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T-1478-87
Newterm Limited (demanderesse) c.
Mys Budyonnogo et Murmanskrybprom (premiers défendeurs)
et
Newfoundland Dockyard Company (seconde défenderesse)
RÉPERTORIÉ.' NEWTERAI LTD. C. Mis BUDYONNOGO (LE) (Ire INST..)
Section de première instance, juge Reed—Halifax, 14 avril; Vancouver, 22 mai 1992.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance Requêtes en radiation de la déclaration pour défaut de compétence Compétence maritime de la Cour en vertu de l'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale Peinture par pulvéri- sation d'un navire amarré dans un bassin Dommages cau- sés par les éclaboussures de peinture sur 400 voitures entrepo- sées à proximité S'agit-il de dommages «causés par un navire, notamment par collision» au sens de l'art. 22? Le fait qu'une cause d'action donnée ne relève pas d'une des catégories énumérées à l'art. 22(2) n'est pas déterminant quant à la compétence Application du critère de l'arrêt ITO Examen de la jurisprudence Il convient d'adopter un cri- tère fonctionnel afin de décider s'il s'agit, aux fins du droit maritime, de dommages «causés par un navire» Demande relevant de l'art. 22(1) dont l'art. 2(1) constitue le fondement.
Droit maritime Responsabilité délictuelle Il s'agit de savoir si des éclaboussures de peinture sur des voitures entre- posées résultant de la pulvérisation du navire défendeur cons tituent des dommages «causés par un navire» au sens de l'art. 22(2)d) de la Loi sur la Cour fédérale Les dommages sont «causés par un navire» lorsqu'ils sont le fait de l'équipage agissant sur les instructions du capitaine et sont étroitement reliés à l'exploitation du navire En l'espèce, les activités ayant donné lieu aux dommages ont un rapport étroit avec la conduite du navire et le transport maritime La réclamation de la demanderesse relève du droit maritime canadien et s'ap- puie sur une loi fédérale valide sur le plan constitutionnel.
Les défendeurs se sont portés requérants en vertu de la Règle 419 en vue d'obtenir la radiation de la déclaration pour défaut de compétence. Alors que l'équipage travaillait à la peinture par pulvérisation du navire défendeur amarré dans le bassin de la seconde défenderesse, de la peinture a éclaboussé environ 400 voitures neuves entreposées à proximité, causant des dommages au montant de 200 000 $. La question en litige était de savoir s'il s'agissait de dommages «causés par un navire, notamment par collision» au sens de l'alinéa 22(2)d) de
la Loi sur la Cour fédérale et si la Cour fédérale avait compé- tence pour connaître de cette affaire.
Jugement: Il y a lieu de rejeter les requêtes.
Le point de départ de toute analyse de la portée de la compé- tence de la Cour fédérale en matière maritime est l'arrêt de la Cour suprême ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre. L'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère compétence à la Cour fédérale en matière maritime, comporte deux aspects. En premier lieu, le paragraphe 22(1) a une portée générale alors que le paragraphe 22(2) est simplement illustratif ou explicatif. Aussi la conclu sion suivant laquelle une cause d'action donnée ne relève pas d'une des catégories énumérées au paragraphe 22(2) n'est pas déterminante quant à la compétence de la Cour. En second lieu, l'article 22 représente l'attribution de compétence corres- pondant à la première condition exigée suivant les critères de l'arrêt ITO. La règle de droit fédérale qui constitue le fonde- ment de cette attribution de compétence est le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale ainsi que diverses autres lois fédérales, telle la Loi sur la marine marchande du Canada. Pour que leur requête en radiation soit accueillie, les premiers défendeurs doivent établir que la cause d'action de la deman- deresse ne relève ni de l'attribution de compétence faite à l'ar- ticle 22 ni des règles de droit constituant le fondement de cette attribution de compétence.
