, dont certains, selon la pro vince, concernent des questions qui relèvent princi- palement de la compétence des provinces, et, en ce qui concerne certaines lacunes relevées sur le plan de l'information, la Commission a indiqué que la province, en tant que tenante du projet, sera une source importante vers laquelle se tourner afin d'obtenir de plus amples renseignements.
Au moment cette affaire fut entendue en avril, la Commission prévoyait, paraît-il, de tenir en juin 1991 des réunions publiques sur la sécurité du barrage, mais elle ne s'attendait pas à voir prendre fin ses travaux sur les aspects socio-écono- miques du projet ou commencer les réunions publi- ques sur ces aspects avant le mois de novembre 1991. Dans l'intervalle, à la fin du mois d'avril, il fut signalé que les travaux de construction ache- vaient: le barrage était terminé à 98 % environ et l'ensemble du projet à 94 % environ. Des tunnels de dérivation furent fermés au début d'avril, de sorte que le réservoir qui se trouve derrière le barrage se remplit; il y a de plus des chances qu'il soit complètement rempli d'ici à la fin du mois de juin, car l'on anticipe maintenant que la fonte des neiges sera plus abondante qu'à l'accoutumée.
10 Attributions de la Commission d'évaluation environnemen- tale du barrage sur la rivière Oldman, Canada, Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales, Vancouver.
Les préoccupations de la province
La requête du ministre en vue de la suspension ou de l'ajournement des procédures est analysée ici à la lumière des préoccupations qui ont été expri- mées pour la province comme fondement de sa demande d'examen judiciaire.
La province fait valoir que la législation relative à l'environnement ne constitue pas une catégorie de sujet distincte, ou une «matière» en vertu des pouvoirs énumérés du Parlement ou du pouvoir général qui lui est conféré en vertu de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]]. La réglementation de l'envi- ronnement a trait à toute une série de questions, dont certaines relèvent de la compétence législative du Parlement et d'autres de la compétence législa- tive des assemblées législatives provinciales". En outre, la prétendue théorie du pouvoir accessoire, qui circonscrit la portée et les effets des mesures législatives fédérales sur les secteurs dont les pro vinces sont responsables aux questions qui relèvent nécessairement de la compétence fédérale, est d'une application restreinte pour ce qui est d'éten- dre le pouvoir de l'administration fédérale relative- ment à l'environnement 12 .
Il est concédé que dans ce cas-ci un examen fédéral pourrait porter sur des questions qui relè- vent de la compétence législative du Parlement, comme les eaux navigables, les pêches, les Indiens et les terres qui leur sont réservées. La province ne reconnaît pas, et conteste en fait, la compétence qu'a l'administration fédérale, agissant en vertu du Décret sur les lignes directrices, de prévoir un examen général de questions liées à l'environne- ment, à la situation socio-économique et à la sécu- rité dans lequel entrent des «matières» ressortissant habituellement à la compétence législative des pro vinces en vertu des articles 92, 92A, 95 et 109 de la Loi constitutionnelle de 1867.
11 Hogg, Constitutional Law of Canada, (2e éd. 1985), la p. 598; R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401, la p. 423, 431, 444, 445.
12 Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213, la p. 226; Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292.
Il est allégué en l'espèce que les attributions de la Commission et les activités que cette dernière a mises en branle débordent le cadre de la compé- tence législative de l'administration fédérale. Il est dit que divers éléments évidents des activités de la Commission montrent l'étendue de son mandat, le fait que celle-ci ne se borne pas à examiner des questions qui ne relèvent que de la compétence de l'administration fédérale, et ses plans indiquent qu'elle prendra en considération diverses questions qui, habituellement, ressortissent à la compétence législative des provinces. Ainsi, la Commission a déjà examiné une variété d'études entreprises par la province et fournies à la Commission qui portent sur un grand nombre de sujets intéressant exclusi- vement la province; elle a relevé des sujets de préoccupation exprimés lors d'audiences publiques, sujets dont un grand nombre relèvent de la compé- tence des provinces; elle a établi des procédures opérationnelles qui prévoient un examen de ses sujets de préoccupation, la nomination d'experts qui, pour un grand nombre d'entre eux, s'intéres- sent spécialement à des questions qui, dans ce cas-ci, sont du ressort des provinces, de même que la détermination d'autres renseignements dont la Commission a besoin et qu'elle cherche à obtenir sans tenir compte du fait qu'un grand nombre de ces questions relèvent de la compétence législative des provinces et non pas de celle de l'administra- tion fédérale. L'étude et les audiences publiques qu'il est proposé de tenir sur la sécurité du projet de construction d'un barrage porteraient sur des questions qui relèvent manifestement de la compé- tence des provinces, et il en serait inévitablement de même d'une étude et d'audiences similaires sur les aspects socio-économiques généraux du projet.
