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T-2927-91
Vancouver Island Peace Society, Anne A. Pask et Gregory P. Hartnell (requérants)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le premier ministre du Canada, le ministre de la Défense nationale, le secrétaire d'État aux Affaires extérieures, le ministre des Transports et le ministre de l'Environnement (intimés)
RÉPERTORIÉ' VANCOUVER ISLAND PERCE SOCIETY C. CANADA Ore /NST.)
Section de première instance, juge Strayer—Vancou- ver, 6 et 14 avril 1992.
Environnement Demande principale en vue de l'annula- tion des décrets approuvant les visites de navires à propulsion nucléaire et à charge nucléaire dans les ports canadiens par suite de l'inobservation du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'en- vironnement (le Décret) et en vue de l'obtention d'un manda- mus obligeant le ministre à effectuer une évaluation initiale en vue de déterminer s'il peut y avoir des «effets néfastes sur l'en- vironnement» et à soumettre la proposition au ministre de l'Environnement en vue d'un examen public Les intimés demandent en l'espèce que la demande principale soit traitée comme une action parce que des questions de fait difficiles sont soulevées quant aux effets néfastes possibles sur l'envi- ronnement Rôle de la Cour, lorsqu'elle révise les décisions du ministère responsable, en vertu des art. 12 et 13 du Décret Questions à trancher.
Il s'agissait d'une demande en vue de l'obtention d'une ordonnance selon laquelle la requête présentée par les requé- rants en vue de l'obtention d'un mandamus et d'un certiorari (la demande principale) devait être traitée comme une action. Les requérants cherchent à faire annuler deux décrets, approu- vant les visites de navires de guerre à propulsion nucléaire et à charge nucléaire dans les ports canadiens parce qu'ils ont été pris sans qu'une «condition préalable» soit remplie, c'est-à- dire sans que les exigences du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'en- vironnement (le Décret) soient satisfaites. Ils cherchent à obte- nir un mandamus en vue d'obliger le ministre responsable à effectuer une évaluation initiale pour déterminer s'il peut y avoir des «effets néfastes sur l'environnement» et à soumettre la proposition au ministre de l'Environnement en vue d'un examen public par une commission. Les intimés disent que la demande principale doit être traitée comme une action parce que de nombreuses questions de fait difficiles seront soulevées lorsqu'il s'agira de déterminer si les «effets néfastes» que les visites effectuées par des navires de guerre nucléaires améri- cains et britanniques peuvent avoir sur l'environnement sont «importants». Les requérants soutiennent que si la procédure
devenait une action, cela retarderait sérieusement le règlement d'une affaire urgente.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Les parties n'ont pas bien compris le rôle de la Cour en l'es- pèce en présumant qu'elle siégerait en appel des détermina- tions de fait du ministère responsable en ce qui concerne les dangers que peuvent présenter les visites de ces navires de guerre. En examinant les décisions prises par le «ministère res- ponsable» en vertu de l'article 12 du Décret, la Cour ne devrait pas intervenir à moins d'être convaincue que la décision de ministère n'est pas raisonnablement fondée. Quant aux déci- sions prises en vertu de l'article 13 au sujet de la question de savoir si les préoccupations du public sont telles qu'un examen public est «souhaitable», la Cour peut se demander si le minis- tre a agi de bonne foi et a tenu compte de considérations perti- nentes. À moins d'être convaincue que la décision était fondée sur des facteurs qui n'étaient absolument pas pertinents, elle ne peut pas annuler pareille décision.
Compte tenu de ce rôle restreint, il n'est pas opportun de présenter une opinion de fait ou d'expert au sujet de la nature ou de l'étendue des effets possibles sur l'environnement. La Cour et les parties doivent se demander (1) si l'activité est visée par le Décret et si une évaluation initiale est une question de droit visée par l'article 10; (2) si le ministère responsable a effectué pareille évaluation en vertu de l'article 12; (3) dans l'affirmative, si une décision a apparemment été prise en vertu de l'article 12, mais sans qu'il soit tenu compte des facteurs pertinents; et (4) dans le cas une décision a été prise en vertu de l'article 13, si elle a été prise sans qu'il soit tenu compte des facteurs pertinents. Il ne s'agit pas de savoir si les visites effectuées par des navires de guerre à propulsion nucléaire et à charge nucléaire peuvent avoir un effet néfaste important sur l'environnement, mais si le ministère responsa- ble a pris une décision à cet égard; dans l'affirmative, il s'agit de savoir quelle documentation le ministère avait à sa disposi tion pour en arriver à pareille décision et s'il a pris sa décision dans les limites de la discrétion que lui reconnaît la Loi. Il n'incombe pas à la Cour de devenir une académie des sciences se prononçant sur des prévisions scientifiques contradictoires ou d'agir à titre de Haute assemblée pesant les préoccupations manifestées par le public et déterminant quelles préoccupa- tions devraient être respectées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. I l (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1.
