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T-2933-85
Echo Bay Mines Ltd. (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ.' ECHO BAY MINES LTD. C. CANADA (Ire 1NST.)
Section de première instance, juge MacKay—Van- couver, 13 juin 1991; Ottawa, 13 août 1992.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions La contribuable, qui est un producteur d'argent métal, a réalisé un bénéfice à la liquidation de contrats de vente à terme Il échet d'examiner s'il s'agit de «bénéfices relatifs à des res- sources» au sens de l'art. 1204(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu Le calcul des «bénéfices relatifs à des ressources» sert de base au calcul de la déduction visée à l'art. 20(1)v.1) de la Loi (puits de pétrole ou de gaz ou ressources minérales situés au Canada) Les témoignages d'expert sur les usages de ce secteur d'activité et sur les principes comptables généra- lement reconnus sont admissibles pour l'appréciation des réa- lités commerciales des opérations de la contribuable Les opérations de couverture sont communes chez les producteurs de métaux précieux Les bénéfices réalisés à la liquidation de contrats à court terme sont des bénéfices de spéculation La concordance exacte n'est pas nécessaire pour qu'il y ait opération de couverture Les opérations effectuées par la compagnie mère sont celles de la contribuable Il ne faut pas interpréter le Règlement de façon restrictive Les opérations de couverture sont suffisamment intégrées à l'entreprise de production d'argent La production n'engendre elle-même aucun revenu La contribuable n'effectuait pas les opéra- tions à terme à titre de placements.
La contribuable a conclu des contrats de vente à terme de l'argent provenant de sa mine. Il n'y avait aucune livraison d'argent, les contrats étant soit liquidés à l'échéance soit con- vertis en d'autres contrats à liquider ultérieurement. La contri- buable a réalisé à la liquidation de ces contrats un bénéfice de 29 359 967 $, dont elle soutient qu'il représente des «bénéfices relatifs à des ressources»—revenu tiré de la production de minéraux au Canada—au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national a établi la nouvelle cotisation par ce motif que ce que payait l'acheteur d'argent à la demanderesse n'avait rien à voir avec les contrats de vente à terme, lesquels étaient des opéra- tions distinctes. La contribuable a interjeté appel de cette nou- velle cotisation devant la Cour fédérale.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
L'importance du calcul des «bénéfices relatifs à des res- sources» tient à ce qu'il sert de base au calcul de la déduction prévue hl' alinéa 20(1)v.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu au titre de «puits de pétrole ou de gaz ou de ressources minérales situés au Canada». Le paragraphe 1210(1) du Règlement pré- voit que le montant déductible est égal à 25 p. 100 des béné-
faces relatifs à des ressources pour l'année d'imposition consi- dérée.
Le témoignage des experts sur les usages de ce secteur d'ac- tivité et sur les principes comptables généralement reconnus présente un rapport avec le litige et est admissible pour aider la Cour à prendre en considération les réalités économiques et commerciales des opérations de la contribuable. Selon les témoignages, la couverture du prix est un usage commun chez les producteurs de métaux précieux et vise à fixer à l'avance un prix jugé satisfaisant. On ne peut distinguer l'affaire en ins tance des faits de la cause tranchée par l'arrêt de la Cour suprême du Canada Atlantic Sugar Refineries v. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706, le juge Locke a tiré cette conclusion: «Dans les milieux les produits naturels sont achetés en grande quantité, les opérations de couverture sont courantes, voire nécessaires dans certains cas, et le coût de ces opérations dans les commerces de ce genre est à bon droit déductible à titre de frais d'exploitation de l'entreprise. Dans les cas où, comme en l'espèce, le spéculateur choisit de liqui- der les ventes à découvert et de réaliser un bénéfice, celui-ci peut être qualifié à bon droit de bénéfice résultant de l'opéra- tion à terme». L'argument de la Couronne, selon lequel il n'y a pas eu concordance suffisante entre les deux ensembles paral- lèles d'opérations, pour ce qui est de la quantité produite, de la date de livraison et de la liquidation des contrats de vente à terme, ne saurait être accueilli. L'arrêt Atlantic Sugar Refine ries a posé pour règle que la concordance exacte n'est pas pos sible dans les faits ni n'est essentielle pour qu'il y ait opération de couverture. Bien que les contrats de vente à terme aient été conclus par les dirigeants de la compagnie mère de la contri- buable, ces opérations ont été effectuées pour le compte de cette dernière, n'ont été inscrites que dans ses livres, et doivent donc être considérées comme ayant été effectuées par elle- même.
La Cour ayant conclu que ces contrats de vente à terme étaient des opérations de couverture, il échet d'examiner s'il y avait intégration suffisante avec l'entreprise de production d'argent pour que les bénéfices résultant de ces opérations puissent être assimilés au revenu tiré de la même entreprise. Il ne faut pas interpréter de façon restrictive les mots «reve- nus ... tirés ... de la production au Canada ... de métaux ou de minéraux» figurant au paragraphe 1204(1). La produc tion n'engendre elle-même aucun revenu. Les opérations qui peuvent raisonnablement être reliées à la commercialisation du produit font partie intégrante de la production qui vise à rap- porter un revenu et des bénéfices relatifs à des ressources au sens du Règlement. La contribuable n'a pas effectué les opéra- tions à terme à titre de placements. La passation et la liquida tion des contrats de vente à terme visaient un but indissociable de son entreprise, ce but étant intégré avec ses ventes au comp- tant du produit pour rapporter un revenu.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)v.1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 1),
65(1) (mod. par S.C. 1973-74, ch. 30, art. 6), 124.1, 124.2, 129(4) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 86(2)).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 83(5) (mod. par S.C. 1955, ch. 54, art. 21).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1200, 1201, 1204(1) (mod. par DORS/79-245, art. 3), (3), 1210(1).
JURISPRUDENCE DECISION SUIVIE:
Atlantic Sugar Refineries v. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706; [1949] 3 D.L.R. 641; [1949] CTC 196.
DÉCISION APPLIQUÉE:
McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; (1990), 76 D.L.R. (4th) 217; [1991] 2 W.W.R. 244; [1991] 1 C.T.C. 169; 91 DTC 5001; 119 N.R. 101.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Marsh & McLennan, Limited, [1984] 1 C.F. 609; [1983] CTC 231; (1983), 83 DTC 5180; 48 N.R. 103 (C.A.); infirmant [1982] 2 C.F. 131; [1981] CTC 410; (1981), 81 DTC 5307 (ire inst.); Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509; (1986), 33 D.L.R. (4th) 491; [1986] 2 C.T.C. 459; 86 DTC 6521; 70 N.R. 189; Imperial Tobacco Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd. v. Kelly. Imperial Tobacco Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd. v. Inland Revenue Commrs., [1943] 2 All E.R. 119 (C.A.); confirmant [1943] 1 All E.R. 431 (K.B.D.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gunnar Mining Limited v. Minister of National Revenue, [1968] R.C.S. 226; (1968), 67 D.L.R. (2d) 153; [1968] C.T.C. 22; 68 DTC 5035; Cominco Ltd c La Reine, [1984] CTC 548; (1984), 84 DTC 6535 (C.F. Pe inst.); confirmé par A-1324-84, le juge Heald, J.C.A., jugement en date du 2-12-85, C.A.F., non publié; demande d'autorisation de pourvoi en C.S.C. rejetée [1986] 1 R.C.S. vii; (1986), 66 N.R. 77; Westar Mining Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 349; (1988), 88 DTC 6505; 23 F.T.R. 71 (C.F. Ire inst.); infirmé par [1992] 3 C.F. 110; Gulf Canada Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 99; (1990), 90 DTC 6622; 38 F.T.R. 81 (C.F. ire inst.), confirmé par (1992), 92 DTC 6123 (C.A.F.); Texaco Exploration Co. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 323; [1975] CTC 404; (1975), 75 DTC 5288 (P 1 e inst.).
