Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2019] 1 R.C.F. 541

T-1637-17

2018 CF 963

Pier 1 Imports (U.S.), Inc. (demanderesse)

c.

Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

Répertorié : Pier 1 Imports (U.S.), Inc. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Grammond—Montréal, 11 septembre; Ottawa, 28 septembre 2018.

Douanes et Accise — Loi sur les douanes — Requêtes se rapportant à une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ordonnant à la demanderesse d’adopter une nouvelle méthode d’évaluation de la valeur en douane de la marchandise qu’elle importe — Le défendeur a demandé la radiation de la demande, au motif que son objet relevait de la compétence exclusive du Tribunal canadien du commerce extérieur (T.C.C.E.) — La demanderesse a demandé la suspension de la décision de l’ASFC — Le litige en l’espèce portait sur la valeur de la marchandise importée par la demanderesse, une société américaine — La demanderesse expédie des marchandises allant des centres de distribution situés aux États-Unis aux magasins situés au Canada — Aucune vente n’est réellement effectuée — La méthode d’évaluation principale exposée à la Loi sur les douanes ne pouvait donc s’appliquer — Une vérification réalisée en 2004 a conclu qu’une « méthode modifiée de la valeur reconstituée » serait utilisée (accord de règlement) — Une nouvelle vérification effectuée a appliqué la méthode de la valeur de référence (MVDR) — La demanderesse a demandé un jugement déclarant que la décision de l’ASFC contrevenait à l’accord de règlement et que le défendeur ne pouvait exiger qu’elle applique la MVDR — L’ASFC a par la suite émis des relevés détaillés de rajustement (RDR) — Il s’agissait de savoir si les requêtes devraient être accueillies — La demande de contrôle judiciaire a été radiée — L’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales prive la Cour fédérale de la compétence pour entendre l’affaire — Le choix de la méthode de calcul de la valeur en douane des marchandises importées relevait manifestement de la compétence des mécanismes de résolution des litiges établis par la Loi — Le jugement déclaratoire que la demanderesse cherchait à obtenir aurait déterminé l’issue des procédures prévues par la Loi — Il constituait une tentative d’empêcher la prise de décisions aux termes de la Loi, en dépit des clauses privatives édictées dans celle-ci — En ce qui concerne la requête en suspension de la demanderesse, seule la Cour d’appel fédérale a compétence pour rendre une ordonnance de suspension, selon l’art. 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales — La décision Danone Inc. c. Canada (Procureur général), dans laquelle la Cour fédérale a conclu qu’elle a une compétence résiduelle pour accorder une injonction autonome, n’a pas été suivie — La Cour fédérale n’a pas de pouvoir de surveillance à l’égard du T.C.C.E. — Seule la Cour d’appel fédérale peut prononcer une injonction concernant un processus qui relève de la compétence du T.C.C.E. — Requête du défendeur accueillie; requête de la demanderesse transférée à la Cour d’appel fédérale.

Compétence de la Cour fédérale — Requêtes se rapportant à une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ordonnant à la demanderesse d’adopter une nouvelle méthode d’évaluation de la valeur en douane de la marchandise qu’elle importe — Dans sa requête, le défendeur a demandé la radiation de la demande, au motif que son objet relevait de la compétence exclusive du Tribunal canadien du commerce extérieur (T.C.C.E.) — La demanderesse a demandé la suspension de la décision de l’ASFC — La demande de contrôle judiciaire a été radiée — L’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales prive la Cour fédérale de la compétence pour entendre l’affaire — Le choix de la méthode de calcul de la valeur en douane des marchandises importées relevait de la compétence des mécanismes de résolution des litiges établis par la Loi — Le jugement déclaratoire que la demanderesse cherchait à obtenir aurait déterminé l’issue des procédures prévues par la Loi — Il constituait une tentative d’empêcher la prise de décisions aux termes de la Loi, en dépit des clauses privatives édictées dans celle-ci — Le régime législatif et la jurisprudence ne laissaient aucun doute que la Cour n’avait pas compétence — En ce qui concerne la requête en suspension de la demanderesse, seule la Cour d’appel fédérale a compétence pour rendre une ordonnance de suspension, selon l’art. 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales — La décision Danone Inc. c. Canada (Procureur général), dans laquelle la Cour fédérale a conclu qu’elle a une compétence résiduelle pour accorder une injonction autonome, n’a pas été suivie — La Cour d’appel fédérale, et non la Cour fédérale, avait compétence pour accorder le redressement que la demanderesse a demandé — L’art. 44 de la Loi sur les Cours fédérales accorde compétence à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale pour accorder une « injonction autonome », mais l’art. 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales, qui exclut la compétence de la Cour fédérale dès que la question relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale, s’applique à l’art. 44 — La Cour fédérale ne peut pas se fonder sur l’art. 44 pour ordonner un redressement interlocutoire lorsqu’une affaire relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale — La Cour fédérale n’a pas de pouvoir de surveillance à l’égard du T.C.C.E. — Seule la Cour d’appel fédérale peut prononcer une injonction concernant un processus qui relève de la compétence du T.C.C.E.

Il s’agissait de requêtes du défendeur et de la demanderesse se rapportant à une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ordonnant à la demanderesse d’adopter une nouvelle méthode d’évaluation de la valeur en douane de la marchandise qu’elle importe. Dans sa requête, le défendeur a demandé la radiation de la demande, au motif que son objet relevait de la compétence exclusive du Tribunal canadien du commerce extérieur (T.C.C.E.). Dans sa requête, la demanderesse a demandé la suspension de la décision de l’ASFC.