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva- luation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467, art. 10, 12, 13, 20.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Minis- tre de l'Environnement) (1989), 4 C.E.L.R. (N.S.) 201; 31 F.T.R. 1 (C.F. Ire inst.); conf. par [1991] 1 C.F. 641; (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 89; 41 F.T.R. 318 (note); 121 N.R. 385 (C.A.); Cantwell c. Canada (Ministre de l'Envi- ronnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. I. re inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Apple Computer, Inc. c. Minitronics of Canada Ltd., [1988] 2 C.F. 265; (1988), 17 C.I.P.R. 308; 19 C.P.R. (3d) 15; 17 F.T.R. 37 (lie inst.).
DEMANDE visant à faire traiter comme une action une demande visant à l'annulation de décrets et à l'obtention d'un mandamus ordonnant l'observa- tion du Décret sur les lignes directrices visant le pro- cessus d'évaluation et d'examen en matière d'envi- ronnement (le Décret). Demande rejetée.
AVOCATS:
Robert Moore-Stewart pour les requérants. H. J. Wruck pour les intimés.
PROCUREURS:
Robert Moore-Stewart, Victoria, pour les requé- rants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Il s'agit d'une demande que les intimés ont présentée en vue d'obtenir une ordon- nance selon laquelle la requête des requérants en vue de l'obtention d'un mandamus et d'un certiorari (la «demande principale») devrait être traitée comme une action.
La demande principale vise deux décisions (nos 2083 et 2084 de 1991) que le gouverneur en con- seil a prises le 30 octobre 1991. Il est allégué que ces décrets approuvaient notamment les visites effectuées par des navires de guerre à propulsion nucléaire et à charge nucléaire dans les ports canadiens. En effet, les requérants disent que ces décrets ont été adoptés sans que les intimés aient satisfait aux exigences du Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environne- ment, DORS/84-467, en ce sens qu'on n'a effectué aucune évaluation initiale des effets néfastes que les visites proposées peuvent avoir sur l'environnement, comme l'exige le paragraphe 10(1) du Décret, et que la proposition n'a pas été soumise au ministre de l'Environnement pour qu'un examen public soit mené par une commission conformément à l'ar- ticle 12 de ce Décret. Il est en outre allégué que le «ministère responsable», soit le ministère de la Défense nationale, n'a pas déterminé, conformément à l'article 13 du Décret, si la proposition devait être soumise au ministre de l'Environnement en vue de la tenue d'un examen public par une commission par suite des «préoccupations du public au sujet de la proposition». Les requérants demandent donc un mandamus en vue d'obliger le ministre de la Défense nationale ou d'autres ministres à effectuer l'évalua- tion initiale pour déterminer s'il peut y avoir des «effets néfastes sur l'environnement», comme l'exige l'article 10, à soumettre la proposition au ministre de l'Environnement pour qu'un examen public soit mené par une commission, probablement en vertu de l'article 12, et à se conformer par ailleurs au Décret. Les intimés invoquent les articles 12, 13 et 20 du Décret comme fondement, lorsqu'il s'agit d'obliger le ministre de l'Environnement à mener l'examen public. En outre, les requérants demandent un certio- rari en vue de faire annuler les décisions susmention- nées du gouverneur en conseil. Il est allégué qu'il est opportun de décerner un bref de certiorari pour annu- ler les décrets du gouverneur en conseil parce que ceux-ci ont été pris sans qu'une «condition préalable» soit remplie, c'est-à-dire qu'on ne s'est pas conformé au Décret avant de prendre les décisions attaquées.
