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A-1116-90
Sarah Mohamed (Abshir) Yusuf (appelante) c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada (intimé)
RÉPERTORIA' YUSUF C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et MacGui- gan, J.C.A.—Montréal, 16 octobre 1991; Ottawa, 24 octobre 1991.
Contrôle judiciaire La section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a fait preuve de sexisme dans le contre-interrogatoire de la deman- deresse Le sexisme et la condescendance envers les femmes dans les procédures quasi judiciaires sont inacceptables Ils font naître une crainte raisonnable de partialité.
Immigration Statut de réfugié Revendication de la demanderesse fondée sur les activités dissidentes de son frère et sur les siennes propres ainsi que sur la religion La sec tion du statut de réfugié rejette la revendication parce qu'elle considère non crédible le témoignage de la demanderesse rela- tif à sa crainte subjective de persécution La définition de réfugié comprend la crainte subjective et le fondement objectif de celle-ci Le statut de réfugié peut-il être refusé pour absence de crainte subjective, lorsqu'il existe un danger objec- tif de persécution Il y a lieu de casser une décision lorsque les membres du tribunal font naître une crainte raisonnable de partialité par leurs remarques sexistes et hors de propos.
Il s'agit de l'appel d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfu- gié rejetant la revendication présentée par l'appelante.
L'appelante, une ressortissante de la Somalie, a affirmé dans le témoignage qu'elle a rendu à l'audience que son frère avait participé à un coup d'État dirigé contre le régime de Siad Barré, le président en titre à l'époque. Le frère devint plus tard président en exil du Front démocratique pour le Salut de la Somalie. L'appelante a eu elle aussi certaines activités dissi- dentes. Elle soutient également avoir été persécutée à cause de sa religion; elle est musulmane. La section a conclu que bien qu'il existât un danger objectif de persécution attribuable à la situation des droits de la personne en Somalie, le témoignage de la demanderesse concernant sa crainte subjective de persé- cution n'était pas crédible. Les questions posées à l'appelante par les membres du tribunal, que la Cour qualifie de peu judi- cieuses tant dans leur contenu que dans leur ton, prennent les deux tiers de la transcription de l'audience. Les membres se sont adressés à la demanderesse en l'appelant «ma chère dame» et l'ont décrite comme «une femme, et toute petite».
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La définition de réfugié au sens de la Convention comporte un élément subjectif et un élément objectif. C'est-à-dire qu'on n'accorde pas le statut de réfugié au sens de la Convention à une personne qui éprouve une crainte subjective de persécution à moins qu'elle ne démontre également l'existence d'un fonde- ment objectif à cette crainte. L'inverse, toutefois, est discuta- ble: une personne objectivement en danger d'être persécutée ne devrait pas se voir refuser le statut de réfugié parce qu'en rai- son de son courage ou d'un handicap mental, il appert qu'elle n'éprouve pas de crainte subjective. En l'espèce, la section n'a pas commis cette erreur. Mais, parce qu'elle a conclu que la demanderesse n'était pas un témoin crédible, elle n'a pas cru que celle-ci courrait personnellement un danger de persécution si elle retournait dans son pays.
Il ne fait pas de doute que les membres de la section ont le droit de contre-interroger les témoins. Cependant, le tribunal a fait des remarques harcelantes et posé des questions injustes, qui seraient même interdites à un avocat effectuant un contre- interrogatoire dans une procédure accusatoire. Bien qu'il se puisse, qu'en soi, cela ne suffise pas pour conclure à la partia- lité du tribunal, il n'en reste pas moins que celui-ci a fait des remarques sexistes, déplacées et hors de propos, qui étaient de nature à créer une apparence de partialité chez leur auteur. Les attitudes sexistes et la condescendance envers les femmes en général sont inacceptables aujourd'hui, au Canada, dans des procédures judiciaires. De telles attitudes, de la part de per- sonnes qui doivent rendre des décisions, font naître une crainte raisonnable de partialité.
JURISPRUDENCE DÉCISION Cl"1ÉE:
Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), A-628-90, C.A.F., juge Heald, J.C.A., jugement en date du 21-6-91, encore inédit.
