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1 Ex C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 263 ENTRE : New Carlisle 1966 FLORENT GAGNÉ REQUÉRANT; —,—, août 17, 18 ET Ottawa SA MAJESTÉ LA REINE INTIMÉE. oct.24 CouronnePétition de droitRéclamation en dommages-intérêts contre la Couronne pour blessures corporellesChute sur trottoir à l'entrée d'un bureau de poste, propriété du gouvernement du Canada, mi-nistère des Travaux publicsAction positive et fautive de l'employé et préposé du ministère des Travaux publics du Canada, agissant dans l'exécution de ses fonctionsObligation et responsabilité du commet-tant, la CouronneManque de soins (nonfeasance) ou simple abstention de l'employé dans l'entretien du trottoir en questionR espon-sabzlzté de l'intimée sous la Loi sur la responsabilité de la Couronne, ch. 30, S. du C. 1952-53, articles 3(1)(a)(b) et 4(4)(5) Action main-tenue pour $9,729.75, avec dépens. Dans sa chute sur le palier recouvert de glace donnant accès aux marches du bureau de poste de Bonaventure, P.Q., propriété du gouvernement du Canada, le requérant se serait infligé, le 19 décembre 1964, «une fracture luxuation du cou du pied gauche» (sic). Au moment de l'accident, «l'entretien de ce bureau de poste et du trottoir y condui-sant incombait à Gérard Bourdages, employé et préposé du ministère des Travaux publics du Canada». 94066-111
264 1 R C. de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19671 1966 Jugé, Cet accident est non seulement au défaut d'entretien du palier et GAGNÉ du trottoir donnant accès au bureau de poste, mais également à la V. manoeuvre dangereuse du concierge Gérard Bourdages qui, par son LA REINE intervention fautive en déposant et piétinant de la neige mouillée sur le palier, augmenta le danger que constitue toujours une surface glacée, créant ainsi un état dangereux des lieux sans prendre les moyens nécessaires pour protéger les piétons contre ce danger. 2 L'action positive et fautive du préposé de l'intimée, dans l'exécution de ses fonctions, suffit pour entraîner la responsabilité de l'intimée pour les dommages subis par le requérant. 3 Il semble qu'une simple abstention (nonfeasance) ou manque de soins de la part d'un préposé ne peut disculper le commettant que si ce préposé n'a des devoirs qu'à l'égard de son employeur et aucun devoir envers les tiers Priver quelqu'un par incurie d'une aide ou assistance doit être considéré comme lui infligeant un tort plutôt que lui refusant un bienfait ou avantage, et c'est d'ailleurs ce que paraît avoir décidé la Cour suprême du Canada dans Crossman v. The King (1952) R.0 S. 571 à 603. 4 La faute positive que le préposé de l'intimée a commise en piétinant de la neige mouillée, comme il l'a fait, sur une surface glacée, a entraîné sa responsabilité en même temps que celle de son commettant pour les dommages éprouvés par le requérant. 5 La blessure, dans le présent cas, n'ayant pas été causée par la neige ou la glace ni par la neige accumulée par suite d'une tombée ou d'une glace formée à la suite de conditions climatériques normales, tel que prévu par l'article 4, sous-paragraphes 4 et 5 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, mais bien par une situation créée par la main de l'homme, soit l'intervention fautive du préposé de l'intimée, l'omission de donner l'avis selon l'article 4, sous-paragraphe 4, dans les 7 jours après la naissance de l'action n'est pas fatale. 6 D'ailleurs, le défaut d'avis ne semble pas avoir pré]udicié d'aucune façon 'à la défense de la Couronne; son préposé ayant eu connaissance de la chute du requérant, de même que le maître de poste, qui a déclaré avoir été informé de l'accident le lendemain. 7 L'argument de part et d'autre ayant porté sur la cause d'action découlant de la faute positive du préposé de l'intimée ayant eu pour effet de créer un état dangereux des lieux, permission est donnée d'amender la pétition de droit de façon à y inclure cette cause d'action. 8. Action maintenue pour $9,729.75, avec dépens PÉTITION DE DROIT pour dommages subis par suite de blessures corporelles. Lucien Grenier, c.r. pour le requérant. Raymond Roger pour l'intimée. NOËL J.:—Par sa pétition de droit, le requérant, un in-stituteur domicilié à Bonaventure, dans les comté et district de Bonaventure, P.Q., représente que se rendant au bureau de poste de Bonaventure, le 19 décembre 1964 vers les 7:45 heures de l'après-midi, il aurait fait une chute sur le palier qui précède immédiatement les marches qui con-