Les renseignements supplémentaires dont la Commission a besoin, et le fait que celle-ci s'at- tende à ce que la province, en tant que tenante du projet, en fournisse une grande quantité, dénotent que l'on compte sur elle pour participer à d'autres études et appuyer davantage les travaux de la Commission, ce qui occasionnera à la province des dépenses considérables.
Enfin, il est allégué que le pouvoir de la Com mission, qui se limite à un examen et à la formula tion de recommandations aux ministres, lesquels peuvent ensuite exercer leurs pouvoirs décisionnels, n'est pas une réponse à la contestation de la vali-
dité constitutionnelle des attributions de la Com mission. Il est dit qu'une enquête que mène un niveau d'administration publique doit porter sur une question qui relève de la compétence constitu- tionnelle de cette administration, qu'on ne peut entreprendre une enquête séparément des mesures réparatrices qui peuvent s'ensuivre". Le ministre n'est donc pas habilité à établir des attributions qui autorisent une commission à faire enquête sur des questions qui vont au-delà de la compétence de l'administration fédérale. Par ailleurs, la tenue d'un examen en vertu du Décret sur les lignes directrices comporte de sérieuses répercussions pour la province; l'article 34 du Décret impose à cette dernière, en tant que tenante du projet, de lourdes responsabilités, dont la fourniture des ren- seignements que demande la Commission, dans le nombre d'exemplaires et dans les langues qui, selon ce que décide la Commission, peuvent être nécessaires à un débat public, ainsi que l'affecta- tion de personnel pour fournir des explications lors d'audiences publiques. Lorsque les questions aux- quelles la Commission s'intéresse sont réputées relever de la compétence législative provinciale, la province s'objecte à ce que l'on suppose qu'elle doive se conformer aux instructions de la Commis sion. Un sujet de préoccupation auquel il a aussi été fait allusion est qu'en ne répondant pas aux attentes de la Commission, la province s'expose à ce que l'on présente aux ministres des recomman- dations qui pourraient mener à l'imposition de conditions qu'elles trouveraient difficiles, même si cela était fait en vertu de pouvoirs de réglementa- tion fédéraux valides.
Ainsi qu'il a été noté plus tôt, les préoccupations qui sous-tendaient la demande d'examen judiciaire de la province n'ont pas été l'objet à l'audience d'une contre-argumentation, et, en fin de compte, n'ont pas été prises en considération parce que la Cour a décidé que la demande de la province serait ajournée sine die.
La demande de suspension ou d'ajournement
Le ministre demande avec insistance que les procédures relatives à la demande de la province soient suspendues, en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, ou subsidiai-
13 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868, aux p. 892 à 894.
rement, que lesdites procédures soient ajournées, en application de la Règle 323 des Règles de la Cour fédérale, en attendant que la Cour suprême du Canada se prononce sur l'appel entendu au mois de février.
Le paragraphe 50(1) de la Loi est libellé comme suit:
50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:
a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;
b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.
Voici ce que dit la Règle 323 des Règles de la Cour fédérale:
Règle 323. L'audition d'une requête peut être ajournée d'une date à une autre aux conditions qui, le cas échéant, semblent justes.
Il est allégué que l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique en l'espèce parce que la province a déjà soumis la question de la validité constitutionnelle des attributions de la Commission à la Cour suprême dans son argumentation et qu'au moins deux des autres provinces l'ont aussi présentée, par l'intermédiaire de leur procureur général, dans leur argumentation à l'audience devant la Cour suprême. Même si cette dernière a refusé de modifier la question constitutionnelle posée pour qu'elle porte explicitement sur les attri butions de la Commission, lesdites attributions ont été admises en preuve devant cette Cour, on a débattu de leur validité et il a été reconnu qu'elles constituent [TRADUCTION] «l'élément essentiel de l'application du Décret sur les lignes directrices au projet et dans les circonstances de l'affaire» devant cette Cour. En outre, la contestation de la validité du Décret lui-même s'étend forcément aux attribu tions assignées à la Commission. En somme, il est allégué que la Cour suprême du Canada est déjà saisie de la question même que soulève la demande de la province et que, de ce fait, l'alinéa 50(1)a) s'applique et la présente Cour, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, devrait autoriser la sus pension des procédures relativement à la demande de la province.
