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[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 871 [TRADUCTION] Margrande Compania Naviera, S.A., et al (Demandeurs) v. Les propriétaires du Leecliffe Hall, et al (Défendeurs) Le JUGE NoelMontréal, le 11 septembre, Ottawa, le 25 novembre 1970. AmirautéMarine marchandeCollision de naviresLimitation de responsabilité Nature du jugement d rendreObligation légale d'enlever les épaves Dépenses encourues d cette finSont-elles ou non sujettes d limitation?—Les membres de l'équipage ont-ils agi comme employés ou comme sauveteurs?—Indemnité versée par le propriétaire du navire pour décès et blessures de membres de l'équipage Est-elle exigible de l'autre propriétaire?—Loi des accidents du travail, S.R.Q., 1964, c. 159, art. 7 et 15Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C., 1952, c. 29, art. 649, 650, 657, mod. 1960-61, c. 32Inscription du jugement reportée jusqu'à ce que d'autres réclamants éventuels se manifestent. Les navires Apollonia et Leecliffe Hall sont entrés en collision sur le fleuve St-Laurent, dans la province de Québec, le 5 septembre 1964. Le Leecliffe Hall s'est échoué et a été abandonné sur les ordres de son capitaine. Peu après, quelques membres de l'équipage se sont offerts pour aider aux manoeuvres de sauvetage. Ce faisant, trois d'entre eux se sont noyés et un autre s'est blessé lorsque le navire, rompant soudainement ses amarres, a sombré. Comme l'exige l'art. 13 de la Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1952, c. 193, les propriétaires du Leecliffe Hall ont fait démolir le navire pour libérer la voie navigable. Ces travaux ont coûté $176,000. De consentement des parties, les dommages subis par l'Apollonia ont été fixés à la somme de $882,000 et ceux du Leecliffe Hall à la somme de $5,371,000. En vertu de la Loi des accidents du travail, S.R.Q. 1964, c. 159, le propriétaire du Leecliffe Hall a versé une indemnité de $75,331 aux personnes à charge des membres de_ l'équipage décédés et à celui qui a été blessé. Dans une action intentée contre le propriétaire et le gérant de l'Apollonia par les propriétaires, les officiers et l'équipage du Leecliffe Hall, il fut statué par juge-ment rendu sur consentement des parties que les deux navires étaient également en faute. Les défendeurs en cette poursuite ont alors entamé la présente action invoquant, pour limiter leur responsabilité les art. 657 et suivants de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, c. 29, modifiée par le c. 32 des Statuts du Canada de 1960-61. Le montant de la responsabilité du Leecliffe Hall, tel que calculé en vertu de l'art. 657, a été établi de consentement à $693,333. Arrêt: 1. Les dépenses de $176,000 pour la démolition du navire naufragé exigée par la loi étaient soumises à la limitation de responsabilité, par la Loi sur la marine marchande du Canada, en raison de la modification apportée par le
[1970] R.C.A. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 873 c. 32 des Statuts de 1960-61, qui a ajouté à l'art. 657(2)d) l'expression «violation de tout droit=. Distinction faite entre la présente et l'affaire Marwell Equipment Ltd v. Vancouver Tug Boat Co. [1961] S.C.R. 43. Renvoi The Urka [1953] 1 Lloyd's Rep. 478, et The Ambert [1953] ibid, The Putbus [1969] Lloyd's Rep. 253. 2. En s'offrant à retourner au Leecliffe Hall après l'ordre d'abandon du capitaine, les membres de l'équipage reprenaient leur contrat de travail et n'agis-saient pas comme sauveteurs; leurs décès et leurs blessures sont donc imputables à la collision des navires. Renvoi: The Portreath [1923] P. 155. 3. Les propriétaires du Leecliffe Hall étaient habilités à réclamer du proprié-taire de l'Apollonia la moitié des $75,331 payés en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec au marin blessé et aux personnes à charge des membres de l'équipage décédés. (Discussion de la Loi des accidents du travail, S.R.Q. 1964, c. 159, art. 7 et 15, et de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, c. 29, art. 649, 650.) 4. La réclamation décrite à l'alinéa précédent portait sur des dommages-intérêts pour «mort ou blessures corporelles , et non pour «violation de droits», au sens que donnent respectivement, à ces expressions les alinéas e) et f) de l'art. 657(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada; par conséquent, cette réclamation doit-elle être satisfaite par le fonds plus important calculé en vertu de l'al. e), et non par celui plus restreint prévu à l'al. f). 5. Le décision que rend un juge de cette cour en vertu de l'art. 658 de la Loi sur la marine marchande du Canada, fixant le montant de la responsabilité d'un propriétaire de navire et sa répartition entre différents réclamants, est un juge-ment définitif; c'est pourquoi le jugement ne peut être inscrit avant que le projet de décision ne soit dûment publié et que d'autres réclamants n'aient eu l'occasion de se présenter. ACTION en limitation de responsabilité. J. Brisset, c.r., pour les demandeurs. A. S. Hyndman, c.r., pour les défendeurs. LE JUGE NOËLIl s'agit en l'espèce d'une action intentée par les pro-priétaires du navire Apollonia et par toutes les parties concernées par ledit navire, son capitaine, ses officiers et son équipage et N. J. Goulandris (Agencies) Ltd, armateur-gérant du navire, dans le but de limiter leur responsa-bilité découlant des dommages ou de la violation de droits dus à l'abordage entre leur navire et le Leecli/Je Hall qui se produisit le 5 septembre 1964, vers 17h15 sur le fleuve St-Laurent à l'est du passage de l'Île aux Coudres au Québec. A la suite de cet abordage, le Leecliffe Hall en l'occurrence propriété de l'un des défendeurs, toucha le fond le même jour à 22h05, en quelques minutes se renversa sur bâbord et coula au large de Pointe-au-Père du côté nord du fleuve; trois membres de l'équipage qui retournèrent à bord furent bloqués sur le navire et périrent avec lui; un autre membre de l'équipage fut blessé. L'Apollonia subit d'importantes avaries mais réussit à gagner un chan-tier naval à Québec il fut réparé. Le 7 avril 1970, il fut délivré, dans le procès portant le numéro 916 de la Cour de l'Échiquier, district d'amirauté du Québec, division de Montréal, une ordonnance sur consentement dans laquelle les demanderesses actuelles étaient défenderesses et les défendeurs, Hall Corporation of Canada et le capitaine, les officiers et l'équipage du
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 875 Leecliffe Hall demandeurs et qui tenait les navires également responsables de la collision et réservait le droit des demanderesses des présentes de limiter leur responsabilité si les dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada le leur donnaient. L'affaire m'a été soumise comme s'il s'agissait de l'instruction du procès en question, mais comme tous les défendeurs de qui les demanderesses cher-chent à obtenir réparation n'ont pas reçu d'assignation et qu'en effet, une partie de cette demande consiste en une ordonnance de signification par publication dans la presse pour toucher les tiers intéressés qui ne sont pas connus comme ce sera expliqué ci-dessous, je vais traiter l'affaire présente comme une demande interlocutoire. Cependant, comme l'avocat des deman-deresses et celui de la Hall Corporation qui étaient représentées, ont débattu assez longuement certains points litigieux, je me propose de donner des conclusions préliminaires sur ces points précis. Toutefois, il doit être clair que les autres parties qui peuvent se joindre au procès par la suite, auront droit à un débat contradictoire sur toute question qui les intéresse. La Hall Corporation, propriétaire du Leecliffe Hall admet la prétention des demanderesses dans l'affaire présente selon laquelle, pour se libérer de l'obligation posée par la Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1952, c. 193 elles (Hall Corporation) furent obligées de procéder à l'enlève-ment partiel de l'épave de leur navire et que le coût de l'opération s'élevait à $176,898.95. La Hall Corporation admet aussi l'exactitude des réclama-tions et des chiffres avancés par l'exposé de demande suivant: a) Ceux de la défenderesse, Hall Corporation of Canada, en qualité de proprié-taire du Leecliife Hall, pour le montant qui lui est dfi sur la base d'un partage de responsabilité de 50% conformément à l'accord sur le principe de la responsabilité unique à appliquer dans cette affaire entre les deux navires, de la demande de la demanderesse, Margrande Compania Naviera, S.A., en qualité de propriétaire de l'Apollonia fixés d'un commun accord à $882,386.97 et de la demande de ladite Hall Corporation of Canada composée des postes suivants acceptés quant au montant, mais soumis à ce qui est exposé aux alinéas 22 et 23 de la présente, à savoir: (i) Pertes de coque et frais: $5,371,430.24 (ii) Indemnité versée pour se libérer des obligations imposées par la Loi des accidents du travail du Québec et frais: 75,331.57 (iii) Dépenses causées par l'enlèvement de l'épave et frais: 176,898.95 b) Ceux de la défenderesse, Bethlehem Steel Corporation pour la valeur de sa cargaison perdue dans ladite collision fixée d'un commun accord à É.U. $263,245.35 et pour laquelle les demanderesses sont responsables à 50% en vertu de l'ordonnance mentionnée à l'alinéa 13 de la présente. La Hall Corporation admet aussi la limitation de jauge de l'Apollonia telle qu'elle a été énoncée dans l'exposé de demande rapporté ci-dessous: D'après le certificat de jaugeage de l'Apollonia conformément à la méthode britannique de calcul de la jauge, reconnue au Canada comme étant équivalente à la méthode employée d'après les règles canadiennes de jaugeage des navires, la jauge officielle du navire à moteur Apollonia est de 6459.93 tonneaux et la jauge de la salle des machines, déduite afin de vérifier cette jauge, est de 3240.30 tonneaux de telle sorte que la jauge du navire à moteur Apollonia dans le but de limiter la responsabilité conformément à l'article 662 de la Loi sur la marine marchande du Canada (en vertu de l'amendement de 1961 9/10 Elizabeth II, Statuts du Canada. c. 32) est de 9700.23 tonneaux.
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 877 La Hall Corporation est aussi d'accord avec les demanderesses pour déci-der que la responsabilité théoriquement limitée des demanderesses en vertu de l'art. 657 de la Loi sur la marine marchande du Canada concernant toute avarie, perte de biens ou toute violation de droits qui s'élève à $693,333.64 (9700 tonneaux X par $71,476) avec un intérêt de 5% à partir de la date de l'abordage à celle de l'ordonnance ou à celle du dépôt à la cour du mon-tant de cette responsabilité limitée, selon le dernier des deux événements. Le droit qu'ont les propriétaires de l'Apollonia de limiter leur responsa-bilité n'est pas contesté par la Hall Corporation. Ils se mirent aussi d'accord sur le fait que le règlement de l'abordage devrait être basé sur la responsa-bilité partagée des deux navires. Le montant des dommages-intérêts n'est pas un point contesté entre les demanderesses et la Hall Corporation. Les deman-deresses s'entendirent aussi avec la Bethlehem Steel Corp. au sujet de l'in-demnisation de sa cargaison. Il n'est pas encore opportun d'envisager la répartition du fonds de responsabilité. Ce sera une étape ultérieure lorsque toutes les parties auront pu se joindre au procès. Toutefois, entre les demanderesses et la Hall Corporation of Canada, il existe un certain nombre de points litigieux qui ont été débattus à l'audience en ma présence, comme je l'ai déjà indiqué. Le premier a trait aux revendica-tions nées du versement de sommes par la Hall Corporation pour le compte de ceux qui périrent ou qui furent blessés lors du naufrage du Leecli fJe Hall. Il s'agit d'un montant de $75,331.56. Tout d'abord, les uns divergent sur le point de savoir si le fait qu'ils aient perdu la vie ou aient été blessés est direc-tement imputable à l'abordage ou si c'est simplement le résultat de la tentative de sauvetage du navire après son abandon par le capitaine et l'équipage. On prétend que si ces décès ou ces blessures étaient imputables au sauvetage du navire, ils ne résulteraient pas de la collision en raison d'un novus actus interveniens et, par conséquent, ils ne pourraient donner lieu à réclamation. En outre, les demanderesses adoptent la position suivant laquelle même si ces décès ou blessures résultent effectivement de la collision et même si les per-sonnes à charge des victimes décédées ou les blessés ont choisi de demander réparation à leur employeur, la Hall Corporation of Canada, en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec, ce dernier n'est pas de ce fait recevable à se faire dédommager par les demanderesses dans le cas présent. L'autre prétention des demanderesses concernant cette même question est que, si les défendeurs sont recevables à revendiquer auprès des demanderesses en raison des indemnités versées au titre de la Loi des accidents du travail, leur réclamation doit être considérée comme devant être prélevée uniquement sur le fonds de propriété limitée du Apollonia s'élevant à $693,333.64. Il y a un autre point litigieux entre les demanderesses et la Hall Corporation of Canada, en qualité de propriétaire du Leecli ff e Hall, en ce qui concerne la réclamation portant sur l'enlèvement d'une partie de l'épave du navire des eaux du fleuve St-Laurent conformément à l'obligation qui leur est faite en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. Les deman-deresses estiment que ces dépenses à concurrence de $176,898.95 constituent une avarie, perte de biens ou violation de droits en vertu desquels elles ont le droit de limiter leur responsabilité. D'autre part, la Hall Corporation déclare que les demanderesses ne peuvent pas limiter leur responsabilité sur ce point
[1970] R.C.$. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 879 car elles devraient engager les dépenses susmentionnées conformément à leurs obligations légales en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables et que ces dépenses ne constituent un motif de réclamation ni pour avarie ou perte de biens, ni pour violation de droits. A présent, il faut donc envisager quatre questions: (1) Les frais engagés par la Hall Corporation of Canada, en qualité de propriétaire du Leecliffe Hall, pour le déplacement de l'épave, confor-mément à l'obligation légale qui lui est faite, constituent-ils une «avarie, perte de biens ou violation de droits» en vertu de l'art. 657 de la Loi sur la marine marchande du Canada selon lequel, les deman-deresses ont le droit de limiter leur responsabilité? (2) Les personnes décédées ou blessées au cours des tentatives faites pour échouer le Leecliffe Hall après sa collision avec l'Apollonia sont-elles donc décédées ou ont-elles été blessées en conséquence directe de l'abordage, de sorte que les demanderesses propriétaires de l'Apollonia sont responsables et doivent des dommages-intérêts pour cause de mort ou blessures corporelles? (3) En supposant que la réponse à la question (2) soit affirmative, la Hall Corporation of Canada, en qualité de propriétaire du Leecliffe Hall, est-elle fondée à réclamer aux demanderesses, propriétaires de l'Apollonia, sous le chef de dommages, la moitié de la compensation qu'elle a versée au membre blessé de l'équipage du Leecliffe Hall et aux personnes à charge des personnes décédées pour s'acquitter de leur obligation légale en ce cas, conformément à la Loi des accidents du travail du Québec.' (4) Si l'Apollonia est redevable de la moitié de la compensation versée par le Leecliffe Hall, cette réclamation doit-elle être prélevée sur le fonds limité destiné aux avaries plutôt que sur le fonds prévu pour les blessures, les décès et les biens qui est plus élevé? Les demande-resses et la Hall Corporation se sont mis d'accord, comme nous l'a-vons vu, pour que l'indemnité totale versée s'élève à $75,331.57. Je vais maintenant traiter la première question qui est de savoir si les dépenses, afférentes à l'épave, engagées par la Hall Corporation of Canada pour le déplacement de leur navire, le Leecliffe Hall, conformément à l'obligation que lui en fait la Loi, constitue une perte, une avarie ou une violation de droits de telle sorte que les demanderesses aient le droit de limiter leur responsabilité, ce qui aurait pour effet de prélever ces dépenses sur le fonds limité de l'Apollonia pari passu avec toutes les autres réclamations pour perte, avarie ou violation de droits. En 1960, la Cour suprême du Canada, par une décision rendue à la ma-jorité dans l'affaire Marwell Equipment Ltd v. Vancouver Tug Boat Co .2 jugea qu'une compagnie n'avait pas le droit de limiter sa responsabilité en vertu des art. 657 et 659 de la Loi sur la marine marchande du Canada 1 S .R.Q. 1964, c. 159. 2 [1961] R.C.S. 43.