1ExCR. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 265 duisent à l'entrée du bureau de poste à cet endroit et se 1966 serait infligé «une fracture luxuation du cou du pied GAGNÉ gauche». (sic) V. LA REINE Il allègue ensuite que «le bureau de poste et le trottoir y Noël J, conduisant appartenaient au Gouvernement du Canada, ministère des Travaux publics» et qu'au moment de l'accident, «l'entretien du Bureau de poste de Bonaventure et du trottoir y conduisant incombait à Gérard Bourdages, de Bonaventure, employé et préposé au ministère des Travaux publics du Canada». Le requérant allègue ensuite aux paragraphes 6, 7, 8 et 9 de sa pétition, les faits qui donnent lieu à la responsabilité de l'intimée comme suit: 6. Au jour dudit accident la présence de glace avait rendu le trottoir glissant et très dangereux. 7. L'accident ci-haut décrit fut causé par la faute, négligence, imprudence, manque de soins et précautions dudit Gérard Bourdages, alors en exercice de ses fonctions comme employé et préposé du Ministère des Travaux Publics, en ce qu'il a négligé de répandre du sable ou autres substances anti -dérapantes pour assurer la sécurité des usagers du bureau de Poste. , 8. L'accident fut aussi causé par la faute du Ministère des Travaux Publics, en permettant aux usagers du bureau de Poste de circuler sur un trottoir glacé, non recouvert de sable ou autres substances anti-dérapantes, et en laissant la garde et l'entretien dudit trottoir à un employé néghgent et incompétent, voir Gérard Bourdages. 9. L'Intimée est également responsable dudit accident et des dommages qui en résultent: a) à titre de commettant de Gérard Bourdages, b) à titre de propriétaire dudit trottoir. Le requérant soutient qu'avant l'accident il était en ex-cellente santé et gagnait, comme instituteur à l'École des Arts et Métiers de Bonaventure, un salaire annuel de $4,-800; qu'il a été dans un état d'incapacité totale jusqu'au 1e' avril 1965, a souffert d'une incapacité partielle tem-poraire de 50% jusqu'au 1" juin 1965 et demeure avec une incapacité partielle permanente de 18%, que les parties à l'enquête, par leur procureur respectif, ont cependant con-venu d'établir à 15%. Comme résultat de cet accident, il réclame de l'intimée une somme globale de $24,374.75, (l'addition cependant des sommes réclamées donne plutôt $24,384.75, soit $10 de plus), dont $784.75 pour frais médi-caux, dépenses pour intervention chirurgicale, dépenses de voyages à l'hôpital à Maria et à Québec, lequel montant fut admis par le procureur de l'intimée à l'enquête; $1,200 pour incapacité totale temporaire du 20 décembre 1964 au 1 avril 1965, soit trois mois à $400 par mois, que le requérant,
266 1 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1967] 1966 par l'entremise de son procureur à l'enquête, consentit à GAGNÉ réduire à l'équivalent du préjudice résultant de la perte V. LA REINE d'environ 60 à 65 jours de congé de maladie, puisqu'ayant accumulé ces jours de congé avant l'accident et ayant les Noël J. prendre à la suite de l'accident, la perte de ces journées de congé correspond au préjudice subi; la valeur de ces journées de congé de maladie se chiffre d'ailleurs à environ $1,200 si l'on s'en tient au revenu annuel du. requérant à la date de l'accident; $400 pour incapacité partielle tem-poraire de 50% du 1°' avril au 1°' juin à $200 par mois; ayant cependant reçu son plein salaire pendant cette péri-ode, il peut difficilement réclamer ce montant; $2,000 pour souffrances physiques, inconvénients, diminution de jouis-sance de la vie et, enfin, $20,000 pour incapacité partielle permanente. Le requérant en plus réclame une somme de $1,000, montant qu'il a consenti à réduire à $500, pour frais médi-caux à venir qu'il ne semble pas cependant avoir ajouté au montant global réclamé. A l'enquête, il fut permis au requérant d'amender sa pétition en ajoutant au paragraphe 14 de sa pétition les mots «et pour le préjudice lui résultant de la perte de ses jours de congé de maladie du 20 décembre au 1°` avril 1965» et en ajoutant les paragraphes 15(a) par lequel il réclame pour l'intervention future deux voyages à Montréal à raison de $100 le voyage soit la somme de $200, et 15(b) par lequel il réclame la perte de quatre mois de salaire à raison de $450 par mois, soit la somme de $1,800 pour quatre mois de perte de revenu à prévoir lors de l'intervention