L'avocat de la province reconnaît que, dans l'argumentation présentée à la Cour suprême, la question de la validité des attributions a été soule- vée, en partie, mais en partie seulement, à titre
d'exemple de l'application inconstitutionnelle perçue du Décret sur les lignes directrices. L'avo- cat reconnaît en toute franchise qu'il est à espérer que la décision de la Cour suprême traitera direc- tement de la validité desdites attributions, mais il fait remarquer qu'avant l'audience, la Cour a expressément refusé d'étudier la question.
À mon avis, quels que soient les arguments que les parties ont pu faire valoir, par écrit ou verbale- ment, devant la Cour suprême, cette dernière a refusé d'ajouter la question de la validité des attri butions aux points à examiner en appel. Par consé- quent, quelle que soit la décision de la Cour suprême, et que cette décision se rapporte directe- ment ou indirectement à la question posée, je conclus que la demande dont il est question en l'espèce, qui présuppose que le Décret sur les lignes directrices est valide mais repose sur l'argument que les attributions constituent une application inconstitutionnelle dudit Décret, n'est pas une «demande ... en instance devant un autre tribu nal> au sens de l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
L'avocat du ministre fait aussi valoir qu'il serait dans l'intérêt de la justice, comme le dit l'alinéa 50(1)b) de la Loi, d'accorder une suspension des procédures. Il fait valoir, en s'appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba (Procureur général) c. Met ropolitan Stores Ltd. 14 que l'on a affaire ici à une question sérieuse—l'effet de la décision de la Cour suprême du Canada sur la question soulevée dans la présente demande. La question est effectivement sérieuse, mais je ne crois pas que cela permette d'appliquer le critère énoncé dans l'affaire Met ropolitan Stores pour une suspension de procédu- res. Dans l'affaire qui nous occupe ici, la question sérieuse est certainement celle qu'a soulevée la province au sujet de la validité des attributions de la Commission. Je conviens qu'il s'agit d'une ques tion sérieuse, et que la question dont la présente Cour est saisie est celle de savoir s'il faut accorder une suspension ou un ajournement, mesure qui aurait pour effet de différer le règlement du litige.
Il est allégué que le ministre, et la Commission, subiraient un préjudice irréparable s'il était fait droit à la demande de la province, car si les
14 [1987] 1 R.C.S. 110.
travaux de la Commission étaient suspendus, cel- le-ci ne serait peut-être plus en mesure de recom- mander des mesures d'atténuation significatives. Cela suppose bien sûr que la Commission détermi- nera, dans le cadre de son mandat, que le projet comporte des effets potentiellement néfastes pour l'environnement, à la suite de quoi il faudrait recommander des mesures d'atténuation, supposi tion qui, à ce stade-ci, prévoit une issue particu- lière au sujet de laquelle aucune preuve ne m'a été fournie. De plus, l'argument suppose aussi que les mesures visant à atténuer les effets néfastes pour l'environnement, si effets il y a, ne peuvent être prises qu'avant que le projet de barrage à étudier ait été construit, et il s'agit-là d'une supposition qui ne repose sur aucune preuve et que je ne partage pas.
La province prétend qu'en l'absence de règle- ment de la question du fondement constitutionnel de l'examen de la Commission, cet examen pour- rait occasionner un préjudice irréparable à ses intérêts, car elle serait tenue, en tant que tenante du projet, de participer à ce qui pourrait s'avérer des dépenses considérables, un coût que le ministre conteste en l'absence de preuves.
Selon moi, n'importe laquelle des parties en l'espèce subira vraisemblablement un préjudice quelconque, quelle que soit l'issue de l'affaire: le ministre et la Commission, si la demande de la province est retenue et que les redressements sou- haités sont accordés, ou la province, s'il est fait droit à la requête du ministre en vue de l'obtention d'une suspension ou d'un ajournement. Mais je ne suis pas convaincu que dans l'un ou l'autre cas le préjudice appréhendé serait irréparable. Je suis cependant persuadé qu'en attendant que la Cour suprême du Canada rende sa décision, la meilleure façon de servir l'intérêt public est de supposer que les attributions de la Commission sont valides.
