T-345-88
Lois Taylor, Ann Ward et Eva Campbell
(d emande resse sl requé ra ntes )
c.
Sa Majesté la Reine (defenderesselintimée)
RÉPERTOR/É.' TAYLOR C. CANADA (®re INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Edmonton, 4 février; Ottawa, 16 août 1991.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Interrogatoire préalable — Demande visant à
obliger la défenderesse à répondre à des questions de l'interro-
gatoire préalable et demande de nouvel interrogatoire préala-
ble — Contestation de la validité constitutionnelle de la Loi
sur la sécurité de la vieillesse — Production de plus de mille
six cents documents. Le représentant de la défenderesse refuse
d'indiquer sur quels faits repose la défense fondée sur l'art.
15(2) et sur l'art. I de la Charte — Les questions «relatives au
fondement de la défense» sont potentiellement irrégulières —
Elles exigent une réponse découlant d'une planification faite
par le témoin et elles portent sur le droit puisqu'elles imposent
au témoin de se servir du droit applicable pour sélectionner les
faits — Ler complexité et le volume des documents peuvent don-
ner le droit d'obtenir des indications concernant les parties
des documents utilisées — Les requérantes peuvent reformuler
leurs questions conformément aux exemples donnés dans Can -
Air Services Ltd. v. British Aviation insurance Co. Ltd. — La
demande de nouvel interrogatoire préalable est rejetée — On
n'a pas établi l'existence de motifs particuliers et d'une situa
tion exceptionnelle — Les demanderesses ont beaucoup
attendu pour demander les détails, il y a déjà eu un interroga-
toire poussé et aucune nouvelle question n'a été soulevée.
Les requérantes demandent à la Cour de rendre l'ordonnance
prévue à la Règle 465(18) et d'enjoindre au témoin de répon-
dre aux questions ayant fait l'objet d'une objection au cours de
l'interrogatoire préalable et de rendre aussi l'ordonnance pré-
vue à la Règle 465(19) et de permettre un nouvel interrogatoire
préalable sur les détails fournis. En 1988, les demanderesses
ont intenté une action contestant la validité constitutionnelle de
la Loi sur la sécurité de la vieillesse. L'interrogatoire préalable
a eu lieu entre les mois de juin 1989 et d'avril 1990. Le repré-
sentant de la défenderesse a refusé de répondre à certaines
questions. Au mois d'octobre 1990, les demanderesses ont pré-
senté une demande de détails visant l'obtention d'un exposé
précis des faits substantiels étayant les moyens de défense
fondés sur le paragraphe 15(2) et sur l'article premier de la
Charte. Plus de mille six cents documents furent produits au
cours de l'interrogatoire préalable. Les demanderesses font
valoir qu'étant donné le nombre important et la complexité des
documents, la défenderesse devrait être tenue d'indiquer
quelles parties de ceux-ci elle entend utiliser. Elles soutiennent
aussi qu'elles ont besoin d'un autre interrogatoire préalable
pour explorer les nouvelles questions soulevées par les détails
fournis. La défenderesse plaide qu'il y a déjà eu un interroga-
toire approfondi et qu'il serait déraisonnable et injuste de lui
ordonner de répondre aux questions. De plus, beaucoup de
questions requièrent qu'elle produise sa planification, ses argu
ments et la stratégie qu'elle entend suivre au procès, portent
atteinte au secret professionnel de l'avocat et ne constituent
pas des questions valides car elle n'est pas tenue de divulguer
les motifs qui lui font décider de la pertinence des documents.
La défenderesse soutient en outre que la Règle 465(19) impose
des conditions très exigeantes et que les demanderesses n'ont
pu démontrer l'existence ni de raisons spéciales ni d'une situa
tion exceptionnelle.
Jugement: concernant la demande d'ordonnance visant à
enjoindre à la défenderesse de répondre aux questions, les
demanderesses peuvent reformuler les questions «relatives au
fondement» conformément aux exemples donnés dans la déci-
sion Can -Air Services Ltd. v. British Aviation Insurance Co.
Ltd.; la demande d'ordonnance visant l'obtention d'un nouvel
interrogatoire préalable est rejetée.
Il faut statuer sur la régularité de toute question posée dans
un interrogatoire préalable en fonction de son rapport avec les
faits qui, d'après la déclaration, constituent la cause d'action,
plutôt qu'en fonction de son rapport avec les faits que la
demanderesse a l'intention de prouver pour démontrer les faits
à l'origine de sa cause d'action. Les questions «relatives au
fondement», savoir les questions où l'on demande au témoin
sur quels faits il appuie une affirmation ont été jugées incor-
rectes parce qu'elles requièrent du témoin qu'il ne sélectionne
que les faits sur lesquels il s'appuie—elles lui demandent une
réponse découlant de la planification qu'il a faite. En posant de
telles questions, on cherche en outre à contourner la règle vou-
lant qu'un interrogatoire préalable ne porte que sur les faits et
non sur le droit, en obligeant le témoin à penser aux points de
droit applicables, à les utiliser à la sélection des faits et à révé-
ler le résultat de l'opération. Toutefois, la régularité des ques
tions peut dépendre de l'importance et de la complexité des
documents. Il peut arriver que des documents soient si volumi-
neux et complexes que la partie adverse devra, pour pouvoir
réaliser les objectifs de l'interrogatoire préalable, obtenir de la
demanderesse certaines indications sur les parties que celle-ci
entend utiliser. Dans la décision Can -Air, le juge Côté, J.C.A.,
a donné des exemples de la façon de reformuler les questions
relatives au fondement, dans de telles circonstances, pour les
rendre purement factuelles. Le fait, pour une partie, de relever,
d'isoler et d'identifier des éléments des documents qu'elle a
produits et qui ont trait aux allégations, questions et événe-
ments en cause relève davantage de la divulgation de faits que
de la communication d'éléments de preuve. Il n'est pas souhai-
table d'introduire des documents sans préciser quelles parties
de ceux-ci sont réellement invoquées.
