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TRÈS SECRET

CONF-3-17

2017 CF 1048

Dossier : [***]

Dans l’affaire d’une demande de mandat présentée par [***] en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

et

Affaire intéressant les activités liées à la menace [***]

et

Dossier : [***]

Dans l’affaire d’une demande de mandat présentée par [***] en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

et

Dans l’affaire visant le terrorisme islamiste

Répertorié : X (Re)

Cour fédérale, le juge en chef Crampton—Ottawa, 25 et 26 mai, et 23 juin; 27 septembre 2017.

Note de l’arrêtiste : Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].

Renseignement de sécurité — Demandes concernant les demandes de mandats présentées par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) dans le cadre d’enquêtes sur des activités au sujet desquelles il pourrait exister des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada — Le SCRS a demandé l’autorisation d’obtenir des données d’identification de base (DIB) auprès des fournisseurs de services de communication — Le SCRS souhaitait ajouter deux autres autorisations aux mandats décernés par la Cour — Il s’agissait de déterminer si la Cour peut autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à 1) des comptes de communication correspondant à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui pourront éventuellement attirer son attention lors de ses enquêtes; 2) des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à certaines personnes; et 3) un compte de communications correspondant à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au sein du SCRS détermine que ce compte a été découvert lors d’une enquête et que les DIB faciliteraient cette enquête — Sauf en des circonstances exceptionnelles (dont l’existence n’a pas été démontrée en l’espèce), le SCRS ne peut être autorisé, de manière prospective, à obtenir les DIB liées à des comptes de communication s’il n’a pas encore décrit et établi de lien précis entre les DIB et les enquêtes en question — Les personnes chargées d’autoriser le recours à des pouvoirs envahissants doivent tenir compte des répercussions de l’intrusion sur l’objet de la fouille — Il est nécessaire d’évaluer le contexte de chaque situation et son incidence sur la personne — Il y a lieu d’atteindre un équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de la personne dont le droit au respect de sa vie privée est en jeu — Le juste équilibre n’a pas été atteint en ce qui concerne les modifications du premier type (à savoir la vaste autorisation) — Le SCRS n’a fourni à la Cour aucune explication lui permettant de comprendre le lien précis entre l’information recherchée et ses enquêtes — Cela n’a pas permis à la Cour d’assez bien constater le lien entre les activités liées à la menace et la personne dont les droits en matière de vie privée seraient enfreints pour qu’elle considère le libellé du mandat « non abusif » au sens de l’art. 8 de la Charte — La deuxième catégorie d’amendements demandés a été accordée, mais il s’est avéré nécessaire d’imposer des conditions pour répondre à certaines préoccupations — En ce qui concerne la troisième question soulevée dans les demandes, les autorisations proposées auraient pour effet de déléguer de façon inacceptable au titulaire d’un poste de « chef » au SCRS une fonction qui relève exclusivement d’un juge désigné de la Cour fédérale — Seul un juge désigné peut déterminer si les motifs qui doivent être établis avant qu’il soit possible d’enfreindre le droit d’une personne au respect de sa vie privée l’ont bel et bien été — Demande dans le dossier [***] rejetée; demande dans le dossier [***] rejetée en partie.

Il s’agissait de demandes concernant les demandes de mandats présentées par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) dans le cadre d’enquêtes sur deux ensembles distincts d’activités au sujet desquelles il pourrait exister des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada.

Les demandes se rapportaient à la capacité du SCRS d’obtenir des données d’identification de base (DIB) auprès des fournisseurs de services de communication (FSC). Les DIB, qui comprennent le nom et l’adresse de l’abonné, seraient liées à des comptes de communications de personnes dont le numéro de téléphone ou d’autres identificateurs électroniques pourraient éventuellement attirer l’attention du SCRS lors de ses enquêtes. En l’absence d’une autorisation judiciaire préalable, le SCRS ne peut pas obtenir les DIB sans enfreindre le droit d’une personne d’être protégée contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans la décision X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 (X (Re)), la Cour a avisé le SCRS qu’elle n’accorderait plus d’autorisations du type vaste demandé en l’espèce avant qu’elles ne fassent l’objet d’autres échanges entre la Cour et le SCRS. Compte tenu de la décision de la Cour dans X (Re) en ce qui a trait aux vastes autorisations d’obtenir des données sur l’abonné, la demande du SCRS dans le dossier [***] a été divisée en deux étapes. La première portait sur les mandats que demandait le SCRS contre des personnes faisant l’objet de son enquête sur la menace qui pesait sur la sécurité du Canada. La Cour a décerné les mandats demandés. La deuxième étape de l’instance portait sur deux autres autorisations que le SCRS voulait ajouter à trois des mandats décernés par la Cour lors de l’étape initiale. La première de ces autorisations était très générale et permettrait au SCRS d’obtenir des DIB concernant tout compte de communication correspondant à tout numéro de téléphone ou identificateur électronique que le SCRS pourrait découvrir dans le cadre de son enquête sur le terrorisme islamiste, lorsqu’un chef au SCRS détermine que ces DIB permettraient au SCRS de faire progresser son enquête. L’autorisation du second type avait une portée plus circonscrite et elle autoriserait le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découvert en examinant des informations clairement définies ayant trait à des personnes identifiées par leur nom.

Il s’agissait de déterminer si la Cour peut autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à 1) des comptes de communication correspondant à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui pourront éventuellement attirer son attention lors de ses enquêtes; 2) des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à certaines personnes; et 3) un compte de communications correspondant à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au sein du SCRS détermine que ce compte a été découvert lors d’une enquête et que les DIB faciliteraient cette enquête.

Jugement : la demande dans le dossier [***] doit être rejetée; la demande dans le dossier [***] doit être rejetée en partie.

La vaste autorisation demandée par le SCRS dans la première catégorie de modifications qu’il souhaite faire apporter à trois des mandats décernés à la première étape de l’instance ne pouvait être accordée. Le droit au respect de la vie privée est l’apanage des personnes et des personnes morales. Le segment « l’identité de la personne, si elle est connue » à l’alinéa 21(2)d) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi) reflète le fait qu’en pratique, lorsqu’il présente une demande de mandat, le SCRS peut ne pas connaître l’identité de la personne vérifiable dont il propose d’intercepter les communications ou qui détient des informations, des documents ou des objets qu’il entend obtenir, comme le précise cette disposition. Sauf en des circonstances exceptionnelles dont l’existence n’a pas été démontrée en l’espèce, le SCRS ne peut être autorisé, de manière prospective, à obtenir les DIB liées à des comptes de communication qui pourraient attirer son attention dans le cadre d’enquêtes, s’il n’a pas encore décrit et établi de lien précis entre les DIB et les enquêtes en question. En effet, les personnes chargées d’autoriser le recours à des pouvoirs envahissants doivent tenir compte des répercussions de l’intrusion sur l’« objet de la fouille ». Autrement dit, il est nécessaire d’évaluer le contexte de chaque situation et son incidence sur « la personne ». Il y a lieu d’atteindre un équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de la personne même dont le droit au respect de sa vie privée est en jeu. Cet exercice de pondération peut se faire aisément lorsqu’il s’agit d’une « catégorie de personnes », dont le droit au respect de la vie privée peut être enfreint, et dont il est possible de décrire de manière à ce que la Cour comprenne très bien le lien qui peut être établi entre elles et les activités liées à la menace qui font l’objet d’une enquête du SCRS. C’est ce qui est visé par l’expression « catégorie de personnes » aux alinéas 21(2)e) et 21(4)c) de la Loi. Trois autres exigences renforcent la nécessité de tenir compte des intérêts des personnes ou des catégories de personnes dont le droit au respect de la vie privée est en jeu : 1) il est nécessaire d’évaluer l’attente subjective de la personne en matière de vie privée; 2) il est nécessaire d’assujettir à des « contrôles sévères » les pouvoirs dont jouit le SCRS pour enquêter sur des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada; 3) il est nécessaire de prendre en considération « l’ensemble des circonstances ». Cela signifie qu’il faut tenir compte des intérêts de la personne ou des personnes en particulier dont le droit au respect de la vie privée est en jeu. Il est difficile d’imaginer comment l’ensemble des circonstances n’inclurait pas une évaluation du droit au respect de la vie privée de la personne ou des personnes elles-mêmes dont les intérêts seraient touchés si le SCRS obtenait des DIB auprès d’un FSC. Il n’est pas nécessaire que les mandats autorisant le SCRS à obtenir des DIB établissent un lien entre les comptes en question et des personnes nommées. Le SCRS peut disposer d’assez d’informations sur elles pour fournir à la Cour des motifs raisonnables de croire qu’il lui faut obtenir les DIB liées à un compte pour faire progresser son enquête. Lorsqu’il ne dispose pas du numéro de téléphone ou d’un autre identificateur au moment de demander un mandat l’autorisant à obtenir des DIB, le SCRS a toujours la possibilité de le décrire d’une manière qui permet à la Cour d’être convaincue de la présence des éléments prévus aux alinéas 21(2)a) et b) de la Loi. En ce qui a trait aux motifs raisonnables de croire dont il est question à l’alinéa 21(2)a), il pourrait être suffisant d’expliquer à la Cour le lien qui unit l’enquête du SCRS et la ou les personnes dont le droit au respect de la vie privée sera enfreint. À titre d’exemple, il peut suffire de mentionner qu’un numéro de téléphone pourrait être utilisé par une cible. Cela satisferait aux exigences de l’article 21 de la Loi et de l’article 8 de la Charte, et ferait état d’un juste équilibre entre l’intérêt public, car le SCRS s’y verrait accorder un degré de souplesse raisonnable dans l’exécution de son mandat, et le droit au respect de la vie privée des personnes toujours non-identifiées dont le Service obtiendrait les DIB en vertu d’un mandat.