DECISIONS CITÉES:
March Shipping Ltd v MNR, [1977] CTC 2527; (1977), 77 DTC 371 (C.R.I.); R. c. International Nickel Co. of Canada, Ltd., [1976] 2 R.C.S. 675; (1975), 62 D.L.R. (3d) 573; [1975] CTC 620; 75 DTC 5460; 7 N.R. 351; Minister of National Revenue v. Imperial Oil Co., [1960] R.C.S. 735; (1960), 25 D.L.R. (2d) 321; [1960] C.T.C. 275; 60 DTC 1219; Tip Top Tailors Limited v. The Minis-
ter of National Revenue, [1957] R.C.S. 703; (1957), 11
D.L.R. (2d) 289; [1957] C.T.C. 309; 57 DTC 1232.
APPEL contre la nouvelle cotisation faite par le ministre du Revenu national de la déclaration d'im- pôt sur le revenu de la demanderesse pour son année d'imposition 1980. Appel accueilli.
AVOCATS:
W. J. A. Mitchell, c.r., Judith B. Taylor et J. H. G. Roche pour la demanderesse.
J. S. Gill, c. r., et Marie-Thérèse Boris pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Thorsteinssons, Vancouver, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACKAY: Il y a en l'espèce appel contre la nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu établie par le ministre du Revenu national à l'égard de la décla- ration de revenu de la demanderesse pour son année d'imposition 1980. La déclaration a été déposée le 30 décembre 1985 (et subséquemment modifiée le 12 décembre 1986) après opposition à la nouvelle cotisa- tion et confirmation de cette dernière, en date du 7 octobre 1985. Il y avait à l'origine deux motifs d'op- position et d'appel, mais la demanderesse en a aban- donné un avant l'ouverture du procès.
Le point litigieux qui reste à trancher porte sur la question de savoir si le revenu provenant de la liqui dation de contrats de vente à terme d'argent métal au cours de l'année d'imposition 1980 peut être assimilé aux «bénéfices relatifs à des ressources» au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu [C.R.C., ch. 945 (mod. par DORS/79-245, art. 3)], tel qu'il était en vigueur à l'époque.
À l'audition de l'affaire, les avocats ont versé au dossier l'exposé conjoint des faits suivant:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse est une entreprise de pros- pection, d'extraction et de transformation de métaux précieux dans la région arctique du Canada.
2. Durant les années 1976 1982, la demanderesse exploita une mine d'argent près de Port Radium, dans les Territoires du
Nord-Ouest. Toute la production de minerai d'argent enrichi de la mine était vendue à une tierce partie en vertu de contrats de vente à long terme. Le prix d'achat du minerai enrichi était basé sur le prix de l'argent tel qu'il avait cours sur le marché deux mois après la livraison du minerai à l'acheteur.
3. Durant les années 1978 1980 inclusivement, la demande- resse a conclu des contrats de vente à terme d'argent. Il n'y avait aucune livraison du métal dans le cadre de ces contrats, lesquels étaient en effet soit liquidés à l'échéance soit convertis en d'autres contrats à liquider ultérieurement.
4. Au moment considéré, la demanderesse était une filiale appartenant en propriété exclusive à I.U. International, compa- gnie américaine. C'était I.U. International qui concluait et liquidait les contrats de vente à terme au nom de la demande- resse.
5. Voici un exemple qui illustre le mécanisme des opérations de couverture:
a) Supposons que le prix courant d'une marchandise au let jan- vier soit de 200 $ prix que le producteur tient à «verrouil- ler».
b) Supposons que le prix soit, dans le premier cas, de 350 $ au ler juillet, et dans le second cas, de 100 $ à la même date.
c) Supposons que au ler janvier, le producteur achète un con- trat de vente à terme au montant de 200 $.
Cas 1 Cas 2
Gain (perte) à la liquidation
du contrat (150) $ 100 $ Vente de la
marchandise 350 $ 100 $
Prix réalisé 200 $ 200 $
Ainsi, en combinant la vente effective de la marchandise et le gain ou la perte sur l'opération à terme, le producteur «ver- rouille» ou «couvre» le prix du jour.
6. Au cours de l'année d'imposition 1980, la demanderesse a réalisé un bénéfice de 29 359 967 $ sur la liquidation de con- trats de vente à terme d'argent livrable la même année, et elle a inclus ce montant dans son revenu imposable.
7. Les deux parties conviennent que la somme de 29 359 967 $ a été incluse à bon droit dans le revenu de la demanderesse. Le seul point litigieux porte sur la question de savoir si cette somme a été incluse à bon droit à titre de «bénéfices relatifs à des ressources» au sens de la division 1204(1)b)(ii)(B) du Règlement, tel qu'il était en vigueur en 1980.
La demanderesse soutient que le revenu provenant de la liquidation des contrats de vente à terme devrait être inclus à titre de «bénéfices relatifs à des res- sources» au sens du Règlement, puisqu'il s'accorde avec la définition de revenu tiré de la production de minéraux au Canada. La défenderesse réplique que le montant en cause ne devrait pas être inclus à ce titre
puisque ce que payait l'acheteur d'argent à la deman- deresse n'avait rien à voir avec les contrats de vente à terme, lesquels contrats étaient, de l'avis de la défen- deresse, des opérations distinctes des ventes d'argent par la demanderesse.
Voici les passages applicables du paragraphe 1204(1) du Règlement, tel qu'il s'appliquait à l'égard de l'année d'imposition 1980:
1204.(1) Aux fins de la présente partie, «bénéfices relatifs à des ressources» d'un contribuable pour une année d'imposition désigne le montant, s'il en est, par lequel le total
b) du montant, s'il en est, de l'ensemble de ses revenus pour l'année tirés
(i) de la production de pétrole, de gaz naturel ou d'hydro- carbures connexes, extraits des puits de pétrole ou de gaz que le contribuable exploite au Canada,
(ii) de la production au Canada
(A) de pétrole, de gaz naturel ou d'hydrocarbures con- nexes, ou
(B) de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade qui ne
dépasse pas le stade du métal brut ou son équivalent, tirés des ressources minérales que le contribuable exploite au Canada,
est en sus
c) du total de ses pertes pour l'année provenant des sources mentionnées à l'alinéa b),
calculés conformément à la Loi, en supposant qu'au cours de l'année il n'avait aucun revenu ni aucune perte sauf à l'égard de ces sources et qu'il n'avait droit à aucune déduction lors du calcul de son revenu pour l'année autre que
f) les autres déductions pour l'année qui peuvent raisonna- blement être considérées comme applicables aux sources de revenu décrites à l'alinéa b), sauf une déduction en vertu de l'article 1201 ou des paragraphes 1202(2) ou (3), 1207(1) ou 1212(1).
(3) Un revenu ou une perte dont l'origine est décrite à l'ali- néa (1)b) ne comprend ni un revenu ni une perte qui est le résultat du transport, du convoiement ou du traitement du pétrole, du gaz naturel ou d'hydrocarbures connexes.
L'importance du calcul des «bénéfices relatifs à des ressources» tenait, et tient toujours, à ce qu'il sert de base au calcul de la déduction que les contri- buables peuvent revendiquer en application de l'ali- néa 20(1)v.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1974-75-76. ch.
71, art. 1)], qui autorise la déduction de sommes au titre de «puits de pétrole ou de gaz ou de ressources minérales situés au Canada» 1 . L'article 1210 2 pré- voyait que le montant déductible au titre de l'alinéa 20(1)v.1) était égal à 25 p. 100 des bénéfices relatifs à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement, pour l'année d'imposition considérée. Une réduction du montant des «bénéfices relatifs à des ressources» pour l'année, par suite comme en l'espèce d'une nouvelle cotisation établie à l'égard du revenu de la demanderesse, signifiait la réduction du montant déductible au titre de l'alinéa 20(1)v.1). Les «bénéfices relatifs à des ressources» servaient égale- ment de base de calcul de la déduction pour épuise- ment gagnée, qu'autorisaient la Partie XII du Règle- ment et le paragraphe 65(1) [mod. par S.C. 1973-74, ch. 30, art. 6] de la Loi tels qu'ils s'appliquaient à l'année d'imposition en cause. Après avoir établi la nouvelle cotisation à l'égard des «bénéfices relatifs à des ressources» de la demanderesse, le ministre du Revenu national a rajusté en conséquence les mon- tants déductibles au titre de l'alinéa 20(1)v.1) et du paragraphe 65(1) de la Loi.