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 881 pour les frais engagés pour renflouer une épave sous la direction des auto-rités fluviales. La décision rendue à la majorité fut rédigée par le juge Martland qui a fait aux pp. 66 et 67 l'exposé suivant: L'article 657 (de la Loi sur la marine marchande du Canada) permet de limiter la responsabilité, lorsqu'à la suite de sa navigation fautive, le navire cause des pertes ou des avaries à un autre mais seulement, ch l'égard de pertes ou d'avaries» causées à ce navire. A mon avis, on n'utilise pas la formule citée ci-dessus pour définir l'acte dommageable du propriétaire du navire dont le bâtiment cause un dommage. On l'utilise pour définir le type d'avaries, à la suite desquelles, l'acte dommageable s'étant produit, il peut limiter sa responsabilité. Il ne peut le faire qu'en cas de collision entre navires (à l'exclusion des revendications pour décès ou blessures corporelles) lorsque les dommages-intérêts sont dus pour pertes ou avaries de l'autre navire ou des marchandises, objets ou autres choses à bord du navire touché ou à son propre bord. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une réclamation pour cette sorte d'avarie. Les termes employés par l'article de loi pour définir les catégories d'avaries pour lesquelles on peut limiter la responsabilité, ne sont pas assez généraux pour comprendre l'obligation légale de renflouer une drague à la suite du délit du défendeur. Puis page 68, il soulignait que: L'article 659 ne procure de protection au propriétaire du bateau qu'en ce qui concerne un recours pour perte ou avarie causées aux biens ou à tout droit à la suite d'une navigation fautive ou de la mauvaise gestion du navire. Je n'interprète pas ces termes comme s'appliquant à tout dommage dfi à la violation des droits d'un tiers. Cet article n'en fait pas état. Il limite la responsabilité pour violation de droits concernant une catégorie particulière de perte ou d'avarie, c'est-à-dire, les pertes ou les avaries causées aux biens ou aux droits. Les «droits', auxquels on se réfère dans cet article, doivent être des droits qui peuvent être perdus ou auxquels on peut porter atteinte. La réclamation qui nous préoccupe ici, n'est pas un recours pour avarie. C'était l'objet du recours pour la perte de la drague elle-même auquel l'article 657 s'appliquait. Est-ce une réclamation pour perte et avarie causées au droit des appelants? Je ne pense pas que ce soit le cas. Comme on l'a exposé précédemment, le fond de la question est qu'à la suite de la navigation fautive du remorqueur de l'intimée, la loi imposait une responsabilité aux appelantes en vertu de l'art. 13(3) de la Loi sur la protection des eaux navigables. Les seuls droits créés par cette Loi étaient accordés à la Couronne et non pas aux appelantes. Le juge Martland se référait ensuite au procès The Urka3 et déclarait qu'il était du même avis que Lord Som quand il déclarait: Afin d'être couvert par l'article de la loi, la responsabilité des demandeurs dans ce recours doit être considérée comme une responsabilité pour «pertes et avaries de biens ou de droits», etc. Tout d'abord, peut-on donc dire que la respon-sabilité est engagée à l'égard de toute perte ou avarie de biens ou de droits des défendeurs, propriétaires du Portugal qui présentent le recours? Manifestement pas. Le Portugal était leur bien mais sa perte est couverte par leur autre recours, et ce recours n'est pas présenté pour la perte ou l'avarie de leur bien. On ne peut pas non plus considérer qu'ils soient couverts par l'avarie ou la perte de tous leurs droits. Quand ils ont engagé des frais, ils ne sauvaient pas leurs biens et ils ne revendiquaient pas leurs droits. Cette décision devrait constituer une réponse complète à la première question si on omettait le fait, souligné par l'avocat des demanderesses que les articles de la Loi sur la marine marchande du Canada ayant trait à la 8 [1953] 1 Lloyd's Rep. 478 à la p. 480.
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE limitation, ont été amendés en 1961. Il est aussi intéressant de noter, que l'affaire The Urka, à laquelle on se référait dans l'affaire fut jugée par la suite avoir été tranchée à tort par Lord dent dans l'affaire The Arabert 4 il déclarait: Il n'est pas vraiment nécessaire de dire que c'est avec la plus grande circons-pection que je ne suis pas du même avis que Lord Som; mais comme je suis arrivé à une conclusion opposée à celle qu'il avait formulée dans et que la position des défendeurs repose principalement sur l'assertion que l'affaire The Urka avait été jugée à bon droit, je dois formuler mon opinion motivée selon laquelle le procès The Urka avait été jugé à tort et que les demandeurs auront le droit d'inclure des dépenses afférentes au renflouage de l'épave dans leur recours en limitation. Je rends mon jugement dans ce sens. Les modifications apportées aux art. 657, 658 et 659 de la marine marchande du Canada qui se rapportent au problème en question sont exposées ci-dessous: Loi sur la marine marchande du Canada Modifiée par 1960-61 (Can.), c. 32. art. 32, 33, 34. 657. (2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événements suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de sa part, savoir: d) avarie ou perte de biens . . . ou violation de tout droit (i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la conduite du navire, le chargement, le transport ou le déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le transport ou le débarquement de ses passagers, ou (li) par quelque autre acte ou omission de la part d'une personne à bord du navire; responsable des dommages-intérêts au-delà des montants suivants, savoir: 658. (1) Lorsqu'il est allégué qu'une responsabilité a été encourue par le pro-priétaire d'un navire relativement à la mort ou à des blessures corporelles, ou d la perte ou d l'avarie de biens ou d la violation de tout droit, à l'égard desquels la responsabilité est limitée par l'article 657, et que plusieurs réclamations sont faites ou appréhendées relativement à cette responsabilité un juge de la Cour de l'Échiquier peut, à la requête dudit propriétaire, fixer le montant de la res-ponsabilité et répartir ce montant pro- [1961] Lloyd's Rep. 363 à la p. 371. 883 Marwell Equipment, Merriman, prési- l'affaire The Urka Loi sur la Loi sur la marine marchande du Canada S.R.C. 1952, c. 29 657. (1) Dans tous les cas se pro- duisent les événements suivants, ou l'un d'entre eux, sans la faute ou la com- plicité réelle des propriétaires d'un navire immatriculé ou non au Canada, savoir: d) perte ou avarie causée, par suite de fausse navigation du navire, à un autre bâtiment, ne sont pas responsables des dommages-intérêts pour mort ou blessures, ... ni à l'égard de perte ou d'avarie de bâtiments, marchandises, objets ou autres choses, 658. (1) Lorsqu'il est allégué qu'une responsabilité a été encourue par le propriétaire d'un navire britannique ou étranger relativement d la mort ou d des blessures corporelles, ou d la perte ou l'avarie de bâtiments ou de marchandises, et que plusieurs réclamations sont faites ou appréhendées relativement à cette responsabilité, le président ou le juge puîné de la Cour de l'Échiquier peut, à la requête dudit propriétaire, fixer le montant de la responsabilité et répartir ce montant pronortionnellement entre
[19701 R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE portionnellement entre les différents ré-clamants; ce juge peut arrêter toutes procédures pendantes devant une cour relativement à la même affaire et pro-céder de la façon et sous réserve des règlements que la cour juge convenables, pour rendre les personnes intéressées parties aux procédures, pour exclure tous réclamants qui ne se présentent pas dans un certain délai, pour exiger des garan-ties du propriétaire et quant au paiement des frais. 659. Les dispositions des articles 657 et 658 s'étendent et s'appliquent lorsque l'un quelconque des événements mentionnés aux alinéas a) à d) du para-graphe (2) de l'article 657 se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de leur part, ainsi qu'à toute personne agissant en qualité de capitaine ou à tout membre de l'équipage d'un navire et à tout employé du propriétaire ou de toute personne dont font mention les alinéas a) à c) lorsque l'un quelconque des événements mentionnés aux alinéas a) à d) du paragraphe (2) de l'article 657 se produit, qu'il y ait ou non faute ou complicité réelle de leur part. J'ai disposé vis-à-vis les articles ci-dessus et italiqué les parties qui se rapportent à la solution de la première question posée. De ces textes, il ressort que les seuls changements importants opérés dans ces articles de la Loi sur la marine marchande du Canada, rapport avec la limitation de la responsabilité, depuis le jugement rendu clans l'affaire Marwell Equipment sont les amendements des articles 657(2)d) et 658(1) de 1960-61 (Can.), c. 32 dans lesquels les mots «violation de tout droit» ont été ajoutés et l'art. 657(2)d)5 droit» étaient ajoutés à l'art. 658(1), et les mots «une perte ou une avarie est causée à des biens ou droits de toute nature, fixes ou mobiles, soit sur terre, soit sur eau ...» étaient supprimés de l'art. 659. Il est intéressant de noter les limites des droits accordés par le Parlement aux propriétaires de navire au Canada en ce qui concerne la limitation de leur responsabilité depuis la Loi sur la marine marchande Royaume-Uni. De 1867 à 1934, date à laquelle la chande du Canada fut adoptée, le Canada était régi en matière maritime, par les lois du Royaume-Uni et par notre propre législation pour autant qu'elle ne contredisait pas la loi anglaise. Selon l'art. 503 de marchande de 1894, les propriétaires pouvaient limiter leur responsabilité dans quatre cas énumérés par l'art. 1 sous les sous-titres ° Un changement correspondant a été fait aux al. ° 57 & 58 Vict., c. 60. 885 les différents réclamants; ce président ou juge puîné peut arrêter toutes procédures pendantes devant une cour relativement à la même affaire et procéder de la façon et sous réserve des règlements que la cour juge convenables, pour rendre les personnes intéressées parties aux pro-cédures, pour exclure tous réclamants qui ne se présentent pas dans un certain délai, pour exiger des garanties du pro-priétaire et quant au paiement des frais. 659. La limitation de la responsabilité des propriétaires de tout navire, fixée par l'article 657, à l'égard de perte ou d'avarie causée à des bâtiments, mar-chandises, objets ou autres choses, s'étend et s'applique d tous les cas , sans la faute ou la complicité réelle des propriétaires, une perte ou une avarie est causée d des biens ou droits de toute nature, fixes ou mobiles, soit sur terre, soit sur eau, par suite de la fausse navi-gation ou de la mauvaise gestion du navire. qui ont un les mots «violation de tout de 18946 au Loi sur la marine mar-la Loi sur la marine a), b), c) et d) qui e) et j).