chirurgicale à venir; en effet, ayant déjà épuisé ses congés de maladie, il serait sans revenu pendant la période requise pour l'intervention à venir. Les frais médicaux suivants furent de plus ajoutés du consentement du procureur de l'intimée: Clinique St-Louis, $125; compte du D' Benoît Martin, $10 et compte du D' Louis-Philippe Roy, $10. Le requérant réclame donc de l'intimée, si l'on fait les corrections qui s'imposent, et en déduisant le $400 réclamé pour incapacité partielle temporaire, du 1°' avril au 1°' juin 1965, auquel il n'a aucun droit, une somme globale de $26,629.75 avec intérêts à compter de la production des présentes procédures, et les dépens. L'intimée d'autre part nie les reproches formulés à son égard et soutient que le requérant est tombé en face du
1 Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 267 bureau de poste de Bonaventure à un endroit qui n'était 1966 pas sa propriété ou sous son contrôle; que son terrain, GAGNÉ trottoir ou escalier, n'était pas dans un état dangereux au V. LA REINE ,moment de l'accident et que l'employé qui devait voir à Noël J. l'entretien des lieux a agi en bon père de famille compte tenu de la situation de ces lieux et des conditions clima-tériques. L'intimée allègue de plus qu'à tout événement, cet employé agissait du chef de Sa Majesté la Reine et non comme employé chargé de la sécurité des tiers. L'intimée soulève de plus le fait que Sa Majesté la Reine ne peut être recherchée en responsabilité vu que l'avis requis d'après la Loi sur la responsabilité de la Couronne (article 4, sous-paragraphes 4 et 5) n'a pas été donné. L'intimée allègue ensuite que l'accident et les dommages en résultant sont dus uniquement à la faute, négligence et inhabilité du requérant et plus particulièrement parce que a) il était distrait; b) il marchait trop rapidement vu les conditions de la température et la quasi-obscurité; e) il n'a pas pris les précautions nécessaires pour éviter une telle chute en raison des conditions climatériques qu'il connais-sait très bien. Elle soutient enfin que les dommages réclamés sont exagérés, ne correspondent pas à la réalité des blessures subies et que de toute façon il n'y a aucun lien entre le requérant et l'intimée. Le 19 décembre 1964 vers les 7:30 p.m., soit l'heure il présuma que le courrier était arrivé, Florent Gagné, se rendit en automobile au bureau de poste de Bonaventure. Il descendit de sa voiture et s'avança vers le bureau de poste. En posant son pied gauche sur le palier qui précède les marches conduisant à l'entrée du bureau de poste, son pied gauche glissa et se tordit à la cheville. Il tenta de ramener son pied droit pour reprendre son équilibre, mais en vain, car la chaussée était glacée et trop glissante et il fit une chute se cassant la jambe gauche. Il déclare qu'il se blessa d'abord lorsqu'il se tordit la cheville et se cassa ensuite la jambe au premier tiers inférieur en tombant. La surface il glissa et tomba était, d'après Gagné, non seulement glacée mais aussi raboteuse. Le pavé était, dit-il, «assez dangereux, il n'était pas lisse». Le requérant à ce moment portait, ce qu'on appelle couramment des bottes «après-ski» avec semelles anti-dérapantes. L'état de la chaussée tomba le requérant est aussi décrit par trois témoins,
268 1 R C de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1967] 1966 Réginald Fournier, Raymond Lambert et Roméo Forest, GAGNÉ qui étaient sur les lieux, aidèrent le requérant à se relever V. LA REINE et le transportèrent chez lui. Tous trois affirment que la surface du palier eut lieu l'accident était très glacée et Noël J. glissante. Fournier suivit le requérant au moment de sa chute. II confirme que Gagné est tombé à l'entrée du bureau de poste un peu avant d'atteindre les premières marches, sur un palier d'une longueur d'environ six à sept pieds, situé entre la rue et ces marches. Ce témoin n'a pas trop remarqué l'état du palier au moment de la chute de Gagné, parce qu'il s'occupa surtout à le relever et à le transporter chez lui. Il déclare, cependant, que l'après-midi du même jour, vers les quatre heures p.m., il était allé au bureau de poste et le palier était glacé à ce moment. Il se souvient qu'il y avait du sable sur les marches, mais ne se souvient pas qu'il y ait eu du sable sur le palier. Raymond Lambert au moment de l'accident était dans sa voiture stationnée du côté du bureau de poste, à environ 15 pieds de l'entrée. Il déclare