À l'appui de son argument que les contrats de vente à terme de la production prévue d'argent n'étaient qu'une opération de couverture contre les grandes fluctuations de prix, la demanderesse a cité
1 L'alinéa 20(1)v.1) prévoyait ce qui suit:
20.(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peu- vent être déduites celles des sommes suivantes qui se rap- portent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:
v.1) les sommes que le contribuable est autorisé, par voie de règlement, à déduire, pour l'année, au titre de puits de pétrole ou de gaz ou de ressources minérales situés au Canada.
2 Le paragraphe 1210(1) du Règlement porte:
1210.(1) Aux fins de l'alinéa 20(1)v.1) de la Loi, il peut être déduit lors du calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition un montant égal à 25 pour cent de ses bénéfices relatifs à des ressources pour l'année au sens du paragraphe 1204(1), si ce paragraphe était interprété en faisant abstraction de l'alinéa a) ou du sous-alinéa b)(iv), calculé comme si aucun montant n'était déduit lors du calcul de ces bénéfices relatifs à des ressources en vertu de l'alinéa 20(1)c), d) ou v.1) de la Loi ou de l'alinéa 1204(1)d) ou e).
comme témoins deux experts, tous deux comptables agréés, MM. John H. Bowles et Robert B. Parsons.
L'avocat de la défenderesse s'est opposé au témoi- gnage du premier expert, M. Bowles, par ce motif qu'il ne présente aucun rapport avec le litige, lequel porte uniquement sur un point de droit dont la solu tion n' a rien à voir avec les preuves relatives aux méthodes de commercialisation des producteurs de métaux précieux et aux principes comptables généra- lement reconnus. À son avis, le litige porte sur la question de savoir si le revenu ou la perte tenant à la liquidation de contrats de vente à terme doit entrer en ligne de compte dans le calcul des bénéfices relatifs à des ressources, même s'il est jugé que la demande- resse a conclu et liquidé ces contrats à titre de «cou- verture». J'ai déclaré le témoignage admissible, n'étant pas convaincu que les preuves relatives aux usages de ce secteur d'activité et aux principes comp- tables généralement reconnus en la matière n'aient rien à voir avec le litige en l'espèce.
Je confirme maintenant que ce témoignage est à mon avis admissible. Il est vrai que s'ils vont à l'en- contre des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, les usages du secteur d'activité concerné et les principes comptables généralement reconnus ne peuvent pas l'emporter sur la volonté expresse du législateur. De surcroît, comme l'a reconnu l'avocat de la demanderesse, les usages du milieu et les prin- cipes comptables généralement reconnus ne régissent pas l'interprétation des «bénéfices relatifs à des res- sources» au sens de la Loi. Puisque la définition de «bénéfices relatifs à des ressources» comprend des termes clés comme «revenu» et «production» et qu'elle porte sur un ou des secteurs d'activité déter- minés, le témoignage donné par M. Bowles au sujet des usages de ce secteur d'activité et des principes comptables généralement reconnus présente un rap port avec le point litigieux en l'espèce. À mon avis, cette conclusion est conforme à la méthode d'inter- prétation définie par le juge en chef Dickson dans McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, à la page 1050, savoir que la juridiction saisie doit prendre en considération «les réalités commerciales et écono- miques des opérations du contribuable». Le témoi- gnage du genre donné par les experts cités par la demanderesse en l'espèce se rapporte aux «réalités
commerciales et économiques» des opérations de la contribuable, lesquelles opérations forment la base de sa déclaration de revenu soumise à l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu et du Règlement.
M. Bowles, qui a produit un rapport d'expert, témoigne que la couverture du prix à recevoir à la vente effective est un usage commun dans l'industrie minière, en particulier chez les producteurs de métaux précieux. Cette couverture s'effectue au moyen du contrat de vente à terme, par lequel le pro- ducteur s'engage à vendre une certaine quantité du produit à une date future. Normalement, ce prix est le prix du produit sur le marché à la date de la signature du contrat. Le producteur s'acquitte habituellement de ses obligations en liquidant le contrat par l'achat de la même quantité du produit sur le marché à terme, sans qu'il y ait livraison effective du produit promis.
Par ces contrats de vente à terme, le producteur se garantit le prix dans la mesure ses prévisions de production sont correctes en fin de compte. Le pro- ducteur recevant de l'acheteur de la quantité effecti- vement produite le prix ayant cours sur le marché au comptant au moment convenu, si le prix payé est inférieur au prix prévu au contrat de vente à terme, le bénéfice réalisé à la liquidation de ce contrat com- pensera la perte enregistrée dans le prix payé pour le produit au taux convenu du marché au comptant. Par contre, si le prix payé pour le produit livré est supé- rieur au prix fixé au contrat de vente à terme, la perte à la liquidation de ce contrat annulera le gain enregis- tré dans le prix payé pour le produit livré. Le fonc- tionnement de cet arrangement est illustré par l'exemple donné au paragraphe 5 de l'exposé con joint des faits. Cet exemple suppose une concordance raisonnable entre la production effective et la livrai- son hypothétique prévue au contrat de vente à terme, concordance qui peut être difficile à atteindre dans les faits. Le résultat net en est que, peu importe que les prix du marché à payer pour les livraisons futures augmentent ou diminuent, le producteur est assuré de recevoir pour son produit le prix qui a cours sur le marché le jour il conclut le contrat de vente à terme.
M. Bowles témoigne que selon les principes comp- tables généralement reconnus, le bénéfice réalisé ou
la perte subie par le producteur à la liquidation du contrat de vente à terme peut être considéré comme une «couverture» et par conséquent mis sur le compte de la marchandise effectivement produite, si quatre conditions sont réunies. Son rapport relève ces condi tions qui ne sont pas réfutées (sauf l'objection quant à l'absence de lien entre ce témoignage et les faits de la cause), comme suit:
[TRADUCTION] 1. La marchandise à couvrir expose l'entreprise au risque de fluctuation du prix (ou du taux d'intérêt).
2. Le contrat de vente à terme réduit ce risque et est considéré comme une couverture.
3. Les caractéristiques importantes et les stipulations de l'opé- ration prévue sont précisées.
4. Il est probable que l'opération prévue aura lieu.
À son avis, la différence entre couverture et spécula- tion tient à ce que dans le premier cas, la compagnie s'engage à vendre à terme une marchandise qu'elle a et les moyens et l'intention de produire; si elle n'a ni les moyens ni l'intention de remplir ses obligations en produisant cette marchandise, il y a spéculation par contrat de vente à terme.
Qu'une opération soit ou non une opération de couverture dépend de l'appréciation, au moment de la conclusion du contrat de vente à terme, de la capacité et de l'intention de produire la marchandise promise par ce contrat. En cas d'opération de couverture, les bénéfices réalisés à la liquidation du contrat sont con- sidérés comme partie intégrante du prix réalisé à la vente de la marchandise et, selon les usages comp- tables, sont intégrés dans le revenu provenant de la vente. Étant donné la difficulté qu'il y a à coordonner les dates de production et de livraison avec les dates de liquidation des contrats de vente à terme, le revenu provenant de la liquidation est d'ordinaire inclus périodiquement dans le revenu de vente, peut-être tous les trimestres ou par intervalles plus longs.
M. Parsons, auteur et comptable fiscaliste spécia- lisé dans l'industrie minière, a également produit un rapport d'expert. Il témoigne lui aussi que les opéra- tions de couverture sont fort communes chez les pro- ducteurs de métaux précieux; que selon les principes comptables généralement reconnus, elles font partie intégrante des ventes; que tout bénéfice ou toute perte résultant de la liquidation sera pris en compte au moment de la vente de la production qui en fait l'ob-
jet; que cette méthode comptable s'applique peu importe que le contrat de vente à terme, qui assure la «couverture», soit liquidé ou non avant la livraison effective de la marchandise à l'acheteur; et que cette méthode se justifie. du fait qu'elle tient compte des réalités commerciales de la production de marchandi- ses, car l'opération de couverture a pour seul but de fixer à l'avance le prix à un niveau que la compagnie estime satisfaisant.