AVOCATS:
Daniel Payette pour l'appelante. Normand Lemyre pour l'intimé.
PROCUREURS:
Payette, Bélanger, Fiore, Montréal, pour l'appe- lante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Il s'agit d'un appel d'une décision rendue par la section du statut de réfu- gié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui a rejeté la revendication de l'appelante.
L'appelante est ressortissante somalienne âgée aujourd'hui de trente ans. Elle dit avoir fui son pays natal parce qu'elle craignait d'être persécutée par le régime de Siad Barré alors en place. Son frère aîné avait été participant actif dans un coup d'état manqué contre le régime et après avoir fui le pays est devenu militant et ensuite président du Front Démocratique pour le Salut de la Somalie (FDSS). La crainte de persécution de l'appelante provient non seulement de ses liens avec son frère mais aussi de ses propres opi nions politiques et de son adhérence à la religion musulmane.
Dans la décision attaquée la section du statut, après avoir résumé la preuve dans ses grandes lignes, s'est exprimée comme suit:
Après avoir analysé toute la preuve, tant documentaire que testimoniale, nous concluons que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention pour les raisons sui- vantes:
Même si l'élément objectif de sa crainte ne fait aucun doute en ce qui concerne la situation des droits de la personne en Somalie, nous croyons que l'ensemble du témoignage de la demanderesse visant à établir l'aspect subjectif de sa crainte n'est pas crédible, et ce à cause de quatre considérations prin- cipales: sa façon de témoigner, des demi-vérités, les contradic tions sans explications satisfaisantes et les invraisemblances majeures. [Dossier d'appel, aux pages 80 et 81.]
Ensuite la section du statut donne des exemples des passages dans le témoignage de l'appelante qui, à son avis, ont amoindri sa crédibilité pour en conclure:
Pour toutes ces raisons, il nous est difficile d'accorder foi au témoignage de la demanderesse. En conséquence, la section du statut déclare que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention tel que défini à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration. [Dossier d'appel, page 84.]
Dans un premier temps l'appelante s'en prend à cette décision pour un motif de droit pur: la section ayant conclu que, «l'élément objectif de sa crainte ne fait aucun doute», ne pouvait tout simplement pas trouver que l'appelante n'avait pas une crainte sub jective. Pour ma part, j'avoue que je trouverais du mérite dans cette attaque si réellement la section avait conclu à la non-existence d'une crainte subjective alors que la crainte objective avait été établie au-delà de tout doute. Il est vrai, évidemment, que la défini- tion de réfugié au sens de la Convention a toujours été interprétée comme comportant un élément subjec- tif et un élément objectif. L'utilité de cette dichoto-
mie provient du fait qu'il arrive souvent qu'une per- sonne puisse craindre subjectivement d'être persécutée alors que cette crainte n'est pas bien fon- dée dans les faits, c'est-à-dire, qu'elle est objective- ment sans raison. L'inverse, toutefois, est beaucoup plus discutable. En effet je conçois difficilement dans quelles circonstances on pourrait affirmer qu'une per- sonne qui, par définition, n'oublions pas, revendique le statut de réfugié, puisse avoir raison de craindre d'être persécutée et se voir quand même refusée parce que l'on prétend que cette crainte n'existe réel- lement pas dans son for intérieur. La définition de réfugié n'est certainement pas conçue pour exclure les personnes courageuses ou simplement stupides au profit de celles qui sont plus timides ou plus intelli- gentes. D'ailleurs, il répugne de penser que l'on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant de bas âge ou une personne souffrant d'une débilité mentale, était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.