avoir vu Gagné tomber et d'après ce qu'il a pu voir, il lui semble que c'est en posant son pied sur le palier que Gagné est tombé et lorsqu'il s'est affaissé par terre, il reposait sur le palier. Il a, à ce moment, en aidant Gagné à se lever, constaté l'état du palier. C'était, dit-il «très, très glacé; par après moi-même, en soutenant M. Gagné, j'ai moi-même perdu le pied. Je n'ai pas tombé, mais j'ai glissé en bas du palier ...il était très, très glissant». Il ne croit pas non plus avoir vu de sable ou de sel, ou autres anti -dérapants, sur le palier. Stationné devant le bureau de poste dix minutes avant l'arrivée de Gagné, il a pu, dit-il, constater que quelques personnes eurent de la difficulté à se tenir debout sur le palier est tombé Gagné. Roméo Forest eut connaissance également de la chute de Gagné. Il était dans sa voiture stationnée le long du rem-blai de ciment près des marches qui conduisent à l'entrée du bureau de poste et, par conséquent, à proximité du palier tomba Gagné, lequel palier, d'après le témoin, faisait «partie du talus du terrain du bureau de poste». Il est sûr que Gagné tomba sur le palier parce que, dit-il «la rue se trouvait en avant de mon char, lui était à ma gauche». Il constata aussi l'état glissant du palier parce que, dit-il, «en arrivant moi, j'étais allé au bureau de poste,
1 Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 269 la «malle» était pas finie pour Bonaventure, ça fait que je 1966 suis rentré, en descendant , j'ai remarqué qu'il était glis-GAGNÉ sant, parce que je me suis «ramassé» sur mon char». Ce e. LA REINE témoin déclare que pendant qu'il fut , plusieurs personnes Noël J. qui empruntèrent le palier pour se rendre ou revenir du bureau de poste eurent de la difficulté à y circuler et manquèrent de tomber. Maurice Arsenault arriva sur les lieux de l'accident peu après le départ de Gagné et constata à son tour l'état des lieux. D'après ce témoin, «l'entrée du bureau de poste, les abords de la rue ainsi que le premier palier étaient dans un état assez dangereux en ce sens que je ne sais pas, sur le palier même, je ne sais pas si ce sont les piétons qui avaient défoncé la glace avec leurs pieds, en marchant ou que cela avait été brisé avec une hache, mais j'ai remarqué que c'était très dangereux, c'était très glissant». Il est con-vaincu, dit-il, qu'il n'y avait pas de sable, parce qu'il fallait, dit-il, «surveiller on mettait les pieds pour ne pas glisser». Armand Savoie, observateur en météorologie à la ferme expérimentale de Caplan, située à neuf milles de Bona-venture, décrivit les conditions atmosphériques de la région pour le 19 décembre 1964 et les jours qui précédèrent cette date. Quant à la température dans la nuit du 18 au 19 décembre 1964, il constata un minimum de zéro dans la nuit et un maximum de 12 au-dessus de zéro dans la journée du 19 et à cette date il n'y eut pas de chute de neige. Il a, par conséquent, fait très froid ce jour-là et il ne peut être question ici d'un adoucissement de la température suivi d'un gel. Il constata un minimum de 20 pour la nuit du 17 au 18 et le mercure descendit à 8 durant le jour, le maximum se rendant à 20 durant la journée du 18. Il enregistra un demi-pouce de neige le matin du 18. Le 17, il enregistra une précipitation de .2, soit deux dixièmes de pouce. Il semble donc qu'il n'y eut pas, le jour de l'accident, ou les quelques jours qui le précédèrent, de chute de neige d'importance qui ait pu empêcher l'intimée de voir au bon entretien de l'accès qui conduit au bureau de poste. Gérard Bourdages, de Bonaventure, rentier, âgé de 69 ans, fut entendu de la part du requérant. Au mois de décembre 1964 il était concierge à l'emploi du ministère des Travaux publics et s'occupait de l'entretien de l'intérieur et de l'extérieur, les trottoirs compris, du bureau de poste de