Au contre-interrogatoire, M. Bowles et M. Parsons reconnaissent tous les deux que le bénéfice ou la perte résultant de la liquidation du contrat de vente à terme ne peut être inclus dans le revenu tiré de la pro duction que s'il y a un lien raisonnable entre la quan- tité qui sera effectivement produite et la quantité pré- vue au contrat de vente à terme, ainsi que le moment le producteur recevra le prix de la production effectivement vendue. Autrement dit, il faut qu'il y ait véritablement opération de couverture contre le risque de fluctuation du prix de la marchandise que vendra le producteur.
Au contre-interrogatoire, M. Parsons admet qu'il n'y a aucune norme comptable généralement recon- nue par laquelle on pourrait déterminer le seuil un décalage entre la quantité prévue au contrat de vente à terme et la production effectivement livrée, et entre la date de livraison prévue au contrat et la livraison effective, ferait de ce contrat une opération spécula- tive et non pas une opération de couverture. Il sou- ligne cependant que le point de départ de la qualifica tion du contrat de vente à terme est le moment celui-ci est conclu. S'il se trouve que le producteur a, en vue du contrat, surestimé la quantité qui sera pro- duite, il est toujours possible de voir dans ce contrat une opération de couverture. Le traitement comptable subséquent imputera au revenu tiré de la production la fraction du bénéfice ou de la perte correspondant à la production effective, alors que la fraction corres- pondant à tout excédent sur la production effective serait traitée comme revenu de placements.
M. Parsons fait encore savoir que si le producteur choisissait de liquider le contrat de vente à terme avant qu'il n'y soit tenu, en achetant une quantité
équivalente de marchandise, cette action ne fait pas perdre son caractère de couverture au bénéfice ou à la perte résultant de la liquidation. L'effet en serait sim- plement que pendant l'intervalle séparant la liquida tion du contrat de la réception du prix de la produc tion effectivement livrée, le producteur ne serait pas protégé contre le risque d'une chute des prix.
Le dernier témoin était Ray Jenner, l'actuel vice- président de la demanderesse. Son témoignage porte sur l'historique de la mine d'argent exploitée par celle-ci à Port Radium, sur la manière dont elle effec- tuait ses opérations de couverture durant l'année d'imposition 1980 et sur les opérations de couverture qu'elle a généralement effectuées depuis pour les métaux précieux provenant d'autres exploitations minières.
Selon M. Jenner, les prévisions de production d'ar- gent pour 1980 ont été initialement fixées à 1 702 000 onces, puis ramenées à 1 367 000 onces. La quantité effectivement produite pour cette année était de 1 335 000 onces, et la quantité couverte de 1 585 000 onces. L'avocat de la défenderesse met en doute ces chiffres au contre-interrogatoire, par ce motif qu'ils ne concordent pas avec l'interrogatoire préalable du témoin, lequel, déposé à titre de pièce 3, portait sur la quantité totale d'argent vendue à terme en 1980 et donnait les quantités dont la production était prévue pour cette année-là et subséquemment. En fin de compte, les chiffres donnés par M. Jenner au cours de son témoignage au procès n'ont pas été réfutés.
Les opérations de couverture étaient effectuées par la compagnie mère de la demanderesse, I.U. Interna tional, à son siège à Philadelphie. M. Jenner, qui a commencé à travailler pour la demanderesse en 1983, ne pouvait pas apporter un témoignage précis sur les arrangements pris en 1980, mais a pu témoigner sur la manière générale dont la compagnie considère les contrats de vente à terme et sur le traitement compta- ble qu'elle leur réserve.
En mars 1980, la compagnie a décidé de vendre à terme la production restante prévue de la mine, dont les réserves étaient en voie d'épuisement et devaient être épuisées en 1981 ou 1982 au plus tard. Elle jugeait que les prix ayant cours en 1980 étaient favo- rables et qu'il fallait se protéger contre le risque
d'une chute du prix à l'avenir. Les quantités à vendre à terme étaient basées sur les réserves estimées pour la période tout entière, et les estimations étaient périodiquement révisées. Rien dans le dossier ne per- met de savoir si la compagnie mère a pris expressé- ment en considération les prévisions de production de la mine, bien qu'elle eût les connaître grâce aux rapports réguliers de la filiale. Les contrats de vente à terme ont été arrangés par I.U. International pour la demanderesse, pendant la haute saison du marché à terme, et ont été manifestement liquidés sans réfé- rence particulière à la date de livraison ou au paie- ment par la raffinerie acheteuse. Les recettes prove- nant des ventes au comptant et de la liquidation des contrats à terme étaient inscrites dans deux comptes à part de la demanderesse, non de la compagnie mère, et consolidées annuellement, dans la comptabilisation des recettes brutes de production, aux fins des états financiers et, partant, en vue des déclarations d'impôt sur le revenu. Selon M. Jenner, les contrats de vente à terme, c'est-à-dire les opérations de couverture, avaient pour but de fixer le prix de l'argent dont la production était prévue au niveau ayant cours au moment de la conclusion de ces contrats. En outre, pourvu que la production effective corresponde aux engagements pris, ces contrats assuraient aussi les liquidités pour financer la production et les activités d'exploration continues de l'exploitation minière.
La défenderesse n'a produit aucun témoin. L'argumentation des parties
La divergence fondamentale entre les parties cor respond à leur divergence de vues quant au lien entre la conclusion et la liquidation des contrats de vente à terme, d'une part, et la vente de la production effec tive par la demanderesse, d'autre part.
Selon la demanderesse, les contrats de vente à terme étaient des opérations de couverture visant à garantir des prix fixés pour l'argent à produire, et ils faisaient partie intégrante de la commercialisation de cet argent. Tel était leur but, et il est juste d'inclure dans le revenu tiré de la production d'argent les béné- fices, et implicitement les pertes éventuelles, résul- tant de leur liquidation.
Selon la défenderesse, ces contrats étaient des opé- rations distinctes de la production et de la commer cialisation de l'argent, à tel point que leur négociation et leur liquidation ne pouvaient être considérées comme des opérations de couverture. Quand bien même ils pourraient être considérés comme des opé- rations de couverture, ces contrats n'étaient pas suffi- samment intégrés dans la production et la livraison de l'argent pour qu'on puisse y voir une activité com- merciale intégrée. Ainsi donc, les bénéfices réalisés à leur liquidation n'étaient pas une forme de «bénéfices relatifs à des ressources» au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.
La demanderesse soutient que la commercialisa tion est un élément de la production au sens du para- graphe 1204(1) du Règlement, qui définit les béné- fices relatifs à des ressources en termes de revenu tiré de la production; et qu'il ressort d'autres dispositions que ce revenu n'est pas limité à celui qui provient directement de la livraison du produit. Ainsi, le para- graphe 1204(3) du Règlement exclut expressément du calcul du revenu ou de la perte dont l'origine est décrite à l'alinéa 1204(1)b), dans le cas des produc- teurs de pétrole, de gaz naturel ou d'hydrocarbures connexes, le revenu ou la perte résultant du transport, du convoiement ou du traitement de ces produits. La signification implicite en est que n'eût été cette dis position, le revenu tiré de ces activités serait inclus. Implicitement, le revenu tiré de ces activités est inclus dans le calcul du revenu en cas de production de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal brut, c'est-à-dire l'autre catégorie visée à l'alinéa 1204(1)b) du Règlement; et le revenu provenant des opérations de couverture, qui sont plus proches de la production que n'importe laquelle des activités expressément exclues, devrait être inclus dans le revenu tiré de la production au sens de l'alinéa 1204(1)b). L' avocat de la demande- resse invoque aussi le paragraphe 1210(1), qui exclut la déduction des frais d'intérêt de la source du revenu tiré de la production de minéraux ou de métaux. Enfin, les alinéas c) et f) du paragraphe 1204(1) du Règlement emploient le mot «sources» par référence à l'alinéa 1204(1)b). La demanderesse soutient ainsi que le Règlement applique implicitement le «concept de source» à la définition du revenu tiré de la produc tion, et la conclusion à tirer est qu'il ne faut pas inter- préter étroitement le revenu et les dépenses de pro-
duction de façon à les limiter au produit de la vente effective et aux coûts directs d'extraction. Au con- traire, le revenu tiré de la production de métaux ou de minéraux devrait inclure toutes les recettes qui ont un lien raisonnable avec la production elle-même.