Quoi qu'il en soit, la section du statut a-t-elle réel- lement conclu à l'existence d'une crainte objective? Dans les circonstances de l'espèce, je suis d'avis que non et que, malgré les apparences, la section n'a pas commis l'erreur qu'on lui reproche. L'on se rappelera que, dans le passage cité ci-dessus, la section s'est bien déclarée convaincue de l'élément objectif mais a tout de suite ajouté un qualificatif important: «en ce qui concerne la situation des droits de la personne en Somalie». À la lumière de ses commentaires subsé- quents, et surtout des exemples qu'elle a données à l'appui de sa conclusion que l'appelante n'était pas crédible, je suis d'avis que la section voulait dire que la crainte de l'appelante n'était pas bien fondée même si des abus sérieux des droits de la personne se commettaient en Somalie. En d'autres termes, la sec tion ne croyait pas que l'appelante avait raison de craindre d'être persécutée si elle retournait dans son pays. De l'évidence, cette conclusion était basée sur le fait que la section était d'avis que l'appelante n'était pas un témoin digne de foi.
L'on voit donc l'importance qu'a joué la conclu sion de la section quant à la crédibilité de l'appelante dans la décision rendue. L'appelante a essayé d'atta- quer cette conclusion directement mais avec très peu
de succès: si la section a erré en refusant de croire l'appelante, il ne s'agirait pas d'une erreur de nature à permettre l'intervention de cette Cour.
Il y a, toutefois, une troisième attaque faite par l'appelante contre la décision. Elle vise le comporte- ment même des membres de la section lors de l'au- dience. Elle est à deux volets. Dans un premier temps, l'appelante prétend que les membres de la sec tion se sont livrés à un contre-interrogatoire qui dépasse les limites de ce qui est permis et qui a nié à l'appelante l'audition juste et équitable à laquelle elle a droit. Dans un second temps, elle prétend qu'un des membres de la section s'est permis, à son égard, des commentaires de nature à donner lieu à une appa- rence de partialité. À mon avis, cette attaque double est bien fondée.
Il ne fait aucun doute que les membres de la sec tion du statut ont le droit de contre-interroger les témoins qu'ils entendent ] .
Il paraît que les membres dans le présent dossier étaient très au courrant de leur droit [Appendice à la page 54]:
PAR LE MEMBRE (au membre audiencier)
Monsieur le Président, s'il m'est permis d'intervenir, vous savez que le contre-interrogatoire est permis devant notre tribunal. C'est d'ailleurs notre seul moyen, ressource, pour juger de la crédibilité de certains individus et Dieu sait qu'on nous en conte toutes sortes d'histoires.
Il y a, toutefois, des limites. La transcription de l'audience devant la section comprend soixante-dix- sept pages incluant la page frontispice. Pendant les premières onze pages on s'est occupé des questions préliminaires et de la production des divers pièces. Ensuite, des pages douze à vingt-deux, l'appelante a répondu aux questions de son avocat. Il y a plusieurs interruptions par les membres de la section mais elles sont toutes de nature à faire apporter des précisions aux réponses données. À partir de la page vingt-trois, toutefois, et jusqu'à la fin, ce sont presque exclusive- ment les membres de la section qui posent toutes les questions. Il s'agit carrément d'un contre-interroga- toire les deux membres prennent la relève à tour de rôle. Le ton et le contenu des questions sont peu
Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), A-628-90, C.A.F., juge Heald, J.C.A., jugement en date du 21/6/91, encore inédit.
judicieux. En voici quelques exemples et pas néces- sairement les pires [Appendice, aux pages 26 et 27]:
Q. Lorsque vous êtes sortie de prison, vous êtes retournée chez vous ... c'était où? C'était chez vos parents ou avec votre mari?
R. Lorsque j'ai dit que je suis allée chez moi, c'est chez mon père et ma mère.
Q. Quand est décédé votre père?
R. En 1977.
Q. Alors, comment allez-vous chez votre père lorsqu'il décédait en 1989? Lorsque vous sortiez de prison...
R. Mais il y a ma mère qui restait, mais n'empêche que c'était toujours chez mon père.
Drôle de jeu de mots.
R. Je m'excuse.
[Je souligne.]
Le fait de décrire la maison qu'habitait feu son père et qu'habite encore sa veuve comme «chez mon père» n'est ni drôle, ni un jeu de mot.
[Appendice, à la page 27.]
Q. Vous avez six frères?
R. Oui.
Q. Vous n'auriez pas pu aller vous établir près de vos petits frères, aux États-Unis?
R. C'est moi qui ai choisi le Canada. [Je souligne.]
Il faut noter qu'en aucun moment n'était-il établi qu'aucun des frères de l'appelante était plus jeune qu'elle. Le qualificatif «petit» était donc purement gratuit.