Il était apparent que le juste équilibre n’avait pas été atteint en ce qui concerne les modifications du premier type ― à savoir la vaste autorisation ― proposées à trois des mandats décernés dans le dossier. Le SCRS n’a fourni à la Cour aucune explication lui permettant de comprendre le lien précis entre i) les numéros de téléphones et identificateurs électroniques qu’il pourrait découvrir, pour lesquels il demanderait d’obtenir les DIB, et ii) ses enquêtes. Le « lien », vaguement défini, avait tout simplement une portée excessive et manquait de clarté. La Cour n’a pu être convaincue que le SCRS avait besoin de ces DIB pour enquêter sur la menace que le terrorisme islamiste fait peser sur la sécurité du Canada, conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi. Le libellé du mandat proposé n’a pas permis à la Cour de savoir auxquels de ces groupes un compte de communications serait associé. Cela n’a pas permis à la Cour d’assez bien constater le lien entre les activités liées à la menace que constitue le terrorisme islamiste et la personne dont les droits en matière de vie privée seraient enfreints pour qu’elle le considère « non abusif » au sens de l’article 8 de la Charte.

La deuxième catégorie d’amendements demandés à trois des mandats décernés de façon à permettre au SCRS d’obtenir les DIB ayant trait à tout compte de tiers pouvant être identifié à la suite de son examen de l’information des personnes identifiées a été accordée. Le nombre potentiellement élevé de tierces parties dont les DIB pourraient être obtenues par le SCRS suscitait cependant des préoccupations. Il s’avérerait nécessaire d’imposer des conditions pour répondre à ces préoccupations.

En ce qui concerne la troisième question soulevée dans les demandes, les autorisations proposées auraient pour effet de déléguer de façon inacceptable au titulaire d’un poste de « chef » au SCRS une fonction qui relève exclusivement d’un juge désigné de la Cour. Essentiellement, le titulaire d’un poste de « chef » au SCRS déterminerait si les motifs qui doivent être établis avant qu’il soit possible d’enfreindre le droit d’une personne au respect de sa vie privée l’ont bel et bien été. Seul un juge désigné peut ainsi trancher ces questions. Pour mener une activité assimilable à une fouille ou à une perquisition plus que minimalement envahissante, le SCRS doit en recevoir l’autorisation par un arbitre tout à fait neutre et impartial qui est en mesure d’exercer des fonctions judiciaires en établissant un équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de la personne. Le titulaire d’un poste de chef au SCRS n’est pas en mesure d’exercer des fonctions judiciaires à cet égard. Ce qui précède était encore plus problématique en raison i) de la définition très vaste de terrorisme islamiste que le SCRS a adoptée, ii) du fait que le SCRS pourrait conserver indéfiniment toutes les DIB obtenues au titre des autorisations demandées et iii) du fait que le SCRS pourrait, sans aucune limite, communiquer ces informations à des services de renseignement étrangers.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « menaces envers la sécurité du Canada », 12, 21.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111.

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211; Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250; Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416; R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554; Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.); R. v. Poirier, 2016 ONCA 582 (CanLII), [2016] O.J. no 3873 (QL); R. v. Noseworthy (1997), 33 O.R. (3d) 641, 116 C.C.C. (3d) 376 (C.A.); R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), [1998] 1 C.F. 420 (1re inst.); Grabowski c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 434; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Sénat. Rapport du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 3 novembre 1983.

DEMANDES concernant les demandes de mandats présentées par le Service canadien du renseignement de sécurité dans le cadre d’enquêtes sur deux ensembles distincts d’activités au sujet desquelles il pourrait exister des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Demande dans le dossier [***] rejetée; demande dans le dossier [***] rejetée en partie.

ONT COMPARU :

Karla Unger, Gordon Kirk et Nathalie Benoit pour le ministère de la Justice, Groupe litiges et conseils en sécurité nationale.

Gordon Cameron et Owen Rees à titre d’amici curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le ministère de la Justice, Groupe litiges et conseils en sécurité nationale.

 

Voici les motifs publics du jugement et le jugement rendus en français par

Le juge en chef Crampton :

Table des Matières

Section

Paragraph

I.     Introduction

1–16

II.     Contexte

17–30

III.    Autorisations d’obtenir des DIB demandées par le SCRS

31–41

IV.   Questions

42–47

V.   Analyse

48–102

A.    Principes juridiques applicables

48–54

B.    La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communication correspondant à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui pourront éventuellement attirer son attention lors de ses enquêtes, lorsque le SCRS n’a ni décrit ni établi leur lien précis avec ces enquêtes?

55–78

(1)  Généralités

55–69

(2)  Mandat sur les DIB et modifications du premier type proposées aux mandats décernés dans le dossier [***]

70–78

C.   La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à [***] personnes identifiées par leur nom et à [***] autres personnes ciblées [***]

79–87

D.   La Cour peut-elle autoriser un employé du SCRS à obtenir les DIB liées à un compte de communications correspondant à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au sein du SCRS détermine que ce compte a été découvert lors d’une enquête et que les DIB faciliteraient cette enquête?

88–102

VI.   Conclusion

103–111

ANNEXE I

 

I.          Introduction

[1]        Les demandes de mandats dont il est question en l’espèce ont été présentées par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) dans le cadre d’enquêtes sur deux ensembles distincts d’activités au sujet desquels je suis convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Le SCRS a attribué au premier ensemble le générique « terrorisme islamiste ». Ces activités font l’objet de la demande au dossier de la Cour [***] Le deuxième ensemble comprend certaines activités menées par [***] Ces activités sont décrites dans les documents déposés par le SCRS au dossier de la Cour [***]

[2]        Ces demandes soulèvent trois questions relatives à l’autorisation demandée par le SCRS d’obtenir, auprès des fournisseurs de services de communication (FSC), des données d’identification de base (DIB) liées à des comptes de communications de personnes dont le numéro de téléphone, [***] ou d’autres identificateurs électroniques peuvent éventuellement attiré l’attention du SCRS lors de ses enquêtes sur les activités décrites plus haut. Les DIB comprennent le nom et l’adresse de l’abonné à un compte de communications, [***[Ainsi que l’information concernant les adresses IP dans certaines circonstances]***]

[3]        La procureure générale admet qu’en l’absence d’une autorisation judiciaire préalable, le SCRS ne peut pas obtenir les DIB liées au compte de communication d’une personne sans enfreindre son droit d’être protégée contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte).

[4]        En bref, le point central de ces demandes consiste en une autorité générique pour les DIB que le SCRS voudrait obtenir pour chacun des dossiers [***] et [***] puis une demande plus ciblée pour une autorisation au dossier [***] seulement et finalement une question de délégation pour la première de ces deux autorités. Plus précisément, voici les trois questions soulevées en l’espèce.

i.     La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communication correspondant à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui pourront éventuellement attirer son attention lors de ses enquêtes, lorsque le SCRS n’a ni décrit ni établi leur lien précis avec ces enquêtes? (Cette question est commune aux deux dossiers).

ii.    La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à [***] personnes identifiées par leur nom et à [***] autres personnes ciblées en fonction [***] (Cette question n’est pertinente qu’au dossier [***])

iii.   La Cour peut-elle autoriser un employé du SCRS à obtenir les DIB liées à un compte de communications correspondant à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au sein du SCRS détermine que ce compte a été découvert lors d’une enquête et que les DIB permettraient de faire progresser cette enquête? (Cette question est commune aux deux dossiers.)

[5]        À mon avis, la Cour ne peut pas accorder la première des autorisations susmentionnées, car elle ne satisfait pas aux exigences de base nécessaires pour autoriser l’État à mener une activité envahissante.

[6]        Avant de pouvoir autoriser le SCRS à obtenir des DIB ou à exercer d’autres pouvoirs lui permettant de mener des fouilles ou des perquisitions envahissantes, la Cour doit comprendre le lien entre l’enquête du SCRS et les personnes ou les catégories de personnes dont les droits en matière de vie privée pourraient être enfreints. Ce n’est qu’à ce moment que la Cour peut établir si le droit de ces personnes au respect de leur vie privée doit céder la place aux intérêts de l’État quant à l’obtention des informations. De plus, pour obtenir un mandat, le SCRS doit satisfaire aux exigences figurant aux paragraphes 21(2) et (3) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Loi sur le SCRS) pour chacune des personnes ou des catégories de personnes.

[7]        La Cour n’a pas obtenu l’information nécessaire pour lui permettre de bien comprendre ce lien en ce qui a trait aux vastes autorisations que le Service recherche dans les dossiers [***] et [***] Qui plus est, la Cour n’a aucune idée du lien que pourrait avoir la personne ou la catégorie de personnes dont les droits en matière de vie privée pourraient être enfreints par ces enquêtes.

