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T-1155-92
J.G. Morgan Development Corporation (requérante)
c.
Ministre des Travaux publics, 926260 Ontario Ltd., Thomas N. Hammond & Associates Ltd., Cohole Development Corporation, Clifford 0.0/A Ventures 2000 & Grant Development Corporation et Garth Aselford Developments Limited & J. Walton Developments Limited (intimés)
RÉPERTORIE.' ,JG MORGAN DEVELOPMENT CORP. C. CANADA (MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Denault—Ottawa, 29 juin et 30 septembre 1992.
Couronne Contrats = Locaux loués Appel d'offres Le plus bas soumissionnaire lors du second appel d'offres était incapable de fournir le cautionnement exigé Le ministère des Travaux publics a contracté avec le soumissionnaire qui s'était classé deuxième sans lancer un troisième appel d'offres étant donné que plus d'une année s'était écoulée depuis le début du processus La requête en certiorari du soumission- naire dont l'offre n'a pas été retenue est rejetée en raison du retard excessif (3 mois) dans la présentation de sa requête et parce que le fait d'accueillir la requête causerait un préjudice au Ministère et à l'entrepreneur La Cour n'a pas compé- tence pour contrôler la décision par laquelle le Ministère a attribué le marché, étant donné que le marché n'a pas été négocié en vertu de pouvoirs prévus par une loi fédérale mais en vertu de pouvoirs accessoires au droit inhérent de contrac- ter de la Couronne et suivant les principes du mandat Le droit inhérent de contracter est reconnu par la doctrine et la jurisprudence au Canada et dans d'autres territoires de com mon law.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance Le ministère des Travaux publics a lancé un appel d'offres en vue de la conclusion d'un marché portant sur la location de bureaux Le plus bas soumissionnaire lors du second appel d'offres était incapable de fournir le cautionne- ment exigé Le Ministère a contracté avec le soumissionnaire qui s'était classé deuxième sans lancer un troisième appel d'offres étant donné que plus d'une année s'était écoulée depuis le début du processus La requête en certiorari est rejetée à cause d'un retard excessif dans la présentation de la requête et parce que le fait d'accueillir la requête causerait un préjudice au Ministère et à l'entrepreneur La question de la compétence de la Cour pour contrôler la décision d'attribuer le marché à la suite de l'appel d'offres n'est pas résolue, étant donné que le marché n'a pas été attribué dans le cadre d'un appel d'offres mais à la suite de négociations directes La
Cour n'a pas compétence pour contrôler la décision par laquelle le Ministère a attribué le marché, étant donné que le marché a été négocié en vertu de pouvoirs accessoires au droit inhérent de contracter de la Couronne et non en vertu de pou- voirs prévus par une loi fédérale, ainsi que l'exige la Loi sur la Cour fédérale pour que la Cour fédérale ait compétence L'exception à l'obligation de lancer un appel d'offres est con- forme au Règlement sur les marchés de l'État dans les cas la nature du marché est telle qu'un appel d'offres ne servirait pas l'intérêt public Compte tenu de l'ensemble des circons- tances en cause en l'espèce, lancer un autre appel d'offres ne servirait pas l'intérêt public La présence de l'une des cir- constances exceptionnelles énoncées à l'art. 6 du Règlement sur les marchés de l'État soustrait les négociations du champ d'application du Règlement et les fait relever du droit inhérent de contracter de la Couronne, sur lequel la Cour n'est pas compétente pour exercer un contrôle judiciaire La requête est rejetée sans frais, étant donné qu'elle a permis à la Cour de clarifier la question de sa compétence.
Interprétation des lois Art. 6 du Règlement sur les marchés de l'État La Cour constate une différence entre la version française et la version anglaise Le texte anglais parle de «nature of the work», tandis que le texte français parle de «nature du marché» Le terme «marché» y est défini comme étant un «marché de travaux publics», un «marché de fournitures», un «marché de services» ou un «bail» Dans ce contexte, le terme «work» est beaucoup plus large que le terme «contract» La question d'interprétation n'est pas résolue étant donné qu'elle a été soulevée par la Cour et non par les avocats.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4).