La distinction que cherche à établir l'avocat des premiers défendeurs entre les arrêts Toronto Harbour Commissioners v. The Ship Robert C. Norton et al., aucun acte de navigation n'était en cause, et MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Steve- doring Co. et al., tel était le cas, ne repose sur aucun fonde- ment. Dans la mesure il traite de la compétence maritime de la Cour fédérale, l'arrêt Toronto Harbour Commissioners ne représente plus correctement l'état du droit compte tenu de l'arrêt ITO de la Cour suprême. Il convient d'adopter un critère fonctionnel afin de décider si les dommages, aux fins du droit maritime, ont été «causés par un navire». Lorsqu'un navire est sur l'eau, tout dommage résultant du fait de l'équipage agissant sur les instructions du capitaine, si ces agissements sont étroi- tement liés au fonctionnement du navire, doit être considéré comme ayant été «causé par un navire». Comme dans l'arrêt ITO, l'activité qui aurait donné lieu au dommage faisait partie intégrante des transports maritimes et avait un rapport étroit avec la conduite du navire et le transport maritime. Cette acti- vité était entièrement liée aux affaires maritimes étant donné qu'elle a été exécutée par l'équipage du navire, sur les instruc tions présumées du capitaine, en liaison avec le navire et en vue d'en assurer la navigabilité.
Quant au moyen qu'invoque la seconde défenderesse relati- vement à la validité constitutionnelle de la demande de la demanderesse, il était trop tard, après contestation liée et com munication de la preuve, pour s'y opposer au motif qu'elle ne relevait pas du droit maritime. À tout le moins, la demande- resse aurait le droit d'amender sa demande de façon à faire clairement ressortir qu'elle s'appuie sur le droit maritime. Or c'était un redressement que la seconde défenderesse n'a pas fait valoir.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Viet., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice H, 5], art. 91, 101.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 22.
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9.
Loi sur l'amirauté, S.R.C. 1952, ch. 1, art. 18(2),(3). Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 341a), 419, 474 (mod. par DORS/79-57, art. 14).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779; (1991), 80 D.L.R. (4th) 58; 123 N.R. 1.
DÉCISION NON SUIVIE:
Toronto Harbour Commissioners v. The Ship Robert C. Norton et al., [1964] R.C.É. 498.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Westview Sable Fish Co. et autres c. Le navire «Neekis» (1986), 31 D.L.R. (4th) 709; 6 F.T.R. 235 (C.F. inst.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Stevedoring Co. et al., [1969] 2 R.C.E. 375.
DÉCISIONS CITÉES:
The Minerva, [1933] P. 224; Outhouse, Delma C. et al. v. Str. Thorshavn, [1935] R.C.É. 120.; [1935] 4 D.L.R. 628; Currie v. M'Knight, [1897] A.C. 97 (H.L.); Rylands v. Fletcher (1868), L.R. 3 H.L. 330.
REQUÊTES des premiers défendeurs et de la seconde défenderesse en vue d'obtenir la radiation de la déclaration pour défaut de compétence. Requêtes rejetées.
AVOCATS:
John F. Roil, c. r., pour la demanderesse. James Oakley, pour les premiers défendeurs. Edward A. Gores, pour la seconde défenderesse.
PROCUREURS:
O'Reilly, Noseworthy, St. John's, pour la demanderesse.
Noonan, McGrath, Oakley, Orr, St. John's, pour les premiers défendeurs.
Edward A. Gores, Halifax, pour la seconde défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les premiers défendeurs et la seconde défenderesse ont tous bien que pour des motifs différents, présenté des requêtes en vue d'ob- tenir la radiation de la déclaration de la demande- resse. Ils soutiennent que cette Cour n'a pas compé- tence pour connaître de cette demande.
Mys Budyonnogo et Murmanskrybprom («les pre miers défendeurs») font valoir que la demande ne relève pas, quant à eux, de la compétence de la Cour en matière maritime telle que définie à l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. Ils font également leur l'argumentation de la seconde défenderesse.
La Newfoundland Dockyard Company («la seconde défenderesse») soutient pour sa part que cette Cour a compétence pour connaître de la demande que la demanderesse fait valoir à l'encontre des premiers défendeurs, mais qu'elle n'a pas compé- tence à l'égard de la demande dirigée contre elle. A son avis en effet, la réclamation de la demanderesse à son endroit s'inscrit dans la catégorie «la propriété et les droits civils dans la province» et ressortit donc à la compétence législative provinciale.