Le litige en l’espèce portait sur la valeur de la marchandise importée par la demanderesse, une société américaine qui exerce son activité aux États-Unis et au Canada. La Loi sur les douanes (Loi) prescrit une série de méthodes de calcul des droits de douane, comme la méthode de la valeur de référence (la MVDR) et la méthode de la valeur reconstituée (la MVR). En outre, la Loi prescrit une dernière méthode d’appréciation. Lorsque la demanderesse importe des marchandises au Canada, aucune vente n’est réellement effectuée; il s’agit simplement d’une expédition de marchandises allant des centres de distribution situés aux États-Unis aux magasins situés au Canada. Ainsi, la base principale d’appréciation, à savoir la méthode transactionnelle exposée à l’article 48 de la Loi, ne pouvait s’appliquer. Une vérification réalisée en 2004 a conclu notamment qu’une « méthode modifiée de la valeur reconstituée » serait utilisée (l’accord de règlement), c.-à-d. l’application flexible de la MVR. Une nouvelle vérification effectuée par l’ASFC a conclu que la demanderesse détenait les données nécessaires pour appliquer la MVDR. La demanderesse a demandé un jugement déclarant que la décision de l’ASFC contrevenait à l’accord de règlement et que le défendeur ne pouvait exiger qu’elle applique la MVDR. L’ASFC a par la suite émis des relevés détaillés de rajustement (RDR), lesquels constituaient une décision rendue aux termes de l’article 58 de la Loi.

Il s’agissait de savoir si les requêtes devraient être accueillies.

Jugement : la requête du défendeur doit être accueillie; la requête de la demanderesse doit être transférée à la Cour d’appel fédérale.

La demande de contrôle judiciaire a été radiée. La Loi prescrit un processus en plusieurs étapes pour contester les cotisations de droits de douane, notamment les questions concernant l’appréciation de la valeur en douane et le choix de la méthode de calcul. Aux termes de l’article 68, la décision du T.C.C.E. peut être portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, plutôt que devant la Cour fédérale. Lorsqu’une partie demande un redressement qui pourrait être obtenu au moyen du processus prévu par la Loi, ou qu’elle soulève une question pouvant être tranchée au moyen du même processus, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales prive la Cour fédérale de la compétence pour entendre l’affaire. La demande de la demanderesse visait la détermination de la méthode à utiliser pour le calcul de la valeur en douane des marchandises qu’elle importe. Le choix de la méthode relevait manifestement de la compétence des mécanismes de résolution des litiges établis par la Loi. Le jugement déclaratoire que la demanderesse cherchait à obtenir dans la présente affaire aurait déterminé l’issue des procédures prévues par la Loi. Il aurait équivalu à une directive concernant le fondement sur lequel un RDR peut être établi. Il constituait une tentative d’empêcher la prise de décisions aux termes de la Loi, en dépit des clauses privatives édictées aux paragraphes 58(3) et 59(6) et à l’article 62. Le régime législatif et la jurisprudence mentionnés en l’espèce ne laissaient aucun doute que la Cour n’avait pas compétence.

En ce qui concerne la requête de la demanderesse, seule la Cour d’appel fédérale a compétence pour rendre une ordonnance de suspension, selon l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales. Afin de soutenir que la Cour fédérale a compétence pour rendre une ordonnance de suspension même si elle n’a pas compétence sur le fond, la demanderesse a invoqué le jugement rendu dans la décision Danone Inc. c. Canada (Procureur général) (Danone), dans laquelle il a été conclu notamment que « la Cour fédérale a une compétence résiduelle pour accorder une injonction autonome même si la décision définitive relative au différend est laissée à un décideur administratif et la Cour n’est pas saisie du différend ». Toutefois, en dépit du principe de courtoisie judiciaire, la Cour en l’espèce a dit ne pas être d’accord avec Danone et est parvenue à la conclusion que la Cour d’appel fédérale, et non la Cour fédérale, avait compétence pour accorder le redressement que la demanderesse a demandé. L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales accorde compétence à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale pour accorder ce que l’on peut commodément appeler une « injonction autonome », mais le paragraphe 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales, qui exclut la compétence de la Cour fédérale dès que la question relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale, s’applique à l’article 44. Par conséquent, lorsqu’une affaire relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale ne peut tout simplement pas se fonder sur l’article 44 pour ordonner un redressement interlocutoire. La Cour fédérale n’a pas de pouvoir de surveillance à l’égard du T.C.C.E. En conséquence, seule la Cour d’appel fédérale peut prononcer une injonction concernant un processus qui relève de la compétence du T.C.C.E. Il ne suffit pas de dire que la Cour fédérale a un pouvoir de surveillance à l’égard de certaines questions limitées concernant l’application de la Loi, si l’objet de l’injonction demandée n’appartient pas à ces questions limitées. La répartition des compétences découlant de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales concernant les ordonnances provisoires doit être le même que celle qui est édictée par les articles 18 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales en ce qui a trait au fond. Puisque la requête en suspension de la demanderesse relevait de la compétence de la Cour d’appel fédérale, il était préférable de ne pas rejeter la requête, mais plutôt de transférer l’instance à la Cour d’appel fédérale.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral », 18, 18.2, 18.5, 28, 44.

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 44, 45–53, 58, 59, 60, 62, 67, 68.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.7.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 47, 49, 221.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION NON SUIVIE :

Danone Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 44, [2009] 4 R.C.F. 264.

DÉCISION APPLIQUÉE :

JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140; Rosenberg c. Canada (Revenu national), 2015 CF 549.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Fritz Marketing Inc. c. Canada, 2009 CAF 62, [2009] 4 R.C.F. 314; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2007] 1 R.C.F. 107; conf. par 2007 CAF 199, [2008] 1 R.C.F. 155; Centre québécois du droit de l’environnement c. Office national de l’énergie, 2015 CF 192.

DÉCISIONS CITÉES :

David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; Channel Tunnel Group Ltd. v. Balfour Beatty Construction Ltd., [1993] A.C. 334 (H.L.); Canada (Procureur général) c. Northrop Grumman Overseas Services Corporation, 2007 CAF 336; RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Alliedsignal Inc. c. DuPont Canada Inc., 1998 CanLII 8013 (C.F.).

DOCTRINE CITÉE

Mackaay, Ejan et Stéphane Rousseau, Analyse économique du droit, 2e éd. Montréal : Éditions Thémis, 2008.