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 41 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 50 (ann. II, item 11)).
Loi sur les travaux publics, L.R.C. (1985), ch. P-38. Règlement sur les marchés de l'État, DORS/87-402, art. 5, 6.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (édictée par DORS/92-43, art. 19).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Qué- bec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; 5 N.R. 271; Procureur général du Québec c. Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057; (1980), 81 CLLC 14, 119.
DÉCISION MENTIONNÉE:
Hawker Pacific Pty Ltd v Freeland (1983), 52 ALR 185 (F. Ct. Aust.).
DOCTRINE
Dussault, René et Borgeat, Louis, Traité de droit adminis- tratif; 2e éd., tome 1, Presses de l'Université Laval, 1984.
Griffith, J. A. G and H. Street, Principles of Administra
tive Law, 3rd ed., London: Pitnam Publishing, 1963. Hogg, Peter W., Liability of the Crown, 2nd ed., Toronto:
Carswell Co. Ltd., 1989.
DEMANDE en bref de certiorari annulant la déci- sion par laquelle le ministre des Travaux publics a attribué un marché portant sur des locaux loués. Requête rejetée.
AVOCATS:
Martin W. Mason pour la requérante.
Peter M. Southey pour l'intimé, le ministre des
Travaux publics.
James H. Smellie pour les intimés.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé, le ministre des Travaux publics.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DENAULT: La requérante sollicite un bref de certiorari annulant la décision par laquelle le ministre des Travaux publics a attribué à la compa- gnie à matricule 926260 Ontario Ltd. un marché rela- tif à la location de bureaux. Le marché portait sur la location de bureaux situés à Kirkland Lake, en Onta- rio, qui devaient être occupés par le ministère des Anciens combattants.
La présente requête a été entendue d'urgence le 29 juin 1992. L'urgence s'expliquait par le fait que 926260 Ontario Ltd. (ci-après appelée 926260) avait déjà pris des mesures en vue d'exécuter son marché.
J'ai rejeté la requête en bref de certiorari de la requérante au motif que celle-ci avait tardé de façon excessive à présenter la requête et que le prononcé
d'une telle ordonnance causerait dans les circons- tances un préjudice tant à Travaux publics Canada qu'à 926260.
Au cours de l'instance, l'avocat de Travaux publics Canada (ci-après appelé TPC) a contesté la compé- tence de la Cour pour prononcer une ordonnance de bref de certiorari dans la présente affaire. Compte tenu de ma décision de rejeter la requête pour des motifs ayant trait au retard excessif, il ne m'a pas été nécessaire d'examiner le bien-fondé de son objection à ce moment-là et j'ai précisé à l'avocat que je four- nirais plus tard des motifs écrits plus détaillés sur la question de la compétence de la Cour.
GENÈSE DE L'INSTANCE
En décembre 1990, les compagnies intimées ont été invitées par TPC à présenter des soumissions rela- tivement à un marché de location de bureaux pour le ministère des Anciens combattants (ci-après appelé MAC). Une des conditions exigées des entreprises concurrentes était de fournir une «preuve de confor- mité de zonage», et la date limite de présentation des soumissions a été fixée au 3 janvier 1991.
La preuve révèle toutefois qu'aucune des compa- gnies intimées n'était en mesure de satisfaire à cette condition et, en conséquence, TPC a rejeté la soumis- sion de chacune d'entre elles.