Étant donné l'importance de la question et le grand nombre
de documents produits, il convient que la défenderesse donne
aux demanderesses des indications concernant les éléments
qu'elle a l'intention d'utiliser. L'application des règles de la
Cour ne devrait jamais empêcher celle-ci d'avoir accès 3 tous
les renseignements pertinents pour pouvoir rendre une décision
équitable.
La personne qui désire procéder à un nouvel interrogatoire
au préalable en vertu de la Règle 465(19) doit établir qu'elle le
fait pour un motif spécial et dans des circonstances exception-
nelles. Bien que la requête écrite demandant des détails et la
réponse qui en découle soient incorporées aux plaidoiries, la
réponse fournie en l'espèce par la défenderesse n'a soulevé
aucune nouvelle question justifiant de tenir un nouvel interro-
gatoire préalable. Vu le retard à demander les détails, l'interro-
gatoire poussé qui a eu lieu et l'absence de nouvelles questions
soulevées par les détails, les défenderesses n'ont pas établi
l'existence de circonstances spéciales justifiant ce recours
extraordinaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Lai constitutionnelle de 1982, annexe B,
Lai de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 15, 24.
Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970, chap.
O-6.
Règles de la Cour . fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 465.
JURISPRUDENCE
DECISIONS SUIVIES:
Can -Air Services Ltd. v. British Aviation Insurance Co.
Ltd. (1988), 91 A.R. 258; [1989] I W.W.R. 750; 63 Alta.
L.R. (2d) 61; 30 C.P.C. (2d) I (C.A.); Leliever v. Lindson
(1977), 3 C.P.C. 245 (H.C. Ont.); Rule-Bilt Ltd. v.
Shenkman Corporation Ltd. et al. (1977), 18 O.R. (2d)
276; 4 C.P.C. 256 (C.S.); Beloit Canada Ltée/Ltd. et autre
c. Va/met Oy (1981), 60 C.P.R. (2d) 145 (C.F. Ire inst.);
Ethicon Inc. et autre c. Cyanamid du Canada Ltée (1977),
35 C.P.R. (2d) 126 (C.F. Ire inst.); Imperial Marine
Industries Ltd. c. Fireman's Fund Insurance Co., [1977] 1
C.F. 747 (Ire inst.); Johnson (S.C.) and Son Ltd. c. Pic
Corp. et autre (1975), 19 C.P.R. (2d) 26 (C.F. Ire inst.);
Geo Vann, Inc. c. N.L. Industries, Inc. (1984), 1 C.P.R.
(3d) 277 (C.F. Ife inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sperry Corporation c. John Deere Ltd. et autre (1984), 82
C.P.R. (2d) I (C.F. Ife inst.); Armstrong Cork Canada
Ltd. et autres c. Domco Industries Ltd. et autres (1983),
71 C.P.R. (2d) 5; 48 N.R. 157 (C.A.F.); Champion Packa
ging Corp. c. Triumph Packaging Corp., [1977] 1 C.F.
191; (1976) 29 C.P.R. (2d) 284; 14 N.R. 43 (C.A.).
AVOCATS:
T. Huckell et E. Ticoll pour les demanderesses
(requérantes).
John B. Luskin pour la défenderesse (intimée).
PROCUREURS:
Travis Huckell, Edmonton, pour les demanderes-
ses (requérantes).
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto,
pour la défenderesse (intimée).
Ce gui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La présente
requête a été entendue le 4 février 1991 à Edmonton
(Alberta). Les demanderesses demandent à la Cour,
dans leur avis de requête daté du 8 janvier 1991, de
rendre l'ordonnance prévue à la Règle 465(18)
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et
d'enjoindre à l'employé de la défenderesse, M. Rod-
ney Hagglund, de répondre aux questions ayant fait
l'objet d'une objection au cours de l'interrogatoire
préalable. Elles lui demandent aussi de rendre l'or-
donnance prévue à la Règle 465(19) et de permettre
un nouvel interrogatoire préalable sur les détails four-
nis par la défenderesse le 21 novembre 1990.