Par cette requête, les intimés demandent que la demande principale devienne une action parce que, disent-ils, il y aura de nombreuses questions de fait difficiles à trancher lorsqu'il s'agira de déterminer si les «effets néfastes» que les visites effectuées par des navires de guerre américains et britanniques à propul sion nucléaire ou qui transportent des armes nucléaires peuvent avoir sur l'environnement sont «importants» (au sens du libellé du Décret sur les lignes directrices). Il est présumé que cette décision est nécessaire pour que la Cour puisse s'assurer que les intimés se sont conformés à l'article 12 du Décret. Les intimés soutiennent également qu'il serait préma-
turé pour la Cour de se demander s'ils se sont con formés à l'article 13 du Décret, qui oblige le minis- tère responsable, même lorsqu'aucun examen public ne doit être mené en vertu de l'article 12, à soumettre une proposition au ministre de l'Environnement en vue de la tenue d'un examen public par une commis sion si «les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable». Si je comprends bien, les intimés soutiennent que la ques tion liée à l'article 13 ne peut pas être examinée tant que la Cour n'aura pas déterminé si un examen public devait de toute façon être mené conformément à l'article 12.
Les requérants s'opposent avec véhémence à ce que cette procédure devienne une action. Ils souli- gnent que quatre jours ont été prévus, à compter du 9 juin 1992, en vue de l'audition de la demande prin- cipale et que si, à ce stade, la procédure devenait une action, cela retarderait sérieusement ce qui est, selon eux, une affaire urgente. Ils se plaignent également des coûts que pourrait entraîner le fait qu'ils devraient présenter leur preuve par les moyens plus exigeants requis dans un procès.
J'ai conclu que les requérants et les intimés n'ont pas bien compris le rôle de la Cour dans la demande principale. Cette question n'a pas été adéquatement examinée devant moi, car les deux parties semblaient présumer qu'il incombe à la Cour de connaître en appel des déterminations de fait du «ministère res- ponsable» ou de l'un quelconque des autres intimés en ce qui concerne les dangers que peuvent présenter les visites de ces navires et en ce qui concerne l'exis- tence de préoccupations telles qu'un examen public est «souhaitable».
Dans un grand nombre des décisions concernant le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environne- ment qui ont été rendues jusqu'à ce jour, le litige por- tait sur la question de savoir si le ministère responsa- ble devait effectuer l'évaluation initiale prévue par le paragraphe 10(1). De nombreuses questions ont été
examinées, comme celle de savoir si les lignes direc- trices sont obligatoires, et celle de savoir si elles visent des activités ou projets particuliers'. Dans d'autres affaires une évaluation initiale avait été effectuée et il avait été décidé de ne pas soumettre la proposition en vue de la tenue d'un examen public, cette Cour a souligné qu'elle avait un rôle restreint en ce qui concerne la révision judiciaire de pareilles décisions. Dans l'arrêt Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement) 2 , le juge Muldoon a jugé que le ministre de l'Environ- nement avait commis une erreur de droit en interpré- tant des expressions comme «minimes» ou «peuvent être atténués» figurant à l'alinéa 12c) du Décret. En appel, la Cour d'appel fédérale a déclaré ceci, à la page 661:
Comme indiqué plus haut, Sask. Water fait valoir aussi que le distingué juge de première instance a appliqué la norme de contrôle judiciaire qu'il ne fallait pas, à l'égard de l'avis et des conclusions sur les faits du ministre au sujet du projet, à savoir qu'il a procédé au contrôle au fond de ces conclusions, ce qui reviendrait à substituer son avis à celui du ministre. Une juris prudence abondante avertit les tribunaux judiciaires, saisis du recours en contrôle judiciaire contre la décision d'une autorité légale, de ne pas toucher à cette décision du seul fait qu'ils auraient tiré une toute autre conclusion, eussent-ils été investis de cette responsabilité en premier lieu. Si c'est ce qu'a fait le distingué juge de première instance en l'espèce, je conclurai à une erreur de sa part.