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 887 restèrent sensiblement les mêmes dans notre propre législation de 1934 à 1960. Tous ces sous-titres concernent l'avarie ou la perte causée à des per-sonnes ou à des choses, soit à bord du navire à l'origine de l'avarie, soit à bord d'autres navires touchés par l'avarie. En 1900, par la Loi sur la marine marchande (Responsabilité des propriétaires de navire et autres) 1900 7 le champ du droit de limitation fut étendu au-delà de celui du cargo lorsque l'art. 1 de la Loi de 1900 élargit le droit de limitation à tous les cas (sans leur faute ou complicité réelle) «une perte ou avarie est causée à des biens ou droits de toute nature, fixes ou mobiles, soit sur terre soit sur eau .... Les amendements suivants les plus importants furent passés, comme nous l'avons déjà mentionné, en 1960-1961 lorsque les art. 657(2)d) et 658(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada furent amendés en ajoutant au premier, la formule «ou violation de tout droit», et cet alinéa est désor-mais rédigé ainsi: d) Avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont mentionnés à l'alinéa b), ou violation de tout droit ... (italiqué par le juge). et ajoutant les mots «violation de tout droit» au dernier. Les avocats des demanderesses allèguent que l'addition de ces mots dans la description de l'accident dans l'al. d) de l'art. 657(2) et à l'art. 658(1) a pour effet de limiter les sommes dépensées pour renflouer une épave ou pour, comme dans le cas présent, la réduire pour dégager les voies navigables et permettre le passage sans danger du trafic. Afin d'apprécier la thèse des demanderesses dans la présente, il faut examiner en détail la décision rendue dans l'affaire Marwell Equipment Ltd v. Vancouver Tug Boat Co. 8, et en particulier les motifs du juge Martland qui rédigea la décision de la majorité. De ces motifs qui ont déjà été exposés ici, il appert qu'il s'appuie sur l'art. 657(1) d) qui était la législation en vigueur à l'époque et qui alors décidait que les propriétaires d'un navire ... se produisent les événements suivants: perte ou avarie causée par suite de fausse navigation du navire, à un autre bâtiment ... sans leur faute ou complicité réelle, ne sont pas responsables des dommages-intérêts pour mort ou bles-sures, accompagnées ou non de perte ou d'avarie de bâtiments, marchandises, objets ou autres choses, au-delà d'une somme globale dépassant $72.97 par tonneau de jauge de leur navire, et sur l'art. 659 qui à l'époque décidait que la limitation de la responsabilité des propriétaires de tout navire, fixée par l'art. 657, à l'égard de perte ou d'avarie causée à des bâtiments s'étend et s'applique à tous les cas , sans la faute ou la complicité réelle des proprié-taires, une perte ou une avarie est causée à des biens ou droits de toute nature,, fixes ou mobiles, soit sur terre, soit sur eau, par suite de la fausse navigation ou de la mauvaise gestion du navire. Le juge Martland jugea que l'art. 659 ne devait pas être interprété comme s'appliquant aux dommages quels qu'ils soient résultant de la violation des droits d'un autre. L'article, déclarait-il, limite la responsabilité pour violation de tout droit à l'égard d'une catégorie particulière de perte ou d'avarie, c'est- 7 63 & 64 Vict., c. 32. 8 [1961] R.C.S. 43.
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 889 à-dire, perte ou avarie causée aux biens ou droits et les droits en question doivent être des droits qui peuvent être perdus et auxquels on peut porter atteinte. Il jugea ensuite que le recours concernant les dépenses engagées pour renflouer l'épave dans ce cas, n'était pas un recours concernant l'avarie de biens. II ajouta que ce n'était pas non plus un recours pour perte ou avarie des droits de l'appelante ni un recours en dommages-intérêts pour avarie de biens ou de droits de la Couronne considérée comme distincts de ceux de l'appelante ce qui pourrait permettre d'appliquer l'art. 659. Bien sûr, le juge Martland, se référa à la décision rendue par Lord Som dans le procès The Urka dans lequel ce dernier déclarait que les propriétaires du navire entravant la navigation avaient payé son renflouage et étaient quand «ils engagèrent cette dépense ni en train de sauver leur bien ni de revendiquer leur droit», et il ajouta qu'il était d'accord avec cette thèse. D'autre part, le juge Locke qui avec le juge Cartwright était d'un avis contraire dans cette affaire, jugea que le recours concernant le coût du ren-flouage de l'épave, tombait dans le cadre prévu par les art. 657 et 659, tels qu'ils étaient à l'époque. Page 57, il exposait son point de vue: A cause du naufrage du Townsend dfl à la négligence du défendeur, la drague a coulé et on imposait au propriétaire l'obligation légale de renflouer l'épave. C'était le résultat direct d'un acte de négligence et à mon avis c'était un dommage «à l'égard de= l'avarie de la drague, selon l'acception de l'art. 657 et «aux droits* des appelants selon l'acception de l'art. 659. Je ne peux trouver aucun fondement pour soutenir que le fait d'imposer une responsabilité légale à un tiers à la suite d'un acte de négligence n'est pas une violation de ses droits. Ainsi, il avait utilisé des termes semblables à ceux qui ont été ajoutés par la suite à l'art. 657(2)d) de la Loi, «ou violation de tout droit» et la deman-deresse suggère même que l'amendement a été probablement passé à la suite de l'utilisation de ces termes. Le problème est maintenant de déterminer si l'inclusion des termes «violation de tout droit» ou «toute violation des droits» a modifié la situation. Ce serait vraisemblable si nous nous référions à l'arrêt The Putbus9, dans lequel les pouvoirs publics avaient poursuivi en dommages-intérêts pour obte-nir le remboursement des dépenses engagées pour renflouer le navire aban-donné. Lord Dennings, M.R., se référant à la responsabilité impliquée dans cette affaire, déclarait: Est-ce le genre d'affaire pour laquelle l'art. 503 amendé fixe une limite? Je le pense. Tout d'abord, il s'agit d'une responsabilité en dommages-intérêts pour négligence et non d'une responsabilité pour paiement de dette. C'est donc tout à fait différent de l'affaire The Stonedale No. I (propriétaires) v. Manchester Ship Canal Company and Others, [1956] A.C. 1; [1955] 2 Lloyd's Rep. 9, la respon-sabilité était engagée par une dette sans qu'il soit question de négligence. D'autre part, c'était une responsabilité en dommages-intérêts «avec violation de droit ,: car le droit de passage du public est enfreint par un acte de négligence ou une omission qui a occasionné une entrave à la navigation. ° [1969] Lloyd's Rep. 253 à la p. 257.
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 891 Il explique ensuite pourquoi, à son avis, les termes «avec violation de droit» ont été insérés dans l'art. 2(1) de la Loi de 1958 au Royaume-Uni (et dans ce pays-ci, dans l'art. 657(2)d) par 1960-61, (Can.), c. 32, quand il dit: Ces termes «violation de droit» ont été insérés dans l'art. 2(1) de la Loi de 1958 afin de combler le vide révélé par l'affaire The Millie [1940] P. 1; [1939] 64 Lloyd's Rep. 318. Le rédacteur a utilisé les termes mêmes employés par le juge Langton. Il appert que le vide auquel on se réfère dans l'affaire The Millie est que, bien que l'article mentionne la perte et l'avarie occasionnée aux biens ou aux droits, la dépense engagée pour enlever l'obstacle à la navigation n'entraîne pas une perte ou avarie à ses biens ou à ses droits et que, par conséquent, elle ne peut pas être limitée. Voir The Millie, 64 Lloyd's Rep. à la p. 321. Toutefois, il pourrait ressortir de la décision rendue dans l'arrêt The Putbus que l'addition des termes «avec violation des droits» a maintenant comblé le vide et que, bien que l'enlèvement d'une épave gênante a pu n'occasionner aucune perte ou avarie aux droits ou aux biens des pouvoirs publics, il a cependant «violé ses droits» et que par conséquent, depuis 1958 au Royaume-Uni (et depuis 1960 au Canada), il semblerait que le direc-teur d'un Port ou la Couronne, qui conformément à la loi enlève un obstacle de la voie navigable peut se voir opposer une action en limitation, si le montant est réclamé pour dommages plutôt que pour dette. Dans l'affaire The Arabert (No. 2)10, à la p. 367, le président Lord Merriman déclarait: ... Il est évident qu'une décision selon laquelle une limitation n'est pas valable dans le cas de frais de renflouement d'une épave recouvrables en tant que dette par les autorités portuaires contre les propriétaires de l'épave gênante, indépen-damment de toute question de négligence, appartient à une catégorie différente de celle . les frais de renflouement, engagés par les victimes innocentes d'un abordage, sont recouvrables à bon droit à titre de dommages-intérêts pour négli-gence contre le fautif. Si, tel est le cas, la même solution serait applicable à notre pays car les termes ajoutés sont les mêmes que ceux qui apparaissent dans la législation de 1958 du Royaume-Uni. Il s'agit maintenant de savoir si nous pouvons faire un pas de plus et soutenir qu'étant donné l'adjonction des termes «ou violation de tout droit ...» dans l'art. 657(2) d), la même chose peut être appliquée à une situation comme en l'espèce, dans laquelle les propriétaires du Leeclijje Hall, sur notification du ministère des Transports et conformément à R.C.S. 1952, c. 193, art. 13 (3) de la Loi sur la protection des eaux navigables, réduisirent leur navire à une taille qui satisfasse le ministère et engagèrent des frais s'é-levant à $176,000. Si on lit l'art. 657(2) al. e) à la lumière de l'al. d), il devient en effet explicite. La question n'est désormais plus de savoir si, comme le déclarait le juge Martland dans l'affaire Marvell Equipment à la p. 68, nous avons à faire à «une violation de droits à l'égard d'une catégorie parti-culière de perte ou d'avarie, c'est-à-dire perte ou avarie causée aux biens ou aux droits» mais si, comme c'est clairement indiqué dans les termes ajoutés à l'art. 657(2)d) «violation de tout droit» ce qui paraît être un problème différent et qui n'est en aucun cas limité par l'ancien art. 659 qui s'appliquait seulement au cas «une perte ou une avarie est causée à des biens ou droits de toute nature ...». i0 [1961] Lloyd's Rep. 363.
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 893 En continuant dans la même optique, nous avons, je pense, atteint un point les termes utilisés par le juge Locke dans son opinion dissidente dans l'affaire Marwell Equipment à la p. 57, peuvent donc s'appliquer. En effet, il déclarait alors: A mon avis, le recours concernant le coût du renflouement de l'épave, tombe dans le cadre des art. 657 et 659. A la suite du naufrage du Townsend dfl à la négligence de l'intimé, la drague a coulé et l'obligation légale de renflouer l'épave était imposée au propriétaire. C'était le résultat direct de l'acte de négligence, et à mon avis, c'était un dommage «à l'égard de* l'avarie de la drague dans l'acception de l'art. 657 et des «droits* des appelants dans l'acception de l'art. 659. Je ne peux voir aucun fondement d l'assertion selon laquelle le fait d'imposer une responsa-bilité légale d un tiers d cause d'un acte de négligence n'est pas une violation de ses droits. (Italique par le juge). Il utilise ici des termes très semblables à ceux des amendements de 1960-1961 et je me dois d'être d'accord sur le fait que, lorsque les propriétaires du Lee-cliffe Hall furent, à la suite de la faute partielle de l'Apollonia obligés d'en-lever l'épave à leurs frais même s'ils y étaient obligés par la loi, leurs droits furent violés, et que par conséquent, cela devrait entraîner que quelque soit le montant qu'ils réclament, il ne peut être que pour des dommages-inté-rêts découlant de la violation de leurs droits. En effet, il ne peut pas y avoir d'autre fondement à leur recours contre les demanderesses. Il s'ensuit, bien entendu, qu'en vertu de la législation en vigueur, les demanderesses devraient pouvoir maintenant limiter le montant réclamé. Je trouve un appui supplé-mentaire pour parvenir à cette décision dans l'exposé du juge Martland, à la p. 68, dans l'affaire Marwell Equipment, il semble implicitement accepter que si l'art. 659, tel qu'il était alors, avait contenu les termes qui s'appli-quaient à toute catégorie d'avaries résultant d'une violation des droits d'un tiers, (et les termes nouveaux semblent être illimités) il aurait peut-être pu juger l'affaire différemment. En effet, il déclarait: L'article 659 n'accorde de protection au propriétaire du navire qu'à l'égard des recours pour perte ou avarie aux biens ou aux droits quels qu'ils soient, occasionnée par la navigation fautive ou la mauvaise gestion du bateau. Je ne con-sidère pas que ceci s'applique quel que soit le dommage résultant de la violation des droits d'un autre. L'article n'est pas ainsi rédigé. Il limite la responsabilité pour violation de droits à une catégorie particulière de perte ou d'avarie, c'est-à-dire, à la perte ou l'avarie causée aux biens ou aux droits. Les «droits* en question dans cet article doivent être des droits qui peuvent être perdus ou auxquels il peut être porté atteinte. (Italiqué par le juge). Puis-je ajouter que si l'exposé de Lord Denning à la p. 257 de l'affaire The Putbus, précitée, est correct, et si le vide révélé par l'arrêt The Millie, précité, a été comblé par les termes «violation de tout droit» afin de rendre possible, si elle est réclamée à titre de dommages-intérêts, une limitation des dépenses engagées par l'autorité qui a enlevé l'épave à ses frais, il y aurait bien plus de raisons pour permet e à la même limitation, de s'appliquer à un recours exercé par le propriétai e du navire gênant, qui a fait le travail de déblaiement et en a supporté les s. A mon avis, le seul recours qu'il ait, est un recours en dommages-intérets contre l'autre navire, en raison des dépenses qu'il a faire à cause de la négligence de l'autre bâtiment. J'estime que les agissements de la demanderesse, ayant pour conséquence l'avarie causée par négligence au navire du défendeur, étant de nature à rendre le
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 895 défendeur juridiquement tenu de payer ces dépenses, constituent, si l'on con-sidère l'article amendé, une véritable violation de leur droit. 11 Par conséquent, ma conclusion provisoire est que les dépenses engagées par la Hall Corporation of Canada en qualité de propriétaire du Leecliie Hall, pour déplacer l'épave conformément à leur obligation, constituent une violation de droits selon l'art. 657 de la Loi sur la marine marchande du Canada en vertu de laquelle, les demanderesses ont le droit de limiter leur responsabilité. Je vais envisager maintenant, la deuxième question, qui est de savoir, si les personnes décédées ou blessées au cours des tentatives faites pour faire échouer le Leecliffe Hall, après la collision avec l'Apollonia, sont donc décé-dées ou ont été blessées en conséquence directe de la collision de sorte que les demanderesses sont responsables et doivent des dommages-intérêts pour cause de mort ou blessures corporelles. L'avocat des demanderesses, M. Brisset, déclara que si 'la cour conclut que les membres de l'équipage qui ont péri ou qui ont été blessés n'avaient pas droit aux indemnités de sauvetage, mais remplissaient à ce moment-là seulement leur fonction en qualité de membres de l'équipage, il admettra que Ieur décès ou leurs blessures étaient dûs à la collision. En fait, la question est ici de savoir, si les agissements des membres de l'équipage, après que le capitaine ait quitté le navire, étaient une nouvelle opération qui rompait le lien de causalité. Afin de statuer sur cette question, il sera nécessaire de prendre en consi-dération ce qui s'est passé à la suite de la collision. Les demanderesses et la Hall Corporation ont déposé un acquiescement quant à la preuve sur laquelle on s'appuyait, et il nous faudra maintenant étudier ce document. Les parties, par l'entremise de leurs avocats se sont mises d'accords, aux fins de la présente action en limitation de responsabilité, pour s'appuyer et se rapporter à certains passages de la transcription des dépositions recueillies lors de l'enquête officielle sur les circonstances de la collision, qui eut lieu n Tant que notre loi n'aura pas été modifiée pour inclure dans l'article concernant les limitations, un sous-titre semblable à celui que nous trouvons dans 2a) de la Loi sur la marine marchande, (Responsabilité des propriétaires et autres) 1958 du Royaume-Uni, il ne sera pas possible de limiter les dépenses de renflouement simplement recouvrables en tant que dettes. En effet, le sous-titre 2a) de l'art. 503 de la Loi sur la marine marchande de 1958 crée .une occurrence. spéciale et le recours qui en résulte, peut un jour permettre une limitation de res-ponsabilité. Toutefois, cette disposition n'entrera en vigueur qu'au jour choisi par le ministre des Transports et comme il ne l'a pas encore rendue applicable, elle n'a pas encore d'effet. Cet alinéa est ainsi rédigé: 2. Pour l'application dudit paragraphe, à savoir (1) toute obligation ou responsabilité survient a) en relation avec le levage, l'enlèvement ou la destruction de tout navire qui a coulé, est échoué ou abandonné ou avec toute chose à bord d'un tel navire, ou * * * l'occurrence donnant naissance à l'obligation ou à la responsabilité devra être traitée comme une occurrence mentionnée dans les alinéas b) et d) de ce paragraphe et l'obligation ou la responsabilité comme une responsabilité en dommage-intérêt. 3. L'application dudit art. 503 à toute responsabilité ne pourra pas être écartée pour la simple raison que l'occurrence donnant naissance à la responsabilité n'était pas due à la négligence de qui que ce soit.