Le ler février 1991, TPC a invité les mêmes com- pagnies intimées à soumettre de nouvelles proposi tions ainsi qu'une preuve de conformité de zonage. Il était précisé dans ce second appel d'offres que les intimées devaient fournir une preuve de conformité de zonage au plus tard le 31 mars 1991. À la demande des compagnies intimées, TPC a par la suite accepté de repousser cette date au 31 mai. Cette échéance a été repoussée à nouveau à quelques repri ses et, finalement, le 21 juin 1991, le marché a été attribué à Cohole Development Corporation (ci-après appelée Cohole). La valeur nette actuelle des quatre offres était la suivante:
Cohole Development Corporation 9,3 millions $
926260 Ontario Limited 10,2 millions $
Thomas N. Hammond
& Associates Ltd. 10,8 millions $
J.G. Morgan Development
Corporation 12,6 millions $
Le 28 juin, les entreprises dont l'offre n' avait pas été retenue, y compris la requérante, ont été infor- mées de la décision et la garantie qu'elles avaient déposée leur a été remise.
Le 27 novembre 1991, il est devenu évident pour TPC que Cohole serait incapable de fournir le cau- tionnement de 2 000 000 $ exigé aux termes du mar ché et TPC a par conséquent :té forcé de résilier le marché.
À la suite de cette décision, TPC a engagé des négociations directes avec 926260, le soumission- naire qui s'était classé deuxième lors du second appel d'offres du ler février 1991. Le 12 décembre 1991,1a requérante a été expressément avisée que les négocia- tions directes en question avaient été entamées.
TPC s'est renseigné pour savoir si 926260 était en mesure d'exécuter le marché selon les mêmes moda- lités que celles qu'elle avait énoncées dans son offre antérieure. Après avoir obtenu les assurances vou- lues, TPC a attribué le marché à 926260 le 25 février 1992.
La requérante a été informée peu de temps après de cette décision. Malgré le fait qu'elle était au cou- rant de ces négociations contractuelles en décembre 1991 et qu'elle a été par la suite promptement infor- mée de la décision finale, elle a attendu au 21 mai, quelque trois mois plus tard, pour présenter sa requête en bref de certiorari. Pour les motifs déjà exposés, cette requête a été rejetée au motif que la requérante avait tardé de façon excessive à présenter sa requête et que le prononcé d'une telle ordonnance causerait dans les circonstances un préjudice tant à. TPC qu'à 926260. Il importe de souligner que la seule opération qui était en litige en l'espèce était le marché attribué à 926260. L'appel d'offres de décem- bre 1990 et celui de février 1991 n'étaient pas en litige en l'espèce.
QUESTIONS EN LITIGE
J'examinerai l'exception soulevée par l'avocat de TPC pour contester la compétence de notre Cour. L' avocat prétend que notre Cour doit trancher deux questions:
1. La Cour a-t-elle compétence pour procéder au con- trôle judiciaire de la décision du ministre des Travaux publics d'attribuer un marché à la suite d'un appel d'offres?
2. La Cour a-t-elle compétence pour procéder au con- trôle judiciaire de la décision du ministre des Travaux publics de contracter directement avec un tiers?
De toute évidence, la première question est basée sur la supposition que le marché attribué à 926260 a été offert dans le cadre de l'appel d'offres. J'estime que cette supposition est erronée. Il ressort à l'évi- dence de la preuve que le second appel d'offres était terminé au moment le marché a été attribué à Cohole et qu' aucun autre appel d'offres n'a été lancé. Le marché attribué à 926260 a été attribué par suite des négociations directes entamées entre les deux parties.
Je conviens que le fait qu'on a communiqué avec le soumissionnaire qui s'est classé deuxième lors du second appel d'offres permettrait de dire qu'il semble que le processus d'appel d'offres était en cours, mais en examinant les éléments de preuve plus objectifs, il est évident qu'on avait mis fin à ce processus beau- coup plus tôt et que les négociations débouchant sur l'attribution du marché à 926260 constituaient un processus très distinct. La première question devient donc purement hypothétique et il n'est pas nécessaire pour la Cour de l'examiner à ce moment-ci.
Par conséquent, la seule question qu'il nous reste à examiner est celle de savoir s'il était loisible à TPC d'entamer des négociations directes avec 926260 et, dans l'affirmative, si la décision d'attribuer le marché à 926260 est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de la part de notre Cour.