[8]        En ce qui concerne la deuxième autorisation, plus ciblée, relative aux DIB demandée par le SCRS au dossier [***] je suis convaincu que le SCRS a décrit et établi ce lien. En effet, ces autorisations concernent seulement des numéros de téléphone ou des identificateurs électroniques que le SCRS peut découvrir en examinant des informations concernant précisément [***] personnes identifiées qui font l’objet d’une enquête. [***] d’entre elles sont connues par leur nom, les [***] autres le sont [***]

[9]        Les informations relatives à ces personnes comprennent les DIB [***] Elles révéleront entre autres  [***]

[10]      Je suis convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que tout individu avec qui ces [***] personnes ont été en contact peut fournir des informations qui aideraient le SCRS à faire avancer son enquête sur les activités liées à la menace [***] Pour cette raison, je suis convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le SCRS a besoin des DIB liées aux comptes de communications correspondant aux numéros de téléphone et aux identificateurs électroniques de ces tiers pour progresser dans son enquête. S’il n’est pas en mesure d’obtenir ces DIB, [***]

[11]      Bien qu’elle ne connaisse pas le nom de [***] de ces personnes, la Cour a reçu suffisamment d’informations sur [***] pour effectuer l’évaluation requise à l’article 8 de la Charte, qui vise à établir si le droit de ces personnes au respect de leur vie privée doit céder la place aux intérêts de l’État quant à l’obtention des DIB dont le SCRS a besoin pour faire progresser son enquête sur les activités liées à la menace [***]

[12]      Pour décerner un mandat autorisant l’exercice de pouvoirs qui enfreindraient le droit d’une ou de plusieurs personnes ou catégories de personnes au respect de leur vie privée, la Cour n’a pas besoin de connaître le nom précis de ces personnes ou des personnes au sein de la catégorie. Par contre, la Cour doit avoir une compréhension suffisante du lien entre l’enquête du SCRS et les personnes ou catégories de personnes dont le droit au respect de leur vie privée pourrait être enfreint. La Cour comprend ce lien pour les [***] personnes dont [***] ont été décrits ainsi que pour les tiers qui peuvent avoir été en contact avec ces personnes ou avec les [***] personnes connues par leur nom.

[13]      Si la Cour n’est pas en mesure d’effectuer à l’avance l’évaluation relative à l’article 8 de la Charte pour les personnes ou catégories de personnes dont le droit au respect de la vie privée pourrait être enfreint si le SCRS a accès à leurs DIB, le SCRS devra s’adresser de nouveau à elle chaque fois qu’il trouve d’autres numéros de téléphone ou identificateurs électroniques à propos desquels il désire obtenir les DIB auprès d’un FSC. Le SCRS devra alors établir un lien suffisant entre le numéro de téléphone ou l’identificateur électronique et son enquête afin de convaincre la Cour qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les DIB de ces comptes de communication sont nécessaires pour faire progresser son enquête.

[14]      La troisième question soulevée en l’espèce concerne la possibilité que la Cour autorise tout employé du SCRS à obtenir les DIB liées un compte de communication si une personne occupant un poste de chef au SCRS prend certaines décisions. Selon moi, une telle autorisation ne peut être accordée, car cela signifierait que sont déléguées des fonctions qui doivent être exercées par la Cour elle-même. Bien que la Cour puisse déléguer au SCRS le pouvoir de prendre certaines décisions relatives à l’exécution des mandats, elle ne peut pas lui permettre ainsi de déterminer quels comptes de communication en particulier feront l’objet d’une demande d’obtention de DIB auprès d’un FSC. Dans la mesure où elle exige d’évaluer si le droit des personnes visées au respect de leur vie privée, qui pourrait être enfreint, doit laisser place aux intérêts du SCRS quant à l’obtention des DIB, cette décision doit être prise par la Cour.

[15]      Je reconnais que les conclusions auxquelles je suis arrivé en ce qui a trait à la première et troisième des questions soulevées en l’espèce peuvent facilement ajouter un fardeau important pour le SCRS. Je reconnais également qu’elles peuvent entraîner l’accroissement des coûts et des délais relatifs aux demandes d’autorisations d’obtenir des DIB liées aux numéros de téléphone et aux identificateurs électroniques qui pourraient attirer l’attention du SCRS lors de ses enquêtes sur le terrorisme islamiste et les activités liées à la menace [***] Puisque de possibles retards peuvent nuire à la capacité du SCRS d’enquêter sur des activités liées à la menace, la Cour demeure disposée à étudier d’autres approches qui seraient conforme aux exigences prévues à la Charte.

[16]      Les présents motifs sont publiés en même temps que ceux qui ont trait à ma décision dans le dossier [***] qui porte sur l’utilisation, par le SCRS, de la technologie relative aux émulateurs de station de base (ESB) pour recueillir sans mandat les caractéristiques distinctives des appareils mobiles d’une personne. [***]

II.          Contexte

[17]      Depuis de nombreuses années, la Cour autorise le SCRS à obtenir, auprès des FSC, des informations sur l’abonné et des informations de même nature ayant trait à des comptes correspondant à [***] des identificateurs [***] Dans la plupart des cas, de telles autorisations ont été accordées pour les [***] de personnes connues qui font l’objet d’une enquête ou de tiers avec qui ces personnes pourraient communiquer. Toutefois, dans certains cas, la Cour a également autorisé le SCRS à obtenir de telles informations sur les comptes de communication de personnes connues, mais dont l’identité n’a pas encore été confirmée. Par exemple, de telles autorisations ont été accordées relativement à des personnes [***] Il en va de même pour [***] identificateurs [***] de tiers avec lesquels ces personnes, dont l’identité n’a pas été établie, ont communiqué ou communiqueront. Puisque les [***] identificateurs [***] ne sont pas encore connus au moment de demander un mandat, ils ne peuvent pas y être précisés.

[18]      Les autorisations décrites plus haut sont toujours accordées dans des mandats qui portent principalement sur des cibles identifiées par leur nom en raison de leur participation à des activités précises liées à la menace. Dans certains de ces mandats, la Cour a également autorisé la collecte des DIB liées à des comptes de communications associés [***] aux identificateurs [***] que le SCRS a trouvés pendant son enquête sur la menace envers la sécurité du Canada, même lorsqu’il n’y avait pas de lien direct entre eux et la ou les cibles du mandat. Il n’y avait qu’un lien indirect qui s’expliquait par le simple fait que [***] l’identificateur [***] se retrouverait dans le cadre d’une enquête éventuelle portant sur la même menace à la sécurité du Canada pour laquelle les cibles nommées étaient également associées.

[19]      Toutefois, depuis 2013, certains de mes collègues et moi avions commencé à soulever des préoccupations quant aux autorisations de ce dernier type. Puisque le SCRS ne s’est pas prévalu des possibilités qui lui ont été offertes de donner suite à nos préoccupations, nous avons commencé à réduire la portée des pouvoirs que nous accordons. Toutefois, puisque nous l’avons fait dans le contexte des demandes individuelles de mandats, qui devaient parfois être décernés de façon urgente, cela a entraîné un certain manque d’uniformité dans le libellé de ces autorisations.

[20]      En raison de ce qui précède, dans la décision X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 (X (Re)), au paragraphe 230, le juge Noël a avisé le SCRS que la Cour n’accorderait plus d’autorisations du type vaste demandé en l’espèce ni d’autorisations d’obtenir [***] avant qu’elles ne fassent l’objet d’autres échanges entre la Cour et le SCRS. Peu après, dans le dossier [***] j’ai demandé au SCRS de tenter d’établir le fondement juridique qui permettrait à la Cour de conférer de tels pouvoirs lors d’une instance distincte. J’ai expliqué que, si le SCRS pouvait établir ce fondement juridique, les pouvoirs en questions pourraient être accordés dans le cadre d’une seule demande présentée une fois par année. Entre autres, je crois qu’une telle approche permettrait d’éviter de traiter de telles demandes d’autorisations vastes que présenterait le SCRS pendant l’année dans le cadre de multiples demandes de mandat qui portent nommément sur des cibles. J’ai suggéré cette approche après avoir refusé d’accorder une telle autorisation.

[21]      La demande présentée dans le dossier [***] est la réponse du Service à ma demande et à la décision du juge Noël. Le SCRS a demandé que j’en sois saisi.

[22]      Compte tenu de la décision du juge Noël dans X (Re) en ce qui a trait aux vastes autorisations d’obtenir des données sur l’abonné, la demande du SCRS dans le dossier [***] a été divisée en deux étapes. La première portait sur les mandats que demandait le SCRS contre des personnes faisant l’objet de son enquête sur la menace que [***] fait peser sur la sécurité du Canada. Cette étape de l’instance a eu lieu en février de cette année et reposait sur l’affidavit de M. [***] Après avoir été convaincu que [***] mène des activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada, le juge Noël a décerné les mandats demandés.

[23]      À la suggestion du juge Noël, j’ai été saisi de la deuxième étape de l’instance dans le dossier [***] Elle portait sur deux autres autorisations que le SCRS voulait ajouter à trois des mandats décernés par le juge Noël lors de l’étape initiale. La première autorisation est essentiellement la même autorisation ayant une portée considérable qui a été demandée dans le dossier [***] (mandat sur les DIB). La deuxième est beaucoup plus précise et permettrait au SCRS d’obtenir les DIB ayant trait aux comptes de communications de tiers dont les numéros de téléphone ou identificateurs électroniques ont été liés à l’une ou à plusieurs des [***] personnes identifiées par leur nom ou [***] personnes dont le nom n’est pas connu [***] À la suggestion du SCRS, la preuve et les observations orales ayant trait à la deuxième étape de l’instance dans le dossier [***] et au dossier [***] ont été entendues séparément, mais de façon simultanée,[***] de cette année.

[24]      [***] pour préserver le statu quo en ce qui a trait au pouvoir relatif à l’obtention de DIB qui avait été demandé dans le dossier [***] à l’égard des menaces envers la sécurité du Canada que pose le terrorisme islamiste, j’ai rendu une ordonnance provisoire qui accordait au SCRS cette autorisation pour une période de 60 jours afin de me permettre de trancher[1].