La demanderesse soutient que pour examiner le point litigieux en l'espèce, il faut appliquer par analo- gie les principes dégagés d'autres dispositions de la Loi. Son avocat invoque en particulier les arrêts R. c. Marsh & McLennan, Limited., [1984] 1 C.F. 609 (C.A.); Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509; et Imperial Tobacco Co. C of Great Britain and Ireland), Ltd. v. Kelly. Imperial Tobacco Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd. v. Inland Revenue Commrs., [1943] 2 All. E.R. 119 (C.A.).
Dans les deux causes canadiennes citées, il s'agis- sait de savoir si certaines recettes réalisées par la con- tribuable pouvaient être considérées comme revenu tiré d'une entreprise ou comme revenu de placements (ou dans la cause Ensite, «revenu de placements à l'étranger») afin de statuer sur l'impôt en main rem- boursable au titre de dividendes de la demanderesse, en application du paragraphe 129(4) [m d. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 86(2)] de la Loi, qui distin- guait entre le revenu tiré d'un bien et le revenu tiré d'un bien utilisé dans l'exploitation de l'entreprise.
L'arrêt Marsh & McLennan portait sur la question de savoir si l'intérêt provenant du placement à court terme de primes d'assurance et détenu par un courtier d'assurances avant sa remise aux assurés constituait un «revenu de placements au Canada» ou un revenu tiré d'un bien utilisé dans l'entreprise. Dans cette der- nière hypothèse, il serait exclu du «revenu de place ments au Canada» et de l' «impôt en main remboursa- ble au titre de dividendes». Par jugement majoritaire, la Cour d'appel fédérale a fait droit à l'appel de la Couronne. Le juge suppléant Clement a conclu en page 638 qu' «il ressort des faits de cette affaire qu'il existait entre l'entreprise du courtier et les place ments qu'il faisait une interconnexion, un entrelace- ment, une interdépendance et une parfaite harmonie entre les deux» et qu'en conséquence, l'intérêt en cause constituait un revenu tiré d'un bien utilisé ou détenu dans le cadre de l'entreprise de courtage d'as- surances. Le juge Le Dain, J.C.A., était du même avis
et concluait que le critère de l'utilisation du fonds comme capital de risque dans l'entreprise était pré- sent en l'espèce puisque l'intérêt couru a servi à rem- plir les obligations du courtier d'assurances face aux assureurs; le courtier ne l'avait détenu que pendant quelques mois.
Dans Ensite, la contribuable exploitait une usine de moteurs d'automobile aux Philippines et était tenue par la loi philippine d'importer des devises étrangères aux fins de l'entreprise. Elle s'est acquittée de cette obligation au moyen d'arrangements bancaires com plexes, lesquels se sont soldés par un bénéfice sous forme d'intérêts. Se prévalant du remboursement au titre de dividendes prévu à l'article 129 de la Loi, la contribuable a inclus cet intérêt dans son «revenu de placements à l'étranger», qui est un élément de l'im- pôt en main remboursable au titre de dividendes. Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation par ce motif qu'il s'agissait d'un revenu tiré de l'entreprise ou d'un revenu tiré d'un bien uti- lisé aux fins de l'entreprise.
La Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi formé par la contribuable contre la décision de la Cour d'appel fédérale qui se fondait largement sur l'arrêt Marsh & McLennan. Madame le juge Wilson, commentant à cette occasion les critères invoqués dans ce dernier arrêt, a marqué sa préférence pour le critère de l' «utilisation comme capital de risque» appliqué par le juge Le Dain, J.C.A. Elle a résumé son raisonnement comme suit, en pages 520 et 521:
Le critère applicable consiste non pas à déterminer si le contri- buable s'est vu dans l'obligation d'employer un bien déterminé pour exploiter son entreprise, mais plutôt à se demander si ce bien a été utilisé pour satisfaire à une exigence qui devait être remplie pour qu'il puisse exploiter son entreprise. Dans cette dernière hypothèse, il s'agirait véritablement d'un bien employé et risqué dans l'entreprise. En l'espèce, le bien en cause a été employé pour satisfaire à une condition qui devait obligatoirement être remplie avant d'entreprendre des activités commerciales; loin de revêtir un caractère accessoire, ce bien est employé et risqué au sens le plus strict dans l'entreprise du contribuable. Il s'agit d'un bien dont la société a eu l'usage ou la possession aux fins de son entreprise.
Pour parvenir à cette conclusion, elle a distingué entre le placement des bénéfices résultant d'opéra- tions de change et le placement effectué pour satis- faire à une condition qui doit obligatoirement être remplie avant d'exploiter l'entreprise, selon le carac-
tère éloigné du «risque» auquel le bien est exposé. Elle rappelle en page 520 qu'«[on] satisfait aux exi- gences minimales du critère dès lors que le retrait du bien aurait "un effet nettement négatif sur les opéra- tions de la compagnie"», citant ainsi la décision March Shipping Ltd y MNR, [1977] CTC 2527 (C.R.I.), en page 2531.
Les décisions susmentionnées ont été citées par les avocats de l'une et l'autre parties. Selon celui de la demanderesse, elles signifient que si le revenu prove- nant d'une source qui pourrait être considérée comme distincte à d'autres égards est inextricablement lié à l'entreprise, la distinction s'estompe entre les sources. À son avis, les critères relevés dans cette jurisprudence et appliqués aux faits de la cause, por tent à conclure que le produit de la liquidation des contrats de vente à ternie faisait partie intégrante du revenu tiré par la demanderesse de la production, donc de ses bénéfices relatifs à des ressources. De son côté, l'avocat de la défenderesse soutient que si ces critères sont appliqués aux faits de la cause, la demanderesse n'y satisfait pas, vu l'absence de lien fonctionnel entre les contrats au comptant et les opé- rations à terme, et que la production de la demande- resse n'aurait pas été affectée faute de contrat à terme; mais ce n'est qu'une conjecture, elle n'a pas plus de valeur que l'affirmation que si la, demande- resse n'était pas un producteur d'argent, elle n'aurait pas souscrit des contrats de vente à terme pour ce métal.
À mon avis, les critères définis par la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada ne sont pas directement applicables à l'interprétation des disposi tions législatives qui nous intéressent en l'espèce. Ces critères, qui visent la formulation plutôt spéci- fique du paragraphe 129(4) de la Loi, ont été définis pour la solution des litiges sur la distinction entre le revenu de placements et le revenu d'entreprise. Ils n' ont pas été élaborés pour permettre de décider si un revenu provient ou non de la production de métaux ou de minéraux au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.
L'arrêt Imperial Tobacco, précité, de la Cour d'ap- pel d'Angleterre, que cite aussi la demanderesse, por- tait sur la classification aux fins de l'impôt, sous le régime législatif en vigueur à l'époque, du bénéfice
tiré de la réalisation d'un fonds en devises étrangères que détenait la contribuable en vue de l'achat du tabac en feuilles à l'étranger. Bien que cette décision concerne une loi et des circonstances qui ne sont pas les mêmes qu'en l'espèce et doive ainsi faire l'objet d'une distinction, la demanderesse soutient que le principe qui y est invoqué est bien concluant. Dans cette affaire, la contribuable faisait valoir qu'il ne s'agissait pas d'un bénéfice tiré d'opérations de change de la compagnie, mais d'un bénéfice prove- nant d'un placement temporaire de capital; il a été cependant jugé en première instance et en appel que ce bénéfice représentait un revenu provenant d'opéra- tions de change de la compagnie. En première ins tance comme en appel, le principal facteur retenu par la justice pour conclure que le bénéfice participait de l'entreprise de la contribuable était l'intention qu'elle avait au moment de l'acquisition des devises étran- gères.