REQUÊTES du défendeur et de la demanderesse se rapportant à une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada ordonnant à la demanderesse d’adopter une nouvelle méthode d’évaluation de la valeur en douane de la marchandise qu’elle importe. Requête du défendeur accueillie; requête de la demanderesse transférée à la Cour d’appel fédérale.

ONT COMPARU :

Joel Scheuerman, Lauzanne Bernard Normand et Adèle Desgagné pour la demanderesse.

Louis Sébastien pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

BCF Avocats d’affaires, Montréal, pour la demanderesse.

La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Grammond : Pier 1 Imports (U.S.), Inc. (Pier 1) est un détaillant bien connu de fournitures et d’accessoires d’ameublement de maison décoratifs, comptant plus de 75 magasins partout au Canada. Aux termes de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1 (la Loi), Pier 1 est tenue de payer des droits sur la marchandise qu’elle importe. En juillet 2017, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui est responsable de l’application de la Loi, a ordonné à Pier 1 d’adopter une nouvelle méthode d’évaluation de la valeur en douane de cette marchandise. En se fondant sur un accord qu’elle a conclu avec la prédécesseure de l’ASFC en 2003, Pier 1 soutient que l’ASFC n’est pas autorisée à lui imposer cette exigence. Elle a déposé une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir un jugement déclaratoire à cet effet.

[2]        Je suis maintenant saisi de deux requêtes. Le ministre présente une requête en radiation de la demande, au motif que son objet relève de la compétence exclusive du Tribunal canadien du commerce extérieur (T.C.C.E.). Pier 1 demande la suspension de la décision de l’ASFC, au motif que le respect immédiat de la décision exigerait qu’elle consacre des ressources importantes à la mise en œuvre d’un mécanisme de déclaration qui pourrait, au bout du compte, s’avérer inutile.

[3]        J’accueille la requête du ministre. Notre Cour n’a pas compétence pour entendre une demande en jugement déclaratoire sur une question qui relève manifestement de la compétence du T.C.C.E. En revanche, puisque c’est la Cour d’appel fédérale, et non notre Cour, qui a compétence pour examiner les décisions du T.C.C.E, Pier 1 aurait dû présenter sa requête en suspension à la Cour d’appel fédérale. Par conséquent, je ne peux trancher la requête et j’ordonnerai le transfert de l’instance à la Cour d’appel fédérale, afin qu’elle puisse statuer sur la requête de Pier 1 comme il se doit.

I.          Résumé des faits

[4]        Essentiellement, le litige porte sur la valeur de la marchandise importée par Pier 1. La détermination de la valeur constitue un problème juridique plus complexe qu’il ne peut sembler au premier abord. Pour comprendre le litige opposant les parties, il est nécessaire d’expliquer les caractéristiques principales du processus prescrit par la Loi pour déterminer la valeur en douane. Il sera alors possible de déterminer qui a compétence pour statuer sur les divers aspects du litige.

A.        La notion de valeur et la Loi sur les douanes

[5]        L’intuition nous porte à croire que les biens ont une valeur objective. Toutefois, les économistes signalent que des personnes différentes peuvent être disposées à payer des prix différents pour les mêmes biens et qu’il n’existe pas de « valeur » objective distincte de ces prix (voir notamment l’ouvrage d’Ejan Mackaay et de Stéphane Rousseau, intitulé Analyse économique du droit, 2e éd., Paris et Montréal : Dalloz et Thémis, 2008, aux pages 109 et 110). Malgré son caractère insaisissable, la notion de valeur est souvent utilisée par les régimes législatifs, dans des secteurs aussi divers que celui de l’impôt, de la protection des consommateurs ou de l’expropriation.

[6]        Dans le même ordre d’idées, la « valeur en douane » est une notion centrale de la Loi sur les douanes. Selon l’article 44, la principale méthode de calcul des droits consiste en un pourcentage de la valeur en douane. Sans doute afin d’éliminer l’imprécision inhérente à la notion de valeur, les articles 45 à 53 exposent des règles détaillées pour le calcul de la valeur en douane. Bien que je ne puisse pas fournir un compte-rendu détaillé de ces règles, quelques notions de base serviront à comprendre ce qui suit.

[7]        L’article 48 prescrit que la base principale d’appréciation de la valeur en douane est la méthode transactionnelle. Si les marchandises importées font l’objet d’une vente entre un vendeur et un acheteur sans lien de dépendance au moment de leur importation au Canada, la valeur en douane est le prix de vente, sous réserve de certains ajustements. Cependant, cette méthode n’est pas toujours applicable. En conséquence, la Loi prescrit une série d’autres méthodes à utiliser, dans l’ordre de priorité exposé dans la Loi, si les données nécessaires à leur application sont disponibles. L’hypothèse sous-jacente est que le législateur a jugé que la méthode placée en tête de liste permet la meilleure appréciation de la valeur. Il n’est pas nécessaire que je décrive toutes ces méthodes, puisque seulement deux d’entre elles sont pertinentes en l’espèce.

[8]        La méthode de la valeur de référence (la MVDR) décrite à l’article 51 tient compte, comme point de départ, du prix de vente des marchandises importées « au premier niveau commercial après leur importation ». Ce prix est ensuite ajusté en retranchant plusieurs sommes, notamment les bénéfices et les frais généraux associés à la vente au Canada, les frais de transport à l’intérieur du Canada, et ainsi de suite.

[9]        La méthode de la valeur reconstituée (la MVR) décrite à l’article 52 tient compte, comme point de départ, des coûts liés aux matières utilisées dans la production et aux opérations de production des marchandises importées, auxquels on ajoute une somme correspondant aux bénéfices et aux frais généraux associés aux ventes effectuées pour l’exportation au Canada par des producteurs qui se trouvent dans le pays d’exportation ainsi qu’une somme correspondant aux coûts d’emballage, aux frais de courtage et aux autres dépenses similaires.