Cependant, il n'appert pas de ses motifs de jugement que c'est ce qu'il a fait. Nul doute qu'entre autres, il a évoqué les conclusions consignées dans le rapport d'évaluation initiale sur la question des effets importants, modérés et minimes, sur les insuffisances des données et sur les mesures d'atténuation. Il ne l'a cependant pas fait pour se mettre à la place du ministre après coup. Au contraire, il essayait à bon droit d'examiner si le ministre, pour décider s'il y avait lieu ou non de constituer une commission d'examen public du projet, s'était fourvoyé sur le principe à observer, s'était fondé sur des considérations juridiquement non pertinentes ou avait excédé sa compétence.
Dans l'arrêt Cantwell c. Canada (Ministre de l'Envi- ronnement) 3 , on a demandé à mon collègue, le juge MacKay, de réviser une évaluation initiale effectuée
La plupart de ces questions ont été tranchées d'une manière définitive par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3.
2 (1989), 4 C.E.L.R. (N.S.) 201 (C.F. lre inst.); conf. par [1991] I C.F. 641 (C.A.).
3 (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. inst.).
en vertu du Décret. Le juge a décrit comme suit le rôle qui incombait à la Cour en pareil cas la page 311:
Dans les demandes de révision d'une mesure administrative, comme c'est le cas dans la présente demande de certiorari, le rôle de la Cour n'est pas celui d'un organisme qui examine en appel le bien-fondé de la décision de l'administrateur. La Cour n'a pas pour tâche de déterminer si la décision en question est erronée ou non; elle doit uniquement déterminer si l'adminis- trateur a agi conformément à la loi.
En déterminant si un fonctionnaire ou un orga- nisme a agi conformément à la loi en prenant la déci- sion en question, la Cour peut se demander si celui-ci a bien interprété la loi et s'il a pris sa décision en se fondant sur des faits et des raisons liés au but dans lequel le pouvoir de décision a été conféré. Cepen- dant, dans cette limite permise, le décideur initial a le droit de prendre une décision que la Cour ne peut pas annuler même si, par hasard, elle ne souscrit pas à son avis. En assumant ses responsabilités en vertu de l'article 12 du Décret sur les lignes directrices, le ministère responsable doit faire une prévision réflé- chie des possibilités et risques d'effets néfastes et déterminer dans une certaine mesure si ces effets peuvent être «importants». Il est non seulement impossible de prouver pareilles questions d'une manière précise, mais aussi la chose nécessite impli- citement des jugements de valeur au sujet de ce qui est «important» au point de vue de l'intérêt tant privé que public. En examinant la décision que le ministère responsable a prise en vertu de l'article 12, la Cour ne devrait pas intervenir à moins d'être convaincue qu'il n'existe aucun fondement raisonnable à l'appui de la décision prise par le ministère. Quant aux décisions prises en vertu de l'article 13 au sujet de la question de savoir si les préoccupations du public sont telles qu'un examen public est «souhaitable», je souscris à l'avis du juge MacKay, à savoir que la Cour a le droit, dans le cadre d'une révision judiciaire, de déterminer si le ministre a agi de bonne foi et a tenu compte de considérations pertinentes. À moins que la Cour ne soit convaincue que la décision est fondée sur des facteurs qui n'étaient absolument pas perti- nents, elle ne peut pas annuler pareille décision. Il n'incombe pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de l'importance et de la nature des préoccupations du public et de déterminer si un exa- men public est «souhaitable».
Compte tenu de ce rôle restreint de la Cour, il n'est pas opportun de présenter une opinion de fait ou d'expert au sujet de la nature ou de l'étendue des effets possibles sur l'environnement en tant que tels. La Cour et, par conséquent, les parties, doivent se demander (1) si l'activité est visée par les lignes directrices et si une évaluation initiale est une ques tion de droit visée par l'article 10; (2) si le ministre responsable a effectué pareille évaluation en vertu de l'article 12; (3) dans l'affirmative, si une décision a apparemment été prise en vertu de l'article 12, mais sans qu'il ne soit tenu compte des facteurs pertinents; et (4) dans le cas une décision a été prise en vertu de l'article 13, si elle a été prise sans qu'il ne soit tenu compte des facteurs pertinents.