De son côté, l'avocat de la défenderesse soutient que les mots «revenus tirés de la production au Canada de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal brut », qui figu- rent au sous-alinéa 1204(1)b)(ii), ont un sens plus restrictif que celui qui s'attacherait au concept géné- ral de «sources» qu'on trouve dans d'autres disposi tions de la Loi; la signification de «production» y est cernée dans des limites étroites. D'après cet argument tel que je le comprends, le revenu provenant de toute activité ne portant pas directement sur l'extraction de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade ne dépassant pas celui du métal brut ne doit pas être inclus dans le revenu tiré de la production proprement dite.
La défenderesse cite à l'appui plusieurs décisions, lesquelles portent principalement sur les dispositions législatives autres que le paragraphe 1204(1) du Règlement mais engagent à une interprétation restric tive du mot «production» en l'espèce. Dans R. c. International Nickel Co. of Canada, Ltd., [1976] 2 R.C.S. 675, la Cour suprême du Canada a jugé que les dépenses engagées par la contribuable pour la recherche scientifique à long terme ne devaient pas être déduites, en application du paragraphe 1201(4) du Règlement tel qu'il était applicable à l'époque, des «bénéfices qui peuvent être raisonnablement attribués à la production de métal brut» aux fins du calcul de l'allocation pour épuisement. La même disposition
fut interprétée dans Gunnar Mining Limited v. Minis ter of National Revenue, [1968] R.C.S. 226, arrêt par lequel la Cour suprême du Canada a jugé que [TRA- DUCTION] «les bénéfices qui peuvent être raisonnable- ment attribués à la production de métal brut ou de minerai industriel» ne comprenaient pas le revenu provenant du placement du surplus détenu par la con- tribuable en vue du rachat futur d'obligations. De même, la Cour suprême a conclu que le revenu de placements n'était pas le «revenu provenant de l'ex- ploitation d'une mine» au sens du paragraphe 83(5) [S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1955, ch. 54, art. 21) de la Loi en vigueur à l'époque, qui prévoyait une exemption fiscale de 36 mois pour le revenu de cette dernière catégorie. Il est clair que dans cette cause, la Cour a fondé sa décision sur la conclusion que les deux activités de la contribuable, savoir les placements et la production de minerais, étaient deux entreprises distinctes. Dans Cominco Ltd c La Reine, [1984] CTC 548 (C.F. lre inst.), confirmé par arrêt non publié du 2 décembre 1985, numéro du greffe A-1324-84 (C.A.F), demande d'autorisation de pour- voi rejetée [1986] 1 R.C.S. vii, mon collègue Madame le juge Reed a conclu que les prestations d'assurance contre les pertes d'exploitation n'étaient pas comprises dans le calcul des bénéfices provenant de la production que visait l'article 1201 du Règle- ment (en vigueur avant le 6 mai 1974) ou des béné- fices relatifs à des ressources que visait l'article 1204 (en vigueur après le 6 mai 1974). Ces prestations d'assurance ne provenaient pas de la production de minéraux, du moins dans cette cause il n'y avait pas de production de minéraux durant l'année d'im- position en cause.
L'avocat de la défenderesse n'a pas cité la décision Westar Mining Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 349 (C.F. lre inst.), dans laquelle cette Cour a suivi la décision Cominco au sujet des prestations d'assu- rance contre les pertes d'exploitation sous le régime du paragraphe 83(5) de la Loi, pour juger que ces prestations ne représentaient pas un revenu «prove- nant de l'exploitation d'une mine» au sens de cette disposition en ce qui concernait l'exemption d'impôt. Cette décision a été récemment infirmée par la Cour d'appel [1992] 3 C.F. 110, motifs prononcés par le juge Mahoney, J.C.A. (le juge Stone, J.C.A., y sous- crivant, et le juge Linden, J.C.A., dissident). La Cour d'appel a refusé d'adopter le raisonnement tenu dans
la décision Cominco qui portait sur d'autres disposi tions du régime fiscal. Cette cause est fort instructive en ce qu'elle a fait ressortir la nécessité d'appliquer les dispositions de la Loi et du Règlement conformé- ment à leur libellé.
À l'appui de son argument que le terme «produc- tion» figurant au paragraphe 1204(1) du Règlement doit être interprété de façon restrictive, la défende- resse invoque également la décision Gulf Canada Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 99 (C.F. lre inst.), par laquelle le juge McNair a conclu que les dépenses de recherche scientifique n'étaient pas comprises dans les bénéfices de production imposables, qui résultaient du calcul du revenu et des dépenses se rapportant à «la production de pétrole, de gaz naturel ou d'hydrocarbures apparentés, provenant de puits de pétrole et de gaz au Canada» dans le cadre de l'article 124.2 de la Loi. (L'ancien article 124.1 prévoyait une définition parallèle de «bénéfices de production imposables tirés de ressources minérales au Canada».) Dans cette cause, le juge McNair s'est fondé sur les décisions International Nickel et Cominco, précitées, ainsi que sur la définition de «production» donnée par le juge Collier dans Texaco Exploration Co. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 323 (Ire inst.), en pages 333 et 334 et, devant l'argument du «concept de source» que faisait valoir la Couronne pour inclure les dépenses de recherche dans le calcul des bénéfices de production, il s'est prononcé en ces termes la page 112):
Compte tenu de ces affaires, je ne puis souscrire à l'argu- ment invoqué par l'avocat de la défenderesse, selon lequel le revenu en vertu des articles 124.1 et 124.2 de la Loi doit être calculé conformément au principe de la source. Selon mon interprétation de ces dispositions, contrairement à ce que l'avo- cat de la défenderesse laisse entendre, le calcul des bénéfices de production imposables est indépendant du calcul du revenu pour l'application de l'article 3 de la Loi. À mon avis, les articles 124.1 et 124.2 établissent leur propre système distinct d'inclusions dans le revenu et d'exclusions du revenu en ce qui concerne les programmes spéciaux d'encouragement.
Depuis l'audition de la cause en instance, la Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement Gulf Canada ((1992), 92 DTC 6123, jugement de la Cour pro- noncé par le juge Hugessen, J.C.A.), et en particulier la conclusion du juge McNair que «les articles 124.1 et 124.2 établissent leur propre système distinct d'in- clusions dans le revenu et d'exclusions du revenu en ce qui concerne les programmes spéciaux d' encoura-
gement». La même conclusion a encore été confir- mée avec force par la suite par le juge Mahoney, J.C.A., qui rendait le jugement de la Cour dans Wes- tar, précité, en page 4.
Dans Texaco Exploration, précité, mon collègue le juge Collier, se prononçant entre autres sur l'applica- tion des articles 1200 et 1201 du Règlement, en vigueur à l'époque, à l'allocation pour épuisement dans le contexte des bénéfices «pouvant raisonnable- ment être attribués à la production de pétrole et de gaz naturel», a défini «production» en ces termes la page 333]:
A mon avis, l'expression «production de pétrole [ou] de gaz» dans la présente action désigne l'extraction de gisements souterrains et [la] mise à la disposition de l'homme d'une sub stance primaire qui contient du gaz ainsi que d'autres matières.
Dans une note de bas de page [note 16, page 335], le juge Collier ajoute qu'il n'a pas négligé cette remarque du juge Judson dans Minister of National Revenue v. Imperial Oil Co., [1960] R.C.S. 735, en page 749: «Aucune compagnie ne réalise un bénéfice réel en produisant simplement du pétrole. Il n'y a aucun bénéfice jusqu'à ce que le pétrole soit vendu». La même constatation sous-tend la conclusion tirée par le juge Mahoney, J.C.A. dans l'arrêt Westar, pré- cité la page 11), au sujet des mots «l'exploitation d'une mine» figurant au paragraphe 83(5) de la Loi, savoir que «[le] revenu provient de l'exploitation d'une mine en tant qu'activité économique et non des actes matériels qui consistent à extraire et à transfor mer le minerai».