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 897 en novembre 1964, en présence de l'honorable juge Arthur J. Smith. Les faits significatifs sont consignés dans le document commun et comprennent la liste des témoins à ce procès et des pages particulières de la preuve sur laquelle on s'appuie. De ces preuves, il appert que ceux qui sont décédés et pour lesquels une compensation devrait être versée par la Hall Corporation en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec était le second mécanicien G. Desche-neaux et le barreur J. L. Desjardins. Roméo Rail, le troisième mécanicien, fut blessé. La collision entre l'Apollonia et le Leeclifje Hall s'est produite le 5 sep-tembre 1964 vers 17h15 sur le fleuve St-Laurent à l'est du passage de l'Ile aux Couches au Québec. Le Leecliffe Hall de la Hall Corporation of Canada naviguait alors de Sept-Îles à Buffalo (État de New York) entièrement chargé à fond d'une cargaison de minerai de fer. L'Apollonia allait de Duluth (Minnesota) à Bremen (Allemagne) avec une cargaison complète de cé-réales. Après la collision qui eut lieu à 17h15, le capitaine du Leeclifje Hall décida d'abandonner le navire à environ 18h05 le même jour. L'équipage de 32 hommes au complet, ainsi que le pilote et 11 passagers, furent embar-qués sur l'un des canots de sauvetages du Leecliffe Hall et se dirigèrent tout d'abord vers l'Apollonia sur lequel le capitaine, le mécanicien en chef, le troi-sième mécanicien, le pilote et l'un des passagers, à savoir Frank. A. Hawkes-bury, président et directeur général de la Hall Corporation, montèrent à bord dans le but d'obtenir l'aide du navire et d'utiliser son radiotéléphone afin d'en appeler d'autres à l'aide. Le bateau de sauvetage du Leecliffe Hall se dirigea ensuite vers le rivage mais ce faisant, il rencontra le yacht Laurentian à bord duquel montèrent tous les passagers et l'équipage excepté le second, l'officier en second, le second mécanicien, l'électricien et l'un des barreurs, qui offri-rent volontairement de retourner sur le Leecliffe Hall pour participer aux opérations de sauvetage sous la direction du commandant et du chef mécanicien. Le remorqueur Foundation Vibert accosta le Leecliffe Hall et lui lança un câble vers 19h05, heure à laquelle le chef mécanicien, le mécanicien en second, G. Descheneaux et le troisième mécanicien étaient déjà de retour à bord et faisaient démarrer le moteur diesel, fonctionner les feux de pont et prenaient toutes les mesures possibles pour préparer les opérations de sauvetage. Pendant les trois heures suivantes, le président de la Hall Corporation, le capitaine, le second, l'officier en second, l'électricien, le maître d'équipage et deux des barreurs, furent constamment affairés allant du Foundation Vibert, bateau de sauvetage qui était du côté de la passerelle du Leecliffe Hall, dans le seul but d'aider le remorqueur à échouer et sauver le navire. Le Foundation Vibert réussit à remorquer le Leecliffe Hall, par l'arrière, jusqu'à 300 pieds du rivage il toucha le fond mais presque qu'im-médiatement à la suite il brisa une de ses amarres et coula, emportant avec lui ceux qui étaient encore à bord et ceux qui étaient dans le bateau de sauve-tage à son côté, c'est-à-dire, G. Descheneaux, mécanicien en second, J. L. Desjardins, barreur et M. Modrak, maître-coq (pour lequel d'ailleurs aucune revendication n'est présentée). Roméo Rail fut sérieusement blessé, dût être hospitalisé et recevoir des soins médicaux pendant une longue période. Le montant total versé par la Hall Corporation pour le compte de feu Desjardins
[1970] R.C.A. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 899 et de feu Descheneaux et du blessé Roméo Rail s'élève à $75,331.57 dont la défenderesse, Hall Corporation, revendique le remboursement de la moitié pour les demanderesses en sus de leur responsabilité limitée telle qu'elle a été calculée dans l'exposé de demande. La Hall Corporation prétend aussi que les décès et les blessures précités sont la conséquence directe de la collision et des actes de négligence de ceux qui étaient sur l'Apollonia. Les demande-resses, d'autre part, soutiennent qu'ils n'étaient pas imputables directement à la collision ce qui les rendraient par conséquent responsables en dommages-intérêts, car le lien de causalité avait été rompu pour les raisons suivantes: a) l'ordre d'abandonner le bateau avait été expressément donné par le capitaine du Leecliffe Hall; b) l'équipage au complet s'était embarqué sain et sauf et sans mal sur le canot de sauvetage du Leecliffe Hall et avant de retourner sur ce der-nier, ils étaient tous en sécurité soit à bord du canot de sauvetage, soit du yacht Laurentian, soit du remorqueur Foundation Vibert; c). ceux qui retournèrent à bord du Leecliffe Hall y retournèrent de leur propre gré comme volontaires sans aucune contrainte ni ordre éma-nant d'une autorité quelconque et ceci s'applique plus particulière-ment à ceux au nom desquels on fait un recours, à savoir G. Desche-neaux, Roméo Rail et J. L. Desjardins; d) la véritable cause des décès et des blessures de ces hommes fut la tentative en amateur des autorités compétentes, à savoir le capitaine et le représentant des propriétaires du Leecliffe Hall, d'échouer le Leecliffe Hall avec la seule aide du remorqueur Foundation Vibert après avoir refusé toutes les autres aides extérieures qui étaient disponibles et beaucoup plus valables que celle du remorqueur Foundation Vibert.. [Ici, le Juge passe en revue en détail la preuve et continue.] Les conclusions de fait auxquelles j'arrive, sont que, bien que le navire ait été abandonné peu après la collision, le capitaine n'avait pas clairement exprimé son intention de quitter ou d'abandonner son navire. Sans aucun doute, il se rendait compte du danger et du risque impliqués par tout acte visant à sauver son navire, soit en le poussant, soit en le remorquant vers le rivage et ceci explique pourquoi il hésitait à commander à ses hommes de retourner à bord et soulignait que s'ils y retournaient c'était en qualité de volontaires. De la preuve, il ressort aussi, que les hommes qui y retournèrent, le firent volontairement par sens du devoir et même pour certains par loyauté envers le propriétaire. Je crois que Desjardins, l'un de ceux qui sont décédés, avait dit au barreur Harvey: «La compagnie sera certainement sensible au fait que nous ayons participé de notre propre gré au sauvetage du navire». Il s'agit bien sûr de savoir tout d'abord s'il a été mis fin au contrat de travail de l'équipage par l'ordre d'abandonner le navire donné par le capi-taine dans les circonstances rapportées ci-dessus. Je ne pense pas que ce fut le cas. Bien que cet ordre ait été donné afin de sauver des vies, il l'avait été à un moment aucun secours ne semblait immédiatement disponible. Peu après il reçut l'assurance qu'un remorqueur allait venir et il retourna
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 901 à bord de son bâtiment afin de participer à son échouage. A mon avis, ceci indique qu'à ce point, il espérait encore sauver son navire. En effet, avant de quitter l'Apollonia, il disait qu'on pourrait sauver son navire. D'autre part, l'attitude des membres de l'équipage qui se portèrent volontaires pour aider le navire à atteindre la rive est tout à fait dans la ligne de ce que l'on pourrait attendre de marins dans de telles circonstances. Le second Sydney Palmer ex-primait clairement cette opinion quand il déclara à son capitaine que: «l'usage courant chez les marins est d'essayer de sauver leur navire». En outre, le simple fait que le capitaine ait donné l'option aux membres de l'équipage de rester ou de quitter le navire, ne permet pas de déterminer s'il a mis fin ou non au contrat des marins. En fait, ce n'est qu'une option entre continuer ou mettre un terme au contrat de travail. L'acte de volontariat de ces membres de l'équipage qui retournèrent à bord du Leecliffe Hall ne modifiait pas leur contrat primitif et à mon avis, était la simple continuation de leur emploi à bord. Dans l'affaire The Portreath12, une réclamation pour le sauvetage exé-cuté par les membres de l'équipage fut refusée dans des circonstances très proches de celle du cas présent. Dans cette affaire, le capitaine craignant que son navire ne coule à la suite d'une collision, donna l'ordre d'abandonner le navire, et son équipage et lui montèrent à bord d'un cotre qui se tenait prêt à intervenir. Peu après, concluant que le navire n'allait pas couler, il demanda des volontaires pour retourner à son bord. Près de la moitié de l'équipage se proposa, retourna à bord du navire et navigua sur ce dernier pendant qu'on le remorquait vers le rivage et qu'on l'échouait. Le juge Hill, à la p. 158, abordait franchement la question et ses observations à ce sujet pourraient s'appliquer dans l'affaire présente. Il disait en effet: A mon avis, il serait extrêmement dangereux de considérer qu'un marin, qui doit ses services en vertu d'un contrat, soit habilité à se transformer en sauveteur dans de telles circonstances, et j'en conclus, en discutant de l'affaire sans aucune référence à la jurisprudence, qu'aucune justification ne permet de dire qu'il y avait un motif de résilier le contrat de travail des demandeurs. Mais j'ai un meilleur guide que mon propre point de vue sur la question, car le cas semble être totale-ment couvert par la jurisprudence citée. Tout d'abord on connaît le vieux principe général du devoir du marin pour lequel je me suis rapporté au jugement de Lord Stowell dans l'affaire The Neptune (1 Hagg. Adm. 236): «Quelle est l'obligation*, dit Lord Stowell, «qu'un marin contracte envers le navire sur lequel il s'est engagé? Ce n'est pas seulement de naviguer par beau temps, mais aussi par mauvais temps, risquant ainsi des naufrages, . de s'employer ... à sauver tout ce qu'il peut du navire et de la cargaison. C'est une partie de son devoir sacré en qualité de marin de ce navire. C'est certainement une partie pénible et vraisemblablement dangereuse de son travail, mais ce n'en est pas moins un travail, et un travail méritoire dans ce cas. En faisant ce, travail, il ne prend pas un nouveau statut. II s'acquitte seulement d'une partie de ce devoir de fidélité conventionnelle envers le navire qu'il prévoyait et qui l'engageait à se soumettre à la formation même de ce contrat qui lui donnait droit au salaire stipulé* Il ajoutait ensuite: La position de cette Cour est ... que l'équipage d'un navire ne peut pas être considéré comme des sauveteurs. Qu'est-ce qu'un sauveteur? C'est une personne qui, sans lien particulier avec le navire en détresse, lui offre des services utiles et le fait en qualité d'aventurier volontaire, sans qu'il y ait de convention pré-existante qui l'associe à l'obligation de s'employer à la sauvegarde dudit navire. " [1923] P. 155.