[25]      Compte tenu de la nature des questions juridiques soulevées en l’espèce, la Cour a demandé à M. Gordon Cameron et à M. Owen Rees d’agir à titre d’amici curiae.

[26]      Puisque des autorisations concernant les DIB semblables à celles dont il est question en l’espèce pourraient être demandées dans de prochaines instances et devant d’autres juges désignés de la Cour, j’ai estimé qu’il y avait lieu de demander à ces juges de se joindre à moi afin qu’ils entendent la preuve des déposants et qu’ils assistent au contre-interrogatoire des amici. À mon avis, il était également important qu’ils entendent les réponses des déposants à leurs questions ainsi qu’aux miennes. Cela devrait aider chacun d’eux à traiter les futures demandes d’autorisations d’obtenir des DIB ou d’autorisations de même nature, sans compter qu’il pourrait être moins nécessaire d’y présenter des éléments de preuve similaires.

[27]      Dès le début de l’audience initiale concernant ces demandes, j’ai assuré le SCRS et les représentants de la procureure générale que la présence d’autres juges désignés en cours d’instance ne compromettait en rien mon indépendance judiciaire. Moi seul me suis prononcé sur les questions soulevées en l’espèce.

[28]      Comme plusieurs de mes collègues désignés qui ont été saisis d’affaires remontant à plusieurs années, je suis convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les activités auxquelles le SCRS a attribué le générique « terrorisme islamiste » constituent une menace envers la sécurité du Canada et qu’il en va de même pour les activités liées à la menace [***] constatées par le SCRS.

[29]      Par conséquent, les autres motifs étayant la décision en l’espèce porteront sur les trois questions mentionnées au paragraphe 4 des présents motifs.

[30]      Par souci d’exhaustivité, j’ajoute en passant que le SCRS a déjà avisé la Cour qu’il ne compte pas demander, dans les dossiers [***] et [***] [traduction] [***] dont il est question dans la décision X (Re) ni en discuter. La Cour comprend que le SCRS pourra s’adresser de nouveau à elle à une date ultérieure pour présenter une autre demande à cet effet, et que d’ici là, il ne demandera pas l’autorisation d’utiliser ce pouvoir à l’endroit de comptes de communications [***] qui correspondent à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui n’ont pas de lien direct avec des cibles.

III.         Autorisations d’obtenir des DIB demandées par le SCRS

[31]      Le mandat que le SCRS demande à la Cour de lui décerner dans le dossier[***] se compose d’une seule autorisation.

[traduction]

J’autorise le directeur et tout employé du Service agissant sous son autorité à obtenir auprès d’un FSC les DIB liées à tout compte lorsqu’un chef détermine que :

a)    le compte a été découvert dans le cadre de l’enquête sur le terrorisme islamiste;

b)    l’établissement de l’identité de l’abonné au compte fera progresser l’enquête sur le terrorisme islamiste.

[32]      Aux termes du mandat, les DIB sont :

i.      le nom de l’abonné à un compte;

ii.     l’adresse de l’abonné;

[***[L’information concernant des addresses IP dans certaines circonstances]***]

[33]      Essentiellement, cette autorisation permettrait au SCRS d’obtenir des DIB concernant tout compte de communication correspondant à tout numéro de téléphone ou identificateur électronique que le SCRS peut découvrir dans le cadre de son enquête sur le terrorisme islamiste, lorsqu’un chef au Service détermine que ces DIB permettraient au SCRS de faire progresser son enquête.

[34]      La procureure générale fait une analogie entre cette autorisation et l’obtention d’informations figurant dans un « bottin téléphonique », qui servent depuis longtemps à identifier des personnes. La procureure générale et les déposants dans les dossiers [***] et [***] affirment qu’il s’agit de la seule raison de la demande d’autorisation d’obtenir des DIB. À cet égard, ils ont insisté sur le fait que l’autorisation ne servira pas à suivre des activités en ligne. La procureure générale a ajouté que le SCRS, s’il souhaite exercer un tel pouvoir ou tout autre pouvoir envahissant à l’égard d’une personne, devra revenir devant la Cour pour obtenir l’autorisation nécessaire.

[35]      Le mandat sur les DIB demandé dans [***] prévoit également que, dans le cadre de l’exécution du mandat, si le SCRS fournit [***], il doit également fournir [***] terrorisme islamiste. Cette exigence a été ajoutée comme mesure de protection pour assurer que les DIB fournies correspondent au bon compte, [***]

[36]      Aux fins du mandat concernant les DIB, s’entend par « terrorisme islamiste » [traduction] « les activités mentionnées à l’alinéa c) de la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » figurant à l’article 2 de la Loi sur le SCRS [***] dont les activités menées par [***]

[37]      M. [***] et M. [***] ont témoigné que le SCRS a absolument besoin de l’autorisation d’obtenir les DIB pour enquêter sur les menaces que les activités [***] et le terrorisme islamiste font peser sur la sécurité du Canada, car elles peuvent être la seule ressource dont le SCRS dispose pour établir l’identité de la personne à qui appartient un numéro de téléphone, [***[ou identificateurs électroniques]***] En outre, la capacité d’identifier une personne et d’évaluer la nature de sa relation avec le terrorisme islamiste ou aux activités liées à la menace [***] est la pierre angulaire d’une enquête. Cela est particulièrement vrai dans la mesure où de nombreuses personnes liées à de telles menaces interagissent exclusivement ou principalement par voie électronique et peuvent ne jamais se rencontrer. Selon M. [***] [traduction] « l’établissement de l’identité est [***] part du travail [***] Il insiste sur le fait que le SCRS, s’il n’est pas en mesure d’établir l’identité de quiconque, ne pourra s’acquitter de son mandat.

[38]      Selon M. [***] le ministre de la Sécurité publique [***] en matière de renseignement du SCRS pour 2014 à 2016. [***]

[39]      Les autorisations d’obtenir des DIB que demande le SCRS en faisant modifier trois des mandats décernés à la première étape de l’instance dans le dossier [***] sont de deux types. Le premier type lui donnerait essentiellement le même pouvoir élargi qui est demandé dans le dossier [***] Autrement dit, en pratique, l’autorisation serait la même que celle qui est demandée dans le mandat sur les DIB, sauf qu’elle aurait trait aux comptes de communications découverts par le SCRS pendant son enquête sur les activités liées à la menace [***]

[40]      L’autorisation du second type que le SCRS veut faire ajouter à trois des mandats décernés dans le dossier [***] a une portée beaucoup plus circonscrite. En bref, elle autoriserait le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découvert en examinant des informations clairement définies ayant trait à [***] personnes identifiées par leur nom et à [***] personnes [***]

[41]      Je souligne que le mandat sur les DIB demandé dans le dossier [***] ou à la première catégorie de modifications que le Service souhaite apporter à trois des mandats décernés dans le dossier [***] ne visent nommément personne. Pour reprendre les propos de M. [***] [traduction] « le mandat en soi ne [***] mais le terrorisme islamiste ». De la même façon, les modifications que le SCRS souhaite apporter à trois des mandats décernés dans le dossier [***] visent les activités liées à la menace [***]

IV.        Questions

[42]      Tel que déjà souligné au paragraphe 4, les demandes dans les dossiers [***] et [***] soulèvent les trois questions suivantes.

i.     La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communication correspondant à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui pourront éventuellement attirer son attention lors de ses enquêtes, lorsque le SCRS n’a ni décrit ni établi leur lien précis avec ces enquêtes?

ii.    La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à [***] personnes identifiées par leur nom et à [***] autres personnes ciblées [***]

iii.   La Cour peut-elle autoriser un employé du SCRS à obtenir les DIB liées à un compte de communications correspondant à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au sein du SCRS détermine que ce compte a été découvert lors d’une enquête et que les DIB faciliteraient cette enquête?

[43]      Dans les dossiers [***] et [***] la procureure générale a soulevé une autre question, soit la nécessité d’un mandat pour obtenir des DIB auprès d’un FSC. Toutefois, dans chaque instance, elle a admis qu’il fallait un mandat pour ce faire, car cela pouvait enfreindre les droits en matière de vie privée garantis par l’article 8 de la Charte. En effet, [traduction] « [***] d’informations peuvent être révélées au SCRS lorsqu’il obtient des DIB auprès d’un FSC ». Cela a été effectivement démontré par un certain nombre d’exemples qui figurent dans les observations écrites de la procureure générale.

[44]      Les amici sont d’accord. Ils ont soutenu que le SCRS a besoin d’un mandat pour effectuer ce genre de démarches, puisqu’il peut fort bien utiliser des DIB, [***] pour établir un lien entre une personne dont l’identité a été établie et des activités menées jusque-là dans l’anonymat, [***] Je suis d’accord.

[45]      Puisque la procureure générale a reconnu qu’il faut un mandat pour obtenir des DIB auprès d’un FSC, il n’est pas nécessaire de traiter cette question en profondeur. Je noterai simplement que l’établissement d’un lien entre une activité menée anonymement [***] et une personne dont l’identité est établie « fait intervenir, dans une grande mesure, l’aspect informationnel du droit à la vie privée » (R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212 (Spencer), au paragraphe 51). Partant, [***] pour établir un tel lien constituerait une fouille plus envahissante que ce que l’article 12 de la Loi sur le SCRS permet d’effectuer sans mandat.

[46]      Il en va de même pour les numéros de téléphone, qui peuvent aider le SCRS à obtenir des renseignements personnels importants concernant une personne. Cela a été corroboré par un des exemples fournis par M. [***] dans son affidavit.