CONTEXTE:
Les demanderesses soumettent la présente requête
dans le cadre de l'action qu'elles ont intentée
le 25 février 1988 à Edmonton (Alberta) et dans
laquelle elles contestent la validité constitutionnelle
de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970,
chap. O-6, et de ses modifications (la «Loi»). Dans
leur déclaration, les demanderesses sollicitent le pro-
noncé d'un jugement déclaratoire portant que les dis
positions de la Loi établissant l'allocation au conjoint
pour veuf et veuve constituent une forme de discrimi
nation fondée sur l'état civil contraire à l'article 15 de
la Charte canadienne des droits et libertés (la
«Charte») [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]]. Elles demandent aussi à la Cour
de rendre, en application du paragraphe 24(1) de la
Charte, une ordonnance modifiant la Loi de façon à
supprimer tout ce qui a trait à l'état civil et enjoignant
à la défenderesse de leur verser l'allocation au con
joint pour veuf et veuve à compter de la date où cha-
cune des demanderesses en a fait la demande. La
défenderesse nie, dans la défense qu'elle a produite
le 23 mars 1988, que les dispositions attaquées con-
treviennent au paragraphe 15(1) de la Charte. Elle
allègue subsidiairement que ces dispositions sont
visées au paragraphe 15(2) de la Charte, lequel
exempte de l'application du paragraphe 15(1) toute
loi destinée à améliorer la situation d'individus ou de
groupes défavorisés, et qu'elles sont justifiées aux
termes de l'article premier de la Charte.
Deux actions similaires ont été intentées devant la
Cour, l'une en Ontario (l'«affaire Granek») et l'autre
en Nouvelle-Écosse (l'«affaire Collins»). Le
26 mars 1990, par suite d'une requête présentée par
la défenderesse, le protonotaire adjoint Giles a, entres
autres, ordonné que la présente action soit entendue
en même temps que les deux actions précitées, qu'il y
ait un interrogatoire préalable commun de la défende-
resse et qu'à moins d'entente ou d'ordonnance con-
traire, les exposés des témoins experts soient signifiés
et produits au plus tard trente jours avant le début de
l' instruction.
Dans les affaires Granek et Collins, l'interrogatoire
préalable du représentant de la défenderesse, M. Rod-
ney Hagglund, a commencé les 21 et 22 juin 1989.
M. Hagglund est directeur général adjoint de la
Direction des politiques, des appels et de la législa-
tion des programmes de la Direction générale des
programmes de la sécurité du revenu au ministère de
la Santé nationale et du Bien-être social. L'interroga-
toire préalable a repris le 4 octobre 1989 et l'avocat
des demanderesses a accepté que l'interrogatoire
effectué dans les affaires Granek et Collins serve
aussi en l'espèce. L'interrogatoire s'est poursuivi
le 30 avril 1990 et s'est terminé la même date sous
réserve des engagements et des objections. Au cours
de l'interrogatoire, la défenderesse a produit une liste
de plus de mille six cents documents qui ont rempli
douze gros relieurs à feuilles mobiles. Les questions
auxquelles M. Hagglund a refusé de répondre sont
énumérées à la pièce «A» annexée à l'affidavit sous-
crit par Lois Taylor le 8 janvier 1991. La défende-
resse a classé ces questions dans les catégories sui-
vantes, auxquelles les deux parties ont fait référence
dans leur argumentation:
[TRADUCTION] a) les questions visant à désigner les faits ou les
documents fondant certaines des allégations présentées en
défense par la défenderesse (éléments 1-3 et 5-11);
b) les questions visant la communication des arguments que la
défenderesse présentera au procès, à l'appui de certaines de ses
allégations ainsi que celle des faits étayant sa stratégie de
défense (éléments 14 et 19-20);
c) les questions portant sur les motifs faisant que certains
documents produits par la défenderesse ont été jugés pertinents
aux objets de l'action; (éléments 13 et 15-17);
d) une question visant effectivement l'obtention de détails rela-
tifs à la défense fondée sur le paragraphe 15(2) de la Charte
(élément 4);
e) une question demandant que M. Hagglund repère, parmi les
documents produits, le fondement de la déclaration faite dans
un document préparé par la bibliothèque du Parlement relative-
ment à la loi en cause (élément 12);
f) une question visant la production des études qui ont pu être
préparées en rapport avec des programmes législatifs autres
que celui qui est visé en l'espèce (élément 18).
Le 9 octobre 1990, les avocats des demanderesses
ont présenté une demande officielle de détails visant
l'obtention d'un [TRADUCTION] «exposé précis des
faits substantiels fondant les paragraphes cinq, six et
sept de la défense». La défenderesse a fourni la
réponse suivante le 21 novembre 1990:
[TRADUCTION] Paragraphe cinq de la défense
I. La dénégation du fait que les dispositions de la Loi sur la
sécurité de la vieillesse (la «Loi») établissant l'allocation au
conjoint pour veuf et veuve enfreignent ou nient un droit
énoncé au paragraphe 15(I) de la Charte relève de l'argumen-
tation en droit présentée au procès et ne nécessite aucun détail.
Paragraphe six de la défense
2. L'énumération qui suit est celle des faits substantiels sur les-
quels repose l'allégation faite au paragraphe 6, selon laquelle
les dispositions de la Loi établissant l'allocation au conjoint
pour veuf et veuve sont visées au paragraphe 15(2) de la
Charte:
a) Les dispositions ont pour objet l'amélioration de la situa
tion des veuves ou des veufs ayant entre soixante et
soixante-quatre ans.
b) Les personnes auxquelles ces dispositions viennent en
aide, dont la majorité sont des femmes, sont financière-
ment défavorisées.
c) Le gouvernement du Canada n'a pu, jusqu'à ce jour, éten-
dre le versement de prestations similaires à d'autres per-
sonnes ayant entre soixante et soixante-quatre ans, y com-
pris les demanderesses, du fait de ses ressources
financières limitées.