[1970] R.C.A. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 903 Ensuite, il fit les remarques suivantes avec lesquelles je suis entièrement d'accord car bien sûr, je ne désire pas dire que les membres de l'équipage d'un navire ne peuvent jamais réclamer en qualité de sauveteurs. Il peut y avoir des circonstances particulières bien qu'exceptionnelles ceci peut être possible. Le juge Hill donne cette opinion avec beaucoup de justesse dans les termes suivants: Je ne dirai pas que dans le nombre infini des événements possibles qui peuvent se produire dans les relations humaines, des circonstances ne puissent pas être telles qu'elles amèneraient la Cour à recevoir les réclamations de persona standi in judicio. Mais, bien sûr, elles doivent être absolument exceptionnelles. Il est clair qu'un contrat de travail entre un marin et son navire peut être annulé. Un abandon complet et définitif du navire, ordonné par le capitaine et sans espoir de récupérer le navire, semblerait-il, met fin au contrat de travail et libère le marin de ses obligations en vertu du contrat. Toutefois, un abandon temporaire comme cela se produit souvent en cas de collision, pro-voqué par une certaine crainte, et avant que l'état du bateau soit connu, comme c'est le cas ici, ne saurait annuler le contrat. Je dois dire que les cir-constances présentes ne sont pas telles qu'elles puissent mettre fin au contrat de travail de l'équipage et que les membres de l'équipage qui ont offert leur service pour amener leur navire au bord, n'ont rien fait qui puisse les transformer en sauveteurs. Comme l'avocat des demanderesses convint que, si les membres de l'équi-page n'avaient pas pu revendiquer en qualité de sauveteurs, il admettrait que leur décès ou leurs blessures étaient imputables à la collision, il s'ensuit donc, que la réponse à la deuxième question en l'espèce doit naturellement être que les demanderesses sont responsables en dommages-intérêts pour les décès de Descheneaux et Desjardins, et pour les blessures subies par Rail, et que les revendications pour décès et blessures forment tout autant une partie de la réclamation totale que celles pour perte du navire lui-même. J'ajouterais que les mesures prises pour sauver le navire, bien que vaines, ne furent pas négligentes en elles-mêmes. A mon avis, le lien de causalité n'a pas été brisé par le refus allégué du capitaine du Leeclif fe Hall d'accepter les offres de secours du De Soto County, bâtiment de sauvetage de la marine américaine et de l'un quelconque des navires qui s'étaient mis à sa disposition. En ce qui concerne le De Soto County, le capitaine ne savait pas et ne pouvait pas se rendre compte des avantages qu'il avait à accepter un navire équipé comme celui-là l'était pour le sauvetage puisqu'on ne lui avait pas décrit. En ce qui concerne les autres navires, sa réponse paraît être que s'il leur avait permis d'accoster son bateau, ils n'auraient pu être d'aucun secours mais auraient causé plus de dommages. Je ne suis pas disposé à dire qu'il n'avait pas raison à cet égard ou en essayant d'échouer son navire avec le seul secours d'un remorqueur. J'en viens à présent à la troisième question qui se trouve aussi être, à mon avis, la plus difficile à résoudre. Ayant décidé que les décès et les blessures étaient directement imputables à la collision, et que, par con-séquent, les demanderesses devraient être responsables en dommages-intérêts pour ces pertes, le Hall Corporation of Canada, en qualité de propriétaire du Leecli f f e Hall, peut-elle réclamer aux demanderesses comme
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 905 chef de dommages, la moitié de l'indemnité qu'elle a versée aux membres de l'équipage du Leecliffe Hall qui ont été blessés et aux personnes à charge de ceux qui sont décédés, pour se libérer de leur obligation légale en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec.13 La compensation totale ainsi versée s'élève à la somme de $75,331.57, somme sur laquelle les parties sont d'accord et qui n'est pas contestée. Les avocats des demanderesses soutiennent que la Hall Corporation ne peut pas se faire dédommager par les demanderesses de la moitié de la somme versée en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec aux membres de l'équipage du Leeclifje Hall blessés et aux personnes à charge de ceux qui sont décédés car: (1) L'article 7 de la Loi des accidents du travail du Québec qui traite des réclamations des ouvriers ou des personnes à sa charge (dé-pendants) soit à l'encontre d'une personne autre que son employeur, soit en vertu de la Loi, devrait être interprété de manière à empêcher toute indemnisation par l'employeur de l'ouvrier blessé ou décédé par la négligence d'un tiers quand cet employeur ou ce tiers sont également en faute ou condamnables en ce qui concerne l'accident qui a provoqué blessures et décès. Naturellement, les demanderesses soutiennent qu'en l'espèce, pour être remboursé, le tiers doit avoir été entièrement responsable de l'accident et, (2) même s'il était jugé que la Hall Corporation a le droit de recouvrer de l'Apollonia la moitié de la somme versée en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec, en considérant que c'est aune perte causée par une violation de leurs droits» qui est direc-tement imputable à la collision, la somme ainsi versée ne serait désormais plus un recours en dommages-intérêts pour décès ou blessures corporelles, mais changerait de nature et tomberait dans le cas des prélèvements sur le fonds limité pour avaries aux biens de l'Apollonia en vertu de l'art. 657 de la Loi sur la marine mar-chande du Canada. Afin d'apprécier correctement la position prise par les demanderesses et la thèse avancée par M. Brisset, leur avocat, et en abordant son premier argument, il paraît nécessaire d'exposer ci-dessous les art. 649 et 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada 14 et les art. 7 et 15 de la Loi des accidents du travail du Québec. 16 Loi sur la marine marchande du Canada 649. (1) Lorsqu'une personne, étant à bord d'un bâtiment, perd la vie ou subit des blessures par la faute de ce bâtiment et d'un ou plusieurs autres bâtiments, les propriétaires des bâtiments sont conjointement et solidairement responsables. (2) Rien au présent article ne doit s'interpréter de façon à priver une per-sonne de tout droit de défense sur lequel, indépendamment du présent article, elle pourrait compter dans une action intentée contre elle par la personne blessée, ou 18 S.R.Q. 1964, c. 159. x S.R.C. 1952, c. 29. S.R.Q. 1964, c. 159.
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 907 par toute personne ou personnes ayant droit de poursuivre à cause de cette perte de vie, et rien ne doit porter atteinte au droit d'une personne de limiter sa res-ponsabilité pour les cas visés au présent article, de la manière prévue par la loi. 650. (1) Lorsqu'une personne, étant à bord d'un bâtiment, perd la vie ou subit des blessures par la faute de ce bâtiment ou de plusieurs autres bâtiments, et qu'il est recouvré des propriétaires de l'un des bâtiments une proportion des dommages-intérêts qui excède le degré de faute du bâtiment, ces propriétaires peuvent recouvrer par voie de contribution, des propriétaires de l'autre ou des autres bâtiments, le montant de l'excédent dans la mesure oh ces bâtiments étaient respectivement en faute; mais il ne peut être ainsi recouvré aucun montant qui, en raison d'une limitation ou d'une exemption de responsabilité, légale ou con-tractuelle, ou pour toute autre raison, n'aurait pu en première instance être recouvré à titre de dommages-intérêts par les personnes ayant droit d'en poursuivre le recouvrement. (2) Outre tout autre recours légal, la personne ayant droit à la contribution susdite possède, pour la recouvrer, sous réserve des dispositions de la présente loi, les mêmes droits et pouvoirs que les personnes ayant droit de poursuivre le re-couvrement de dommages-intérêts en première instance. Loi des accidents du travail du Québec 7. (1) Quand un ouvrier subit un accident au cours de son emploi dans des circonstances telles qu'il en résulte pour lui ou pour ses dépendants un droit d'action contre une personne autre que son employeur, cet ouvrier et ses dépendants, s'ils ont droit à une compensation en vertu de la présente loi, peuvent, à leur option, réclamer cette compensation ou exercer ce droit d'action. (2) Si la somme adjugée et perçue à la suite d'une action est inférieure au montant de la compensation à laquelle l'ouvrier ou ses dépendants ont droit en vertu de la présente loi, cet ouvrier ou ses dépendants reçoivent compensation pour la différence. (3) Si l'ouvrier ou ses dépendants choisissent de réclamer la compensation en vertu de la présente loi, l'employeur tenu personnellement de payer cette compensation, ou la commission si la compensation est payable à même le fonds d'accident, selon le cas, sont de plein droit subrogés aux droits de l'ouvrier ou de ses dépendants et peuvent personnellement ou aux nom et lieu de l'ouvrier ou de ses dépendants, exercer tout recours que de droit contre la personne responsable; et tout montant ainsi recouvré par la commission fait partie du fonds d'accident. La subrogation a lieu par le seul effet de l'option et peut être exercée jusqu'à concurrence de tout ce que l'employeur ou la commission pourra être appelée à payer par suite de l'accident. Cependant, si par l'effet de la présente loi, l'em-ployeur ou la commission se trouvent ensuite libéré de l'obligation de payer par-tie de la compensation ainsi recouvrée, la somme non utilisée est remboursable dans le mois suivant l'événement qui détermine la cessation de la compensation. Les ententes ou compromis qui peuvent intervenir entre les parties relativement à cette action ou droit d'action sont nuls et de nul effet, jusqu'à ce qu'ils aient été approuvés et ratifiés par la commission et le paiement du montant convenu ou adjugé ne peut être fait que de la manière indiquée par la commission. 15. Les compensations que la présente loi prévoit tiennent lieu de tous les droits, recours et droits d'action, de quelque nature qu'ils soient, de l'ouvrier, des membres de sa famille ou de ses dépendants, contre l'employeur de cet ouvrier, à raison d'un accident subi par le fait ou à l'occasion de son travail pour l'employeur, et nulle action à ce sujet n'est reçue devant aucune cour de justice. L'avocat des demanderesses soutient que, fondée sur une interprétation correcte des dispositions susmentionnées de la Loi sur la marine marchande du Canada et sur la Loi des accidents du travail du Québec et en considérant
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 909 que les deux navires sont également fautifs, les parties requérantes dans les présentes, auraient pu adopter l'attitude suivante: a) Elles auraient pu choisir de poursuivre l'Apollonia pour la totalité des dommages-intérêts en tant qu'auteur de l'acte dommageable, conjointement et solidairement responsable, et recouvrer la totalité des dommages-intérêts de l'Apollonia. Dans ce cas, l'Apollonia n'aurait pas le droit de recouvrer une partie des dommages-intérêts versés aux parties requérantes du Leecliffe Hall, car les propriétaires de ce dernier (en qualité d'employeurs en vertu de la Loi des accidents du travail) ne pourraient pas être en common law poursuivis en dommages-intérêts par les parties requérantes et l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada, se serait alors appliqué. En effet, la dernière partie de cet article, établit nettement: «mais il ne peut être ainsi recouvré (par voie de contribution) aucun montant qui, en raison d'une limitation ou d'une exemption pour responsabilité, légale ou contractuelle, ou pour toute autre raison, n'aurait pu en première instance être recouvré à titre de dommages-intérêts par les personnes ayant droit d'en poursuivre le recouvre-ment b) Elles auraient pu choisir de réclamer une compensation' à leurs employeurs (ce qu'elles firent dans le cas présent) et poursuivre ou non l'Apollonia pour les dommages-intérêts excédant la compensation qu'on leur avait versée. (Elles n'intentèrent pas d'action pour l'excédent). En ce qui concerne la compensation versée par leur employeur, ce dernier ne pouvait pas (selon l'avocat des demanderesses) chercher à obtenir une contribution ou une indemnité de la part de l'Apollonia car une telle portion de la compensation versée, correspondant à la part de l'Apollonia, car si je suis bien la thèse de M. Brisset, l'employeur ne peut réclamer que si l'Apollonia était entièrement condamnable et que le recours de l'employeur ne constituerait pas un recours en dommages-intérêts comme l'exige l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande. Si les parties requérantes avaient aussi poursuivi l'Apollonia (ce qu'elles ne firent pas) pour les dommages-intérêts excédant la valeur de la compensation, l'Apollonia aurait alors payer (selon l'avocat des demanderesses) la totalité de l'excédent en tant que co-auteur de l'acte dommageable et n'aurait aucun recours pour obtenir une contribution de la part du Leecliffe Hall, encore une fois à cause de l'application de l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il ne peut y avoir (et je suppose que c'est l'argument de M. Brisset) aucune action indirecte à l'encontre de l'employeur couvert par la Loi des accidents du travail à cause de l'art. 15 de cette loi. Paraphrasant l'art. 7 de la Loi des accidents du travail du Québec,. les termes employés, selon l'avocat des demanderesses, envisagent trois situations et devraient être interprétés comme suit: 1. Si un accident survient à un ouvrier dans des circonstances telles qu'elles lui donnent droit à une action contre une personne autre
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 911 que son employeur, personne qu'il nomme «étranger», l'ouvrier (s'il est lui-même une victime innocente de l'accident ou s'il est solidaire-ment responsable avec létranger» a droit à, a) intenter une action contre l'étranger, ce dernier étant auteur d'un dommage qu'il soit entièrement ou en partie responsable de l'accident, et se faire dédommager en totalité par ce dernier, si lui, l'ouvrier, est une victime innocente, ou d'une proportion correspondant à l'acte négligent de l'étranger si l'ouvrier lui-même était partiellement en faute, ou, b) réclamer une compensation à son employeur que ce dernier soit ou non aussi partiellement responsable de l'accident. 2. Si le montant des dommages-intérêts que l'étranger verse à l'ouvrier est moins important que le montant de la compensation qu'il serait en droit de recevoir de son employeur, et ceci risque d'arriver si l'ou-vrier était partiellement responsable par exemple, alors il peut récla-mer une compensation pour la différence à son employeur qui natu-rellement, ne peut pas réclamer de contribution à l'étranger pour la compensation supplémentaire à payer. 3. Si l'ouvrier décide de réclamer une compensation à son employeur, ce dernier est subrogé pleno jure dans tous ses droits pour demander des dommages-intérêts et pour, en son propre nom ou en celui de son ouvrier, engager des poursuites contre la personne responsable de l'accident pour se faire dédommager par cette dernière de la tota-lité de la compensation versée. L'avocat des demanderesses soutient que l'expression «la personne res-ponsable de l'accident» ne peut désigner que la personne entièrement respon-sable de l'accident, car autrement, dit-il, comment l'étranger peut-il être qua-lifié de «personne responsable» si l'accident était causé par la négligence conjointe de l'employeur et de l'étranger? Dans ce cas, si l'accident est partiellement à la négligence de l'em-ployeur et, étant donné que sa négligence a pu être plus importante que celle de l'étranger, l'employeur, étant subrogé dans tous les droits de son ouvrier innocent, pourrait se faire dédommager de la totalité des dommages-intérêts que l'ouvrier lui-même aurait pu obtenir de l'étranger. Ceci, selon M. Brisset ne peut pas être le résultat que le Parlement envisageait car, dans le cas d'un accident causé à un ouvrier par la négligence conjointe de l'employeur et d'un étranger, l'étranger devrait payer la totalité des dommages-intérêts à l'ouvrier si ce dernier choisissait de lui demander des dommages-intérêts ou devrait rembourser l'employeur du montant total de la compensation versée si l'ou-vrier choisissait de demander une compensation. L'avocat des demanderesses souligne qu'il y a une différence dans le libellé du par. (1) et du par. (3) en ce qui concerne «l'étranger». Le par. (1) parle «d'une action contre une personne» et le par. (3) parle de «une action contre la personne responsable». Il soutient aussi que, comme il a été jugé dans l'affaire Mingarelli v. Montreal Tramways Co.16, la subrogation dans l'art. 7(3) de la Loi est une dérogation au droit commun et doit être interprétée de manière stricte. Par ' [1959] R.C.S. 43.