Selon la défenderesse, le bénéfice réalisé à la liqui dation des contrats de vente à terme ne peut être con- sidéré comme revenu tiré de la production de métaux ou de minéraux au Canada que si cette liquidation fait partie intégrante de l'entreprise de production d'ar- gent de la demanderesse.
Pour que cette dernière condition soit remplie, sou- tient la défenderesse, il faut qu'il y ait un lien entre les contrats de vente au comptant de la production effective d'une part, et les contrats de vente à terme et leur liquidation d'autre part. De l'avis de son avo- cat, rien ne prouve qu'un tel lien existe, étant donné la séparation fonctionnelle des deux marchés, leur indépendance réciproque, et étant donné qu'il n'y a aucune corrélation directe entre la vente du minerai
enrichi et la liquidation des contrats de vente à terme d'argent. À ce dernier sujet, il rappelle en particulier qu'il n'y a aucune preuve de communication directe entre ceux qui s'occupaient des opérations à terme Philadelphie) et ceux qui s'occupaient des opérations de production Port Radium et à Edmonton).
L'avocat de la défenderesse soutient encore que la même activité ne peut avoir deux sources de revenu lorsqu'il s'agit d'impôt. Cette conclusion vise à réfu- ter l'avis de M. Parsons selon lequel le bénéfice ou la perte résultant des opérations de couverture peut être, jusqu'à concurrence de la production réelle, consi- déré comme revenu de production aux fins de l'im- pôt, alors que l'excédent au-dessus de la production effective doit être considéré comme revenu de place ments. Je ne trouve pas cet argument convaincant puisque le litige en l'espèce porte sur la question de savoir quelle fraction du revenu total doit être incluse en application du paragraphe 1204(1) du Règlement dans le calcul des bénéfices relatifs à des ressources aux fins d'allocation ou de déduction.
La défenderesse soutient en dernier lieu que les activités de la demanderesse ne constituaient pas des opérations de couverture vu l'absence de concor dance entre contrats de vente à terme et contrats de vente au comptant des quantités produites; et qu'à supposer même que les contrats de vente à terme représentent des opérations de couverture, ils ne fai- saient pas partie intégrante de l'entreprise de produc tion d'argent de la demanderesse. Bien que les opéra- tions de couverture aient pu faire partie intégrante des méthodes de commercialisation de la demanderesse, ce fait n'est pas suffisant pour que le revenu tiré des opérations de couverture puisse être considéré comme revenu tiré de la production d'argent.
À l'appui de ce dernier argument, l'avocat de la défenderesse a essayé de faire valoir a contrario l'ar- rêt Tip Top Tailors Limited v. The Minister of Natio nal Revenue, [1957] R.C.S. 703, il a été jugé que le bénéfice réalisé sur des devises étrangères par suite du règlement d'une marge de crédit antérieurement négociée par la contribuable pour protéger son pou- voir d'achat à l'étranger était un revenu et non un élé- ment du capital du point de vue de l'impôt. Le juge Rand voyait dans la marge de crédit un capital d'ex-
ploitation utilisé dans l'entreprise de la contribuable, alors que pour le juge Locke, il s'agissait en l'occur- rence d'une [TRADUCTION] «méthode de rentabilisa- tion dans un élément essentiel des opérations de change de l'appelante, savoir l'achat de fonds en livres sterling, et faisant partie d'une opération com- merciale intégrée, savoir l'achat de fournitures et leur paiement en cette devise» la page 706).
J'ai noté plus haut que la défenderesse invoque Marsh & McLennan Ltd. et Ensite, précitées et sou- tient que les activités de la demanderesse ne satisfont pas au critère des activités intégrées que définissent ces décisions, savoir le critère de l'«utilisation comme capital de risque» énoncé par le juge Le Dain, J.C.A., dans la première décision, et la définition donnée par Madame le juge Wilson dans Ensite, la page 520] de «risqué» comme signifiant que «le retrait du bien "aurait un effet nettement négatif sur les opérations de la compagnie ... "».
La défenderesse cite en dernier lieu Atlantic Sugar Refineries v. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706, arrêt par lequel la Cour suprême du Canada a conclu que les bénéfices réalisés à la vente de contrats d'achat à terme de sucre, achetés à titre ponctuel par la contribuable pour garantir les appro- visionnements futurs aux prix en cours, en prévision d'une hausse des prix du sucre à l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale, constituaient un revenu imposable à titre de revenu tiré de son entreprise nor- male. Le juge Kerwin s'est prononcé en ces termes (aux pages 709 et 710):
[TRADUCTION] La compagnie, se retrouvant dans une situa tion anormale à cause des divers facteurs susmentionnés, ... a décidé de protéger les intérêts financiers de l'appelante par des opérations de bourse commerciale. Il ne s'agissait ni d'un placement de fonds non utilisés, ni d'une aliénation d'élément d'actif. On ne saurait dire que ces opérations n'ont rien à voir avec l'entreprise de l'appelante, et c'est incidemment qu'il y a eu spéculation sur du sucre non raffiné. Quand bien même ce serait la seule opération de cette nature, il faut conclure, à la lumière de l'ensemble des preuves produites, que ces opéra- tions faisaient partie intégrante de l'entreprise ou de la profes sion de l'appelante, et que le bénéfice réalisé était bien un bénéfice de l'entreprise au sens de l'article 3 de la Loi.
Ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans l'arrêt Atlantic Sugar Refineries, c'est que la contri- buable, essayant de faire classer les bénéfices en cause comme revenu de placements et non comme
revenu tiré de son entreprise, a cherché à prouver que ses opérations à terme ne pouvaient être qualifiées d'opérations de couverture. Le juge Locke, aux motifs duquel a souscrit le juge Kellock, s'est pro- noncé en ces termes sur le témoignage en la matière, en pages 711 et 712:
[TRADUCTION] Le témoin fait savoir qu'en cas d'opération de couverture, la vente à terme se synchronise avec l'achat de la marchandise, alors qu'en l'espèce, les ventes à découvert ont été étalées sur un mois après les achats au comptant. À mon avis, ce fait n'affecte pas la question à trancher. Bien qu'elles n'aient pas eu lieu en même temps que les achats, les ventes à découvert constituaient en fait une opération de couverture effectuée par la compagnie pour se protéger contre les pertes à l'achat, et ce n'est qu'à la mise en place le 2 octobre des mesures de contrôle [par le gouvernement en application de la Loi sur les mesures de guerre] que les opérations de couverture sont devenues désavantageuses. Dans les milieux les pro- duits naturels sont achetés en grande quantité, les opérations de couverture sont courantes, voire nécessaires dans certains cas, et le coût de ces opérations dans les commerces de ce genre est à bon droit déductible à titre de frais d'exploitation de l'entre- prise. Dans les cas où, comme en l'espèce, le spéculateur choi- sit de liquider les ventes à découvert et de réaliser un bénéfice, celui-ci peut être qualifié à bon droit de bénéfice résultant de l'opération à terme.
L'avocat de la défenderesse soutient qu'il faut dis- tinguer la décision Atlantic Sugar Refineries de l'af- faire en instance à deux égards: en premier lieu, elle était fondée sur les circonstances extraordinaires qui caractérisaient cette cause; en second lieu, le litige portait sur la question de savoir si le bénéfice en cause était un revenu tiré de l'entreprise ou un gain en capital, la distinction entre les deux étant bien plus générale qu'en l'espèce, il échet d'examiner si le bénéfice doit être considéré comme provenant d'une source en particulier, savoir la «production», à l'inté- rieur du revenu tiré de l'entreprise.