THÈSE DE L'INTIMÉ
L'intimé [TPC] fait valoir qu'en évaluant les sou- missions et en recommandant une soumission au Conseil du trésor, le ministre agit au nom du Conseil privé de la Reine et au profit de la Couronne en géné- ral et non en vertu d'un pouvoir législatif précis accordé par le législateur fédéral. En fait, l'intimé prétend que ni la Loi sur les travaux publics, L.R.C. (1985), ch. P-38, ni la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, ni le Règlement
sur les marchés de l'État (DORS 87/402) ne confère à la Couronne le pouvoir ou la capacité de contracter et que, en conséquence, le pouvoir de le faire appar- tient au gouverneur en conseil. Dans ces conditions, l'intimé prétend que notre Cour ne peut contrôler en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] la décision de contracter parce que le ministre ne répond pas à la définition d' «office fédéral» conte- nue au paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi parce qu'il ne constitue pas un «Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exer- cer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale». [Soulignements ajoutés.]
ANALYSE
J'ai examiné les dispositions législatives citées par l'avocat et je suis incapable d'y trouver une attribu tion expresse du pouvoir de contracter. Dans l'arrêt Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41, la question de savoir si, en l'absence d'une restriction législative, un ministre est capable de contracter au nom du gouver- nement a été soulevée. Le juge Pigeon a considéré que le passage suivant de l'ouvrage de Griffith et Street, Principles of Administrative Law [aux pages 269 et 270], constituait un énoncé exact du droit la page 47]:
[TRADUCTION] Nous estimons que la vraie règle est la suivante: Un contrat signé par un représentant du gouvernement agissant dans les limites de son mandat apparent est un contrat valide obligeant le gouvernement...
Il a ensuite fait les observations suivantes la page 47]:
[TRADUCTION] Sa Majesté est évidemment une personne phy siques, et je cherche en vain le principe d'après lequel les
1 Au chapitre 8 de son ouvrage Liability of the Crown, 2e éd. (1989, Carswell), le professeur Hogg s'en prend quelque peu au concept du [TRADUCTION] «monarque considéré comme une personne physique» et laisse entendre qu'il serait plus [TRADUC- TION] «réaliste de penser que chaque État représente la Cou- ronne en tant que personne morale qui est reconnue en com mon law et qui est dotée de tous les pouvoirs de contracter que possède une personne physique» [aux p. 163 et 164]. Voir aussi Dussault & Borgeat, Traité de droit administratif, (1984), tome I, partie 1, aux p. 67 69. Ce différend n'a cependant pas d'ef- fet déterminant sur l'issue de la présente cause.
règles générales du mandat, y compris celles du mandat appa rent, ne lui seraient pas applicables.
Dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057, le juge Beetz a suivi essentiellement le même raisonnement et a conclu qu'un des aspects du principe de la pri- mauté du droit veut que la Couronne soit un Souve- rain, une personne physique qui, en plus de bénéficier de la prérogative royale, jouit d'une capacité générale de contracter conformément aux principes généraux du droit.
Il vaut la peine de noter que d'autres territoires de common law ont souscrit à ce principe, qui reconnaît l'existence d'un droit inhérent de contracter 2 .
Par conséquent, en concluant le marché avec 926260, TPC était, suivant les principes du mandat, mandataire de la Couronne, et le marché qui a été conclu lie la Couronne.
Ce droit de contracter est cependant soumis à des restrictions. Le gouverneur en conseil a pris des règlements qui règlent la conduite de ses mandataires dans certaines situations.
Le Règlement sur les marchés de l'État qui a été pris en application de l'article 41 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 50 (ann. II, item 11)] de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit les direc tives qui doivent être suivies pour la négociation des marchés de l'État. Voici le texte des articles 5 et 6 du Règlement:
Appel d'offres
5. Avant la conclusion d'un marché, l'autorité contractante doit lancer un appel d'offres de la façon prévue à l'article 7.