[10]      Les deux méthodes, et d’ailleurs toutes les méthodes exposées dans la Loi, ont le même objectif : l’appréciation de la valeur des marchandises au moment de leur importation. Ce qui distingue la MVDR de la MVR, ce sont leurs points de départ opposés, comme l’illustre le diagramme suivant :

French Diagram in Pier Imports

[11]      En outre, l’article 53 prescrit une « [d]ernière méthode d’appréciation », qui consiste en l’application flexible de toute autre méthode fondée sur des données disponibles au Canada.

B.        Modèle d’affaires de Pier 1

[12]      Pier 1 est une société américaine qui exerce son activité aux États-Unis et au Canada. Il n’existe pas de filiale canadienne pour les activités menées au pays.

[13]      En conséquence, lorsque Pier 1 importe des marchandises au Canada, aucune vente n’est réellement effectuée; il s’agit simplement d’une expédition de marchandises allant des centres de distribution situés aux États-Unis aux magasins situés au Canada. Ainsi, la base principale d’appréciation, à savoir la méthode transactionnelle exposée à l’article 48, ne peut s’appliquer.

C.        L’accord de règlement de 2003 et la vérification de 2004

[14]      Il a donc fallu déterminer la méthode d’appréciation qui s’appliquerait aux activités de Pier 1. Au début des années 2000, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC), qui était alors responsable de l’application de la Loi, a jugé que la MVDR s’appliquait. Pier 1 a contesté cette décision devant le T.C.C.E. Toutefois, en 2003, avant que le T.C.C.E. ne rende sa décision, Pier 1 et l’ADRC ont conclu un accord de règlement. Une partie essentielle de l’accord concernait l’engagement de l’ADRC de réaliser une nouvelle vérification des activités de Pier 1 pour l’exercice 2002, [traduction] « afin d’établir une méthode de calcul appropriée de la valeur en douane des marchandises importées pour la vente au Canada par Pier 1, pour cet exercice précis et pour les exercices à venir ». L’accord prévoyait également ce qui suit :

[traduction] […] les parties souhaitent toutes deux établir une méthode d’appréciation, autre que la méthode de la valeur reconstituée et autant que possible la valeur de référence, au moyen de laquelle la valeur en douane des marchandises de Pier 1 pourra être évaluée à partir de la période ayant commencé le 3 mars 2002. Dans l’éventualité où la méthode de la valeur de référence ou une version modifiée de celle-ci s’avère la seule manière d’établir la valeur en douane des marchandises importées par Pier 1, l’ADRC s’engage à ne pas refuser les frais liés à la vente au Canada des marchandises appréciées pour le seul motif qu’ils ont été versés à une entité non canadienne […]

[15]      Une nouvelle vérification a été réalisée en 2004. Concernant la plupart des importations de Pier 1, la conclusion de la vérification voulait qu’une [traduction] « méthode modifiée de la valeur reconstituée » soit utilisée. Cela signifie qu’aucune des méthodes décrites dans la Loi ne pouvait être directement appliquée, et que la meilleure solution consistait à appliquer de manière flexible la méthode de la valeur reconstituée, décrite à l’article 52. J’appellerai cette méthode la « MVR flexible ». La vérification a aussi servi à établir un pourcentage fixe à utiliser à titre de marge bénéficiaire, afin de tenir compte des frais généraux et des bénéfices. Ce pourcentage a été calculé à partir, notamment, de la marge bénéficiaire que Pier 1 appliquait aux ventes qu’elle effectuait auprès de ses franchisés aux États-Unis. Comme ces franchisés n’avaient pas de lien de dépendance avec Pier 1, cette marge bénéficiaire était perçue comme étant un juste reflet des conditions du marché.

D.        La vérification de 2017 et la décision contestée

[16]      En 2016, l’ASFC a amorcé une nouvelle vérification des activités d’importation de Pier 1. La conclusion de la vérification a été formulée dans une lettre datée du 10 juillet 2017. L’ASFC a conclu que Pier 1 détenait les données nécessaires pour appliquer la MVDR. En conséquence, l’ASFC a exigé de Pier 1 qu’elle applique la MVDR à l’avenir, plutôt que la MVR flexible qu’elle appliquait depuis plus de dix ans.

[17]      Dans une correspondance précédente, l’ASFC a également noté que Pier 1 avait abandonné le modèle d’affaires des franchises pour ses activités aux États-Unis. Par conséquent, le fondement ayant servi au calcul de la marge bénéficiaire utilisée pour appliquer la MVR flexible n’existait plus. La relation sans lien de dépendance sur laquelle l’appréciation des bénéfices légitimes était fondée avait pris fin. L’ASFC ne se sentait donc plus liée par l’accord de règlement conclu en 2003.

[18]      La réaction de Pier 1 a été de présenter une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir la déclaration suivante :

[traduction]

LA COUR DÉCLARE que les parties sont liées par « l’accord de règlement » (défini ci-dessous), daté du 24 octobre 2003, et que, par conséquent :

i)               la thèse (adoptée par l’ASFC le 10 juillet 2017) contrevient à « l’accord de règlement »;

ii)     le ministre ne peut exiger que Pier 1 applique la MVDR à compter du 10 juillet 2017 et à l’avenir.

[19]      Entre-temps, l’ASFC a examiné les déclarations produites par Pier 1 et, le 18 décembre 2017, elle a émis des relevés détaillés de rajustement (les RDR), lesquels, si je comprends bien, constituent une décision rendue aux termes de l’article 58 de la Loi. Lors de l’audition, j’ai été informé que Pier 1 a contesté ces RDR, conformément au processus prescrit dans la Loi, et que le président de l’ASFC est actuellement saisi de l’affaire, aux termes de l’article 60.