Les premiers défendeurs et la seconde défende- resse fondent leurs requêtes sur la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]:
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action ordon- ner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas,
b) qu'elle n'est pas essentielle ou qu'elle est redondante,
c) qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,
d) qu'elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruc- tion équitable de l'action,
e) qu'elle constitue une déviation d'une plaidoirie anté- rieure, ou
f) qu'elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procé- dures de la Cour, et elle peut ordonner que l'action soit sus- pendue ou rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en con- séquence.
L'argumentation qui m'a été présentée, toutefois, va au-delà de celle qu'on fait normalement valoir dans le cadre de la Règle 419(1)a)—alinéa sur lequel repose habituellement la contestation de la compé- tence de la Cour—en ce que les avocats ont tous reconnu la pertinence de certains aveux s'ajoutant aux faits énoncés dans la déclaration. Les éléments essentiels de celle-ci se retrouvent aux paragraphes 4 à 6:
[mADucrioN] 4. Le ou vers le 23 juin 1987, de la peinture et d'autres substances nocives se sont échappées du navire pre mier défendeur alors qu'il était amarré au poste de mouillage 37 des installations de la seconde défenderesse, dans le port de St. John's, à Terre-Neuve, causant ainsi des dommages aux véhicules moteurs entreposés sur les terrains de la demande- resse situés dans ladite ville de St. John's et de l'entretien des- quels la demanderesse est responsable.
5. En raison de la négligence des préposés et mandataires du navire défendeur et/ou de la seconde défenderesse qui ont laissé de la peinture ou d'autres substances nocives s'échapper du navire défendeur et/ou des installations de la seconde défen- deresse, la demanderesse a subi les dommages suivants:
Dommages causés à 402 automobiles 200 000 $
6. La demanderesse réclame des défendeurs la somme de deux cent mille dollars (200 000 $) pour les dommages causés par le navire défendeur et/ou la seconde défenderesse.
Après le dépôt de la déclaration le 30 juin 1987, les premiers défendeurs ont produit leur défense le 30 juillet 1987, ainsi qu'une défense amendée le 28 sep- tembre 1987; la seconde défenderesse a quant à elle produit sa défense le 15 octobre 1987; il y a eu des mises en cause et demandes reconventionnelles de même que des interrogatoires au préalable.
Les avocats s'entendent maintenant tous sur les faits survenus le 23 juin 1987, savoir que l'équipage du navire Mys Budyonnogo travaillait à la peinture par pulvérisation d'une partie du navire et de l'équi- pement qui s'y trouvait alors que le navire était amarré dans le bassin de la seconde défenderesse. (Hormis la peinture, il n'y a pas eu émanation d'autres substances nocives.) Environ 400 voitures neuves qui étaient entreposées à proximité en atten dant leur expédition aux distributeurs ont été écla- boussées par la peinture.
L'avocat des premiers défendeurs allègue que ces faits suffisent à établir que le dommage ainsi causé aux voitures par la peinture ne peut être considéré comme ayant été causé par un navire et qu'en consé-
quence cette Cour n'a pas compétence. Quant à la seconde défenderesse, elle soutient, avons-nous dit, que l'action dirigée contre elle est fondée sur la négli- gence, domaine de droit relevant non pas de la com- pétence maritime (ou fédérale), mais de la compé- tence provinciale.
Peut-être aurait-il convenu que les présentes requêtes soient présentées en vertu des Règles 341a) ou 474 [mod. par DORS/79-57, art. 14] des Règles de la Cour fédérale, plutôt qu'en vertu de la Règle 419. Quoi qu'il en soit, je vais disposer des arguments qui ont été présentés.