270 1 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA . [1967] 1966 Bonaventure. Au moment de la chute du requérant, il était GAaNII à l'intérieur du bâtiment et de la fenêtre il vit un homme LA REINE étendu par terre en avant du bureau de poste. Il confirme que le palier qui précède les marches fait partie du terrain Noi 1 J. du bureau de poste. Il ne peut cependant préciser exacte-ment à quel endroit se trouvait l'homme tombé. De l'en-droit il était, soit à environ 50 pieds de l'endroit l'homme était tombé, il a vu deux hommes lui porter se-cours. Il ne s'est pas rendu cependant sur les lieux parce qu'il était sous l'impression que l'homme était tombé sur la rue et non sur le terrain du bureau de poste. Il décrit comme suit l'état du trottoir, des marches et du palier du bureau de poste le jour de l'accident: Sur le trottoir en haut et les marches, il y avait pas de glace; en bas, c'était pas une glace vive, il y avait de la neige plus haut et c'était imbibé d'eau, c'était gelé; le dessus, il y avait du sable. En réponse aux questions du procureur du requérant, il commença par déclarer qu'il avait mis du sable sur le palier en bas mais ne peut préciser quand il a mis ce sable, se contentant de déclarer qu'il en mettait «quand il y en avait besoin» mais il ne se souvient pas s'il en avait mis le jour de l'accident. En face des déclarations assermentées du requérant et de trois témoins visuels qui tous déclarent qu'il n'y avait pas de sable sur le palier, et du témoignage incertain du concierge de l'intimée, la Cour ne peut que conclure qu'à la date de la chute du requérant, ledit palier n'avait pas été ensablé ni autrement traité. Il y a cependant plus et c'est le concierge qui nous le révèle tout bonnement dans son témoignage lorsqu'il ex-plique qu'il avait l'habitude, sur le palier tomba Gagné, d'y piler la neige avec ses pieds afin d'empêcher l'eau de la rue de s'y écouler—«L'eau du chemin» dit-il, «rentrait dans ce palier-là quand il faisait soleil, quand il faisait doux, l'eau rentrait, ça formait de la glace. Moi je pilais de la neige et puis je mettais du sable là-dessus Un peu plus loin dans son témoignage, il explique encore pourquoi il déposait de la neige sur ce palier: «C'était» dit-il «pour empêcher l'eau de rentrer, je pilais de la neige. Ça gelait quand il faisait doux, ça allait en descendant, l'eau rentrait dans ce palier-là. Je pilais de la neige Il ajoute un peu plus loin que s'il n'avait pas laissé de neige sur le palier, il y aurait toujours eu quatre ou cinq pouces
1 Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 271 d'eau à cet endroit qui s'y rendait à cause de la neige 6 accumulée dans la rue. A une question du procureur du GAGNÉ réquérant s'il était allé voir sur les lieux dans quel état L, R EINE était le palier en question, il répondit: «Ah, oui, je fais le Noël J. tour tous les jours, c'est mon ouvrage, les trottoirs, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, c'était de la neige pilée, quatre, cinq pouces de neige pilée ...». Questionné sur l'état du palier le lendemain de la chute du requérant, il déclare: «il y avait pas de glace vive, c'était de la neige pilée durcie et gelée, il y avait du sable dessus Enfin, la Cour lui demanda quand il avait mis du sable sur le palier avant l'accident. Sa réponse, toujours imprécise, fut «Oh, dans le courant de la semaine, quand ça en avait besoin, j'en mettais». Et un peu plus loin il déclare au procureur du requérant qui s'enquérait de l'état du palier, que ce dernier était gelé et qu'on y mettait habituellement des voitures. De ces témoignages il ressort clairement, je crois, que l'état du palier le 19 décembre 1964 était non seulement glacé et glissant, mais également raboteux par suite de la neige mouillée que le concierge y avait pilée avec ses pieds pour empêcher l'eau de la rue de venir s'y installer. Si Gérard Bourdages y a jeté du sable, ce sable dans les cir-constances ne pouvait être très efficace; en effet, jeté sur une neige pilée imprégnée d'eau, ce sable devait s'y enfon-cer pour ne laisser, une fois gelé, qu'une surface glacée, glissante et dangereuse pour les piétons qui s'y hasardaient. Il appert donc que le préposé de l'intimée, Bourdages, non seulement ne vit pas à assurer le bon entretien du palier par devaient passer les personnes qui se rendaient au bureau de poste, mais par un geste positif en augmenta le danger que pouvait comporter en hiver l'utilisation par des piétons de cet accès en déposant et en piétinant sur le palier une neige mouillée qui ne pouvait que résulter en une surface qui, par le gel, devenait raboteuse et glissante. Il n'est pas, par conséquent, étonnant que le requérant, en y plaçant le pied gauche, se tourna la cheville et se cassa la jambe et ne put, à cause de la surface glacée, ramener son pied droit et reprendre son équilibre. L'accident est donc non seulement au défaut d'entretien du palier, mais égale-ment à la manoeuvre dangereuse du concierge qui, par son geste, augmenta le danger que constitue toujours une surface glacée.