II.         Requête en radiation

[20]      J’aborderai d’abord la requête en radiation du ministre. La règle 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, permet à un juge de radier un acte de procédure, s’il « ne révèle aucune cause d’action […] valable ». Bien que la règle 221 ne s’applique qu’aux actions, la Cour d’appel fédérale a reconnu que les demandes de contrôle judiciaire peuvent également être radiées sur requête préliminaire : JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (JP Morgan), au paragraphe 48; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Toutefois, le critère est rigoureux : une demande de contrôle judiciaire sera radiée seulement si elle est « “manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e]” » : JP Morgan, au paragraphe 47.

[21]      Cela comprend les affaires dont la compétence exclusive est accordée à un autre organisme décisionnel. Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une demande présente un vice fondamental qui appelle la radiation lorsque « l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif » : JP Morgan, au paragraphe 66; voir aussi Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793. L’article 18.5 est rédigé comme suit :

Dérogation aux art. 18 et 18.1

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

[22]      La Loi prescrit un processus en plusieurs étapes pour contester les cotisations de droits de douane, notamment les questions concernant l’appréciation de la valeur en douane et le choix de la méthode de calcul. L’article 58 édicte qu’un agent des douanes peut, au départ, déterminer « l’origine, le classement tarifaire et la valeur en douane des marchandises importées ». L’article 59 prévoit une révision par un autre agent, alors que l’article 60 confère à un importateur le droit de demander qu’une révision additionnelle soit effectuée par le président de l’ASFC. L’article 67 ajoute à ces appels internes un droit d’interjeter appel devant le T.C.C.E. Finalement, aux termes de l’article 68, la décision du T.C.C.E. peut être portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, plutôt que devant la Cour fédérale.

[23]      Les dispositions régissant chaque palier d’appel interne comprennent une clause privative (paragraphes 58(3), 59(6) et article 62). L’article 62, qui porte sur les révisions effectuées par le président de l’ASFC, peut servir d’exemple :

Intervention à l’égard d’une révision

62. La révision ou le réexamen prévu aux articles 60 ou 61 n’est susceptible de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 67.

[24]      En conséquence, lorsqu’une partie demande un redressement qui pourrait être obtenu au moyen du processus prévu par la Loi, ou qu’elle soulève une question pouvant être tranchée au moyen du même processus, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7] prive notre Cour de la compétence pour entendre l’affaire. En outre, selon les principes fondamentaux du droit administratif, il s’agirait d’une situation où une solution de rechange adéquate existe, ce qui constitue un facteur qui milite habituellement contre l’instruction d’une demande de contrôle judiciaire (Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, aux paragraphes 40 à 45).

[25]      Dans l’arrêt Fritz Marketing Inc. c. Canada, 2009 CAF 62, [2009] 4 R.C.F. 314 (Fritz), la Cour d’appel fédérale a traité de l’absence de compétence de la Cour fédérale pour examiner des décisions rendues aux termes de la Loi. Dans cette instance, l’importateur a allégué que les RDR émis par l’ASFC étaient invalides, puisqu’ils étaient fondés sur des éléments de preuve obtenus d’une manière contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Sharlow a conclu que les clauses privatives abordées ci-dessus « priv[aient] la Cour fédérale de la compétence d’annuler un relevé détaillé de rajustement pour quelque motif que ce soit » (Fritz, au paragraphe 33). Elle a noté qu’il n’existait aucune raison qui empêchait le T.C.C.E. d’examiner les arguments de l’importateur relatifs à la Charte et d’exclure des éléments de preuve, le cas échéant.

[26]      Des questions similaires ont été analysées dans l’arrêt C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (C.B. Powell). Dans cette instance, le président de l’ASFC a conclu que la mesure qui faisait l’objet de la demande présentée par un importateur ne constituait pas une décision qui pouvait faire l’objet d’un appel devant lui. Plutôt que d’interjeter appel de cette décision devant le T.C.C.E., l’importateur a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclaratoire. La Cour d’appel fédérale a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour rendre un tel jugement. Le juge Stratas a écrit ceci :

La Loi prévoit un processus administratif qui consiste en une série de décisions et d’appels et qui, à moins de circonstances exceptionnelles, doit être suivi jusqu’au bout. Dans le cadre de ce processus administratif, le législateur fédéral a confié le pouvoir de prendre des décisions non pas aux tribunaux judiciaires, mais à divers décideurs et à un tribunal administratif, le T.C.C.E. À défaut de circonstances extraordinaires, lesquelles n’existent pas en l’espèce, les parties doivent épuiser les droits et les recours prévus par ce processus administratif avant de pouvoir exercer quelque recours que ce soit devant les tribunaux judiciaires, même en ce qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler des questions « de compétence ».

(C.B. Powell, au paragraphe 4.)

[27]      Pier 1 fait valoir toutefois que, contrairement à la situation de l’arrêt Fritz, elle ne cherche pas à obtenir l’annulation d’un RDR. Elle demande plutôt à la Cour de rendre un jugement déclaratoire, cité ci-dessus, selon lequel l’accord de règlement lie l’ASFC et l’empêche d’exiger que Pier 1 mette en œuvre la MVDR. Toutefois, c’est le fond de la demande qui est déterminant, et non la forme.

[28]      Il est évident que la demande de contrôle judiciaire de Pier 1 vise la détermination de la méthode à utiliser pour le calcul de la valeur en douane des marchandises qu’elle importe. Même si le libellé du jugement déclaratoire demandé mentionne l’accord de règlement de 2003, cet accord porte sur le choix de la méthode, choix qui relève manifestement de la compétence des mécanismes de résolution des litiges établis par la Loi. En réalité, le jugement déclaratoire que Pier 1 cherche à obtenir de notre Cour déterminerait l’issue des procédures prévues par la Loi. Il équivaudrait à une directive concernant le fondement sur lequel un RDR peut être établi. Il constitue une tentative d’empêcher la prise de décisions aux termes de la Loi, en dépit des clauses privatives édictées aux paragraphes 58(3) et 59(6) et à l’article 62.