Article 22 de la Loi sur la Cour fédérale
Il est reconnu que le point de départ de toute ana lyse de la portée de la compétence de cette Cour en matière maritime est l'arrêt de la Cour suprême ITO —International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autres, [1986] 1 R.C.S. 752. Dans cette affaire, on a jugé que pour que la Cour fédérale puisse connaître d'une action, les conditions sui- vantes doivent être remplies: (i) il faut qu'il y ait attribution de compétence à la Cour par une loi du Parlement; (ii) il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence; et (iii) la loi invoquée dans l'affaire doit être une «loi du Canada» au sens cette expres sion est employée à l'article 101 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] (la loi fédé- rale qui constitue le fondement de l'attribution de la compétence doit être valide sur le plan constitution- nel).
En matière maritime, la Cour fédérale tire sa com- pétence de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale:
22. (1) La Section de première instance a compétence con- currente, en première instance, dans les cas—opposant notam- ment des administrés—où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine mar- chande, sauf attribution expresse contraire de cette compé- tence.
(2) 11 demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants:
a) une demande portant sur les titres de propriété ou la pos session, en tout ou en partie, d'un navire ou sur le produit, en tout ou en partie, de la vente d'un navire;
b) un litige entre les co-propriétaires d'un navire quant à la possession ou à l'affectation d'un navire ou aux recettes en provenant;
c) une demande relative à un prêt à la grosse ou à une hypo- thèque, un privilège ou une sûreté maritimes grevant tout ou partie d'un navire ou sa cargaison;
d) une demande d'indemnisation pour décès, dommages corporels ou matériels causés par un navire, notamment par collision;
e) une demande d'indemnisation pour l'avarie ou la perte d'un navire, notamment de sa cargaison ou de son équipe- ment ou de tout bien à son bord ou en cours de transborde- ment;
D une demande d'indemnisation, fondée sur une convention relative au transport par navire de marchandises couvertes par un connaissement direct ou devant en faire l'objet, pour la perte ou l'avarie de marchandises en cours de route;
m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l'acconage et le gabarage;
n) une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d'équipement d'un navire;
o) une demande formulée par un capitaine, un officier ou un autre membre de l'équipage d'un navire relativement au salaire, à l'argent, aux biens ou à toute autre forme de rému- nération ou de prestations découlant de son engagement;
p) une demande d'un capitaine, affréteur, mandataire ou pro- priétaire de navire relative aux débours faits pour un navire, et d'un expéditeur concernant des avances faites pour un navire;
q) une demande relative à la contribution à l'avarie com mune;
r) une demande fondée sur un contrat d'assurance maritime ou y afférente;
s) une demande de remboursement des droits de bassin, de port ou de canaux, notamment des droits perçus pour l'utili- sation des installations fournies à cet égard.
(3) II est entendu que la compétence conférée à la Cour par le présent article s'étend:
a) à tous les navires, canadiens ou non, quel que soit le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires;
b) à tous les aéronefs, canadiens ou non, quel que soit le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires, lorsque le droit d'action découle des alinéas (2)j) à l);
c) à toutes les demandes, que les faits y donnant lieu se soient produits en haute mer ou dans les limites des eaux territoriales, intérieures ou autres du Canada ou ailleurs et que ces eaux soient naturellement ou artificiellement navi- gables, et notamment, dans le cas de sauvetage, aux demandes relatives aux cargaisons ou épaves trouvées sur les rives de ces eaux;
d) à toutes les hypothèques ou tous les privilèges donnés en garantie sur un navire—enregistrés ou non et reconnus en droit ou en équité—qu'ils relèvent du droit canadien ou du droit étranger. [Soulignement ajouté.]
Il importe de souligner deux aspects de l'article 22. Le premier est que le paragraphe 22(1) a une portée
générale et que le paragraphe 22(2) n'est qu'une énu- mération, à titre illustratif ou explicatif, de catégories
de sujets relevant du paragraphe 22(2). La conclusion qu'une cause d'action donnée ne relève pas d'une des catégories énumérées au paragraphe 22(2) n'est donc pas déterminante quant à la compétence de cette Cour.
Le second aspect qu'il convient de souligner est que l'article 22 représente l'attribution de compé- tence correspondant à la première condition exigée selon les critères de l'arrêt ITO. Ce n'est pas la règle de droit fédérale qui constitue le fondement de cette attribution de compétence. Cette condition est rem- plie par le paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérales ainsi que par diverses autres lois fédérales, telle la Loi sur la marine marchande du Canada [L.R.C. (1985), ch. S-9].
Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale dispose:
2. (1)...
«droit maritime canadien» Droit—compte tenu des modifica tions y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale—dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, aux termes de la Loi sur l'amirauté, chapi- tre A-1 des Statuts révisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté.
ITO, aux p. 772 et 773.
Pour que leur requête en radiation soit accueillie, les premiers défendeurs doivent établir que la cause d'action de la demanderesse ne relève ni de l'attribu- tion de compétence faite à l'article 22 ni des règles de droit constituant le fondement de cette attribution de compétence. Il y a lieu, en outre, d'accueillir la requête si la règle de droit censée constituer le fonde- ment de l'attribution de compétence est ultra vires de l'autorité législative du Parlement parce qu'elle ne se rapporte pas à une catégorie de sujets énumérée à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Les premiers défendeurs soutiennent qu'on ne peut conclure des faits établis que la demande relève de la compétence de cette Cour puisque les dommages, si dommages il y a, n'ont pas été «causés par un navire». Leur avocat fait valoir que pour qu'il y ait dommages «causés par un navire», le navire doit avoir été l'instrument du dommage et qu'il doit y avoir eu un acte ou une manoeuvre quelconque de navigation. Il convient que si une partie du navire était tombée, en se détachant, sur le toit des voitures, il s'agirait d'un dommage causé par un navire: voir, par exemple les arrêts The Minerva, [1933] P. 224 et MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Stevedo- ring Co. et al., [1969] 2 R.C.É. 375. Il reconnaît que si de l'huile ou de la fumée s'était échappée du navire et que des dommages avaient ainsi été causés, il s'agirait encore de dommages causés par un navire: voir, par exemple, Outhouse, Delma C. et al. v. Str. Thorshavn, [1935] R.C.É. 120. En l'espèce, soutient-il toutefois, il s'agissait du fait de l'équipage et non de celui du navire.
L'avocat des premiers défendeurs a attaché beau- coup d'importance à l'arrêt de cette Cour Westview Sable Fish Co. et autres c. Le navire «Neekis» (1986), 31 D.L.R. (4th) 709 (C.F. lre inst.). Il s'agis- sait dans cette affaire d'une action in rem et de l'an- nulation d'un mandat de saisie, et non de la compé- tence générale de cette Cour en matière d'amirauté. La demanderesse y réclamait des dommages-intérêts pour l'appropriation et l'utilisation d'engins de pêche par les membres d'équipage du navire défendeur. La Cour a conclu, à la page 711, qu'elle n'avait pas compétence quant à l'action in rem en raison de l'ab- sence de dommages liés à la navigation susceptibles de donner de quelque façon ouverture à une action in rem:
[TRADUCTION] «L'objectif ultime qui est de faire naviguer le navire est le principe sur lequel doit se fonder le recours extraordinaire de l'action in rem». Je ne suis pas convaincu, en l'espèce, que les allégations contenues dans la déclaration peu- vent aller dans ce sens. Selon la jurisprudence qui prévaut, l'existence d'un privilège maritime et d'une action in rem découlant de l'enchevêtrement de filets, du sectionnement de lignes ou de l'appropriation illicite d'apparaux n'est pas fon- dée. La demanderesse a, sans aucun doute, un droit d'action contre ceux qui volent ses filets de pêche, mais cette action ne peut être intentée que in personam contre les auteurs de ces actes. [Soulignement ajouté.]
L'avocat de la seconde défenderesse et celui de la demanderesse font valoir que l'arrêt Westview Sable est un cas d'espèce très particulier. Ils soutiennent qu'aux yeux du président de l'audience, il était très clair que les membres d'équipage avaient volé les engins de pêche en cause et qu'ils avaient en ce sens agi de leur propre initiative. À leur avis, il est artifi- ciel d'établir une distinction entre la chute de bois d'un navire, la fuite d'huile ou les éclaboussures de peinture en l'espèce. Ils expliquent qu'aucun navire ne peut en soi causer de dommages, sinon par suite des agissements de son équipage sur les instructions du capitaine, et que la peinture par pulvérisation fai- sait partie de ces agissements. Qui plus est, la pein- ture était appliquée en vue d'assurer la navigabilité permanente du navire et était donc entièrement liée à son fonctionnement.