L'avocat de la province a fait valoir que le critère énoncé dans l'affaire Metropolitan Stores ne s'appliquait pas en l'espèce. Dans les motifs de mon ordonnance que j'ai exposés verbalement à l'audience, j'ai déclaré que j'examinerais de façon plus approfondie cette prétention. Cela étant fait, j'ai la conviction que ce critère s'applique davan- tage aux cas il est demandé au tribunal de suspendre ou d'ajourner les procédures d'un autre organisme, la Commission par exemple, comme
désirait l'obtenir la province en demandant un redressement interlocutoire, y compris une injonc- tion suspendant les travaux de la Commission, demande que le juge Rouleau a rejetée. Le critère énoncé dans l'affaire Metropolitan Stores ne con- vient pas autant lorsque l'on examine une requête de suspension ou d'ajournement de procédures qui a pour effet de différer l'accès aux mesures de redressement qui sont habituellement disponibles auprès de la présente Cour. Dans les cas de ce genre, le critère qui convient mieux est celui qu'a appliqué le juge en chef adjoint dans l'affaire Association of Parents Support Groups In Ontario (Using Toughlove) Inc. c. York et autres 15 , à savoir que la partie qui demande une suspension doit faire la preuve que l'intérêt de la justice clairement une telle mesure et l'emporte sur le droit qu'a l'intimé de poursuivre son action. La Cour hésite à contrecarrer le droit de recours dont jouit une partie quelconque 16 .
Il est allégué au nom du ministre que l'on servirait ici l'intérêt de la justice en accordant la suspension demandée ou en ajournant les procédu- res relatives à la requête de la province, en atten dant que la Cour suprême du Canada rende sa décision, et qu'une suspension de procédures, de nature temporaire, n'occasionnerait pas de graves préjudices à la province. A ce stade-ci, cette mesure protégerait l'intérêt public en maintenant la loi jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce sur la portée constitutionnelle du Décret sur les lignes directrices. La décision prononcée autorisera ou interdira forcément les travaux de la Commis sion, en tout ou en partie. Il semble vraisemblable que la Cour connaîtra des questions constitution- nelles dont elle est saisie, encore que, comme le note la province, rien ne garantisse que la Cour le fera, compte tenu particulièrement d'autres ques tions en appel devant la Cour et de la position que cette dernière a exprimée, à savoir qu'elle préfére- rait éviter les questions constitutionnelles dont n'ont pas traité des tribunaux de première instance et d'appel ". De plus, la province fait valoir que la
15 (l987), 14 C.P.R. (3d) 263 (C.F. 1" inst.).
16 Idem, à la p. 264.
17 Voir, par ex., l'affaire R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21, le juge Sopinka, à la p. 42; ainsi que l'affaire Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire), décision encore inédite, 21598, (C.S.C.) 28 mars 1991, le juge Stevenson (aux p. 5 et 6).
Cour suprême pourrait considérer d'un oeil favora ble la décision que rendra la présente Cour au sujet de sa demande et—et ceci est un point plus important—que la province a le droit de chercher à obtenir un redressement; comme on a rejeté la demande redressement interlocutoire de la pro vince, la Cour d'appel devrait maintenant exami ner la demande de redressement définitif. Sans cela, la province se trouve effectivement dans l'im- possibilité de demander un redressement, comme celui qu'elle cherche à obtenir en l'espèce, devant l'unique tribunal auquel on peut s'adresser à cette fin.
Il est allégué, pour le compte de la FORS, et à l'appui de la demande du ministre, que la présente action n'est qu'une mesure de plus de la part de la province pour empêcher la tenue d'un examen public sur le projet, et qu'elle a trait essentielle- ment à la même question que celle pour laquelle on attend maintenant que la Cour suprême du Canada rende une décision, soit la question de savoir si le projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman peut faire l'objet d'un examen public. Par ailleurs, il est allégué qu'en l'espèce la prépondérance des inconvénients fait qu'il serait préférable d'ordonner la suspension des procédures relatives aux demandes de la province.