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 913 conséquent, il conclut que l'art. 7 dans son ensemble, et le par. (3) en par-ticulier, prévoit une action en indemnité pour l'employeur qui réclame le remboursement complet auprès de l'étranger auteur du dommage lorsque l'employeur est innocent et non pas une action par laquelle il réclame le rem-boursement partiel ou égal à la moitié par contribution de l'étranger quand ce dernier et l'employeur sont tous deux conjointement et solidairement auteurs du dommage. M. Brisset admet que la contribution dans sons sens le plus large est une forme d'indemnité, mais il soutient que l'indemnité, dont fait état l'art. 7 doit être considérée isolément et en elle-même comme «un déplacement de la perte totale» par rapport au «partage de la perte» dans le cas de la contribution per se. L'article 7 par. (3), dit-il, traite seulement de la subrogation, mais comme subrogation et indemnité sont inextricablement liées, l'action que le subrogé est en droit d'engager contre l'étranger fautif est une action en indemnité totalement distincte d'une action demandant à un étranger fautif une contribution au versement de dommages-intérêts à l'ouvrier. C'est pour-quoi, dit-il, l'utilisation du mot «subrogation» dans le sens d'indemnisation restreint le droit de l'employeur à intenter une action et à recouvrer seulement le montant versé en compensation. Il ajoute que la subrogation est un moyen de droit qui permet de faire valoir un droit plus large que celui de la contribution qui implique seulement un paiement proportionnel. Un subrogé, dit-il, a droit à l'indemnité totale et pas seulement à la contribution. Par conséquent, l'avocat des demanderesses conclut que si son interpré-tation de l'art. 7(3) de la Loi des accidents du travail du Québec est juste, les propriétaires du Leecliffe Hall ne peuvent pas invoquer les dispositions de l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada pour recouvrer la moitié de la compensation qu'ils ont versée aux parties requérantes en raison des décès et des blessures corporelles, car l'art. 650 ne prévoit que le cas les propriétaires d'un navire partiellement fautifs ainsi que les pro-priétaires d'un autre navire à la suite d'une collision entre leurs navires res-pectifs, sont poursuivis en dommages-intérêts pour décès ou blessures corpo-relles des requérants qui ont subi et payé de tels dommages. Dans ce cas, ils ont alors le droit de recouvrer des propriétaires de l'autre bâtiment, co-auteur des faits dommageables, une contribution aux dommages-intérêts égale. à la part de négligence des propriétaires de cet autre bâtiment. Toutefois, dans l'affaire présente, les propriétaires du Leecliffe Hall n'ont pas été poursuivis en dommages-intérêts, à la suite des décès et des blessures corporelles, par les requérants, en fait, ils ne pouvaient pas être poursuivis car l'art. 15 de la Loi des accidents du travail du Québec écarte ou interdit un tel recours. On pouvait seulement exiger qu'ils paient et en fait on exigea qu'ils paient la compensation. L'avocat de la demanderesse donne ensuite au terme «compensation» un sens limité en ce qu'il peut seulement signifier, dit-il, «une réparation pécuniaire accordée selon une échelle établie, dans le but assigné par la Loi, et non pas, des dommages-intérêts en compensation d'une rupture de contrat ou d'un délit, recouvrable par une action en justice». Il s'appuie aussi pour donner cette interprétation sur le fait que la Loi elle-même différencie «les dommages-intérêts» de la «compensation» quand elle dit que l'ouvrier peut soit demander une compensation à son employeur, soit
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 915 intenter contre une personne une action qui peut seulement être une action en dommages-intérêts fondée sur le préjudice même si le mot «dommage» n'est pas utilisé. En abordant le premier argument de l'avocat, je dois dire que plusieurs de ces affirmations de principe sont loin d'être certaines. Par exemple, l'affirmation selon laquelle, dans le cas les navires sont tous les deux fautifs et les parties requérantes ont poursuivi l'Apollonia pour la totalité des dommages-intérêts en considérant que l'Apollonia était conjointement et solidairement auteur du dommage, elles auraient le droit de se faire dédom-mager de la totalité des dommages-intérêts par l'Apollonia, ne serait pas valable si l'on se réfère à une décision de la Cour d'appel du Québec 17, et l'assertion selon laquelle si l'Apollonia avait payé la totalité des dommages-intérêts aux parties requérantes, il n'aurait pas le droit de se faire dédom-mager d'une partie des dommages-intérêts versés aux parties requérantes par le Leecli/fe Hall serait inexacte si l'on se réfère à une autre décision de la Cour d'appels$. Je ne dis pas que je souscrirais entièrement aux décisions susmentionnées mais il n'en est pas moins vrai qu'il y a à présent certaines divergences d'opinion en ce qui concerne ce qui arrive à une personne qui est blessée ou qui meurt à la suite de la négligence conjointe de l'employeur de la victime et d'un tiers ou d'un étranger. Pour l'instant, je n'ai pas à me prononcer sur l'exactitude des affirmations des demanderesses, je vais sim-plement dire que les problèmes soulevés dans les présentes sont principale-ment dus aux difficultés impliquées par le partage de responsabilité entre l'employeur de la victime et un tiers ou étranger quand ils sont tous les deux responsables d'un accident 'dans un cas , comme ici, l'employeur est assujetti à la Loi des accidents du travail. Selon le droit commun et dans leur rapport, ils seraient tous les deux tenus des dommages-intérêts selon le pourcentage de leur faute. Mais, ici, en ce qui concerne l'employeur, nous avons affaire avec un accident du travail qui doit être traité conformé-ment à la législation spéciale de la Loi des accidents du travail du Québec. En effet, nous avons ici deux méthodes basées sur deux concepts différents pour traiter les revendications. La solidarité ou l'obligation in solidum à laquelle les co-auteurs de dommages sont quelquefois soumis, est une garantie donnée à la victime pour assurer qu'elle obtiendra réparation de l'un ou l'autre des co-auteurs, en dépit de l'insolvabilité de l'autre. Cette règle crée des difficultés quand il s'agit d'un accident du travail occasionné par un tiers et l'employeur à la fois. En effet, comment les principes de la Loi des accidents du travail peuvent-ils se concilier avec la règle de la solidarité 17 Universal Pipeline Welding Co. v. McKay [1969] B. R. 777 dans laquelle il était jugé que, «Le tiers ne peut, par conséquent, être tenu responsable que de la proportion des dom-mages imputables à sa propre faute en considérant qu'il ne peut y avoir aucune solidarité quand l'un des auteurs de l'accident est un employeur qui tombe sous le coup de la Loi des accidents du travail. '2 Voir Les Religieuses de la Présentation-de-Marie v. Gauthier [1969] B. R. 48, dans laquelle un tiers poursuivi par la victime d'un accident est autorisé à appeler en garantie l'employeur de la victime qui était couvert par la Loi des accidents du travail. Je me dois de dire que le juge en chef Tremblay n'était pas d'accord et jugea que ceci n'était pas possible car on ne pouvait pas faire indirectement ce que l'art. 15 de la Loi des accidents du travail interdisait nettement de faire directement et se référait à un dictum similaire prononcé par le juge Cartwright dans l'affaire Cauchon v. Commissaire des accidents du travail du Québec [1964] R.C.S., p. 395 à 400.