[29]      En outre, rien n’empêche le président de l’ASFC ou le T.C.C.E. d’examiner l’effet de l’accord de règlement sur le choix de la méthode servant au calcul de la valeur en douane. Si, comme l’a tranché la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Fritz, le T.C.C.E. est en mesure d’examiner des questions relatives à la Charte, il est difficile de voir pourquoi il ne pourrait pas examiner un contrat. De manière générale, les organismes juridictionnels, notamment le T.C.C.E. (et le président de l’ASFC exerçant les pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 60 de la Loi), peuvent examiner toute question de droit qu’il faut résoudre afin de trancher les questions qui relèvent de leur compétence.

[30]      Pour étayer sa prétention voulant que la Cour puisse accorder des redressements liés à l’accord de règlement malgré les clauses privatives contenues dans la Loi, Pier 1 invoque deux jugements qui, à mon avis, se distinguent de l’espèce. Ces deux affaires concernent des situations où la Cour fédérale conserve sa compétence pour examiner certaines décisions rendues en application de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1], parce que ces décisions ne constituent pas des cotisations relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Dans la première affaire, Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140 (Sifto), un contribuable avait conclu un accord avec l’Agence du revenu du Canada concernant une divulgation volontaire. Dans l’esprit du contribuable, l’Agence devait renoncer à toutes les pénalités aux termes de l’accord, mais l’Agence a agi autrement. La Cour d’appel fédérale a convenu que la Cour fédérale pouvait entendre la demande de contrôle judiciaire du refus de l’Agence de renoncer aux pénalités. Ce résultat se justifie par le fait que le redressement demandé ne relevait pas de la compétence de la Cour de l’impôt, et non parce qu’un accord était en cause :

Il est toutefois tout aussi clair que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour décider si le ministre a bien exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour décider s’il y a lieu de renoncer à une pénalité ou de l’annuler. Il s’agit d’une décision qui ne peut être contestée qu’en présentant à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire.

(Sifto, au paragraphe 23.)

[31]      D’ailleurs, la Cour d’appel a expressément mentionné que la Cour de l’impôt pouvait tenir compte de l’accord conclu entre l’Agence et le contribuable pour trancher les questions dont elle était dûment saisie :

[…] par exemple, si l’appel nécessitait que la Cour de l’impôt décide si sont réunies toutes les conditions prévues par la loi pour l’imposition de la pénalité, il incomberait à la Cour de l’impôt de le faire et elle aurait seule compétence en la matière. Il en serait de même si la Cour de l’impôt statuait que les nouvelles cotisations ne sont pas valides parce qu’elles violent l’entente de règlement ou l’accord passé entre les autorités fiscales du Canada et des États-Unis, conformément aux articles IX et XXVI de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980), lesquels fixent le prix de transfert du sel gemme.

(Sifto, au paragraphe 22.)

[32]      En l’espèce, l’ASFC et le T.C.C.E., comme la Cour de l’impôt dans l’arrêt Sifto, peuvent examiner les conséquences de l’accord de règlement sur les questions qui sont de leur compétence.

[33]      De même, la décision Rosenberg c. Canada (Revenu national), 2015 CF 549, concernait une demande présentée aux termes de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour forcer un contribuable à divulguer certains renseignements. La Cour fédérale a expressément compétence pour trancher de telles demandes. Par conséquent, l’affaire ne relevait pas de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt.

[34]      Pier 1 peut trouver inopportune cette manière de partager la compétence. Pier 1 préférerait sans doute pouvoir demander directement au T.C.C.E. de rendre un jugement déclaratoire concernant la méthode applicable au calcul de la valeur en douane. Toutefois, le système mis en place par la Loi ne le permet pas. Pour le meilleur ou pour le pire, Pier 1 doit respecter ce processus.

[35]      Pier 1 fait également valoir qu’une demande ne devrait pas être radiée sur requête, à moins que l’absence de compétence ne soit « claire » ou « sûre » (JP Morgan, au paragraphe 91). Cependant, j’en suis venu à la conclusion que la Cour n’a pas compétence. Le régime législatif et la jurisprudence que j’ai mentionnés sont très clairs. Il ne s’agit pas d’une instance où la compétence (ou la disponibilité d’une autre mesure de réparation) dépend de conclusions de fait complexes ou d’hypothèses quant aux événements à venir. En outre, pour des raisons liées à l’économie des ressources judiciaires, il est contraire au bon sens de permettre la poursuite d’une demande, alors que la Cour n’a pas compétence pour l’entendre.

[36]      Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera radiée.

III.        Requête en suspension

[37]      Toutefois, la radiation de la demande ne règle pas entièrement la question. En se fondant sur l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, comme il a été interprété dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626 (Canadian Liberty Net), Pier 1 soutient que notre Cour a tout de même compétence pour suspendre la décision de l’ASFC de lui imposer la MVDR, et elle présente une requête à cet effet.

[38]      L’examen de cette requête exige que je clarifie la source de la compétence de notre Cour pour rendre une ordonnance de suspension, ou une injonction, à l’appui d’un processus décisionnel distinct. Malheureusement pour Pier 1, je conclus qu’en ce qui concerne les droits de douane, seule la Cour d’appel fédérale a compétence pour rendre une ordonnance de suspension, selon l’article 18.2, ou pour prononcer une injonction, selon l’article 44.

A.        Compétence de la Cour fédérale pour rendre une ordonnance de suspension

[39]      Afin de soutenir que la Cour a compétence pour rendre une ordonnance de suspension même si elle n’a pas compétence sur le fond, Pier 1 invoque le jugement rendu par mon collègue, le juge Michel Shore, dans la décision Danone Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 44, [2009] 4 R.C.F. 264. Dans cette affaire, un importateur a demandé la suspension d’une décision rendue par l’ASFC qui reclassait certaines marchandises importées, entraînant ainsi des conséquences graves sur les droits de douane exigibles. Mon collègue a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour examiner la décision, étant donné le processus de résolution des conflits contenu dans la Loi. Néanmoins, compte tenu de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, il a conclu que « la Cour fédérale a une compétence résiduelle pour accorder une injonction autonome même si la décision définitive relative au différend est laissée à un décideur administratif et la Cour n’est pas saisie du différend ». (Danone, au paragraphe 35). Il a noté que, conformément à la partie V.1 de la Loi, la Cour fédérale « a […] un rôle de surveillance dans des circonstances précises » (Danone, au paragraphe 37), ce qui rendrait l’article 44 applicable. Mon collègue a aussi mentionné que la Cour d’appel fédérale n’a pas compétence « avant qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du TCCE ait été faite » (Danone, au paragraphe 31), de sorte que le paragraphe 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales ne peut servir à écarter la compétence de la Cour fédérale.