L'avocat des premiers défendeurs allègue qu'il faudrait un lien physique plus direct que celui qui existe en l'espèce. Ainsi, le dommage causé par un navire remorqué sur la terre ferme et tombant d'un camion serait «causé par un navire», de même que le dommage résultant de la peinture d'un navire en cale sèche par les employés de la cale. Selon lui, la dis tinction qu'il convient d'établir ressort de la compa- raison des arrêts Toronto Harbour Commissioners v. The Ship Robert C. Norton, et al., [1964] R.C.É 498 et MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Stevedoring Co., et al., [1969] 2 R.C.É. 375. Dans le premier cas, un quai s'était effondré sous le poids d'une cargaison de ferraille qui y avait été déchargée d'un navire. (Rien dans l'arrêt n'indique si la cargaison avait été déchargée par des manutentionnaires ou par l'équi- page du navire agissant sur les instructions du capi- taine.) On a jugé que le dommage n'était pas un «dommage causé par un navire» au sens du para-
graphe 18(2) de la Loi sur l'amirauté 2 [S.R.C. 1952, ch. 1]. Dans l'affaire MacMillan Bloedel, le dom- mage avait été causé par le roulis du navire au moment du chargement. Du bois était tombé du pont du navire, endommageant le quai. On a jugé que la demande se rapportait à un «dommage causé par un navire» et relevait à bon droit de la compétence de la Cour de l'Échiquier. En rendant sa décision, le prési- dent Jackett s'est exprimé ainsi aux pages 386 et 387:
[TRADUCTION] Le cargo est un navire destiné à la réception des marchandises, à leur transport ainsi qu'à leur déchargement. En tout temps lorsqu'il sert à ces diverses utilisations, le navire est sur l'eau et doit être exploité et surveillé de telle sorte qu'il puisse servir à ces fins.
S'il en est ainsi, il ne semble y avoir aucune raison pour qu'une action formée contre la personne censément responsa- ble du chargement du navire ne soit pas également visée par cette disposition. Si je comprends bien les allégations ... Sui- vant les allégations en effet, le défendeur se trouvait dans la même position que celle se serait trouvé le capitaine ou le second si l'un d'eux avait été responsable du chargement du navire.
On allègue que l'affaire Toronto Harbour Commis sioners se distingue de l'affaire MacMillan Bloedel en ce qu'aucun acte de navigation n'était en cause dans la première contrairement à la seconde. Cette distinction me semble difficilement acceptable. À la lecture de l'arrêt Toronto Harbour Commissioners en effet, l'identité du responsable du déchargement de la ferraille sur le quai ne m'apparaît pas évidente. Si, dans les deux cas, le chargement ou le déchargement était sous la responsabilité du capitaine (ou de la per- sonne assumant la même autorité) et de l'équipage, il est difficile de voir en quoi une distinction est justi- fiée. En tout état de cause, dans la mesure elle traite de la compétence maritime de cette Cour, cette décision ne représente plus correctement l'état du droit compte tenu de l'arrêt ITO de la Cour suprême.
2 On a aussi jugé que la demande ne relevait pas du para- graphe 18(3) de la Loi sur l'amirauté comme étant «relatives au transport de marchandises dans un navire», vu qu'elle se rapportait davantage à des marchandises déchargées d'un navire qu'à des marchandises transportées dans un navire. On a estimé que la Cour n'avait pas compétence pour connaître de la demande (que ce soit contre le navire ou contre la société Warehouse Metals Ltd. qui était responsable de la mise en place des marchandises sur le quai).
Soulignons également que l'affaire Toronto Har bour Commissioners et certaines affaires antérieures du Royaume-Uni 3 souvent citées, ont été tranchées eu égard à une disposition législative il était ques tion, dans le texte anglais, de «damage done by a ship». Bien qu'au premier abord la différence puisse sembler mince, il se peut que cette formulation soit plus restrictive que l'actuel alinéa 22(2)d) il est question de dommages «causés par un navire», notamment [c'est moi qui souligne] par collision. J'attache toutefois peu d'importance à ce point.