[47]      J’ajoute simplement que la position de la procureure générale quant à la nécessité d’un mandat pour obtenir des DIB est conforme à la position qu’elle a adoptée dans le dossier [***] où elle a indiqué à plusieurs reprises qu’il faut un mandat pour obtenir des informations sur l’abonné ayant trait aux identificateurs [***]

V.        Analyse

A.   Principes juridiques applicables

[48]      L’article 8 de la Charte prévoit que « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ».

[49]      Partant, l’article 8 de la Charte ne protège pas contre toute fouille et perquisition, uniquement contre celles qui sont abusives (R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211, au paragraphe 20).

[50]      Pour évaluer si une fouille est « abusive », la Cour doit adopter « une approche téléologique axée principalement sur la protection de la vie privée considérée comme une condition préalable à la sécurité individuelle, à l’épanouissement personnel et à l’autonomie ainsi qu’au maintien d’une société démocratique prospère » (Spencer, précité, au paragraphe 15).

[51]      De manière générale, pour déterminer si une fouille est abusive, il faut évaluer si « le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins » (Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145 (Hunter), aux pages 159 et 160).

[52]      Puisque l’objet sous-jacent de l’article 8 est de protéger les personnes contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée, il est présumé qu’une telle intrusion doit être autorisée au préalable par un arbitre tout à fait neutre et impartial qui est en mesure d’exercer des fonctions judiciaires en établissant un équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de la personne (Spencer, précité, au paragraphe 68; Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250 (Goodwin), au paragraphe 56; et Hunter, précité, aux pages 160 à 162).

[53]      En outre, l’arbitre impartial doit être convaincu que la personne qui demande l’autorisation a des motifs raisonnables de croire, déclarés sous serment, que les conditions applicables qui ont trait à la loi, entre autres, et qui sont préalables à l’exercice du pouvoir de fouille ou de perquisition ont effectivement été réunies (Hunter, précité, aux pages 166 à 168).

[54]      Pour prendre sa décision, l’arbitre impartial doit disposer de suffisamment de souplesse pour tenir compte de toutes les circonstances qui peuvent avoir trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de décerner ou de refuser un mandat et pour imposer toutes les conditions jugées nécessaires (Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416 (Baron), aux pages 437, 439 et 440).

B.   La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communication correspondant à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qui pourront éventuellement attirer son attention lors de ses enquêtes, lorsque le SCRS n’a ni décrit ni établi leur lien précis avec ces enquêtes?

1)    Généralités

[55]      Selon la procureure générale, dans ses observations écrites et orales, il s’agit de déterminer si la Loi sur le SCRS autorise un juge de la Cour à décerner des mandats contre des activités liées à une menace.

[56]      Pour appuyer sa position selon laquelle la Loi sur le SCRS est suffisamment souple pour permettre la délivrance de mandats contre des activités, la procureure générale souligne que l’article 12 de la Loi sur le SCRS permet au Service de mener des enquêtes et que la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » figurant à l’article 2 de la Loi sur le SCRS s’applique également à des activités sans faire allusion aux personnes qui les mènent. La procureure générale fait aussi remarquer que l’alinéa 21(2)d) de la Loi sur le SCRS exige qu’une demande de mandat s’accompagne d’un affidavit portant sur différents points, dont « l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir » (non souligné dans l’original).

[57]      La procureure générale soutient qu’il est possible de conclure de tout ce qui précède que des mandats peuvent être décernés au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS pour enquêter sur des activités liées à la menace, et ce, même lorsque le mandat ne vise nommément personne et ne décrit pas le lien entre l’enquête du SCRS et les personnes dont le droit au respect de la vie privée pourrait être enfreint.

[58]      Je ne suis pas d’accord. Selon moi, cette interprétation confond les activités qui peuvent faire l’objet d’une enquête du SCRS en vertu de l’article 12 de la Loi sur le SCRS et le droit au respect de la vie privée qui peut être enfreint par un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS dans le cadre d’une enquête. Les activités ou les menaces, comme celles que mènent ou constituent [***] ou le terrorisme islamiste, n’ont pas de droit à la vie privée, pas plus que les événements qui peuvent faire l’objet d’une enquête, comme les Jeux olympiques de Vancouver ou la réunion du G7 qui a eu lieu à Toronto.

[59]      Le droit au respect de la vie privée est l’apanage des personnes et des personnes morales, qu’elles fassent l’objet d’une enquête, qu’elles aient un lien qui reste à confirmer avec une enquête ou qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles détiennent des informations pouvant être utiles à une enquête. À mon avis, le segment « l’identité de la personne, si elle est connue » (non souligné dans l’original) à l’alinéa 21(2)d) reflète simplement le fait qu’en pratique, lorsqu’il présente une demande de mandat, le SCRS peut ne pas connaître l’identité de la personne vérifiable dont il propose d’intercepter les communications ou qui détient des informations, des documents ou des objets qu’il entend obtenir, comme le précise cette disposition.

[60]      Partant, la question la plus pertinente en l’espèce est celle qui consiste à déterminer si le SCRS peut être autorisé, de manière prospective, à obtenir les DIB liées à des comptes de communication qui peuvent attirer son attention dans le cadre d’enquêtes, s’il n’a pas encore décrit et établi de lien précis entre les DIB et les enquêtes en question. Selon moi, la réponse est négative, sauf en des circonstances exceptionnelles dont l’existence n’a pas été démontrée en l’espèce.

[61]      En effet, les personnes chargées d’autoriser le recours à des pouvoirs envahissants doivent tenir compte des répercussions de l’intrusion sur l’« objet de la fouille » (Hunter, précité, à la page 157 et Spencer, précité, au paragraphe 36) (non souligné dans l’original). Autrement dit, il est nécessaire d’évaluer le contexte de chaque situation et son incidence sur la personne. Comme l’ont souligné les amici, il y a lieu d’atteindre un équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de la personne même dont le droit au respect de sa vie privée est en jeu (Hunter, précité, aux pages 159, 160, 161, 162 et 167; Baron, précité, aux pages 435, 436 et 437; et R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554, au paragraphe 27) (non souligné dans l’original).

[62]      Cet exercice de pondération peut se faire aisément lorsqu’il s’agit d’une catégorie de personnes, dont le droit au respect de la vie privée peut être enfreint, et dont il est possible de décrire de manière à ce que la Cour comprennent très bien le lien qui peut être établi entre elles et les activités liées à la menace qui font l’objet d’une enquête du SCRS. À mon avis, c’est ce qui est visé par l’expression « catégorie de personnes » aux alinéas 21(2)e) et 21(4)c) de la Loi sur le SCRS.

[63]      Trois autres exigences ayant trait à l’article 8 de la Charte établies en jurisprudence renforcent la nécessité de tenir compte des intérêts des personnes ou des catégories de personnes dont le droit au respect de la vie privée est en jeu. D’abord, il est nécessaire d’évaluer l’attente subjective de la personne en matière de vie privée au moment de déterminer s’il existe une attente raisonnable en la matière (Spencer, précité, au paragraphe 18). Ensuite, il est nécessaire d’assujettir à des « contrôles sévères » les pouvoirs dont jouit le SCRS pour enquêter sur des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, au paragraphe 22, qui cite le rapport du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité intitulé Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique, le 3 novembre 1983, au paragraphe 25; voir aussi Baron, précité, aux pages 436 à 437). Enfin, il est nécessaire de prendre en considération « l’ensemble des circonstances » (Spencer, précité, au paragraphe 18). À mon avis, cela signifie qu’il faut tenir compte des intérêts de la personne ou des personnes en particulier dont le droit au respect de la vie privée est en jeu. Il est difficile d’imaginer comment l’ensemble des circonstances n’inclurait pas une évaluation du droit au respect de la vie privée de la personne ou des personnes elles-mêmes dont les intérêts seraient touchés si le SCRS obtenait des DIB auprès d’un FSC.

[64]      Malgré ce qui précède, il n’est pas nécessaire que les mandats autorisant le SCRS à obtenir des DIB établissent un lien entre les comptes en question et des personnes nommées. Souvent, c’est précisément parce que le SCRS ne connaît pas le nom lié au numéro de téléphone, [***[ou identificateurs électroniques]***] entre autres, qu’il doit être en mesure d’obtenir des DIB relatives aux comptes correspondants auprès d’un FSC.

[65]      Même s’il ne connaît pas le nom d’une personne, le SCRS peut disposer d’assez d’informations sur elle [***] pour fournir à la Cour des motifs raisonnables de croire qu’il lui faut obtenir les DIB liées à un compte pour faire progresser son enquête, comme le prévoit l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur le SCRS. Cela peut être parce que la personne liée au numéro de téléphone ou à l’identificateur électronique semble mener des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada ou parce qu’elle semble être en mesure de donner au SCRS des informations qui faciliteront son enquête sur ces activités. J’accepte le témoignage de M. [***] selon qui il peut être utile au SCRS, pour faire progresser une enquête, d’obtenir des DIB et, donc, d’apprendre qui se cache derrière [***] identificateurs [***]

[66]      Dans de telles situations, il suffit au SCRS de fournir des éléments de preuve suffisants au sujet d’un numéro de téléphone ou d’un des autres types d’identificateurs susmentionnés pour faire valoir qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il a besoin des DIB liées au compte correspondant pour faire progresser son enquête. Selon mon expérience, il suffit souvent au SCRS, pour établir de tels motifs, de donner à la Cour une brève description du contexte entourant l’obtention du numéro de téléphone ou de l’identificateur relatif aux DIB recherchées. C’est justement ce contexte précis qui permet d’établir un lien entre l’enquête du SCRS et la personne non-identifiée dont les droits en matière de vie privée seront mis en jeu par le pouvoir d’obtenir des DIB.