272 1 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19677 1966 Le requérant, après sa chute, fut transporté à l'hôpital de GAGNÉ Maria il reçut des calmants (soit de la morphine) jus-V. LA REINÉ qu'au 26 décembre 1964. Pendant cette période, il déclare avoir été dans un état d'incohérence causé par ces médica-Noel 31 ments. Après sa sortie de l'hôpital, du 26 décembre au 30 décembre 1964, il fut anesthésié deux fois et il déclare avoir, pendant cette période, déliré assez souvent. De la date de l'accident jusqu'au mois d'avril 1965, soit pendant la période d'incapacité totale temporaire, il a quand même continué à recevoir son salaire mais en épuisant, cependant, les congés de maladie qu'il avait accumulés. Il dut utiliser des béquilles du mois de janvier 1965 jusqu'au let avril 1965. Il se remit à l'ouvrage le la` avril 1965, mais comme temporaire cependant, travaillant à l'administration. A ce moment, il marchait difficilement à l'aide d'une canne fai-sant, dit-il, de gros efforts pour se rendre à son travail. Du mois de décembre 1964 à la fin de juin 1965, il déclare avoir ressenti des douleurs continuelles assez vives qu'il continue, dit-il, à ressentir encore, bien que moins prononcées. Il recommença ses fonctions complètement au mois de sep-tembre 1965. Il doit envisager une nouvelle intervention prochainement qui consistera à lui barrer la cheville complètement par le moyen de plaques d'argent. Il lui a été difficile, dit-il, parce que boitant, d'affronter une classe d'élèves, et il doit abandonner la pratique du ski à laquelle il s'adonnait avant son accident. S'il est possible que Gérard Bourdages ne puisse être poursuivi en dommages par le requérant (tel que l'exige le recours sous l'article 3(1) (a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, 1953) si son manque de soins (nonfeasance ou simple abstention) dans l'entretien de l'accès qui conduit au bureau de poste avait été la seule cause de l'accident, tel que le soutient le procureur de l'intimée, il semble, cependant, qu'il ne puisse y avoir de doute sur l'issue d'une poursuite engagée par le requérant contre le concierge per-sonnellement pour le geste négligent et dangereux (activité positive) qu'il posa en pilant une neige mouillée, comme il le fit, sans s'assurer que la surface était lisse et que le sable qu'il y jetait serait efficace. La faute positive du préposé de l'intimée dans l'exécution de ses fonctions suffirait au be-soin pour entraîner, par conséquent, la responsabilité de l'intimée pour les dommages subis par le requérant. D'ail-leurs, une simple abstention de la part d'un préposé ne
1 Ex C R EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 273 pourrait disculper le commettant que si ce préposé n'a des 1966 devoirs qu'à l'égard de son employeur et aucun devoir en- GAGNÉ vers les tiers. Priver quelqu'un par incurie d'une aide ou LA REINE assistance doit être considéré comme lui infligeant un tort Noël J. plutôt que lui refusant un bienfait ou avantage et c'est d'ailleurs ce que paraît avoir décidé la Cour Suprême dans Grossman v. The King' tel qu'exprimé par le juge Taschereau: What this Court held in these two cases clearly indicates that the employees of the Crown failed in their duty to third parties, that their negligence, although arising only out of an omission to act, entailed their personal liability, and consequently the vicarious liability of the Crown. The Court was not merely confronted with cases of nonfeasance of acts which should have been done by the servant, as the result of a contract between the employer and the employee, and which would not involve the personal liability of the latter to third persons, but with the failure to perform a duty owed to the victims. (Halsbury, Vol. 22, page 255) Il ne me semble pas douteux, et le témoignage d'ailleurs du préposé Bourdages le révèle, que ce dernier n'avait pas que des devoirs à l'égard de son employeur mais il avait bien un devoir à remplir envers les usagers de l'accès au bureau de poste soit celui d'assurer la sécurité des piétons empruntant cet accès, qu'il n'a pas ou a mal exécuté. A tout événement, la faute positive qu'il a commise en ajoutant par son geste au danger que comportait déjà une surface glacée