[Appendice, à la page 34.]
On vous a demandé vous, comment c'est que vous avez été traitée. On vous a pas demandé les autres, on parle de vous, c'est votre réclamation aujourd'hui. Pas les autres madame. Dix-sept ans de scolarité. Vous comprenez nos questions. Dépêchez-vous de nous le dire si vous compre- nez pas.
[Appendice, à la page 35.]
Q. Quels vêtements vous a-t-on déchiré sur le dos?
R. Ce genre de boubou (phonétique) que je porte aujour- d'hui.
Q. De boubou? C'est la longue robe?
R. Oui, c'est ça.
Q. C'est pas plutôt votre voile? Parce qu'on vous reprochait d'avoir un voile. J'aurais cru que ça aurait été le voile qu'on aurait déchiré le premier.
R. Ils coupaient avec des ciseaux, même nos voiles.
Tout à l'heure, j'ai demandé quels vêtements et vous avez dit que c'était votre boubou. Alors vous ajoutez... parce que je vous donne des idées...
R. Ce sont tous les vêtements que je portais.
Q. vous dites maintenant tous les vêtements? Est-ce à dire que vous êtes devenue toute nue?
R. Ils coupaient avec les ciseaux les manches de ma robe.
Q. Mais pas le voile?
R. Oui, même le voile. [Je souligne.]
[Appendice, à la page 51.]
PAR LE MEMBRE la personne en cause)
Je vais vous poser une question à laquelle vous n'avez pas encore répondu à quelques reprises d'ailleurs. Je vous ai demandé si vous aviez obtenu la citoyenneté kénienne et vous n'avez pas répondu.
R. Non.
PAR LE MEMBRE AUDIENCIER la personne en cause)
Q. Est-ce que vous avez la citoyenneté de l'Arabie Saoudite aussi?
R. Non.
Q. Alors, comment ... expliquez-moi comment le gouver- nement de l'Arabie Saoudite vous donnait une bourse pour une période de six ans d'études? C'est quand-même dispendieux. Les gouvernements ... je m'explique mal la générosité de ces gouvernements-là à votre égard...
PAR LE MEMBRE la personne en cause)
Q. Qu'aviez-vous fait de si beau et de si bon pour eux?
R. Moi, je suis simplement allée voir cet institut Molhaq pour déposer mes diplômes et une demande. Donc, trois mois après, je suis acceptée par le gouvernement saou- dien et c'est comme ça que j'ai pu obtenir mon visa aussi.
[Je souligne.]
Malgré ce qu'en déclare le membre dans la pre- mière question il s'agissait de la première fois qu'on avait mentionné la possibilité que l'appelante avait obtenu la citoyenneté kénienne. La preuve documentaire confirme d'ailleurs que le gouverne- ment de l'Arabie Saoudite offre des bourses aux étu- diants de certains pays africains (Voir Dossier d'ap- pel, à la page 73).
[Appendice, à la page 56.]
PAR LE MEMBRE la personne en cause)
Q. Vous voulez nous faire croire qu'en Arabie Saoudite, des étudiants doivent sortir de leur pays pendant les vacances. Vous nous dites vraiment cela? Les étudiants étrangers doivent sortir durant les vacances? Vous nous dites vraiment cela?
R. Lorsque vous dites tous les étudiants, ce sont surtout les filles, les femmes étudiantes qui se trouvent en Arabie Saoudite qui ne peuvent pas rester pendant les vacances en Arabie Saoudite.
Q. Alors là, maintenant, vous nous dites que ce sont des filles qui ne peuvent pas rester? C'est bien ce que vous dites aussi?
R. Oui, c'est pendant toute l'année, c'est sous forme d'un internat et il y a des gens qui s'occupent de notre santé, il y a des gens qui font les provisions, mais lorsqu'on finit l'année scolaire, on nous emmène directement à l'aéroport pour nous envoyer chez nous. Si par exemple ... vous avez un responsable qui se trouve en Arabie Saoudite, vous pouvez rester. Alors que c'était pas mon cas.