[40]      Lors de l’audition des présentes requêtes, j’ai remis en cause la justesse du raisonnement adopté dans la décision Danone. À ma demande, les parties m’ont présenté des observations écrites sur la question.

[41]      Je suis conscient que, selon le principe de courtoisie judiciaire, je dois normalement me conformer à la jurisprudence de notre Cour. La portée de ce principe a été décrite comme suit :

La courtoisie judiciaire n’est pas l’application de la règle du stare decisis, mais bien la reconnaissance du fait que les décisions de la Cour doivent être uniformes dans toute la mesure possible de façon que les parties puissent plus ou moins savoir à quoi s’attendre. […]

Tout en gardant à l’esprit la notion de courtoisie judiciaire, j’ai conclu que je pourrai m’écarter des décisions rendues antérieurement par mes collègues uniquement si je suis convaincu que la preuve dont je suis saisi l’exige ou que les décisions rendues sont erronées parce qu’elles ne tiennent pas compte d’un précédent obligatoire ou d’une loi pertinente.

(Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2007] 1 R.C.F. 107, aux paragraphes 34 et 35, confirmée par 2007 CAF 199, [2008] 1 R.C.F. 155.)

[42]      Avec tout le respect que je dois à mon collègue, et après un examen approfondi de la question, je ne peux être d’accord avec lui. Je suis parvenu à la conclusion que la Cour d’appel fédérale, et non la Cour fédérale, a compétence pour accorder le redressement que Pier 1 demande. Pour comprendre les motifs de cette conclusion, il est nécessaire d’examiner la manière dont la compétence de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale, de la Cour canadienne de l’impôt et des divers organismes administratifs, notamment le T.C.C.E., est répartie.

[43]      La principale fonction des cours fédérales consiste à offrir un système unifié de contrôle judiciaire des décisions rendues par les organismes administratifs fédéraux. La Loi sur les Cours fédérales attribue cette compétence à la Cour d’appel fédérale ou à la Cour fédérale, selon l’organisme administratif qui a rendu la décision faisant l’objet d’un contrôle. L’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales contient une liste de 17 décideurs ou de catégories de décideurs dont les décisions peuvent être examinées par la Cour d’appel fédérale. Toutes les autres décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, dont il est évidemment possible d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale.

[44]      À première vue, ce partage de compétence est fondé principalement sur l’identité du décideur. Toutefois, il est nécessaire de consulter le texte législatif donnant compétence au décideur administratif pour cerner l’étendue des questions qui relèvent de la compétence de l’une ou l’autre de ces cours. On ne peut présumer que tous les litiges découlant d’une loi précise seront tranchés par un tribunal administratif créé par cette loi. En effet, il peut arriver qu’un régime législatif confie la tâche de trancher la plupart des litiges à un décideur nommé à l’article 28, tout en accordant compétence à la Cour fédérale pour l’instruction de certaines questions subsidiaires. Par exemple, le T.C.C.E. a compétence pour entendre la plupart des questions de fond découlant de l’application de la Loi. Néanmoins, les parties V.1 et V de la Loi accordent compétence à la Cour fédérale (et, dans certains cas, également aux cours supérieures provinciales) pour trancher des questions portant sur la perception et la mise en application.

[45]      Les affaires de fiscalité fournissent un autre exemple. La majeure partie des litiges en matière d’impôt concerne l’exactitude des cotisations fiscales. Ces litiges sont du ressort exclusif de la Cour de l’impôt. Toutefois, la Loi de l’impôt sur le revenu accorde expressément compétence à la Cour fédérale à l’égard de certaines questions, notamment la délivrance d’ordonnances visant la communication de renseignements (comme dans la décision Rosenberg), ou encore, elle prescrit implicitement le contrôle judiciaire, par la Cour fédérale, de certaines décisions qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour de l’impôt (comme la renonciation aux pénalités en litige dans l’arrêt Sifto).

[46]      Je me penche maintenant sur la compétence relative aux questions interlocutoires. Le régime de la Loi sur les Cours fédérales veut que la cour ayant compétence sur le fond ait également compétence pour accorder des redressements interlocutoires. Cette intention est précisée aux paragraphes 28(2) et (3) :

28 […]

Dispositions applicables

(2) Les articles 18 à 18.5 s’appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d’appel fédérale comme si elle y était mentionnée lorsqu’elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d’une demande de contrôle judiciaire.

Incompétence de la Cour fédérale

(3) La Cour fédérale ne peut être saisie des questions qui relèvent de la Cour d’appel fédérale.

[47]      L’article 18.2 confère à la Cour fédérale la compétence pour ordonner la suspension d’une instance dont un office ou un tribunal fédéral est saisi, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire a été déposée. Lorsqu’une question relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale, le paragraphe 28(2) prescrit expressément que cette cour, et non la Cour fédérale, a compétence pour ordonner la suspension d’une instance, aux termes de l’article 18.2. Le paragraphe 28(3), particulièrement dans sa version française, est encore plus clair : l’attribution de compétence à la Cour d’appel fédérale exclut entièrement la compétence de la Cour fédérale.