en y accumulant et y piétinant de la neige mouillée, comme il l'a fait, ne peut qu'entraîner sa responsabilité en même temps que celle de son commettant pour les dom-mages subis par le requérant. Cette faute positive du préposé de l'intimée, le requérant ne l'a pas plaidée. La preuve cependant des faits concernant les activités de Bourdages à ce sujet a été faite sans objection et les parties se sont comportées comme si ces faits avaient été plaidés et formaient partie du débat, l'argument de part et d'autre ayant porté sur cette cause d'action basée sur l'article 3(1) (a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Dans les circonstances, me prévalant de la règle 115 de cette Cour, il ne me reste qu'à permettre au requé-rant d'amender sa pétition de façon à y inclure comme cause d'action additionnelle le moyen qui lui est donné par l'action positive et fautive du préposé de l'intimée. Ayant accepté la responsabilité de l'intimée sous l'article 3(1) (a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, 1[1952] 1 RCS 571 à 603
274 1 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1967] 1966 chapitre 30, il ne m'est pas nécessaire de la déterminer sous GAGNÉ l'article 3(1) (b), soit en vertu d'un quasi-délit: V. LA REINE (b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la propriété, l'occupation, la possession ou le contrôle des biens. Noël J. Qu'il me suffise, cependant, de dire que si le requérant n'avait pu rejoindre l'intimée sous l'article, 3(1) (a) de cette même Loi, j'aurais pensé qu'il pouvait se prévaloir d'un recours en vertu de l'article 3(1) (b) même s'il avait omis de donner l'avis dans les sept jours que la réclamation a pris naissance, bien que cet avis soit exigé par le sous-para-graphe (4) de l'article 4 de ladite Loi parce que si le défaut d'avis est fatal en vertu du sous-paragraphe (5) de l'article 4 dans tous les cas «la blessure a été causée par la neige ou la glace», la blessure dans le présent cas n'a pas été causée par la neige accumulée par suite d'une tombée ou d'une glace formée à la suite de conditions climatériques normales, tel que prévu par cet article, mais par une situation créée par la main de l'homme, soit l'intervention fau-tive du préposé de l'intimée. Par son geste positif, il a créé un état dangereux des lieux sans prendre les mesures ou moyens nécessaires pour protéger les piétons contre ce danger. D'ailleurs cette omission de donner l'avis ne me sem-ble pas avoir préjudicié d'aucune façon à la défense de la Couronne, son préposé ayant connaissance de la chute du requérant, mais sous la fausse impression qu'il était tombé sur le trottoir plutôt que sur le palier, il ne s'en est pas préoccupé et ne s'est rendu que le lendemain pour examiner les lieux après avoir été avisé de la chute du requérant sur le palier par un M. Babin. Le maître de poste, Lionel Cayouette, lui aussi, déclare avoir été informé de l'accident le lendemain. Ayant ainsi déterminé la responsabilité de l'intimée pour les dommages subis par le requérant, il ne me reste plus qu'à fixer le quantum de l'indemnité auquel il a droit. Les parties, par leur procureur respectif, se sont entendues sur certains postes de dommages et il suffira maintenant d'ac-cepter ces montants: Frais médicaux $ 784.75 Préjudice résultant de la perte de 65 jours de congés de maladie payés pendant son inca-pacité totale temporaire soit du 20 décembre 1964 au 1°T avril .. $1,200.00 $1,984.75
1 Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1967] 275 Le requérant réclame $2,000 pour souffrances physiques, 1966 inconvénients, diminution de jouissance de la vie et $20,000 GAGNÉ pour incapacité partielle permanente. v. LA REINE Quant au poste de dommages désigné comme souffrances Noël J. physiques, perte de jouissance de la vie et inconvénients, le requérant réclame $2,000 et je n'ai pas d'hésitation à lui allouer ce montant. Il a souffert considérablement lors de sa chute, à l'hôpital pendant sa convalescence et encore main-tenant, et il devra, en effet, toute sa vie réduire ses activités tant sportives que sociales par suite de sa blessure. L'établissement de l'indemnité au poste d'incapacité par-tielle permanente basée sur une perte ou diminution de gain est plus difficile