[1970] R.C.É. MARGRANDL ET AL v. LEECLIFFE 917 entre les co-auteurs d'un délit ou d'un quasi-délit? Le tiers responsable d'un délit ou d'un quasi-délit doit dédommager la victime de la totalité du préjudice subi en raison du délit ordinaire que lui et l'employeur ont commis, alors que ce dernier doit simplement verser une cotisation annuelle s'il tombe sous le coup de l'annexe I de la Loi ou_ une compensation s'il tombe sous le coup de l'annexe II. La répartition de la responsabilité pour un accident, entre plusieurs personnes, ne devrait normalement concerner que les rapports des co-débiteurs entre eux et ne devrait pas affecter l'obligation de l'un d'eux envers la victime. Le motif donné dans quelques-unes des décisions du Québec qui refu-saient d'appliquer la solidarité, est que le recours de la victime contre le tiers et celui qu'elle a contre l'employeur, n'ont pas la même cause juridique, ou ne dérivent pas de la même cause juridique. Avec déférence, je dois dire qu'à mon avis, cette affirmation n'est pas exacte. Il est inexact de dire que les recours d'une victime contre le tiers responsable et contre l'employeur n'ont pas la même cause juridique. Dans les deux cas, la cause du recours de la victime est la réparation du préjudice occasionné par l'employeur et par le tiers par le même accident. Je crois qu'il est plus exact de dire que la solidarité de l'employeur est exclue à cause des conditions particu-lières de la Loi des accidents du travail. En effet, la solidarité suppose que chacun des co-auteurs du délit soit personnellement et pécuniairement responsable envers la victime. Cependant, l'employeur, en vertu de la Loi des accidents du travail, n'est pas personnellement ou pécuniairement responsable envers la victime. Il se libère de toutes ses obligations en versant des cotisations ou la compensation. Par conséquent, il ne peut pas être tenu solidairement responsable d'une dette qu'il ne doit pas et d'un paiement pour lequel le fonds se substitue à lui. En outre, l'un des effets principaux de la solidarité qui est de protéger contre l'insolvabilité de l'un des co-auteurs, n'est plus aussi nécessaire qu'elle le serait dans un cas régi par la Loi des accidents du travail car la solvabilité du fonds jusqu'à un certain montant, en tout état de cause, ne peut pas être mise en doute. D'autre part, l'application de la solidarité à l'obligation d'un tiers par-tiellement responsable d'un accident, couvert par la Loi des accidents du travail, devrait lui ouvrir un recours contre l'employeur, co-auteur de l'accident, mais ce recours, en fait, irait à l'encontre de l'art. 15 de la Loi des accidents du travail. Les co-auteurs d'un accident, quelles que soient leurs obligations envers la victime ou la manière dont ils doivent s'en libérer, sont responsables pour une seule et même chose; ils doivent dédommager ou réparer le préjudice subi. La manière dont ils se libèrent de leur obligation ne devrait pas modifier la nature de leur dette entre eux et qu'ils le fassent à titre personnel, par l'intermédiaire d'une compagnie d'assurance ou de la Commission des accidents du travail, ils devraient toujours être tenus de la même obligation. S'il n'y a pas de solidarité, la victime en pâtit car, si le dommage est plus grand que les indemnités prélevées sur le fonds de compensation ou que la contribution du tiers, elle ne sera pas totalement dédommagée. S'il n'y a pas de solidarité, les prérogatives accordées à l'employeur en vertu de la Loi profite-
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 919 raient au tiers co-auteur de l'accident. En effet, il bénéficie indirectement d'une disposition qui n'était prévue pour lui. Si tel est le cas, pourquoi ne devrait-on pas appliquer la solidarité unilatéralement. En effet, le tiers res-ponsable devrait-il être protégé au détriment de la victime? D'autre part, si on admettait que la règle habituelle de la solidarité pro-duisit son effet, les intérêts de la victime seraient sans aucun doute protégés mais ceux du tiers ou étranger ne le seraient pas car il ne pourrait pas de-mander à l'employeur, co-auteur du préjudice, le montant correspondant à la responsabilité de ce dernier. Comme dans tous les cas les principes habituels régissant la solidarité seront affectés, la question fondamentale est de savoir qui devrait être protégé et il n'est pas facile d'y répondre. Je crois que ceci explique pourquoi il y a quelques discordances entre les décisions rendues au Québec sur ce point. La réponse à ce problème est peut-être bien que la solidarité ne devrait pas s'appliquer dans un cas comme celui-ci. Il existe des raisons suffisantes pour adopter une telle solution, car dans ce cas si on applique ce principe, le tiers, responsable par exemple d'une part minime de la responsabilité, pour-rait être appelé à payer le montant total sans aucun recours possible ( alors que normalement, il serait recevable à le faire en droit commun), contre le principal fautif, l'employeur, bien que, naturellement si ce dernier était insolvable, il paierait le montant total. Une situation toute aussi inéquitable résul-terait d'un recours intenté par ce même employeur qui a payé la compensation en vertu de la Loi des accidents du travail et qui, après s'être abrogé aux droits de la victime, intente une action contre le tiers pour le montant total de la compensation. En adoptant une telle attitude, c'est-à-dire en refusant d'appliquer la subrogation, il semble qu'on atteigne un résultat plus équitable et que le problème soit résolu de façon plus pratique. En effet, il n'y aurait aucune injustice, si on acceptait que, lorsqu'une victime a un recours contre un employeur protégé par la Loi des accidents du travail, l'employeur, la Commission ou la victime ne peuvent jamais réclamer plus au tiers que la part pour laquelle ce dernier est responsable. Ceci supprimerait le recours injuste d'un employeur subrogé aux droits de la victime et demandant à un tiers un montant correspondant à un pourcentage de la réclamation excédant de beaucoup la responsabilité du tiers. Si on n'avait pas recours à la solida-rité, il ne serait désormais plus nécessaire qu'un tiers, poursuivi pour la totalité du montant, essaye de se faire dédommager par l'employeur, co-auteur, du montant correspondant à la responsabilité de ce dernier, comme on l'avait accordé dans l'affaire Les Religieuses de la Présentation-de-Marie v. Gauthier, précitée. Je ne vois rien dans les termes utilisés dans l'art. 7(3) de la Loi des accidents du travail qui empêche d'adopter la solution décrite ci-dessus pour un recours fait en vertu des art. 649 et 650 de la Loi de la marine marchande du Canada. Il me semble que cela éviterait un certain nombre de résultats absurdes que le Parlement n'a pas pu vraisemblablement vouloir. D'une part, nous sommes en présence de principes concernant les actes préjudiciables ou délits établis par la Loi sur la marine marchande du Canada, en vertu de laquelle, si deux personnes causent par leur faute des blessures corporelles: a) dans leur rapport entre elles et avec la personne blessée, elles sont conjointement et solidairement responsables (art. 649), et
[1970] R.C.A. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 921 b) dans leur rapports réciproques, elles sont responsables des dommages- intérêts selon la gravité de leur faute respective (art. 650). D'autre part nous sommes en présence de la Loi des accidents du travail, selon laquelle, lorsqu'un ouvrier est blessé: a) il a le droit d'être indemnisé quelle que soit sa faute et celle de son employeur d'une somme déterminée légalement ou d'un montant versé par son employeur prélevé sur un fonds auquel son employeur contribue, et b) son employeur n'est pas tenu de payer, en ce qui concerne ses bles-sures, une somme autre que celle qui a été déterminée par la Loi, quelle que soit sa faute. Le but de cette Loi étant de favoriser les employés et leurs employeurs, et non pas de favoriser le tiers fautif, la Loi des accidents du travail prévoit aussi: a) que l'ouvrier peut, au lieu de demander une compensation en vertu de la Loi, intenter une action en dommages-intérêts contre une per-sonne autre que son employeur qui lui a causé des blessures (art. 7(1) ) et alors, s'il est moins dédommagé à la suite de son action en dommages-intérêts qu'il ne l'aurait été par la compensation fixée par la Loi, il recevra la différence de son employeur ou elle sera pré-levée sur le fonds (art. 7(2)), et b) que, si l'ouvrier demande une compensation en vertu de la Loi, l'em-ployeur, (ou le fonds) peut exercer le droit de l'ouvrier d'intenter une action en dommages-intérêts contre le tiers qui a causé les dommages. Dans le cas présent, il est évident que, s'il n'y avait pas eu de Loi des accidents du travail, l'employé aurait pu poursuivre soit les demanderesses soit son employeur pour la totalité des dommages-intérêts et ceux-ci auraient payé chacun une moitié du montant. Il s'ensuit que, si les articles détaillés de la Loi des accidents du travail, comme je l'ai souligné, traduisent bien l'objet de cette dernière, l'obligation de verser une compensation remplace finalement l'obligation délictuelle de l'employeur pour sa part des dommages-intérêts de l'employé. Ils ne devraient pas avoir pour effet de libérer le tiers d'une partie des dommages-intérêts pour lesquels il serait autrement responsable et ils ne devraient pas non plus le rendre responsable d'un montant de dommages-intérêts supérieur à celui dont il serait autrement responsable. A première lecture, toutefois, il semblerait que les dispositions détaillées de la Loi des accidents du travail prévoient ces deux possibilités suivant le moyen d'action choisi. Si l'employé poursuit dans le premier cas le tiers, il reçoit le montant total des dommages-intérêts du tiers et le tiers ne peut pas en récupérer auprès de l'employeur car il en est empêché par la deuxième partie de l'art. 650 associé à l'art. 15. Il en résulte que le tiers est tenu pour la totalité des dommages-intérêts. Si l'employé demande une compensation et que l'employeur exerce le droit de l'employé de poursuivre le tiers, l'employeur se fait dédommager
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 923 de la totalité des dommages-intérêts versés à l'employé par le tiers et le tiers ne peut rien récupérer auprès de l'employeur à cause de la même combinai-son de dispositions. Il en résulte à nouveau que le tiers est tenu de la totalité des dommages-intérêts. A mon avis, telle n'était pas l'intention de la Législature quand elle adopta la Loi des accidents du travail. De même que la Législature n'enten-dait pas que le droit à compensation selon la Loi ait pour effet de réduire les dommages-intérêts payables par le tiers fautif, comme la Cour suprême du Canada l'a décidé dans l'affaire Le Roi v. Snell19 bien que la loi ne le dise pas, de même j'estime que la Loi des accidents du travail ne devrait pas être interprétée comme imposant une responsabilité générale plus grande pour les blessures d'un employé à un tiers que celle qui aurait existé s'il n'y avait pas eu de Loi. L'article 15 ne devrait donc pas être interprété comme ayant pour effet de poser une fin de non-recevoir à une demande faite par un tiers en vue d'obtenir la contribution de l'employeur en vertu de l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande quand le tiers a non seulement payé au blessé la part des dommages-intérêts pour laquelle il est finalement responsable mais aussi la part pour laquelle l'employeur est en fin de compte responsable en tant que fautif. De même, l'art. 15 ne devrait pas avoir pour résultat bizarre de permettre à un fautif de se faire dédommager, en son propre nom ou en celui d'un autre, par le co-auteur de la faute, non seulement de la part des dommages-intérêts pour laquelle le co-auteur de la faute est responsable mais aussi de la part des dommages-intérêts pour laquelle il est lui-même respon-sable. A mon avis, il n'est pas nécessaire de restreindre, comme le suggéraient les demanderesses, le terme «compensation» de l'art. 7(3) uniquement au sens d'une aide pécuniaire accordée selon l'échelle établie en vertu de la Loi. Bien sûr, il revêt ce sens mais il doit et en fait signifie l'excédent que selon la même Loi, le requérant peut être en droit de réclamer puisqu'il s'agit aussi d'une part de sa compensation. Il pourrait aussi signifier l'indemnité, à la-quelle la victime d'un accident peut avoir droit à titre de dommages-intérêts, qu'elle a cédée et qui peut alors être recouvrée par les propriétaires d'un navire «par voie de contribution» selon l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada, mais seulement dans la mesure les propriétaires peuvent, selon cet article, réclamer une contribution et uniquement pour le montant qu'ils sont en droit de réclamer. L'expression «contre la personne responsable» de l'art. 7(3) de la Loi. des accidents du travail ne signifie pas, à mon avis, qu'un procès puisse être intenté seulement quand cette personne est entièrement responsable. En effet, cet article ne dit pas «cette personne «seule» ou «seulement»». En effet, je restreindrais injustement le sens des termes utilisés dans cet article si je jugeais, comme le suggèrent les demanderesses, que l'action légale par subrogation, prévue à l'art. 7(3), peut seulement être intentée quand «la personne responsable» est entièrement responsable et quand il n'y a aucune responsabilité du côté de l'employeur. Ces termes se rapportent simplement à «une personne autre que son employeur» dans l'art. 7 par. (1) il appert clairement que la personne envisagée peut être l'une des nom-breuses personnes ou toute personne contre lesquelles un ouvrier peut inten- " [1947] R.C.S. 219.
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 925 ter une action. «La personne responsable» désigne celle qui est responsable selon le droit commun de la responsabilité. Il est même concevable qu'il y ait plusieurs tiers impliqués dans un seul accident qui puissent tous être res-ponsables. On pourrait tous les poursuivre et, comme je l'ai souligné ci-dessus, il n'y aurait aucun des résultats injustes mentionnés par l'avocat des demanderesses, s'ils étaient seulement poursuivis pour leur part de responsabilité. Il me semble aussi que les termes utilisés dans ce paragraphe n'empêchent pas d'intenter une telle action. Le but de la Loi des accidents du travail est de protéger la victime d'un accident du travail en lui accordant, qu'elle soit en faute ou non, une compensation pour ses blessures. Elle détermine aussi la responsabilité de l'employeur sur une base fixe. Toutefois, comme le mentionne l'art. 13(2), elle «n'enlève aucun des recours de droit commun appartenant aux personnes qui ne sont pas assujetties à ses dispositions» et je pense ici au cas de «l'étranger» qui ne devrait pas être touché par la Loi. Si la Hall Corporation avait été poursuivie à l'époque elle n'était pas soumise à la Loi des accidents du travail, selon le droit commun (art. 1156 Civil Code), après avoir payé la totalité des réclamations (en suppo-sant qu'elle était en partie responsable), elle aurait eu le droit d'être subrogée par le seul mécanisme de la Loi. Alors, par une action récursoire, elle aurait pu se faire dédommager par les propriétaires de l'Apollonia de leurs parts et portions (art. 1118 Civil Code). En fait, ce droit subsiste encore malgré la subrogation contenue à l'art. 7(3) de la Loi des accidents du travail. Par conséquent, il s'ensuit que, quels que soient les termes utili-sés à l'art. 7(3) de la Loi des accidents du travail, et même si l'indemnité qui y est mentionnée devrait, comme le suggère l'avocat des demanderesses, être considérée isolément et pour elle-même comme «un déplacement de la perte totale» plutôt que comme «un partage des pertes», ceci, à mon avis, ne devrait pas empêcher un employeur qui a payé la victime confor-mément à ces dispositions de réclamer une «contribution» à un tiers pour sa part des dommages. Je dis ceci car, quel que soit le sens des termes utilisés dans cet article, ils ne peuvent pas affecter les droits de la Hall Corporation selon le droit commun, de réclamer le remboursement par voie de contribution en vertu de l'art. 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada pour la part de responsabilité de l'Apollonia. Dans l'affaire Universal Pipeline Co. v. McKay, il fut jugé qu'il ne pouvait y avoir de responsabilité conjointe et solidaire quand un accident du travail était imputable aux fautes communes de l'employeur ou du collègue de la victime et d'un tiers. Je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même pour la réclamation de la Hall Corporation contre l'Apollonia. En effet, rien n'empêche de permettre à la Hall Corporation de se faire dédommager par les demanderesses d'un montant représentant le degré de faute de ces dernières, en vertu des art. 649 et 650 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il est vrai que l'art. 649 (1) précise qu'il existe une responsabilité conjointe et solidaire envers la victime quand les deux navires sont en faute. Cependant, le recours ci-dessus devrait être considéré au sens de la Loi sur la marine marchande du Canada comme un recours en
E19701 R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 927' contribution de l'Apollonia, ce qu'il est en fait, même si la Hall Corporation est subrogée aux droits des victimes et elle aurait même pu intenter un'. recours en leurs noms. En fait, si l'on accepte le point de vue exprimé dans l'affaire Universal Pipeline Co. v. McKay, selon laquelle, à cause de la mise en oeuvre de la Loi des accidents du travail, la responsabilité de l'employeur cesse d'être, conjointe et solidaire par nature, il ne m'est alors pas difficile de décider aussi qu'il en est de même pour le tiers dont la faute a contribué à l'accident. Par conséquent, je dois conclure que les propriétaires de l'Apollonia ne sont pas seulement tenus envers les propriétaires de Leecli ff e Hall pour la moitié de la compensation que ces derniers ont payée mais aussi, (bien que je n'ai pas à décider sur ce point) que le montant correspondant à la responsabilité de l'autre navire peut bien être le seul qu'on puisse réclamer. J'en viens maintenant à la dernière prétention de la demanderesse selon laquelle même si les assertions ci-dessus sont vraies, il ne s'agirait plus d'une réclamation en dommages-intérêts pour pertes de vie ou blessures corporelles mais pour perte ou dommage imputable à une violation de droits et, par conséquent, elle devrait être prélevée sur le fonds d'indemnisation pour les biens pari passu avec toutes les autres demandes pour perte ou avarie de biens, plutôt que sur le fonds d'indemnisation pour blessures, décès et biens qui est plus élevé et qui permettrait de couvrir la réclamation dans sa totalité. L'avocat des demanderesses soutient que si l'Apollonia est tenu de payer au Leecliffe Hall la moitié de la compensation qu'il a versée, ce n'est pas parce que ce dernier s'est subrogé aux requérants réclamant pour les décès et blessures corporelles, ce qu'il n'est pas en droit de faire, à son avis, mais parce que la compensation qu'il avait versée était une perte découlant de la violation de ses droits directement imputable à l'abordage de même que les dépenses encourues pour la démolition de l'épave du Leecliffe Hall. Il fut obligé de se libérer d'une obligation légale ou d'une dette légale dont il n'aurait pas eu autrement à se libérer ou qu'il n'aurait pas eu à payer, mais qui pouvait être considérée comme imputable à la collision. Je ne pense pas que l'on puisse dire que les propriétaires du Leeclifje Hall en versant une compensation, en vertu de la Loi des accidents du travail du Québec, aux requérants à la suite des décès et des blessures corporelles, payaient simplement une dette légale et que leur recours actuel en subrogation est sans aucun lien avec le recours primitif des victimes ou de leurs représentants. A mon avis, la compensation versée par la Hall Corporation ne résultait pas seulement d'une violation de droits mais aussi d'une collision reconnue comme provoquée par la faute des occupants des deux navires. La compensation que les victimes ou leurs représentants ont reçue doit les dédommager des blessures ou des décès. La Loi des accidents du travail prévoit simplement une procédure de recouvrement par l'employé blessé ou les personnes à charge de l'employé décédé des dommages-intérêts et des compensations sans avoir à prouver la faute. A mon avis, elle ne modifie en rien la nature ou l'objet des demandes. Les articles 657 et 658 de la Loi sur la marine marchande du Canada distinguent clairement entre la responsabilité pour mort et blessure corpo-relle d'une part et perte ou avarie de biens ou violation de droits d'autre part.