Enfin, il est allégué, tant pour le ministre que pour la FORS, que divers facteurs, exposés par le juge en chef adjoint Jerome dans la transcription des motifs qu'il avait prononcés verbalement à l'audience en accordant l'ajournement de deux autres demandes récentes concernant le projet Daishowa au nord de l'Alberta 18 , étayent tous l'ajournement des procédures dont il est question en l'espèce, dans l'intérêt de la justice. Le juge en chef adjoint Jerome avait à statuer sur des deman- des visant à exiger que des ministres se conforment au Décret sur les lignes directrices, des demandes semblables à celles qu'avait initialement formulées la FORS au sujet du projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman.
n" Edmonton Friends of the North Environmental Society c. Canada (Ministre de la Diversification de l'Économie de l'Ouest) (N° du greffe: T-440-90), et Bande indienne de Little Red River c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), (N° du greffe: T-441-90), décision non publiée, transcription des notes sténographiques, 30 novembre 1990.
S'il est peu courant de suspendre ou d'ajourner une affaire dans des circonstances qui font effecti- vement différer l'accès à un redressement qu'une partie a, autrement, le droit de poursuivre, je suis convaincu que l'affaire dont il est question en l'espèce justifie la prise de cette mesure inhabi- tuelle. La demande qu'a présentée le ministre pour que soit ajourné tout autre examen de la demande de la province, en attendant que la Cour suprême du Canada rende sa décision, devrait être accordée pour les motifs exposés ci-dessous.
1) Dans la mesure le critère exposé dans l'af- faire Metropolitan Stores peut servir de norme en l'espèce, je reconnais qu'il existe une ques tion sérieuse à juger, soit celle qu'a soulevée la province au sujet de la validité constitutionnelle des attributions de la Commission, mais il est dans l'intérêt du public d'en différer l'examen à ce stade-ci. D'après moi, selon la prépondé- rance des inconvénients, il est vraisemblable que le fait d'examiner la requête de la province pendant que la Cour suprême du Canada étudie des questions qui y sont étroitement liées occasionnera plus d'inconvénients aux intimés que ceux que subiraient la province si l'on ajournait cet examen. À ce stade-ci, des procé- dures qui mettent en doute la façon d'agir de la Commission, de même que toute ordonnance de la part de la présente Cour qui pourrait suspen- dre ou interrompre le processus d'examen envi- ronnemental public que le fait de poursuivre ce processus en attendant la décision de la Cour suprême. Je prends judiciairement connais- sance du fait que la poursuite de l'examen obligera la province à prendre part à d'autres travaux et que, plus cet examen se poursuivra, plus la province aura à en supporter les coûts. Il y a toutefois des chances que la Cour suprême rende sa décision d'ici à quelques mois. L'au- dience ayant été tenue rapidement, nous pou- vons tous espérer que la décision sera pronon- cée probablement bien avant le mois de novembre 1991, date à laquelle la majorité des questions sur lesquelles se penche la Commis sion seront peut-être mûres pour être débattues en public et soumises à un examen définitif de la part de la Commission.
2) En raison des questions générales que le juge en chef adjoint Jerome a exposées dans la trans-
cription des procédures relatives aux demandes concernant le projet Daishowa 19 , il me semble juste et convenable d'ajourner l'examen de la demande de la province en attendant la déci- sion de la Cour suprême. Lesdites questions s'appliquent davantage aux demandes exami nées en l'espèce qu'aux demandes relatives au projet Daishowa car les points qu'étudie actuel- lement la Cour suprême, même s'ils diffèrent de la question soulevée ici, sont étroitement liés à cette dernière et découlent de procédures antérieures relatives au projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman. Ces ques tions comprennent les facteurs exposés ci-des- sous, lorsqu'on les évalue par rapport au droit qu'a la province d'entamer des procédures, font pencher la balance en faveur de l'intérêt de la justice.
3) Selon moi, il est préférable, pour l'intérêt de la justice et l'efficacité du système judiciaire, d'ajourner l'examen de la demande de la pro vince, parce que:
a) on peut s'attendre à ce que la Cour suprême se prononce bientôt sur la validité constitu- tionnelle du Décret sur les lignes directrices auquel sont subordonnés les processus de la Commission. Presque n'importe quelle déci- sion sur le bien-fondé de la demande de redressement définitif dont la présente Cour est saisie sera vraisemblablement touchée par la décision de la Cour suprême, qui, on peut s'y attendre, influencera la décision que cherche ici à obtenir la province.