parce qu'il est possible qu'elle ne se traduise pas nécessairement par une perte ou diminution de revenus ou de salaire. La Cour doit, en effet, afin de déter-miner le` préjudice subi, examiner la preuve, tenir compte, non seulement du degré d'invalidité que souffre le requé-rant, mais surtout des conséquences de cette invalidité sur la capacité de la victime de gagner sa vie dans le milieu et suivant le métier qui est le sien. Le requérant est un instituteur qui continuera quand même sa carrière malgré la blessure qu'il a subie. Il l'admet volontiers, il a même suivi des cours de perfectionnement cet été à cette fin. Durant l'année 1966, bien que son pied lui ait causé des inconvénients, il admet avoir quand même enseigné. Il recevra quand même des augmentations de salaire au fur et à mesure que ses années d'enseignement s'accroissent et qu'il se perfectionnera par des études. Ce sont autant d'éléments dont la Cour doit tenir compte dans l'établissement de l'indemnité sous ce chef. Le requé-rant avait 26 ans au moment de son accident et gagnait un montant annuel net d'environ $4,500. Il semble bien que pour le moment, la blessure subie par le requérant ne lui occasionne pas une perte de revenus. Il reste toujours possible, cependant, que cette blessure le gêne dans la poursuite de sa carrière et qu'il subisse une perte de revenus à l'ave-nir. Un montant ide $4,000 sous ce poste ne me paraît pas exagéré et rendrait justice aux parties. Le requérant réclame de plus un montant de $1,000 qu'il a cependant consenti à réduire à $500 sous le poste de frais médicaux à venir pour intervention future ainsi qu'un montant additionnel de $200 pour deux voyages à Montréal pour cette intervention à venir. Il réclame également la
276 1 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1967] 1966 perte de quatre mois de salaire à raison de $450 par mois, GAGNÉ soit $1,800 pour quatre mois de perte de revenus à prévoir V. LA REINE lors de l'intervention chirurgicale future. Gel J La preuve de la nécessité d'une intervention future n'est peut-être pas aussi concluante qu'on pourrait le désirer; cette preuve a été faite par le requérant lui-même qui déclare que le D` Roy lui a laissé entendre qu'il devait subir une autre intervention et on lui a dit «verbalement que je devais être trois mois dans le plâtre et un mois parce qu'on va me barrer la cheville complètement avec des plaques d'argent». Quant à la date précise de cette intervention, le réquérant ne la sait pas davantage. «Cela» dit-il «va dépendre du médecin. Je ne pourrais pas préciser pour le moment, il m'a dit d'attendre. D'ailleurs, il m'a demandé encore une visite, si possible, dans le temps des fêtes. Alors j'imagine que s'il demande encore une visite à son bureau, peut-être qu'il pourra déterminer la date précise. Pour le moment il n'a pas déterminé la date précise quand cette intervention aura lieu Le requérant n'a pas été transquestionné sur ce point ni n'a-t-il été contredit. D'autre part, il est possible que l'intervention se fasse pendant l'été et, alors, il ne perdrait pas de revenus comme instituteur et il est possible aussi qu'il ne perde pas de congé de maladie, tout dépendra, dit le requérant, de l'attitude du Ministère à son égard. Dans les circonstances, il me semble qu'un montant de $900, corres-pondant à deux mois de salaire, en plus des frais de voyages, au montant de $200, et le montant de $500 pour frais médicaux, soit en tout $1,600, seraient plus que suffisants pour prévoir la perte de revenus possible et les dépens relatifs à cette intervention. Il faudrait également ajouter les montants de $125 pour la clinique St-Louis, $10 pour le D° Martin et $10 pour le D` Roy, admis par le procureur de l'intimée. La Cour, par conséquent, maintient la réclamation du requérant et déclare qu'il a droit de recouvrer de la Cou-ronne la somme de $9,729.75 avec dépens. Le jugement formel ne sera rendu, cependant, que lorsque le requérant aura amendé sa pétition de façon à y inclure comme cause d'action les moyens résultant de l'action positive prise par le préposé de l'intimée, moyens qui ont eu pour effet de créer un état dangereux des lieux est tombé le requérant.
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