6. Malgré l'article 5, l'autorité contractante peut conclure un marché sans lancer d'appel d'offres dans les cas suivants:
a) les cas d'extrême urgence un retard serait préjudiciable à l'intérêt public;
b) les cas le montant estimatif de la dépense ne dépasse pas selon le cas:
(i) 30 000 $,
(ii) 100 000 $, s'il s'agit d'un marché portant sur la pres- tation de services d'ingénieurs ou d'architectes ou
2 Hawker Pacifie Pty Ltd y Freeland (1983), 52 ALR 185 (F. Ct. Aust.), à la p. 189 dans lequel le juge Fox a déclaré:
[TRADUCTION] Le pouvoir de contracter est une prérogative ou un pouvoir gouvernemental inhérent...
d'autres services nécessaires à la planification, à la con ception, à la préparation ou à la surveillance de la cons truction, de la réparation, de la rénovation ou de la restau- ration d'un ouvrage,
(iii) 100 000 $, s'il s'agit d'un marché que doit conclure le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada responsable de l'Agence canadienne de développement international et qui porte sur la prestation de services d'ingénieurs ou d'architectes ou d'autres services néces- saires à la planification, à la conception, à la préparation ou à la surveillance d'un programme ou projet d'aide au développement international;
c) les cas la nature du marché est telle qu'un appel d'of- fres ne servirait pas l'intérêt public;
d) les cas le marché ne peut être exécuté que par une seule personne.
Je tiens à souligner qu'il existe une différence entre le texte français et le texte anglais de l'alinéa 6c). Le texte anglais parle de nature of the work, tandis que le texte français parle de «nature du marché». Ce der- nier terme est, comme le terme anglais contract, défini dans le Règlement. Le terme work que l'on trouve dans l'expression nature of the work n'est cependant pas défini.
Cela soulève évidemment des questions d'interpré- tation législative. Le terme anglais contract, qui est l'équivalent de «marché», est défini comme étant l'un des marchés suivants: a) un marché de travaux publics (construction contract); b) un marché de fournitures (goods contract); c) un marché de ser vices (service contract); d) un bail (lease). Le législa- teur a cependant choisi le terme anglais work en rédi- geant l'alinéa 6c). S'il avait employé l'expression nature of the contract au lieu de l'expression nature of the work, l'interprétation aurait pu être différente. Mais, en choisissant le terme work, le législateur est réputé avoir voulu que ce terme soit employé. Aucun des avocats n'a soulevé ce point et aucune observa tion n'a été formulée à cet égard; en conséquence, je ne traiterai pas davantage de cette question, si ce n'est que pour ajouter que le terme work dans ce con- texte est beaucoup plus large que le terme contract.
Avant d'aborder la question de savoir si la décision prise par TPC peut ou non faire l'objet d'un contrôle, j'estime qu'il y a lieu de vérifier si les dispositions du Règlement ont été respectées.
Il est indubitable que l'autorité contractante est tenue de lancer un appel d'offres à moins qu'elle puisse démontrer que l'une des exceptions énumérées à l'article 6 existe. En l'espèce, TPC fait valoir que, compte tenu de la nature du marché, il n'était pas réa- lisable de lancer un troisième appel d'offres et que cela ne servait pas l'intérêt public. Ce moyen est tiré de l'alinéa 6c).
Il est important à cette étape-ci d'examiner toutes les circonstances relatives à la nature du marché pour déterminer si l'intérêt public exigeait une approche différente de celle qui est prévue par le Règlement.
Comme je l'ai déjà précisé, le premier appel d'of- fres a été lancé en décembre 1990 et a être annulé au motif qu'aucune des compagnies intimées ne satisfaisait à la condition expressément énoncée au sujet du zonage. En février 1991, TPC a de nouveau essayé de lancer un appel d'offres, la date d'échéance pour la présentation des offres a été reportée à plu- sieurs reprises et finalement, quelque cinq mois après la date du premier appel d'offres, le marché a été attribué. TPC a de nouveau été confronté à certains problèmes et a par conséquent été forcé de résilier le marché à la fin de novembre 1991. Cela représentait un retard de près d'un an dans la conclusion du mar ché.