Paragraphe sept de la défense
3. L'énumération qui suit est celle des faits substantiels sur les-
quels repose l'allégation faite au paragraphe sept, selon
laquelle les dispositions de la Loi établissant l'allocation au
conjoint pour veuf et veuve constituent une limite raisonnable,
prévue par une règle de droit, dont la justification peut se
démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique:
a) [Identique à l'alinéa 2.a) ci-dessus.]
b) L'objet visé par ces dispositions est une préoccupation
urgente et réelle dans une société libre et démocratique.
c) Les dispositions visent la réalisation de cet objectif d'une
façon rationnelle et proportionnelle.
d) [Identique à l'alinéa 2.c) ci-dessus.]
Le 6 décembre 1990, les demanderesses ont demandé
à réinterroger M. Hagglund au préalable sur les
détails fournis. Dans une lettre datée du 10 décem-
bre 1990, l'avocat de la défenderesse a prié les
demanderesses de lui transmettre une liste des rensei-
gnements supplémentaires requis.
Dans la présente requête, les demanderesses
requièrent un nouvel interrogatoire préalable. Les
avocats des demanderesses ont reçu mandat de repré-
senter ceux de l'affaire Collins et jouissent de l'appui
de ceux de l'affaire Granek. Ils ont présenté deux
demandes subsidiaires, savoir que la Cour:
[TRADUCTION] (i) enjoigne à la défenderesse de répondre aux
questions auxquelles elle n'avait pas permis à
son représentant de répondre;
(ii) ordonne un nouvel interrogatoire préalable sur les détails
donnés.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES:
La Règle 465 des Règles de la Cour fédérale, rela
tive aux interrogatoires préalables, prévoit:
Règle 465.(I) Aux fins de la présente Règle, on peut procéder
à l'interrogatoire préalable d'une partie, tel que ci-après prévu
dans cette Règle,
(15) À un interrogatoire préalable autre qu'un interrogatoire
en vertu de l'alinéa (5), l'individu qui est interrogé doit répon-
dre à toute question sur tout fait que la partie interrogée au
préalable connaît ou a les moyens de connaître et qui peut soit
démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter
une allégation de fait non admis dans une plaidoirie à la cause
de la partie qui est interrogée au préalable ou de la partie qui
procède à l'interrogatoire.
(18) L'examinateur, à moins qu'il ne soit protonotaire ou
juge, n'a pas le pouvoir de statuer sur un point soulevé au sujet
de l'application des alinéas (I5) ou (16). Dans tous les cas
autres que celui où l'examinateur est un juge, si la partie qui
procède à l'interrogatoire préalable est d'avis que l'individu
interrogé a omis de répondre, ou a suffisamment [insuffisam-
ment] répondu, la partie qui procède à l'interrogatoire peut
demander à la Cour, soit par requête, soit par une simple
demande, une ordonnance enjoignant à cette personne de
répondre ou de fournir une plus ample réponse. Lorsque l'exa-
minateur est un juge, sa décision sur toute question est censée
être une ordonnance de la Cour.
(19) La Cour pourra, pour des raisons spéciales, mais excep-
tionnellement, et dans sa discrétion, ordonner un autre examen
préalable après qu'une partie ou cessionnaire aura été examiné
au préalable en vertu de la présente Règle.
ARGUMENTATION DES DEMANDERESSES:
Les demanderesses soutiennent que la défende-
resse doit faire connaître le fondement factuel de sa
défense, particulièrement dans le cas d'un litige cons-
titutionnel sérieux, afin d'assurer la communication
la plus complète possible. La défenderesse n'a
avancé aucun argument factuel au soutien des
moyens de défense fondés sur le paragraphe 15(2) et
sur l'article premier de la Charte qu'elle invoque. Les
demanderesses plaident que la généralité des alléga-
tions énoncées à la défense, le refus de la partie
défenderesse de répondre aux questions en cause et la
nature générale des détails font qu'elles en sont
réduites à deviner quels seront les moyens de défen-
ses invoqués.
Les demanderesses font valoir que les questions
auxquelles M. Hagglund, le représentant de la défen-
deresse, a refusé de répondre ont incontestablement
un rapport avec l'action ainsi qu'avec des faits dont il
a connaissance ou qu'il a les moyens de connaître et
qui peuvent démontrer ou tendre à réfuter les alléga-
tions de fait non admis contenues dans les plaidoiries
des parties. Elles soutiennent que les objections de la
défenderesse sont d'ordre technique et portent davan-
tage sur la formulation des questions que sur leur
substance. Elles estiment qu'il n'est pas raisonnable
de penser qu'elles vont pouvoir examiner et interpré-
ter la documentation volumineuse qui a été produite à
l'occasion de l'interrogatoire préalable, évaluer son
importance et déterminer sur quels faits la défende-
resse fonde sa défense et qu'il devrait incomber à
cette dernière, compte tenu du nombre important des
documents produits et de leur complexité, d'indiquer
les extraits particuliers des documents ou de donner
une certaine indication des parties de la documenta
tion dont elle entend se servir.