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 929 On ne conteste pas que s'il y a eu, mort ou blessures corporelles, la responsabilité en dommages-intérêts (y compris les avaries de biens) s'élève à 3,100 francs-or par tonneau, alors que s'il y a eu seulement avarie de biens ou violation de droits, la responsabilité s'élève à 1,000 francs-or par tonneau. Ce serait, en effet, une étrange anomalie et une injustice flagrante, si les propriétaires d'un bâtiment fautif pouvaient se libérer quel que soit le nombre de personnes tuées ou blessées simplement parce que ces dernières ou les personnes à charge avaient choisi d'obtenir une compensation en vertu de la Loi et n'avaient pas intenté d'action pour l'excédent. En effet, si la thèse des demanderesses était exacte, cela signifierait que même si leur navire l'Apollonia était seul en faute, la limite de la respon-sabilité serait celle relative aux avaries de biens uniquement. On peut aussi se demander quelle serait la situation si la Hall Corporation avait été un simple participant en vertu de l'annexe I et n'avait pas versé la compensation au fonds comme elle l'a fait ici. Si, le cas échéant, la Commission poursuivait les propriétaires de l'Apollonia, ces derniers pourraient-ils limiter leur responsabilité pour avarie de biens et sinon, pourquoi devrait-il en être différemment pour la Hall Corporation simplement parce qu'elle tombe sous le coup de l'annexe II? A mon avis, le paiement du montant versé en compensation aux victimes ou à leur famille par la Hall Corporation est simplement une manière d'indemniser les victimes. Les recours étaient présentés à cause de mort et de blessures et le fait qu'ils aient été accueillis grâce à la procédure citée, ne peut pas avoir changé leur nature si ces recours ont été exercés en vertu des art. 649, 650, 657 et 658 de la Loi sur la marine marchande du Canada. C'est un recours pour cause de décès ou de blessures même si celui qui l'a fait valoir est subrogé au droit des requérants primitifs. Par conséquent, il s'ensuit que la réclamation de la Hall Corporation de la compensation versée aux requérants blessés ou décédés, devrait être considérée comme un recours pour cause de décès ou de blessures et payé en conséquence. J'en arrive maintenant aux conclusions demandées dans la présente affaire. L'avocat des demanderesses soutient que, sur production d'une preuve suffisante, la cour devrait déclarer que les demanderesses ont le droit de limiter leur responsabilité conformément aux dispositions de l'art. 657 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Elles demandent aussi qu'une décision soit rendue selon laquelle elles ne seraient pas responsables de toutes les pertes ou avaries de biens ou de la violation de droits pour une somme excédant $693,333.64 avec un intérêt de 5% à compter de la date de la collision jusqu'à celle à laquelle le montant de l'obligation limitée de la demanderesse sera versée à la cour ou à laquelle cette décision sera rendue selon le dernier des deux événements. Elles suggèrent que cette décision soit rendue immédiatement et qu'elle soit publiée dans un certain nombre de journaux afin de permettre à tout requérant de se faire connaître pour obtenir sa part, s'il y a droit, du fonds limité. Telle est, en effet, la procédure suivie au Royaume-Uni, , toutefois, une procédure assez compliquée est prévue (dans l'Ordre 75 règles 37, 38, 39, 41 des Rules of The Supreme Court (Angleterre)) pour permettre aux requérants de comparaître, de déposer leur réclamation, et même de faire annuler la décision (0. 75 r. 39 (1) et (3)) .
[1970] R.C.E. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 931 Nous n'avons pas de procédure semblable dans ce pays. Nous n'avons que l'art. 658 de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui traite simplement de la question de la limitation et de la répartition du fonds limité et qui n'en décrit pas la procédure: 658. (1) Lorsqu'il est allégué qu'une responsabilité a été encourue par le propriétaire d'un navire relativement à la mort ou à des blessures corporelles, ou à la perte ou l'avarie de biens ou à violation de tout droit, à l'égard desquels sa responsabilité est limitée par l'article 657, et que plusieurs réclamations sont faites ou appréhendées relativement à cette responsabilité, juge de la Cour de l'Échiquier peut, à la requête dudit propriétaire, fixer le montant de la responsabilité et répartir ce montant proportionnellement entre les différents réclamants; ce juge peut arrêter toutes procédures pendantes devant une cour relativement à la même affaire et procéder de la façon et sous réserve des règlements que la cour juge convenables, pour rendre les personnes intéressées parties aux procédures, pour exclure tous réclamants qui ne se présentent pas dans un certain délai, pour exiger des garanties du propriétaire quant au paiement des frais. 1 a) Un juge de la cour, en faisant une répartition sous le régime du para-graphe (1), lorsque des réclamations sont présentées visant la mort ou des bles-sures corporelles, la perte ou l'avarie de biens, ou la violation de quelque droit, doit répartir proportionnellement, parmi les divers réclamants, le montant auquel a été fixée la responsabilité, ainsi qu'il suit: a) vingt et un trente et unièmes du montant doivent être affectés au paiement des réclamations relatives à la mort et aux blessures corporelles; et b) dix trente et unièmes du montant doivent être affectés au paiement des ré-clamations relatives à la perte ou l'avarie des biens ou à la violation d'un droit quelconque, et à la satisfaction du reste des réclamations relatives à la mort ou aux blessures corporelles qui demeurent impayées après la répartition du montant y affecté aux termes de l'alinéa a). (2) Le président ou le juge puîné de cette Cour, au lieu d'exercer person-nellement les pouvoirs que lui confère le paragraphe (1), peut par ordonnance de sa cour, déléguer à un juge de district en amirauté de cette cour le pouvoir de fixer, comme il est susdit, le montant de la responsabilité, sur quoi ce juge de district peut procéder comme s'il était le juge, et exercer les pouvoirs du juge auquel a été présentée la requête du propriétaire. (3) En répartissant selon le présent article le montant auquel a été fixée la responsabilité du propriétaire du navire, la cour peut, compte tenu de toute réclamation qui peut subséquemment être établie devant un tribunal hors du Canada relativement à cette responsabilité, remettre à plus tard la répartition de la partie du montant qu'elle estime appropriée. (4) Aucun privilège ni autre droit à l'égard d'un navire ou d'un bien quel-conque ne peut modifier les proportions selon lesquelles le montant est réparti par la cour sous le régime du présent article entre les divers réclamants. Il ressort de cet article que la décision rendue par le juge de la Cour de l'Échiquier qui établit le montant de l'obligation du propriétaire du navire et qui répartit ce montant entre les différents requérants est un jugement définitif20 . Ceci, en effet, est tout à fait différent de la procédure adoptée au Royaume-Uni dans laquelle l'ordonnance est prise immédiatement et les requérants peuvent, selon les règles, venir déposer leurs réclamations, pendant la période de publicité, attaquer l'ordonnance prise et même soulever la question de savoir si tous les événements qui ont provoqué la collision 80 Cf. art. 82(5) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier: 82.... (5) Un jugement est définitif pour les fins du présent article s'il détermine les droits des parties, sauf quant au montant des dommages-intérêts ou au montant de la responsabilité.
[1970] R.C.A. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 933 se sont produits avec la complicité ou la faute des propriétaires du navire. On ne dispose d'aucune procédure semblable selon nos règles, et il me semble qu'un jugement formel ne peut être réformé dans ce pays que par un appel. Si telle est la situation, il me semble que la procédure suivie au Royaume-Uni, ne peut pas l'être dans notre pays. Si, en effet, le jugement qui est demandé, ne peut pas être attaqué autrement que par un appel, il faudra s'assurer, avant que la décision définitive soit rendue, que tous les requérants en droit de réclamer ou de contester le droit de la demanderesse de limiter sa responsabilité, aient la possibilité de venir exposer leur droit et de contester le droit de la partie cherchant à obtenir la limitation, ou même celui des autres requérants de réclamer l'indemnité versée par le fonds. On peut y parvenir en permettant aux demanderesses de faire annon-cer par voie de la presse leur intention d'obtenir une décision afin de limiter leur responsabilité et de faire appel à tous les requérants qui ont une requête à déposer, et ce, pendant un délai suffisamment long pour leur permettre de le faire, en ne perdant pas de vue que nous avons affaire dans un cas comme celui-ci à des requérants (armateurs, cargaisons, marins et passagers) qui peuvent vivre, et la plupart du temps c'est le cas, dans différentes parties du monde. En Angleterre, le délai accordé pour déposer sa requête est de deux mois, et il ne me semble pas que dans la plupart des cas, un tel délai soit excessif. Par conséquent je vais m'abstenir à ce point, de rendre l'ordonnance demandée ou même de rendre un jugement sur les questions en litige soulevées par cette action en justice jusqu'à ce que la décision pro-posée demandée par les demanderesses ait été publiée de la manière exposée ci-dessous, et que les requérants aient eu la possibilité d'enregistrer et de déposer leur requête ou d'attaquer le droit des demanderesses aux présentes, de limiter leur responsabilité ainsi que le droit de tout requérant de se pourvoir contre le fonds. En conséquence, la décision demandée par les demanderesses sera publiée par simple insertion dans deux quotidiens de Montréal l'un anglais, la Montréal Gazette, et l'autre français, La Presse de Montréal, identifiant l'action, l'accident et en outre, la situation des demanderesses (en qualité de propriétaires d'un navire impliqué dans l'accident ou autre suivant le cas), exposant que la décision proposée est demandée et spécifiant les montants fixés de ce fait comme limites de la responsabilité des deman-deresses et les divers recours intentés contre le fonds et en spécifiant que toute personne désirant exercer un recours, doit le faire dans les deux mois suivant la publication de l'annonce en comparaissant et en déposant une requête ou autrement en faisant valoir leur réclamation. Les demanderesses doivent, dans les deux mois donnés, déposer au greffe de Montréal, un exemplaire de chaque journal est parue l'annonce et un affidavit éta-blissant la conformité avec l'ordonnance. Les poursuites ultérieures intentées dans l'affaire enregistrée sous le n° 916 des registres du district d'amirauté du Québec de cette cour, dans lesquels les demanderesses actuelles sont défenderesses, et les défendeurs, la Hall Corporation of Canada et le capi-taine, les officiers et l'équipage du Leecli/fe Hall sont demandeurs et dans l'affaire n° 1069 dans les registres du district d'amirauté du Québec de cette cour dans lesquels la Bethlehem Steel Corporation est demanderesse et les demanderesses actuelles sont défenderesses, sont suspendues par les
[1970] R.C.É. MARGRANDE ET AL v. LEECLIFFE 935 présentes, et toute personne qui peut présenter des réclamations pour perte, avarie de biens ou violation de droits, imputables à ladite collision, peut déposer sa requête comme on l'a exposé ci-dessus, mais par les présentes ne peut intenter ou continuer d'autres poursuites au Canada contre lesdites demanderesses ou contre le navire à moteur Apollonia pour se faire dé-dommager des pertes ou des avaries.
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