Je conviens que la décision subséquente de TPC d'entrer en communication avec la compagnie qui avait soumis la deuxième offre la plus basse lors de l'appel d'offres précédent et de conclure un marché directement avec elle était motivée par le besoin de mettre le projet en branle et de rattraper ainsi les pertes considérables de temps et d'argent. Compte tenu de toutes ces circonstances, je suis d'avis qu'il n'était pas dans l'intérêt public de lancer un autre appel d'offres.
Les négociations directes qui ont par la suite eu lieu avec 926260 ont été entamées en vertu du pou- voir inhérent de contracter que possède la Couronne et non en vertu du Règlement sur les marchés de l'État. C'est un élément critique en ce qui concerne la compétence de notre Cour.
En prenant le Règlement sur les marchés de l'État, le gouverneur en conseil a choisi de définir la con-
duite exigée de ses «mandataires» (autrement quali- fiés d'autorités contractantes) lorsque ceux-ci cher- chent à contracter. Le Règlement en question n'a pour effet de régler la conduite de l'autorité contrac- tante que lorsque celle-ci lance effectivement un appel d'offres. Toutefois, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'autorité contractante n'engage pas ce processus à cause de l'existence de l'une ou de plu- sieurs des circonstances exceptionnelles énumérées à l'article 6 du Règlement, les négociations contrac- tuelles subséquentes sont entamées en vertu du droit inhérent de contracter de la Couronne. En d'autres termes, la présence de l'une des circonstances excep- tionnelles soustrait les négociations contractuelles subséquentes du champ d'application du Règlement et les négociations sont alors envisagées du point de vue du droit inhérent de contracter de la Couronne.
Dans la présente situation, la Cour se doit de citer les articles 18 et 2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui disposent:
18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de manda- mus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral ...
2. (1)...
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre orga- nisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale ...
On pourrait prétendre que les deux appels d'offres ont été lancés par une «personne ... exerçant ... des pouvoirs prévus par une loi fédérale» et qu'ils peu- vent par conséquent faire l'objet d'un contrôle judi- ciaire mais, comme je l'ai déjà dit, c'est une ques tion qui doit être laissée en suspens pour être abordée à un moment plus propice.
Ce que l'on peut dire, c'est que les négociations subséquentes et la décision finale d'attribuer le mar ché à 926260 n'étaient pas fondées sur des pouvoirs prévus par une loi fédérale mais plutôt qu'elles étaient accessoires au droit inhérent de contracter de la Couronne.
Par ces motifs, je conclus que notre Cour n'a pas compétence pour contrôler la décision par laquelle TPC a attribué le marché à 926260. J'ajouterais que si ma décision sur ce point avait été différente, je n'aurais pas eu de difficulté à conclure que TPC a agi équitablement envers toutes les parties au cours de toute la période en question.
Au cours de l'audience du 29 juin, l'avocat de l'in- timé a demandé que la requête soit rejetée avec dépens. J'ai précisé alors que je formulerais une con clusion sur cette question en même temps que j'énon- cerais les motifs relatifs à la question de la compé- tence. La Règle 1618 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/92-43, art. 19)] prévoit qu'il n'y a pas de frais à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire, à moins que la Cour ne soit convaincue qu'il existe des raisons spéciales d'accorder l'ordonnance. Bien que la présente requête ait été rejetée en raison d'un retard excessif et qu'à cet égard, l'intimé pourrait avoir droit aux dépens, la requête autorisait bel et bien la Cour à cla- rifier certains aspects relativement à sa compétence sur ces questions et, en conséquence, je suis d'avis de rejeter la requête sans frais pour le ministre des Tra- vaux publics.
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