Les demanderesses soutiennent en outre, ainsi qu'il
en est fait état à la pièce «C» jointe à l'affidavit de
Lois Taylor, qu'à cause des nouveaux détails fournis
par la défenderesse, la Cour devrait ordonner la tenue
d'un autre interrogatoire préalable. Elles prétendent
que ces détails modifient, en fait, les plaidoiries, car
ils abordent des sujets et soulèvent des questions aux-
quelles les plaidoiries originales ne faisaient pas allu
sion. Il s'impose donc de procéder à un autre interro-
gatoire préalable afin d'explorer ces nouveaux
éléments et d'obtenir les renseignements nécessaires
pour instruire l'action. Les demanderesses expliquent
qu'elles n'ont pas réclamé les détails plus tôt parce
qu'elles s'attendaient à obtenir les faits nécessaires au
cours de l'interrogatoire préalable de la défenderesse.
Elles présentent ainsi les nouvelles avenues d'exa-
men ouvertes par les détails fournis:
[TRADUCTION] (i) des questions relatives aux faits que connaît
la défenderesse et qui la font conclure que les
veufs et les veuves constituent un groupe défa-
vorisé;
(ii) des questions relatives aux faits que connaît la défende-
resse et qui la font conclure que les veufs et les veuves
ayant entre soixante et soixante-quatre ans sont défavori-
sés si on les compare aux personnes célibataires ou divor
cées appartenant au même groupe d'âge;
(iii) des questions relatives aux faits que connaît la défende-
resse et qui la font conclure que l'avantage conféré aux
veufs et aux veuves et non aux personnes célibataires ou
divorcées repose sur des motifs de politique sociale
valables, rationnellement liés à l'atteinte de l'objectif
d'amélioration de la situation des personnes financière-
ment défavorisées ayant entre soixante et soixante-quatre
ans et proportionnés à cet objectif;
(iv) des questions relatives aux faits que connaît la défende-
resse et qui la font conclure que ses ressources financières
limitées l'empêchent d'étendre aux demanderesses le ver-
sement de prestations similaires;
(v) des questions relatives aux documents portant sur les ques
tions susmentionnées.
ARGUMENTATION DE LA DÉFENDERESSE:
La défenderesse signale que les demanderesses ont
attendu longtemps après la fin de l'interrogatoire
préalable de M. Hagglund pour demander des détails
relativement à la défense. Elle fait remarquer que les
objectifs poursuivis par la Loi, les caractéristiques
des personnes bénéficiant de ses dispositions et les
coûts du programme ont fait l'objet d'un examen
approfondi pendant les quatre jours qu'a duré l'inter-
rogatoire, et qu'il serait déraisonnable et injuste,
compte tenu de cet examen, de rendre, à l'étape
actuelle de la procédure, une ordonnance enjoignant à
la défenderesse de répondre aux questions.
La défenderesse plaide que les questions 1, 2, 3, 5,
6, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 19 et 20 [soit les catégories a) et
b)] requièrent qu'elle produise sa planification, ses
arguments et la stratégie qu'elle entend appliquer au
procès, portent atteinte au secret professionnel de
l'avocat et ne constituent pas des questions valables.
Elle prétend qu'elle n'est pas tenue de divulguer, à
l'interrogatoire préalable, les motifs qui lui ont fait
décider de la pertinence des documents et que les
questions 13, 15, 16 et 17 [soit la catégorie c)] ne
sont donc pas des questions valables. Elle fait valoir
qu'elle a répondu de façon satisfaisante à la question
4 [soit la catégorie d)] en répondant à la demande de
détails, que la questions 12 [soit la catégorie e)] n'est
pas valable car elle exige du représentant de la défen-
deresse qu'il commente une opinion exprimée par un
tiers et que la question 18 [soit la catégorie t)] porte
sur un engagement que la défenderesse a pris et
auquel elle s'est conformée.
La défenderesse affirme que la Règle 465(19)
impose des conditions très exigeantes et que les
demanderesses ne peuvent démontrer l'existence ni
de raisons spéciales ni d'une situation exceptionnelle.
Elle établit une distinction entre les détails requis
pour la préparation des plaidoiries et ceux qui sont
requis pour l'instruction, lesquels, affirme-t-elle, sont
sans rapport avec l'interrogatoire préalable. Selon
elle, puisque les détails n'ont été demandés qu'après
la clôture des plaidoiries et cinq mois après la fin de
l'interrogatoire préalable de la défenderesse, il faut y
voir des détails visant l'instruction. Elle répète que
les détails fournis ont déjà fait l'objet d'un interroga-
toire préalable fouillé et qu'il ne convient pas, en
l'espèce, que la Cour use de sa discrétion pour ordon-
ner un autre interrogatoire, particulièrement si l'on
considère que les demanderesses ont attendu bien au-
delà de la fin de l'interrogatoire préalable pour les
demander et que beaucoup des objections en cause
ont été faites dès le début de l'interrogatoire.