Cependant, en l'espèce, les requérants semblent croire qu'en entendant leur demande, cette Cour sié- gera à titre d'organisme d'appel en vue de déterminer si le ministère responsable a pris la bonne décision au sujet de l'existence ou de l'inexistence des effets néfastes que les visites effectuées par des navires de guerre nucléaires peuvent avoir sur l'environnement et, dans l'affirmative, en vue de déterminer égale- ment si ces effets seront «importants». En outre, en ce qui concerne le fait que jusqu'à ce jour, le minis- tère responsable a de toute évidence omis de décider, en vertu de l'article 13, de tenir de toute façon un examen public, compte tenu des «préoccupations du public», les requérants s'attendent apparemment à ce que cette Cour examine les nombreux documents qu'ils ont présentés au sujet du nombre de personnes que ces visites préoccupent, de façon qu'elle puisse annuler la décision du ministère responsable et con- clure que les préoccupations du public sont telles qu'un examen public par une commission est «sou- haitable».
À l'appui de leur position, les requérants ont déposé jusqu'à ce jour environ 40 affidavits et on laisse entendre que d'autres affidavits seront déposés. J'ai rapidement examiné ces affidavits. Je ne doute aucunement de la sincérité et du sens civique des affiants, mais la valeur probante d'un grand nombre d'affidavits est minime ou nulle en ce qui concerne les questions que la Cour devra trancher. Certains affidavits semblent être destinés à servir de témoi- gnage d'expert au sujet de la question des effets néfastes que les visites effectuées par les navires en
question auront ou pourront avoir. De même, les intimés font savoir, dans le seul affidavit qu'ils ont présenté, qu'ils voudront peut-être présenter la preuve d'une vingtaine d'experts. Respectueusement, je ne puis voir comment les affidavits que les requé- rants ont produits au sujet des effets néfastes pos sibles peuvent être pertinents, sauf peut-être dans la mesure ils peuvent montrer, si la chose est possi ble, qu'aucun fondement raisonnable n'aurait permis au ministère responsable de conclure que les visites navales ne peuvent avoir aucun effet néfaste impor tant sur l'environnement. La preuve scientifique des intimés ne peut être pertinente que dans la mesure elle peut servir de fondement à cette décision. En d'autres termes, il ne s'agit pas de savoir si les visites effectuées par des navires de guerre à propulsion nucléaire ou à charge nucléaire peuvent avoir un effet néfaste important sur l'environnement, mais si le ministère responsable a pris une décision à cet égard et, dans l'affirmative, il s'agit de savoir quelle docu mentation le ministère avait à sa disposition pour en arriver à pareille décision et s'il a pris sa décision dans les limites que lui reconnaît la Loi et en tenant compte d'au moins certains facteurs pertinents en droit.
De plus, parmi les nombreux affidavits déposés par les requérants, il y en a beaucoup qui se rapportent de toute évidence à l'existence de «préoccupations du public», et qui visent probablement à étayer l'argu- ment selon lequel le ministère responsable a omis à tort de conclure, en vertu de l'article 13, que pareilles préoccupations rendaient un examen public souhaita- ble. Il importe de faire remarquer que les seules préoccupations du public pertinentes sont celles dont le ministère aurait pu ou aurait tenir compte en décidant (s'il l'a fait) de ne pas soumettre la proposi tion en vue d'un examen en vertu de l'article 13. Au moins l'un des affidavits, celui de M. John Brewin, député fédéral, porte sur cette question, et établit que les préoccupations du public ont été communiquées au ministre de la Défense nationale avant que la déci- sion en question eût été prise par le gouverneur en conseil. Cependant, de nombreux affidavits décrivent des préoccupations personnelles ou locales, dont cer- taines ont été exprimées à l'extérieur du Canada, et certaines exprimées après que la décision en question eut été prise et n'ont pas nécessairement été commu niquées aux fonctionnaires qui ont pris ces décisions.
Pour ces motifs, je ne souscris pas à l'argument des intimés, à savoir qu'il y a des questions de fait techniques difficiles à trancher, lesquelles nécessite- ront des plaidoiries et un procès ainsi que le contre- interrogatoire d'experts et d'autres personnes. En l'espèce, il n'incombe pas à la Cour de devenir une académie des sciences se prononçant sur des prévi- sions scientifiques contradictoires, ou d'agir en quelque sorte à titre de Haute assemblée pesant les préoccupations manifestées par le public et détermi- nant quelles préoccupations devraient être respectées. Indépendamment de la question de savoir si la société serait bien servie si la Cour assumait l'un ou l'autre de ces rôles, ce dont je doute sérieusement, il ne s'agit pas de rôles qui ont été confiés à la Cour dans l'exercice du contrôle judiciaire prévu par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7].