Quoi qu'il en soit, il me semble que l'avocat de la demanderesse et celui de la seconde défenderesse ont raison de préconiser l'adoption d'un critère fonction- nel afin de décider si des dommages ont été, aux fins du droit maritime, «causés par un navire». Lorsqu'un navire est sur l'eau et que le dommage résulte du fait de l'équipage agissant sur les instructions du capi- taine, lesquels agissements sont entièrement liés au fonctionnement du navire, le dommage doit alors être considéré comme ayant été «causé[ ... ] par un navire». Voilà une formulation intéressante de la dis tinction qu'il convient d'établir.
Bien que j'aie examiné les prétentions des avocats relativement aux dommages «causés par un navire», je ne suis pas convaincue qu'il me faille trancher cette question afin de disposer de la présente requête. Comme je l'ai souligné au début de ces motifs, la question dont je suis saisie concerne la compétence de cette Cour en matière maritime, et non celle de savoir s'il y a ouverture à une action in rem. Pour trancher la première question, le seul point sur lequel je dois statuer est à mon avis de savoir si la demande
en cause relève du paragraphe 22(1) dont le para- graphe 2(1) constitue le fondement. Or, j'ai la con
3 Par exemple, Currie v. M'Knight, [1897] A.C. 97 (H.L.), (aux p. 106 et 107):
[TRADUCTION] J'estime que l'élément essentiel de la règle est que le dommage à l'égard duquel un privilège mari time est admis doit être le résultat direct ou la consé- quence naturelle de la manoeuvre ou de l'acte fautifs du navire auquel ils se rattachent. Cet acte ou cette manoeu vre sont forcément imputables à l'inhabileté ou à la négli- gence des personnes responsables de la conduite du navire; mais, en termes de droit maritime, la responsabi- lité en incombe au navire parce que c'est lui qui, entre leurs mains négligentes ou inexpérimentées, cause le dommage.
viction que tel est bien le cas. Dans l'arrêt ITO, le juge McIntyre a écrit à la page 774:
Je suis d'accord pour dire que la compétence historique des cours d'amirauté est importante pour déterminer si une demande particulière est une matière maritime au sens qu'en donne la définition du droit maritime canadien que l'on trouve à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je n'irais pas cepen- dant jusqu'à limiter la définition de matière maritime et d'ami- rauté aux seules demandes qui cadrent avec ces limites histo- riques. Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne saurait autoriser à limiter. À mon avis, la seconde partie de la définition que donne l'art. 2 du droit maritime canadien a été adoptée afin d'assurer que le droit maritime canadien com- prenne une compétence illimitée en matière maritime et d'ami- rauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant sur toute demande en matière maritime et d'amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la Loi d'amirauté, 1934. Au contraire, les termes «maritime» et «amirauté» doivent être interprétés dans le con- texte moderne du commerce et des expéditions par eau.
L'affaire ITO mettait en cause la négligence dont aurait fait preuve un manutentionnaire acconier dans l'entreposage à court terme de marchandises à l'inté- rieur de la zone portuaire, en attendant leur livraison au destinataire. On a jugé que la manutention était partie intégrante des transports maritimes et qu'elle avait un «rapport étroit» avec l'exécution du «contrat de transport». De même en l'espèce, l'activité qui aurait donné lieu au dommage fait partie intégrante des transports maritimes et a un rapport étroit avec la conduite du navire et le transport maritime.
Le juge lacobucci s'est reporté en ces termes à l'affaire ITO dans l'arrêt Monk Corp. c. Island Ferti lizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779 [aux pages 795 et 796]:
Réduits à leurs éléments essentiels aux fins du présent pour- voi, le raisonnement et les conclusions du juge McIntyre sont les suivants (aux pages 774 à 776):
(1) La seconde partie de la définition du droit maritime cana- dien à l'article 2 prévoit une compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, qu'une méthode historique ne saurait autoriser à limiter ni à figer; au contraire, les termes «mari- time» et «amirauté» doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau.