ANALYSE:
La Règle 465(18)—Ordonnance enjoignant de répon-
dre
Dans Sperry Corporation c. John Deere Ltd. et
autre (1984), 82 C.P.R. (2d) 1 (C.F. lre inst.), le juge
McNair a fait observer, à la page 10, que «[s]elon la
tendance dominante actuelle, il y a[vait] élargisse-
ment de la portée de l'interrogatoire préalable». Tou-
tefois, l'objectif légitime d'un interrogatoire préala-
ble est la découverte de faits et, comme l'a mentionné
le juge Heald, J.C.A., dans Armstrong Cork Canada
Ltd. et autres c. Domco Industries Ltd. et autres
(1983), 71 C.P.R. (2d) 5 (C.A.F.), à la page 7, une
décision où il a confirmé la validité du raisonnement
tenu dans Champion Packaging Corp. c. Triumph
Packaging Corp., [ 1977] 1 C.F. 191 (C.A.), aux
pages 192 et 193, «il faut statuer sur la régularité de
toute question concernant l'interrogatoire en fonction
de son rapport avec les faits plaidés dans la déclara-
tion dans la mesure où il sont à l'origine de la cause
d'action plutôt qu'en fonction de son rapport avec les
faits que la demanderesse a l'intention de prouver
pour démontrer les faits à l'origine de sa cause d'ac-
tion».
Les questions des catégories a), b) et c) portent
essentiellement sur ce que la défenderesse a appelé
des [TRADUCTION]«questions relatives au fondement».
Le juge Côté de la Cour d'appel de l'Alberta a exa-
miné, dans Can -Air Services Ltd. v. British Aviation
Insurance Co. Ltd. (1988), 91 A.R. 258 (C.A.), la
régularité de ce qu'il a lui aussi appelé des [TRADUC-
TION] «questions relatives au fondement», telles [à la
page 259]: [TRADUCTION] «Pouvez-vous me dire sur
quels faits vous vous basez pour faire l'allégation
contenue à l'alinéa 9a) de votre défense». Il a conclu
qu'il n'est jamais correct de demander au témoin:
[TRADUCTION] «Sur quels faits vous basez-vous...
pour faire cette allégation?» et il a expliqué [aux
pages 259 et 260] pourquoi des questions formulées
de cette façon étaient incorrectes:
[TRADUCTION] Lorsqu'on dit «Sur quels faits vous basez-
vous ... », on ne cherche pas à connaître des faits dont le
témoin est au courant ou qu'il peut apprendre. On ne demande
pas non plus des faits qui peuvent exister. On demande en fait
au témoin de choisir parmi des ensembles de faits en écartant
ceux qui ne lui servent pas de «base» et en désignant ceux qui
ont valeur de fondement.
Parce que cette question requiert une sélection, elle exige
une réponse découlant d'une planification du témoin.... Ce
qui est réellement demandé, c'est d'expliquer comment son
avocat prouvera les affirmations faites dans les plaidoiries.
Cela peut très bien relever de la stratégie du procès.
L'interrogatoire préalable obéit 3 une autre règle fondamen-
tale voulant qu'il se limite à des faits et ne porte pas sur des
questions de droit:... En posant de telles questions, on tente
de contourner cette règle en obligeant le témoin à penser aux
points de droit applicables ou invoqués, 3 les utiliser pour exé-
cuter une opération (la sélection de faits) et à en révéler le
résultat. En surface, ce résultat donne l'image d'une simple
collection de faits, mais il s'agit en réalité d'autre chose:... Le
témoin ne peut savoir quels faits lui seront utiles en cour à
moins de connaître le droit. Ainsi les faits sur lesquels il se
base doivent dépendre de sa conception du droit.
Toutefois, [TRADUCTION] «parce qu'il peut, dans cer-
tains cas, être possible de poser des questions rela
tives à un résumé factuel», le juge Côté a donné à
l'examinateur la possibilité de reconvoquer le témoin
et de lui poser des questions purement factuelles cor-
rectement reformulées à la place des questions rela
tives au fondement. Il a fourni quelques précisions
sur la façon de reformuler les questions [à la page
2621:
[TRADUCTION] L'avocat procédant 3 un interrogatoire préalable
pourrait valablement demander «Vous déclarez 3 l'alinéa 4b)
de votre déclaration que les facultés du conducteur étaient
affaiblies par l'alcool au moment de la collision. Dites-moi
tous les faits que vous savez au sujet de son état ou sur lesquels
il conviendrait que vous vous renseigniez». Autant la plaidoirie
que la question sont factuelles, la question est donc acceptable.
Si l'avocat avait demandé «Sur quels faits repose l'alinéa 4b)»,
l'avocat du témoin aurait pu à bon droit former objection.