b) Même si la décision de la Cour suprême ne porte pas directement sur la question soule- vée en l'espèce, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'il peut être plus facile de la régler, et aussi de la soutenir de façon plus définitive, à la lumière de la décision, main- tenant attendue, de la Cour suprême. Dans ces circonstances, n'importe quel juge des requêtes hésiterait à rendre une décision sur la demande de la province avant que la Cour suprême rende son jugement, car celui-ci pourrait avoir une grande incidence sur cette décision et occasionner d'autres difficultés aux parties. Si un juge des requê-
19 Voir la note 18.
tes remettait le prononcé de son jugement jusqu'au moment l'on saurait clairement quel effet la décision de la Cour suprême pourrait avoir, la province se trouverait alors dans la même position que si un ajour- nement était accordé, ce qui n'est pas mieux mais certainement pas pire. Comme l'a dit le juge en chef adjoint Jerome au sujet des demandes relatives au projet Daishowa, il serait déraisonnable de s'attendre à ce qu'un juge des requêtes se prononce sur un point étroitement lié à des questions qu'étu- die déjà la Cour suprême.
c) L'avocat de la province a reconnu avec fran chise que même si la Cour suprême du Canada a refusé d'ajouter une question constitutionnelle précise sur les attributions de la Commission, l'argumentation présen- tée à la Cour au mois de février faisant valoir que lesdites attributions sont inconsti- tutionnelles, qu'elles englobent des ques tions qui relèvent de la compétence législa- tive des provinces. L'avocat a exprimé l'espoir que la Cour suprême traite de la validité constitutionnelle des attributions de la Commission, soit le sujet même de la demande dont il est question en l'espèce. Selon moi, il serait malvenu d'examiner la demande à ce stade-ci et dans ces circons- tances, étant donné que des tribunaux de niveaux différents au sein du système judi- ciaire sont saisis de questions étroitement liées à la demande. Par ailleurs, à ce sta- de-ci, il serait présomptueux de ma part d'examiner et de trancher une question que la requérante espère voir tranchée par la Cour suprême.
Je conclus donc qu'il faudrait faire droit à la demande du ministre et djourner les procédures concernant l'examen de la demande de la province.
Les avocats ont été invités à déterminer s'il y avait des conditions qui pouvaient être incluses dans toute ordonnance d'ajournement. Ils m'ont ensuite indiqué qu'ils ne s'étaient entendus sur aucune condition. L'avocat de la province a pro- posé qu'on examine une ordonnance, s'ajoutant à l'ajournement, qui empêcherait la Commission de mener les audiences publiques ou les discussions
qu'elle se propose de tenir en deux volets, soit en juin et en novembre, limitant ainsi d'une manière effective les discussions publiques au temps prévu pour la conclusion de ses études en novembre 1991. La question de la participation à des audien ces proposées susceptibles de porter sur des ques tions relevant de la compétence législative des provinces était celle qui présentait le plus de diffi- cultés à la province, et il y avait plus de chances qu'avant le mois de juin 1991 que la Cour suprême rende sa décision avant le mois de novembre. J'ai refusé d'ajouter ces conditions, auxquelles s'oppo- saient le ministre et la FORS. La question est donc ajournée sine die, sans que cela porte préjudice au droit qu'a la province, ou toute autre partie, de présenter sa requête dans le délai habituel de deux jours si les circonstances viennent à changer.
L'avocat de la FORS, qui a été décrite comme un groupe d'intérêt public mais financée par des sources privées, a soulevé la question des dépens. La Société a considéré que le rôle actif qu'elle avait joué dans cette affaire, en soutenant la tenue d'un examen au moyen d'un action en justice, était important, mais qu'il s'était avéré coûteux. L'avo- cat a indiqué qu'il avait été proposé plus tôt aux autres parties que les deux demandes soumises à la Cour soient réglées séparément, la requête en ajournement étant étudiée la première, auquel cas la FORS n'aurait pas comparu à l'audience sur la question. Cela n'a pas été accepté. Dans les cir- constances, l'avocat a proposé que l'on adjuge les dépens à la FORS sur une base de frais entre avocat et client. Après avoir examiné cette demande, ainsi que l'opposition de la province à l'égard d'une ordonnance de dépens à ce stade-ci, je conclus, et les ordonnances rendues en l'espèce l'indiquent, que les dépens engagés à ce stade-ci suivront l'issue de la cause.
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