(2) Le droit maritime canadien n'est limité que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitution- nelle de 1867, de sorte qu'en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, on doit éviter d'empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière relevant de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle.
(3) Le critère permettant d'établir si la question examinée relève du droit maritime exige de conclure que cette question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de consti- tuer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.
(4) Les «facteurs de liaison» dont dépend la nature maritime de l'espèce sont la proximité du port de Montréal des activités d'acconage, le rapport qui existe entre les activités de l'acco- nier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime, et le fait que l'entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises à la destinataire, Miida.
Le juge McIntyre a alors conclu que les demandes de Miida relevaient de la compétence de la Cour fédérale.
Lorsque l'on applique à l'espèce les principes et l'approche adoptés dans l'arrêt ITO, on doit tout d'abord se demander si les prétentions de Monk sont entièrement liées aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit mari time canadien qui relève de la compétence législative fédérale. [Soulignement ajouté.]
Dans l'arrêt Monk, on a jugé qu'une action en recou- vrement du coût résultant de la livraison d'un excé- dent de marchandises, des surestaries et du coût des grues utilisées pour décharger la cargaison relevait du droit maritime canadien et de la compétence de la Cour fédérale parce que les activités auxquelles elle se rapportait étaient entièrement liées aux affaires maritimes.
De même en l'espèce, l'activité qui a donné lieu à la déclaration était entièrement liée aux affaires mari- times. Elle a été exécutée par l'équipage du navire, sur les instructions présumées du capitaine, en liaison avec le navire et en vue d'en assurer la navigabilité.
Validité constitutionnelle
La seconde défenderesse fait valoir que la déclara- tion que la demanderesse dirige contre elle ne relève pas du droit maritime canadien et n'est pas fondée sur une loi fédérale qui soit valide sur le plan constitu- tionnel. Si je ne m'abuse, l'avocat de la seconde défenderesse soutient que la demande formée contre sa cliente s'appuie sur l'arrêt Rylands v. Fletcher [(1868), L.R. 3 H.L. 330] et le droit de la nuisance en ce qu'elle met en cause des propriétaires voisins.
L'avocat de la demanderesse est prêt à reconnaître que si la réclamation de la demanderesse était ainsi
fondée, elle ne relèverait pas du droit maritime cana- dien. Il soutient toutefois que tel n'est pas le fonde- ment de la demande qui s'appuie plutôt sur le postu- lat que la seconde défenderesse avait un certain contrôle sur le navire défendeur (par exemple en lui indiquant accoster pour pulvériser la peinture). Il prétend que ce n'est qu'en raison d'un lien avec le navire qu'une réclamation est adressée à la seconde défenderesse. Il reconnaît que la déclaration est quelque peu laconique à cet égard:
[TRADUCTION] 5. En raison de la négligence des préposés et mandataires du navire défendeur et/ou de la seconde défende- resse qui ont laissé de la peinture ou d'autres substances nocives s'échapper du navire défendeur et/ou des installations de la seconde défenderesse, la demanderesse a subi les dom- mages suivants:
Dommages causés à 402 automobiles 200 000 $
Cet acte de procédure n'est pas de ceux, dit l'avocat, qu'il souhaiterait voir conserver dans les dossiers de modèles de son étude. Néanmoins, les deux parties ont maintenant lié contestation sur cette demande, des interrogatoires ont été tenus au préalable et il n'y a pas eu de requêtes pour détails.
À mon avis, compte tenu des explications de l'avo- cat de la demanderesse, il est trop tard pour faire opposition à la demande au motif qu'elle ne révéle- rait contre la seconde défenderesse aucune cause fon- dée sur le droit maritime. À tout le moins, la deman- deresse aurait le droit d'amender sa demande de façon à ce qu'il ressorte clairement qu'elle s'appuie sur le droit maritime. Or c'est un redressement que la seconde défenderesse n'a pas fait valoir.
Pour ces motifs, il y a lieu de rejeter les requêtes en radiation de la déclaration de la demanderesse.
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