Beaucoup des questions en cause portent aussi sur
la tentative des demanderesses d'établir la pertinence
et l'importance de quelques-uns des mille six cents
documents produits au cours de l'interrogatoire préa-
lable. Dans l'affaire Leliever v. Lindson (1977), 3
C.P.C. 245 (H.C. Ont.), le juge Osler a examiné la
validité de l'ordonnance rendue par le juge Keith, de
la Cour divisionnaire, laquelle enjoignait à la deman-
deresse d'indiquer, dans son interrogatoire préalable,
les extraits particuliers du document sur lesquels elle
avait l'intention de se fonder. Le juge Osler a main-
tenu l'ordonnance, en faisant l'observation suivante
[à la page 2461:
[TRADUCTION] Bien qu'il existe peu, si tant est qu'il en existe,
de décisions sur ce point, les tribunaux ont, à mon avis, habi-
tuellement statué sur ce genre de questions en tenant compte de
l'importance et de la complexité des documents sur lesquels on
voulait interroger les parties. Nous ne disposons d'aucun cri-
tère susceptible d'application universelle dans de tels cas. En
effet, il peut fort bien se produire qu'un document puisse faci-
lement être consulté et compris en entier et qu'il apparaisse
clairement qu'une partie ait l'intention de l'invoquer dans sa
totalité. Mais il pourra aussi arriver que des documents soient
si volumineux et complexes que la partie adverse aura incon-
testablement le droit d'obtenir de la demanderesse certaines
indications sur les parties dont elle entend se servir. [C'est moi
qui souligne.]
De la même façon, le protonotaire Sandler de la
Cour suprême de l'Ontario devait déterminer, dans
l'affaire Rule-Bilt Ltd. v. Shenkman Corporation Ltd.
et al. (1977), 18 O.R. (2d) 276 (C.S.), si la question
[TRADUCTION] «Pourriez-vous indiquer lesquels des
documents que vous avez produits vous avez l'inten-
tion d'invoquer à l'appui [d'une allégation contenue
dans les plaidoiries] et les identifier?» pouvait être
valablement posée. L'affidavit accompagnant les
documents produits par la demanderesse comptait
sept cent quarante-quatre pages contenant chacune
dix éléments. Le protonotaire a fait mention [à la
page 281] du principe bien établi voulant qu'on
puisse procéder à un interrogatoire préalable pour a)
étayer ses propres arguments; b) réfuter ceux de la
partie adverse; c) découvrir à quels arguments la par-
tie qui interroge est confrontée et les faits qui sous-
tendent ceux-ci afin de préciser les allégations géné-
rales des plaidoiries et de découvrir les questions de
façon à pouvoir y faire face et à ne pas être pris par
surprise au procès; d) obtenir des aveux et e) limiter
les questions. Le protonotaire a rendu une décision
favorable à la défenderesse, soulignant le nombre et
la complexité des documents produits par la deman-
deresse et se fondant sur le raisonnement suivant [à la
page 282]:
[TRADUCTION] En l'espèce, lorsque la demanderesse a pré-
paré l'affidavit accompagnant les documents produits, elle a dû
décider, sous le régime de la Règle 347 (modifiée par O. Reg.
569/75, art. 4) lesquels de ces documents concernaient l'un ou
l'autre des points en litige. La demanderesse connaît beaucoup
mieux que la défenderesse les documents qu'elle a produits et
est beaucoup plus au courant des motifs fondant leur produc
tion et de leur importance. Pour que la défenderesse puisse réa-
liser les différents objectifs d'un interrogatoire préalable
énoncés ci-haut, elle doit amener la demanderesse à relever,
isoler et identifier tout ce qui, dans les documents produits,
concerne les différentes questions en litige, les allégations con-
tenues dans les plaidoiries et les divers événements qui se sont
produits au cours des relations complexes qu'entretenaient les
parties.
Certes, on ne saurait demander au cours d'un interrogatoire
préalable «Sur quels éléments de preuve reposent vos alléga-
tions». Mais la ligne séparant la divulgation de faits de la com
munication d'éléments de preuve est souvent floue. En cas de
doute, il faut privilégier la divulgation factuelle. Le fait, pour
une partie, de relever, d'isoler et d'identifier des éléments des
documents qu'elle a produits et qui ont trait aux diverses allé-
gations et questions et aux divers événements en cause relève
davantage de la divulgation de faits que de la communication
d'éléments de preuve. [C'est moi qui souligne.]
En dernier lieu, le juge Walsh [à la page 155] a fait
les commentaires suivants dans l'affaire Beloit
Canada Ltée/Ltd. et autre c. Valmet OY (1981), 60
C.P.R. (2d) 145 (C.F. Ire inst.): «[b]ien que jusqu'à
un certain point les documents produits se passent de
commentaires, il n'est pas déraisonnable pour les
demanderesses de se renseigner sur l'importance de
quelques-uns d'entre eux» et [à la page 156] «[i]ntro-
duire des documents sans préciser quelles parties de
ces documents sont réellement invoquées n'est pas
souhaitable». Il a jugé, au risque d'allonger l'interro-
gatoire préalable, qu'il fallait répondre aux questions.
Toutefois, il a réaffirmé [à la page 149] qu'en dépit
de la portée très générale des Règles de la Cour fédé-
rale relatives à cette procédure, la partie adverse n'est
pas tenue de «révéler à l'interrogatoire tous les élé-
ments de preuve sur lesquels elle s'appuiera à l'ins-
truction, mais uniquement des renseignements que la
partie qu'on interroge connaît ou a les moyens de
connaître».