[67]      Lorsqu’il ne dispose pas du numéro de téléphone ou d’un autre identificateur au moment de demander un mandat l’autorisant à obtenir des DIB, le SCRS a toujours la possibilité de le décrire d’une manière qui permet à la Cour d’être convaincue de la présence des éléments prévus aux alinéas 21(2)a) et b) de la Loi sur le SCRS. En ce qui a trait aux motifs raisonnables de croire dont il est question à l’alinéa 21(2)a), il peut être suffisant d’expliquer à la Cour le lien qui unit l’enquête du SCRS et la ou les personnes dont le droit au respect de la vie privée sera enfreint. À titre d’exemple, il peut suffire de mentionner qu’un numéro de téléphone pourrait être utilisé par une cible. S’il existe des motifs raisonnables de croire que la cible mène des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada, il existe également des motifs raisonnables de croire que le SCRS a besoin des DIB liées aux numéros de téléphone impliqués dans les appels qu’elle pourrait faire ou recevoir afin de faire progresser son enquête sur les activités liées à la menace de cette personne. Autrement dit, ces informations donneraient à la Cour le fondement raisonnable ayant trait à l’article 8 de la Charte pour autoriser le SCRS à obtenir les DIB liées aux comptes de la cible et de tiers toujours non-identifiés avec lesquels elle pourrait communiquer.

[68]      Pour les mêmes motifs, il peut suffire au SCRS de décrire l’autorisation d’obtenir des DIB qu’il souhaite se voir octroyer par référence à un [***[ligne terrestre ou identificateur électronique]***] dont il pourrait éventuellement constater a été utilisé par une cible. Cela s’applique aussi aux [***[ligne terrestre ou identificateur électronique]***] dont il pourrait constater éventuellement qu’ils sont utilisés par les titulaires [***] Bien sûr, lorsqu’il demande cette autorisation relativement aux DIB, le SCRS doit démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les personnes qui ont [***] impliquées dans les activités liées à la menace en question.

[69]      Selon moi, les exemples précédents satisferaient aux exigences de l’article 21 de la Loi sur le SCRS et de l’article 8 de la Charte. Ils font état d’un juste équilibre entre l’intérêt public, car le SCRS s’y voit accorder un degré de souplesse raisonnable dans l’exécution de son mandat, et le droit au respect de la vie privée des personnes toujours non-identifiées dont le Service obtiendrait les DIB en vertu d’un mandat. Entre autres, ces exemples aident à réagir aux difficultés pratiques ayant trait aux activités liées à la menace dans le cadre d’événements futurs (Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.), à la page 127).

2)    Mandat sur les DIB et modifications du premier type proposées aux mandats décernés dans le dossier [***]

[70]      Compte tenu de ce qui précède, il devrait être apparent que le juste équilibre n’a pas été atteint en ce qui concerne le mandat sur les DIB demandé par le SCRS dans le dossier [***] ou les modifications du premier type proposées à trois des mandats décernés dans le dossier [***]

[71]      En effet, les autorisations demandées permettraient au SCRS d’obtenir des DIB ayant trait à tout compte de communications qu’il pourrait découvrir dans le cadre d’enquêtes aux paramètres très généraux sur les menaces que le terrorisme islamiste et certaines activités de [***] font peser sur la sécurité du Canada, lorsque le SCRS estime simplement qu’elles lui seront utiles pour l’enquête. Entre autres, le SCRS n’a fourni à la Cour aucune explication lui permettant de comprendre le lien précis entre i) les numéros de téléphones et identificateurs électroniques qu’il pourrait découvrir, pour lesquels il demande d’obtenir les DIB, et ii) ses enquêtes. Le « lien », vaguement défini, a tout simplement une portée excessive et manque de clarté (R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, aux paragraphes 36 et 51). En outre, il n’est pas assez éloquent pour convaincre la Cour que le SCRS a besoin de ces DIB pour enquêter sur la menace que le terrorisme islamiste fait peser sur la sécurité du Canada, conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur le SCRS.

[72]      Comme je l’ai mentionné plus haut, aux fins du dossier [***] le SCRS a défini la « menace envers la sécurité du Canada » comme les activités comprises à l’alinéa c) de la définition de cette expression figurant à l’article 2 de la Loi sur le SCRS qui sont [***]

[73]      Le libellé du mandat sur les DIB proposé ne permet pas à la Cour de savoir auxquels de ces [***] groupes [***] un compte de communications serait associé. En fait, il ne permet même pas à la Cour de savoir à quel [***] aurait trait le numéro de téléphone ou l’identificateur. À mon avis, le libellé ne permet pas à la Cour d’assez bien constater le lien entre les activités liées à la menace que constitue le terrorisme islamiste et la personne dont les droits en matière de vie privée seraient enfreints pour qu’elle le considère « non abusif » au sens de l’article 8 de la Charte.

[74]      Il s’agit d’un problème rédhibitoire en soi que vient aggraver le fait que l’une des dispositions du mandat sur les DIB que je le croyais à l’origine en limiterait quelque peu sa portée, n’aura finalement pas cet effet. J’avais présumé que le segment [traduction] « lorsqu’un chef détermine que […] l’identité de l’abonné au compte sera utile pour l’enquête sur le terrorisme islamiste » limiterait de façon importante la portée du mandat. Toutefois, M. [***] a témoigné qu’obtenir des DIB aidera toujours le SCRS à faire progresser son enquête, même si cela ne fait que confirmer que la personne dont il établit l’identité grâce aux DIB n’a aucune utilité pour l’enquête. Selon M. [***] éliminer quelqu’un de la liste des personnes à prendre en considération est, en soi, nécessairement utile à l’enquête. Partant, il est logique de conclure que l’obtention de DIB correspondant à tout compte simplement découvert dans le cadre d’une enquête sera toujours utile à cette enquête.

[75]      Je me dois de remarquer que le fait de déterminer que les DIB liées à un compte seront utiles à une enquête du SCRS entraîne des conséquences, notamment celle voulant que le Service conserve indéfiniment les informations recueillies et, une autre conséquence serait que le SCRS les communique éventuellement à un service de renseignement étranger.

[76]      Le premier des deux types d’autorisations relatives aux DIB dont le SCRS a demandé l’ajout à trois des mandats décernés dans le dossier [***] comporte les mêmes problèmes. Je reconnais que, dans ce dossier, les activités liées à la menace sont mieux circonscrites que dans le dossier [***] En effet, elles concernent uniquement les activités [***] qui correspondent aux alinéas a) et b) de la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » figurant à l’article 2 de la Loi sur le SCRS. Néanmoins, puisqu’il est pratiquement identique au libellé du mandat sur les DIB demandé dans le dossier [***] le libellé de la première catégorie d’autorisations figurant dans les modifications demandées aux mandats décernés dans le dossier [***] comporte le même défaut rédhibitoire : une portée excessive. En effet, la Cour n’a aucune idée du lien précis entre l’enquête du SCRS et les numéros de téléphones ou identificateurs électroniques susceptibles d’être découverts.

[77]      Je reconnais en passant que le SCRS, en des circonstances exceptionnelles, peut avoir besoin de DIB ou d’informations similaires dans un délai plus court que celui qui est nécessaire pour obtenir un mandat ou apporter des modifications à un mandat existant. Je mentionne à titre d’exemple le mandat sur [***] demandé et octroyé dans une telle circonstance dans le dossier [***] Dans ce dossier, le juge Noël avait reconnu que le SCRS devait pouvoir enquêter sur des [***] liées à la menace [***] Il avait donc autorisé le SCRS à obtenir des informations auprès d’un fournisseur de services en ligne sur [***] pendant son enquête sur la menace envers la sécurité du Canada, lorsqu’un directeur général régional ou la personne désignée avait des motifs raisonnables de croire que ces informations pouvaient lui être utiles dans le cadre de l’enquête.[***] Par contre, le SCRS était alors assujetti à une condition exigeant qu’il présente sans tarder une autre demande à la Cour pour exécuter le mandat contre toute [***] termes définis dans le mandat.

[78]      À mon avis, aucune situation exceptionnelle de ce genre ou d’une autre nature n’a été constatée en l’espèce.

C.   La Cour peut-elle autoriser le SCRS à obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à [***] personnes identifiées par leur nom et à [***] autres personnes ciblées [***]

[79]      Cette question touche uniquement à l’autorisation du second type, relative aux DIB, dont le SCRS a demandé l’ajout à trois des mandats décernés dans le dossier [***] Elle permettrait au SCRS d’obtenir des DIB liées à des comptes de communications qu’il a découverts en examinant des informations clairement définies ayant trait à [***] personnes identifiées par leur nom et à [***] personnes ciblées [***]

[80]      À mon avis, cette autorisation ne comporte pas les défauts dont il est question à la section précédente, ce qui explique peut-être pourquoi elle n’a pas fait l’objet d’observations substantielles par la procureure générale ou les amici en l’espèce. Je ne m’y attarderai donc que brièvement.