Q. Pourquoi qu'ils font cela? Ils ont peur que vous vous débauchiez pendant les vacances? Qu'est-ce qui se passe?
R. C'est...
C'est une longue histoire tout ça.
R. C'est l'institution saoudienne, je ne sais pas.
[Je souligne.]
Abstraction faite des commentaires désobligeants de la part du membre, il n'y a rien en soi surprennent dans l'affirmation du témoin que l'Arabie Saoudite, pays musulman, exige que les étudiantes étrangères quittent le pays pendant les vacances scolaires.
Jusqu'ici les exemples données font preuve d'un état d'esprit peu judicieux chez les membres de la section. Ils se sont permis des remarques harcellantes auprès du témoin et ont posé des questions injustes. Même un avocat en contre-interrogatoire lors d'une procédure accusatoire serait interdit de continuer dans cette veine. Cependant, il se peut que leur com- portement ne suffit pas, à lui seul, pour conclure à une apparence de partialité chez les membres de la section. Toutefois, il colore un autre aspect de ce dos sier que je vais maintenant aborder.
On se rappelera que l'appelante est une femme et qu'elle était seule à témoigner pour appuyer sa reven- dication du statut de réfugié. On se souviendra égale-
ment de l'importance qu'a joué l'appréciation faite par les membres de la section de la crédibilité de l'appelante dans la décision finale.
Vers le début de son contre-interrogatoire de l'ap- pelante un des membres a eu l'échange suivante avec elle [Appendice, aux pages 33à 34]:
Q. Est-ce qu'ils vous ont battue dès les premiers interroga- toires ou vers la fin?
R. Ils n'ont jamais touchée. Ils m'insultaient...
Vous avez dit tout à l'heure qu'ils vous avaient gifflée (sic). Ils vous ont touchée, ma chère dame.
[Je souligne.]
Il s'agit d'une forme d'adresse dépassée, carré- ment sexiste et tout à fait inacceptable dans le Canada d'aujourd'hui.
Un peu plus loin on trouve l'échange suivante [Appendice, à la page 40]:
Q. Vous n'avez pas eu l'idée d'entrer chez vous, en toute sécurité?
R. On entendait des tirs de balles partout, dans les quatre coins de la ville.
Raison de plus de vous réfugier à l'abri, à quelque part et ne pas courir avec des manifestants.
R. Il y avait tout le monde qui était là. Donc, je voulais être membre de ces gens qui sont présents pour défendre leurs droits.
Mais, vous étiez une femme, et toute petite. Vous pou- viez pas faire une grande défense.
[Je souligne.]
Selon son passeport déposé à l'audience, l'appe- lante a une taille de 1,70 mètres et est d'une stature normale. Pourquoi donc la qualifier de «toute petite» si ce n'est pour l'insulter et la dénigrer?
Finalement, vers la toute fin de l'audience, le même membre s'adresse encore une fois à l'appe- lante dans les termes suivants [Appendice, à la page 74] :
Quant à ça, on vous l'a traduit ... monsieur l'interprète est ici très compétent, vous a traduit la même chose. Il a traduit cet après-midi. On vous a donné un gros vingt minutes si c'est pas plus. Vous auriez la chance, encore là, de le dire ma chère dame.
[Je souligne.]
À mon avis, ces remarques sexistes, déplacées et fort mal à propos de la part d'un membre de la sec-
tion du statut sont de nature à créer une apparence de partialité chez leur auteur. Le jour est passé on tolérait la condescendance, le ton de supériorité inhé- rante et les «compliments» insultants qu'on offrait trop souvent aux femmes qui osaient pénetrer dans le sanctuaire mâle des tribunaux de justice. Le juge qui se le permet aujourd'hui perd son manteau d'impar- tialité. La décision ne peut pas tenir.
J'accueillerais l'appel, je casserais la décision atta- quée et je renverrais l'affaire pour une nouvelle audi tion devant un autre quorum de la section du statut.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je suis d'accord. LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: J'y souscris.
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