La présente action porte sur l'importante question
de la validité constitutionnelle de certaines disposi
tions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Il ne
fait pas de doute que la défenderesse a produit, au
soutien de sa position, une documentation volumi-
neuse et, qu'en l'espèce, il convient qu'elle donne
des indications aux demanderesses concernant les
éléments qu'elle a l'intention d'utiliser. Dans l'affaire
Can -Air, le juge Côté, J.C.A., a convenu, à la page
261, que la ligne de démarcation entre les faits et les
preuves manquait quelquefois de précision, mais il a
critiqué le raisonnement suivi dans l'affaire Leliever,
faisant observer qu'une [TRADUCTION] «ligne man-
quant quelquefois de précision demeure tout de
même une ligne». Toutefois, partageant les préoccu-
pations exprimées par le juge Walsh dans Ethicon
Inc. et autre c. Cyanamid du Canada Ltée (1977), 35
C.P.R. (2d) 126 (C.F. lie inst.) à la page 133, selon
lesquelles «malgré la procédure contradictoire, l'ap-
plication des règles de la Cour ne devrait jamais, lors-
qu'elle est laissée à la discrétion de la Cour, empê-
cher celle-ci d'avoir accès à tous les renseignements
pertinents pour pouvoir rendre une décision juste et
équitable», j'estime que les requérantes en l'espèce
devraient avoir la possibilité de reformuler leurs
questions relatives au fondement de la défense, con-
formément aux exemples proposés par le juge Côté,
J.C.A., dans l'affaire Can -Air.
J'accueille la requête des demanderesses dans la
mesure où ces dernières pourront reformuler correc-
tement les questions des catégories a) et b). Toute-
fois, le juge Côté, J.C.A., a également signalé, dans la
décision Can -Air, qu'il était impossible d'identifier
sous serment des faits étayant une dénégation parce
que [TRADUCTION] «la fourniture de détails concernant
une négation, tel un événement qui ne s'est pas pro-
duit, relève d'une impossibilité logique». En consé-
quence, j'estime que les questions 8 et 11 sont déro-
gatoires et que la défenderesse n'a pas à y répondre.
Je considère aussi, pour les motifs exprimés dans
l'affaire Can -Air, que la question 20 et les questions
de la catégorie c) sont inopportunes et qu'il n'est pas
nécessaire d'y répondre. Pour les mêmes raisons et
parce qu'elle vise à obtenir du représentant de la
défenderesse qu'il explique en quoi il diffère d'opi-
nion avec un tiers, je conclue que la question 12 [la
catégorie e)] laisse aussi à désirer. En dernier lieu, je
suis d'avis que les détails fournis par la défenderesse
constituent une réponse satisfaisante à la question 4
[catégorie d)].
Règle 465(19)—Ordonnance prescrivant un nouvel
interrogatoire préalable
Il me faut rejeter la requête des demanderesses
visant l'obtention d'un nouvel interrogatoire préala-
ble en application de la Règle 465(19). Dans Imperial
Marine Industries Ltd. c. Fireman's Fund Insurance
Co., [1977] 1 C.F. 747 (1 re inst.), le juge Mahoney
signale, à la page 748, que la Règle 465(19) est rédi-
gée dans un «langage énergique» et que «[lia per-
sonne qui désire procéder à un nouvel interrogatoire
au préalable, doit établir qu'elle le fait pour «des rai-
sons spéciales, mais exceptionnellement» avant que
la Cour puisse exercer son pouvoir discrétionnaire».
Certes, le juge Heald, J.C.A., a affirmé dans Johnson
(S.C.) and Son Ltd. c. Pic Corp. et autre (1975), 19
C.P.R. (2d) 26 (C.F. ire inst.), à la page 28, que
«ladite règle vise nécessairement à incorporer et à
intégrer aux conclusions du procès» la requête écrite
demandant des détails et la réponse qui en découle.
En l'espèce, toutefois, la réponse que la défenderesse
a fournie à la requête pour détails n'a soulevé aucune
nouvelle question. Il n'est donc pas justifié de tenir
un nouvel interrogatoire préalable.
Dans Geo Van n, Inc. c. N.L, Industries, Inc.
(1984), 1 C.P.R. (3d) 277 (C.F. 1 re inst.), le juge Cat-
tanach fait remarquer, à la page 278, que «bien que le
paragraphe 19 de la Règle 465 permette à la Cour
pour un motif spécial et dans des circonstances
exceptionnelles d'ordonner en ce sens [un nouvel
interrogatoire préalable] si elle le désire, cette dispo
sition est rarement invoquée». Dans la décision
Sperry, le juge McNair avait conclu [à la page 9] que,
compte tenu des faits, «la prépondérance des probabi-
lités pench[ait] pour un autre examen d'une personne
bien informée» et que [à la page 10] «les fins de la
justice seraient mieux desservies» s'il ordonnait que
le représentant de la demanderesse comparaisse pour
un nouvel interrogatoire préalable conformément à la
Règle 465(19). En l'espèce toutefois, vu le temps que
les demanderesses ont pris pour demander les détails,
l'interrogatoire poussé qui a eu lieu et ma conclusion
selon laquelle les détails fournis n'ont soulevé
aucune autre question, j'estime que ces dernières
n'ont pas établi l'existence de circonstances spéciales
justifiant ce recours extraordinaire.
CONCLUSION:
En conséquence, je décide des requêtes sur la base
des présents motifs et j'invite les avocats à me sou-
mettre, pour signature, un projet d'ordonnance con-
forme à ces motifs. Dépens à suivre.
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