[81]      En l’occurrence, contrairement à l’autorisation du premier type demandée dans le dossier [***] et au mandat sur les DIB demandé dans le dossier [***] la Cour a reçu les informations nécessaires pour accorder l’autorisation, c’est-à-dire qu’elle en a appris suffisamment pour avoir des motifs raisonnables de croire que le SCRS a besoin des DIB liées aux personnes dont les droits en matière de vie privée seraient enfreints pour faire progresser son enquête sur les activités liées à la menace de [***]

[82]      En particulier, le paragraphe 10a) du [***] autoriserait le directeur du SCRS et tout employé du SCRS agissant sous son autorité à obtenir des DIB ayant trait à tout compte de tiers auprès d’un FSC que le Service peut découvrir dans le cadre de son examen :

i.     [***[personnes identifiées]***]

ii.    [***]

iii.   [***]

iv.    [***]

[83]      Le SCRS cherche à faire ajouter essentiellement la même autorisation au paragraphe 2a) du [***] et au paragraphe 5a) du [***]

[84]      Les informations dont il est question au paragraphe 82 ci-haut ont toutes un lien direct avec [***] personnes [***] qui font l’objet d’une enquête. Il existe des motifs raisonnables de croire que ces personnes peuvent mener des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Me fondant sur ces faits, je suis convaincu que le SCRS a démontré qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a besoin des DIB liées à des numéros de téléphone ou à des identificateurs électroniques qu’il pourrait découvrir en examinant les informations dont il est question au paragraphe 82 afin de faire progresser son enquête sur les activités liées à la menace [***]

[85]      J’ajoute simplement en passant que je suis convaincu que les autres conditions préalables à l’obtention d’un mandat prévues à l’alinéa 21(2)b) de la Loi sur le SCRS ont été remplies.

[86]      En résumé, j’accorderai la deuxième catégorie d’amendements demandés à trois des mandats décernés par le juge Noël au dossier [***] de façon à permettre au SCRS d’obtenir les DIB ayant trait à tout compte de tiers pouvant être identifié à la suite de son examen de l’information des personnes identifiées qui sont décrites plus haut au paragraphe 82.

[87]      Néanmoins, je demeure préoccupé par le nombre potentiellement élevé de tierce-parties dont les DIB auraient pu être obtenues par le SCRS, en raison de l’exécution de cette autorisation pour les DIB en lien avec les [***] personnes [***] qui sont des cibles [***] Étant donné [***] il est raisonnablement prévisible qu’un nombre potentiellement élevé de membres du public communiquent avec les [***] à des fins totalement légitimes et, ce faisant, tombent dans le champ d’application de l’autorisation octroyée pour l’obtention de DIB. Une fois assujettie à une telle autorisation, leur DIB pourrait être obtenu et conservé indéfiniment. Par conséquent, il s’avérera nécessaire d’imposer des conditions pour mieux répondre à ces préoccupations.

D.   La Cour peut-elle autoriser un employé du SCRS à obtenir les DIB liées à un compte de communications correspondant à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au sein du SCRS détermine que ce compte a été découvert lors d’une enquête et que les DIB faciliteraient cette enquête?

[88]      La procureure générale soutient que les juges de la Cour ont le pouvoir discrétionnaire de permettre à un employé désigné du SCRS de déterminer si les circonstances justifient que le Service demande des DIB à un FSC et les obtienne. À cet égard, selon la procureure générale, ce pouvoir peut être exercé par les personnes responsables d’exécuter le mandat, car cela sera souvent nécessaire. À titre d’exemple, elle souligne que les mandats généraux décernés en vertu du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, accordent souvent aux forces de police un pouvoir discrétionnaire raisonnablement nécessaire de procéder à une fouille ou à une perquisition (R. v. Poirier, 2016 ONCA 582 (CanLII), aux paragraphes 34 et 49), de le faire contre des objets qui ne figurent pas dans le mandat (R. v. Noseworthy (1997), 33 O.R. (3d) 641 (C.A.)) ou à un moment qui n’est pas précisé dans le mandat (R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 69).

[89]      La procureure générale soutient que le pouvoir discrétionnaire demandé est adéquat, car certaines mesures ont été prises afin d’assurer que l’obtention de DIB par le SCRS empiète minimalement sur les droits en matière de vie privée et que ceci soit fait en conformité avec ce que la Cour autorisera. Ces mesures sont :

i.      Avant de demande des DIB à un FSC, le SCRS essaie d’abord de confirmer l’identité de l’abonné par d’autres moyens.

ii.     [***] de chaque demande d’obtention de DIB auprès d’un FSC, [***]

iii.    Avant d’approuver la demande d’obtention de DIB, le chef doit être convaincu que les circonstances précisées dans le mandat existent bel et bien, c’est-à-dire i) que le numéro de téléphone ou [***[identificateur électronique]***] a été découvert au cours de l’enquête et ii) que l’identité de l’abonné sera utile au SCRS dans le cadre de l’enquête.

iv.    Conformément à l’autorisation relative aux DIB, le SCRS [***]

v.     [***]

vi.    Le SCRS est tenu de détruire toute information que lui remet un FSC qui ne correspond pas strictement à la définition de DIB.

[90]      Les amici reconnaissent que les agents de l’État comme le SCRS peuvent se voir accorder un certain pouvoir discrétionnaire quant à la manière d’exécuter un mandat, notamment celui de prendre les mesures raisonnables pour exercer les pouvoirs octroyés, et une certaine souplesse de nature temporelle. Toutefois, ils soutiennent que le mandat sur les DIB et les modifications du premier type proposées aux mandats décernés dans le dossier [***] outrepassent largement le pouvoir discrétionnaire accordé au SCRS quant à l’exercice des pouvoirs proposés.

[91]      Je suis d’accord. À mon avis, les autorisations proposées auraient pour effet de déléguer de façon inacceptable au titulaire d’un poste de « chef » au SCRS une fonction qui relève exclusivement d’un juge désigné de la Cour (Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), [1998] 1 C.F. 420 (1re inst.), au paragraphe 17). Cette fonction consiste à déterminer quels comptes de communications en particulier feront l’objet de demandes d’obtention de DIB auprès de FSC. Essentiellement, en exerçant cette fonction, le titulaire d’un poste de « chef » au SCRS déterminerait si les motifs qui doivent être établis avant qu’il soit possible d’enfreindre le droit d’une personne au respect de sa vie privée l’ont bel et bien été.

[92]      Seul un juge désigné peut ainsi trancher les questions relatives à l’exercice, par le SCRS, de pouvoirs qui sont plus que minimalement envahissants. La procureure générale a reconnu qu’il faut un mandat pour obtenir les autorisations proposées. Partant, elle admet effectivement que ces autorisations concernent des activités dont les atteintes sont plus que minimales.

[93]      Pour mener une activité assimilable à une fouille ou à une perquisition plus que minimalement envahissante, le SCRS doit en recevoir l’autorisation par un arbitre tout à fait neutre et impartial qui est en mesure d’exercer des fonctions judiciaires en établissant un équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de la personne dont les droits à la vie privée seront atteints (Spencer, précité, au paragraphe 68; Goodwin, précité, au paragraphe 56; Hunter, précité, aux pages 160 à 162; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111, à la page 1134; et Grabowski c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 434, aux pages 445 et 446).

[94]      Le titulaire d’un poste de chef au SCRS n’est pas en mesure d’exercer des fonctions judiciaires à cet égard, car il ne peut pas établir cet équilibre de façon neutre et impartiale. À titre d’employé du SCRS, il n’est ni neutre ni indépendant au sens exigé par la jurisprudence. Autrement dit, la nature de ses fonctions d’enquête « cadre mal avec la neutralité et l’impartialité nécessaires pour évaluer si la preuve révèle qu’on a atteint un point où les droits du particulier doivent constitutionnellement céder le pas à ceux de l’État » (Hunter, précité, à la page 164 et R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, aux pages 311 et 312).

[95]      Cela est corroboré par le témoignage de M. [***] concernant les motivations probables du titulaire d’un poste de chef au SCRS. Par exemple, pendant l’audience, M. [***] a dit :

[traduction] [j]e crois que les motivations d’un chef sont les mêmes que celles de toute autre personne. Il veut déterminer si une activité liée à une menace se déroule, s’il existe une menace envers la sécurité nationale et, dans l’affirmative, il souhaite être en mesure de faire enquête et, donc, d’en aviser le gouvernement.

[96]      En réponse à d’autres questions de la Cour sur ce point, il a indiqué que :

[traduction] [s]elon moi, la situation est très simple. Si je ne procède pas, je risque de me retrouver en présence d’une menace possible dont j’ignore tout, et je ne suis pas prêt à vivre avec une telle réalité.

[97]      Il observe plus loin que :

[traduction] […] je ne suis pas persuadé que le chef évaluerait le risque de passer à l’action, mais plutôt le risque de ne rien faire.

Si nous nous trouvions dans une situation où il manque une pièce du casse-tête, et si je croyais, à titre de chef, qu’accorder l’autorisation d’obtenir cette pièce permettrait à l’enquête de progresser et à moi-même d’avoir un meilleur aperçu de la situation, je risquerais, en ne prenant pas cette mesure, de ne pas faire mon travail, donc, de n’avoir aucun conseil à valeur ajoutée à offrir au gouvernement du Canada et de ne pas être en mesure de lui indiquer la nature de la menace.

[98]      Selon moi, ces passages du témoignage de M. [***] indiquent de toute évidence qu’un chef au SCRS aurait tendance à autoriser l’obtention de DIB auprès d’un FSC lorsqu’il serait d’avis que cela permettrait de faire progresser une enquête du Service. Comme il en est question au paragraphe 74 ci-haut, M. [***] a également témoigné que l’obtention de DIB fait toujours progresser une enquête du SCRS, même si elle lui permet simplement de déterminer que la personne liée au numéro de téléphone ou à l’identificateur électronique n’est impliquée dans aucune activité liée à la menace et ne peut donc pas fournir des informations utiles au SCRS pour son enquête.