Décision
Je conclus que les opérations concernant les con- trats de vente à terme conclus pour le compte de la demanderesse constituent des opérations de «couver- ture» au sens de la définition donnée par l'expert cité par la demanderesse, M. Bowles, et acceptée par la Cour comme par les avocats des deux parties. Je tire cette conclusion après examen approfondi des argu ments avancés pour le compte de la défenderesse, selon lesquels il ne faut pas considérer ces opérations comme telles puisqu'elles ont été effectuées par la
compagnie mère de la demanderesse et que la Cour n'a été saisie d'aucune preuve de concertation étroite avec les dirigeants ou employés de la demanderesse. En outre, la défenderesse fait valoir qu'il n'y a pas eu concordance suffisante entre les deux ensembles parallèles d'opérations, pour ce qui est de la quantité produite, de la date de livraison et de la date de liqui dation des contrats de vente à terme, mais je note qu'il n'y a aucune preuve de corrélation ou de défaut de corrélation. En fait, le seul témoignage donné à ce sujet est celui de M. Jenner, savoir que les contrats de vente à terme étaient des opérations de couverture visant à garantir la marge bénéficiaire en fixant le prix de la production future sur un marché changeant, et que les contrats de vente à terme n'excédaient pas la production prévue; il y a aussi l'aveu par l'avocat de la demanderesse que certains de ces contrats de vente à terme ont été liquidés avant l'échéance. M. Jenner témoigne que les estimations sur lesquelles ont été fondées les ventes à terme étaient, dans l'en- semble, très proches des quantités effectivement pro- duites. Ces estimations étaient constamment révisées afin que les quantités d'argent vendu à terme n'excè- dent pas la production effective. Il est vrai que les contrats de vente à terme ont été conclus par les diri- geants de la compagnie mère, par instructions don- nées à des maisons de courtage américaines, mais ces opérations ont été effectuées pour le compte de la demanderesse et n'ont été inscrites que dans les livres de cette dernière; j'en conclus qu'elles doivent être considérées comme ayant été effectuées par la demanderesse elle-même. La concordance exacte n'était pas possible dans les faits; elle n'est pas non plus essentielle pour qu'il y ait opération de couver- ture. Pour cette dernière conclusion, je me suis ins- piré des motifs prononcés par le juge Locke dans Atlantic Sugar Refineries, précité.
J'en viens maintenant à la question de savoir si, à supposer que les opérations en cause de la demande- resse soient des opérations de couverture, il y a inter- connexion ou intégration suffisante avec son entre- prise de production d'argent pour que les bénéfices résultant de ces opérations puissent être assimilés au revenu tiré de la même entreprise.
Je ne trouve pas convaincant l'argument avancé par la défenderesse pour justifier une interprétation restrictive des mots «revenus ... tirés ... de la pro-
duction au Canada ... de métaux ou de minéraux» figurant au paragraphe 1204(1). La jurisprudence citée à l' appui de cette interprétation portait sur d'autres dispositions législatives et, tout intéressante qu'elle soit, ne résout pas le point litigieux en l'es- pèce. De surcroît, cet argument me paraît plutôt oblique puisqu'il présuppose que les contrats de vente à terme et leur liquidation, ainsi que le paie- ment par la raffinerie acheteuse au prix du marché 60 jours après livraison du produit par la demanderesse, étaient des opérations tout à fait séparées et à part au sein de l'entreprise de cette dernière. Or cette ques tion est justement au coeur du litige.
À la lecture du paragraphe 1204(1), je note qu'il serait plus fidèlement représenté par un extrait plus complet des mots servant à définir «bénéfices relatifs à des ressources» que l'extrait cité par la défende- resse. Ainsi, ces bénéfices sont définis, en partie à l'alinéa b), comme le «montant ... de l'ensemble de ... revenus ... tirés ... de la production au Canada ... de métaux ou de minéraux» [jusqu'à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal brut]. L'emploi des mots «ensemble» et «revenus», et l'in- clusion implicite, par l'effet du paragraphe 1204(3), du «revenu ... qui est le résultat du transport, du convoiement ou du traitement» [jusqu'à un stade qui ne dépasse pas celui du métal brut] pour ce qui est des métaux et minéraux visés à l'alinéa 1204(1)b), signifient l'un et l'autre que le revenu de «produc- tion» peut provenir de diverses activités à condition que celles-ci fassent partie intégrante des opérations de production. Or la production n'engendre d'elle- même aucun revenu s'il n'y a pas de vente. Les opé- rations qui peuvent raisonnablement être reliées à la commercialisation du produit et qui sont entreprises pour garantir que celui-ci soit vendu à un prix satis- faisant, pour produire un revenu avec espoir de béné- fices, sont à mes yeux des activités faisant partie inté- grante de la production qui vise à rapporter un revenu et des bénéfices relatifs à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.
L'avocat de la demanderesse soutient que si les contrats conclus avec la raffinerie acheteuse avaient prévu un prix garanti pour les livraisons futures de minerai d'argent enrichi, le revenu tiré de ces ventes aurait été de toute évidence un revenu tiré de la pro duction. Dans les faits, les acheteurs de minerai enri-
chi de métal précieux, qui doivent faire face eux- mêmes à un marché changeant pour leur propre pro- duit, ne s'engagent pas à payer un prix garanti pour les livraisons futures, indépendamment du prix ayant cours sur le marché à la date de livraison. En l'es- pèce, la demanderesse a pris la seule option possible pour s'assurer le prix des livraisons futures, en ven- dant et en liquidant des contrats de vente à terme. Il s'agit d'une opération de couverture, visant à réduire au minimum les risques de perte sur les ventes futures en garantissant un revenu aux prix ayant cours à la date de la conclusion des contrats de vente à terme. Ce revenu était le produit des ventes à la raffinerie acheteuse, conjugué au bénéfice ou à la perte résultant de la liquidation des contrats de vente à terme.
Je conclus que le prix reçu par la demanderesse pour l'argent qu'elle produisait était la somme des montants reçus à la livraison de l'argent effective- ment produit et à la liquidation des contrats de vente à terme. L'entreprise de la demanderesse consistait à produire de l'argent. Dans les cas elle participait à la passation et à la liquidation de contrats de vente à terme à titre de couverture contre les fluctuations du prix de l'argent, la marchandise visée par ces contrats étant l'argent, je conclus qu'elle n'a pas effectué ces opérations à terme à titre de placements. La passation et la liquidation de contrats de vente à terme visaient un but indissociable de son entreprise, ce but étant intégré avec ses ventes au comptant du produit pour rapporter un revenu: elle ne faisait que se garantir un prix pour l'argent qu'elle produisait. Cette activité s'apparente à celle entreprise par la contribuable dans Tip Top Tailors, précité, pour s'assurer à un prix garanti les matières premières nécessaires à son entreprise.
En l'espèce, les contrats de vente à terme et la pro duction de la demanderesse concernaient la même marchandise; l'une et l'autre activités faisaient, à mon avis, partie intégrante de son entreprise de pro duction d'argent, et les bénéfices provenant de ces activités constituaient un revenu tiré de la production au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.
Enfin, les conclusions que je tire en l'espèce s'ac- cordent avec la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans Atlantic Sugar Refineries. Du fait
qu'en l'espèce, les opérations en cause n'étaient pas isolées mais faisaient partie intégrante des activités de la demanderesse, le raisonnement tenu dans cet arrêt est d'autant plus, et non pas moins, applicable à la cause en instance.
Qui plus est, cette solution correspond aux usages de ce secteur d'activité et aux principes comptables généralement reconnus, lesquels, s'ils ne sont pas déterminants du traitement fiscal, dans le cadre de l'article 1204 du Règlement, du revenu tiré par la demanderesse de la production, reflètent néanmoins la réalité des opérations de la contribuable. Dans la mesure du possible, les tribunaux doivent interpréter les dispositions législatives de la Loi de l'impôt sur le revenu et du Règlement à la lumière de cette réalité (voir McClurg c. Canada, précité). Ce serait faire preuve de rigorisme excessif que d'empêcher le con- tribuable de tirer profit de divers marchés dans la commercialisation de ses marchandises, à moins de disposition expresse de la loi à cet effet.
Conclusion
L'appel de la demanderesse est accueilli, dans la mesure les bénéfices réalisés à la liquidation des contrats de vente à terme d' argent correspondent à sa production effective d'argent pour l'année d'imposi- tion 1980.
L'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformes aux présents motifs.
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