Par conséquent, je ne vais pas ordonner que cette affaire soit entendue à titre d'action. Je crois qu'il est possible de répondre à de nombreuses préoccupations des intimés si les parties mettent l'accent sur les questions véritables. De leur côté, les intimés pour- raient clarifier leur position au sujet de ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait en vertu du Décret et du genre de renseignements dont il a été tenu compte lorsque les décisions ont été prises. Dans l'affidavit déposé par les intimés, soit celui du commandant Chesley James Price, juge-avocat général adjoint de la région du Pacifique, leur position est notamment formulée comme suit:
[TRADUCTION] h. Le MDN a fait une évaluation environnemen- tale de la politique selon laquelle on approuvait la continuation des visites effectuées dans des ports canadiens par des navires américains et britanniques à propulsion nucléaire ou capables de transporter des armes nucléaires et a conclu que cette acti- vité a un effet néfaste minime sur l'environnement.
Bien sûr, les requérants ont la faculté de contester cette preuve, mais si elle est fondée, il semblerait ne pas être nécessaire de décerner un mandamus exi- geant une évaluation initiale. En même temps, il serait possible de contester la question de savoir si le ministère de la Défense nationale a agi conformé- ment à la loi en effectuant cette évaluation et c'est une question sur laquelle les intimés sont le plus en mesure de fournir une preuve.
De leur côté, les requérants devraient évaluer de nouveau très minutieusement la façon dont ils mènent la présente instance. La grande quantité d'affidavits ne peut que ralentir le processus et accroître les frais. En outre, les affidavits qui ont été déposés et qui seront déposés en l'espèce devraient être très minu- tieusement examinés et un grand nombre d'entre eux retranchés avant qu'un contre-interrogatoire soit nécessaire ou qu'il devienne nécessaire pour la Cour d'entendre des requêtes visant à les radier. Il s'agit d'une procédure introductive d'instance, et pourtant la majorité des affidavits que j'ai examinés sont pleins de preuves par ouï-dire inadmissibles dans ce genre de demande. Certains affidavits sont censés être une preuve d'expert et, à condition que la Cour accepte les déposants à titre d'experts, ils pourraient être admissibles s'ils se rapportent à une chose sur laquelle la Cour doit statuer. Cependant, comme je l'ai souligné, il s'agit pour la Cour de déterminer si le ministère responsable avait à sa disposition quelques facteurs pertinents lui permettant de tirer les conclu sions qu'il a tirées, et non si elle croit que les navires nucléaires créent un danger inacceptable pour les Canadiens ou si les préoccupations du public sont telles qu'un examen public devrait avoir lieu. Si les requérants continuent à présenter leur paperasserie, il se pourrait bien qu'ils soient tenus de payer les frais additionnels qu'entraînerait la prolongation des pro- cédures par suite de contre-interrogatoires concernant des affidavits futiles, ou de contestations de l'admis- sibilité d'une preuve non pertinente ou par ouï-dire 4 .
Les intimés ont également cherché à faire transfor mer en action la demande principale parce qu'ils croyaient comprendre que les requérants pourraient soulever des questions fondées sur la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]. On a laissé entendre que cela pourrait pousser les intimés à invoquer l'ar- ticle 1 de la Charte, ce qui nécessiterait également, à leur avis, la détermination de questions de fait diffi- ciles qui pourraient mieux être tranchées à l'aide de
4 Je tiens également à attirer l'attention des parties sur les problèmes que pose le recours aux affidavits d'experts dans le cadre d'une requête, lesquels j'ai décrits dans l'arrêt Apple Computer, Inc. c. Minitronics of Canada Ltd., [1988] 2 C.F. 265 (I« inst.), aux p. 289 et 290.
témoignages. À l'audience qui a eu lieu devant moi, les requérants ont confirmé qu'ils n'ont pas l'inten- tion de soulever quelque question liée à la Charte et cela élimine donc tout autre motif possible de trans former la demande en action.
J'ai donc rejeté la demande par laquelle les intimés cherchaient à faire entendre la demande principale à titre d'action.
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