[99]      En résumé, la Cour ne peut pas autoriser un employé du SCRS à obtenir des DIB liées à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique lorsqu’un « chef » au SCRS détermine que le compte de communications a été découvert dans le cadre d’une enquête et que ces DIB faciliteraient l’enquête du Service. Il est du ressort d’un juge désigné de la Cour de déterminer quels comptes de communication en particulier peuvent faire l’objet d’une demande de DIB auprès d’un FSC. Permettre à un chef au SCRS de prendre cette décision constituerait une délégation inacceptable de la responsabilité de la Cour, qui consiste à déterminer si les motifs qui doivent exister pour qu’il soit possible d’enfreindre le droit d’une personne au respect de sa vie privée ont bel et bien été établis. En outre, les chefs au SCRS ne disposent pas de la neutralité et de l’impartialité nécessaires pour assumer cette fonction importante.

[100]   Selon moi, ce qui précède est encore plus problématique en raison i) de la définition très vaste de terrorisme islamiste que le SCRS a adopté, ii) du fait que le SCRS pourrait conserver indéfiniment toutes les DIB obtenues au titre des autorisations demandées et iii) du fait que le SCRS pourrait, sans aucune limite, communiquer ces informations à des services de renseignement étrangers.

[101]   L’autorisation du second type demandée par le SCRS dans le dossier [***] ne comporte pas les problèmes susmentionnés, car la Cour peut effectuer, au préalable, l’évaluation requise pour établir l’équilibre entre les intérêts de l’État et les droits en matière de vie privée des tiers toujours non-identifiés, mais tout de même vérifiables, liés de façon vérifiable aux numéros de téléphone et aux identificateurs électroniques. Comme dans l’arrêt Thompson, précité, ces tiers toujours non-identifiés peuvent être repérés avec précision grâce à leurs communications avec des cibles connues que le mandat vise nommément (Thompson, précité, aux pages 1134 et 1135).

[102]   En bref, lorsqu’elle est convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les personnes identifiées participent à des activités qui peuvent constituer une menace envers la sécurité du Canada, la Cour dispose d’un motif précis et suffisant de croire que les tiers avec qui ces Personnes identifiées communiquent peuvent détenir des informations qui aideront le SCRS à faire progresser son enquête et que, partant, ce dernier a besoin de ces DIB pour faire progresser son enquête.

VI.        Conclusion

[103]   Pour les motifs énoncés aux parties V.B. et D ci-haut, la Cour ne peut pas accorder les vastes autorisations demandées par le SCRS dans le mandat sur les DIB et la première catégorie de modifications qu’il souhaite faire apporter à trois des mandats décernés à la première étape de l’instance dans le dossier [***]

[104]   Cela s’explique par deux raisons principales. Premièrement, le SCRS n’a ni établi ni décrit le lien précis qui doit exister entre i) les numéros de téléphone et identificateurs électroniques qu’il pourrait trouver et pour lesquels il veut être autorisé de manière prospective à obtenir les DIB, et ii) ses enquêtes sur le terrorisme islamiste ou sur les activités liées à la menace [***] Le « lien » vaguement défini par le SCRS a tout simplement une portée excessive et manque de clarté. De plus, le Service n’a pas fourni suffisamment d’informations à la Cour pour la convaincre que les DIB sont nécessaires pour enquêter sur les menaces que le terrorisme islamiste et [***] font peser sur la sécurité du Canada, conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur le SCRS.

[105]   Deuxièmement, l’autorisation proposée entraînerait de façon inacceptable la délégation, au titulaire d’un poste de « chef » au SCRS, d’une fonction qui doit être exercée par un juge désigné de la Cour, c’est-à-dire déterminer si les motifs qui doivent être établis avant qu’il soit possible d’enfreindre le droit d’une personne au respect de sa vie privée l’ont bel et bien été. Outre le fait que cette fonction incombe exclusivement à un juge de la Cour, il demeure qu’un chef au SCRS n’est pas en mesure de prendre une telle décision de façon neutre et impartiale, comme l’exige l’article 8 de la Charte.

[106]   Toutefois, pour les motifs énoncés à la partie V.C., la Cour peut autoriser la deuxième catégorie de modifications que le SCRS désire faire apporter aux mandats décernés dans le dossier [***] En effet, le Service a démontré qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les DIB liées aux numéros de téléphone ou identificateurs électroniques qu’il peut trouver en examinant les informations mentionnées au paragraphe 82 ci-haut lui sont nécessaires pour faire progresser son enquête. Ces informations ont toutes un lien direct avec [***] Personnes identifiées qui font l’objet de l’enquête.

[107]   Compte tenu de ma conclusion quant au mandat sur les DIB et la première catégorie de modifications proposée par le SCRS dans le dossier [***] ce dernier devra obtenir une autorisation de la Cour chaque fois qu’il trouvera d’autres numéros de téléphone ou identificateurs électroniques pour lesquels il veut obtenir des DIB auprès d’un FSC. Le SCRS devra alors établir un lien suffisant entre le numéro de téléphone ou l’identificateur électronique et son enquête pour convaincre la Cour qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a besoin des DIB liées aux comptes de communication connexes pour faire progresser son enquête.

[108]   Je précise toutefois que le SCRS n’a pas besoin de s’adresser de nouveau à la Cour lorsqu’il a déjà été autorisé à obtenir les DIB liées à des comptes de communications correspondant aux numéros de téléphone ou aux identificateurs électroniques de tiers toujours non-identifiés, mais tout de même vérifiable, comme ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 65 à 69 et 101 à 102 des présents motifs.

[109]   Je reconnais que ma conclusion imposera probablement un fardeau supplémentaire au SCRS. Je reconnais également qu’elle peut entraîner l’accroissement des coûts et des délais relatifs aux demandes d’autorisations d’obtenir des DIB liées [***] identificateurs [***] qui pourraient attirer l’attention du SCRS lors de ses enquêtes sur le terrorisme islamiste et les activités liées à la menace [***] mais qui n’ont pas trait à la cible d’un mandat. Puisque de possibles retards peuvent nuire à la capacité du SCRS d’enquêter sur des activités liées à la menace, la Cour demeure disposée à étudier d’autres approches qui seraient conforme aux exigences prévues à la Charte.

[110]   À ce propos, je souligne que le SCRS s’est doté d’une procédure interne qui exige des personnes qui souhaitent présenter une demande de mandat qu’elles donnent les raisons pour lesquelles elles ont besoin des DIB liées à un numéro de téléphone ou à un identificateur électronique découvert dans le cadre d’une enquête. Elles donnent ces explications dans le [***] dont des exemples ont été fournis à la Cour en l’espèce. À mon avis, bon nombre de [***] données en exemple à la Cour comportent suffisamment d’informations pour lui donner des motifs raisonnables que le SCRS avait besoin des DIB pour enquêter sur les activités liées à la menace [***] et des acteurs du terrorisme islamiste.

[111]   Je trouve ça difficile de comprendre pourquoi il faudrait qu’il faille beaucoup de temps et d’efforts pour fournir à la Cour des informations qui ont essentiellement déjà été préparées au SCRS. S’il fournissait simplement ces informations dans un affidavit supplémentaire en compagnie d’une proposition de modification à mandat existant, le SCRS pourrait ne pas trouver excessifs du tout le temps et les efforts nécessaires.

JUGEMENT DANS [***]

LE JUGEMENT DE CETTE COUR est que la demande est rejetée.

JUGEMENT DANS [***] JUGEMENT DE CETTE COUR est que cette demande est rejetée en partie.

Plus précisément :

1.    Pour les motifs prévus aux parties V.B. et D du jugement et motifs ci-joint, les amendements que la procureur générale avait demandé à trois des mandats qui avaient été décernés par le juge Noël à la première phase de cette demande ne seront pas accueillis :

i.     [***] nouveau paragraphe 10(b);

ii.    [***] nouveau paragraphe 5(b);

iii.   [***] nouveau paragraphe 2(b);

2.    Pour les motifs prévus à la Partie V.C au jugement et motifs ci-joint, les autres amendements que la procureur générale a demandés aux mandats précités seront décernés.

Dans les sept jours suivant la date du présent jugement et des motifs qui l’accompagnent, les amici curiae et la procureure générale les passeront en revue pour déterminer les parties qui peuvent être rendues publiques. Les amici curiae et la procureure générale se consulteront et prendront des décisions en fonction du principe de la publicité des débats judiciaires. Toute question litigieuse doit être soumise à mon attention ou à celle d’un juge désigné, advenant le cas où je ne suis pas en mesure d’exercer ma fonction judiciaire.

 

ANNEXE I

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

menaces envers la sécurité du Canada Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;    

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d). (threats to the security of Canada)

[…]

Fonctions du Service

Informations et renseignements

12 (1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.    

Aucune limite territoriale

(2) Il est entendu que le Service peut exercer les fonctions que le paragraphe (1) lui confère même à l’extérieur du Canada.

[…]

Contrôle judiciaire

Demande de mandat

21 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada, sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.

Contenu de la demande

(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

b) le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

c) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont à autoriser;

d) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d’un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures présentées au titre du paragraphe (1) touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

Délivrance du mandat

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits mentionnés aux alinéas (2)a) et b) et dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets.

Activités à l’extérieur du Canada

(3.1) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser l’exercice à l’extérieur du Canada des activités autorisées par le mandat décerné, en vertu du paragraphe (3), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.

Contenu du mandat

(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

a) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont autorisés;

b) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

e) la durée de validité du mandat;

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

Durée maximale

(5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale :

a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa d) de la définition de telles menaces contenue à l’article 2;

b) d’un an, dans tout autre cas.



[1] Le dernier mandat contenant le pouvoir d’obtenir des DIB [***]

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