[48]      L’article 44 accorde compétence à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale pour accorder ce que l’on peut commodément appeler une « injonction autonome ». Une injonction interlocutoire permet de s’assurer qu’un jugement sur le fond ne deviendra pas inefficace en raison de ce qui se produit au cours de l’instance. La cour qui entendra le fond de l’affaire sous-jacente est la cour qui prononce habituellement les injonctions interlocutoires. Toutefois, il est également reconnu qu’une cour supérieure possédant une compétence inhérente peut prononcer une injonction interlocutoire lorsque le fond d’une affaire sera entendu par un autre décideur qui n’a pas compétence pour accorder des injonctions (Channel Tunnel Group Ltd. v. Balfour Beatty Construction Ltd., [1993] A.C. 334 (H.L.)). Dans un tel cas, la cour supérieure n’est pas saisie d’une action ou d’une demande sous-jacente, d’où l’expression « injonction autonome ».

[49]      Dans l’arrêt Canadian Liberty Net, la Cour suprême du Canada a étendu cette logique à la Cour fédérale, même si cette dernière ne possède pas de compétence inhérente, mais plutôt une compétence accordée par la loi. Dans cette affaire, le Tribunal canadien des droits de la personne (T.C.D.P.) était saisi du fond. La Cour suprême a noté que « les décisions et le fonctionnement du Tribunal sont assujettis de façon étroite aux pouvoirs de surveillance et de contrôle de la Cour fédérale » (à la page 659 [paragraphe 37]). Cela a eu pour conséquence de donner ouverture à la compétence de la Cour fédérale, aux termes de l’article 44, pour prononcer une injonction autonome à l’appui du processus du T.C.D.P. Il est important de souligner que le pouvoir de surveillance de la Cour fédérale à l’égard du T.C.D.P. découle principalement du fait que la Cour fédérale a compétence pour examiner les décisions du T.C.D.P. Cette compétence découle du fait que le T.C.D.P. est un « office fédéral » selon la définition de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales et qu’il ne figure pas dans la liste de l’article 28.

[50]      Lorsque le législateur, à l’article 44, a accordé compétence à la fois à la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale, il n’avait pas l’intention d’instaurer une compétence concurrente ou de laisser aux demandeurs le choix de présenter leur requête devant l’une ou l’autre des cours. Le paragraphe 28(3) s’applique à l’article 44. Par conséquent, lorsqu’une affaire relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale ne peut tout simplement pas se fonder sur l’article 44 pour ordonner un redressement interlocutoire. À titre d’exemple, dans la décision Centre québécois du droit de l’environnement c. Office national de l’énergie, 2015 CF 192, le juge de Montigny, alors membre de notre Cour, a conclu qu’il n’avait pas compétence pour prononcer, contre l’Office national de l’énergie, ce qui constituait essentiellement une injonction interlocutoire.

[51]      De même, en l’espèce, le T.C.C.E. se trouve dans l’énumération de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, et seule la Cour d’appel fédérale peut examiner ses décisions. La Cour fédérale n’a pas de pouvoir de surveillance à l’égard du T.C.C.E. En conséquence, la Cour d’appel fédérale peut prononcer une injonction concernant un processus qui relève de la compétence du T.C.C.E.

[52]      C’est ici que je dois m’écarter de la décision Danone rendue par mon collègue. Il a dit qu’à condition que la Cour d’appel fédérale ne soit pas saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale conserve sa compétence, en application de l’article 44. En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Le paragraphe 28(3) exclut la compétence de la Cour fédérale dès que la question relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale. Il n’est pas nécessaire que la Cour d’appel fédérale soit effectivement saisie d’une demande. En pratique, Pier 1 aurait pu saisir la Cour d’appel fédérale d’une demande visant à obtenir la suspension qu’elle me demande maintenant de lui accorder, précisément parce que la suspension (ou l’injonction) serait « autonome ».

[53]      Dans la décision Danone, mon collègue a noté que la Cour fédérale détenait un pouvoir de surveillance en ce qui concerne l’application de la Loi, plus précisément la partie V.1 relative à la perception. Pier 1 a souligné que certaines dispositions de la partie VI concernant les saisies confèrent également un rôle à la Cour fédérale. Toutefois, il ne suffit pas de dire que la Cour fédérale a un pouvoir de surveillance à l’égard de certaines questions limitées concernant l’application de la Loi, si l’objet de l’injonction demandée n’appartient pas à ces questions limitées. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, les parties V.1 et VI de la Loi abordent des questions très précises qui ne concernent en rien le calcul des droits de douane ou le choix de la méthode de calcul de la valeur en douane. Ces questions sont du seul ressort du T.C.C.E., dont les décisions peuvent être portées en appel devant la Cour d’appel fédérale. Aux termes du paragraphe 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales, cela signifie que la Cour fédérale n’a pas compétence.

[54]      J’ajouterais également que le fait que la demande de Pier 1 porte sur les décisions de l’ASFC plutôt que sur une décision du T.C.C.E. n’a pas d’incidence sur la présente analyse. Lorsque le contrôle d’un processus quasi judiciaire est du ressort d’une cour précise, cette compétence doit s’étendre non seulement à la décision rendue par le tribunal administratif, mais également à la conduite des parties devant ce tribunal, notamment la décision d’introduire des procédures ou la thèse à défendre à l’occasion de ces procédures.

[55]      En l’espèce, la demande présentée par Pier 1 concerne la thèse adoptée par l’ASFC lors de la délivrance de RDR, lors d’appels internes et lors d’éventuelles procédures devant le T.C.C.E. Il est évident que, ce faisant, Pier 1 vise effectivement à empêcher le T.C.C.E. de parvenir à une conclusion particulière. Si la Cour n’a pas compétence à l’égard des décisions rendues par le T.C.C.E., il est difficile de comprendre comment elle pourrait ordonner à l’ASFC de ne pas adopter une thèse précise devant le T.C.C.E. ou dans le cadre de processus qui mèneraient à une instance devant le T.C.C.E.

[56]      À ce sujet, je note que la Cour d’appel fédérale, à l’occasion d’une demande de contrôle d’une décision rendue par le T.C.C.E., a prononcé une ordonnance provisoire contre un ministère, qui était une partie à l’instance devant le T.C.C.E. : Canada (Procureur général) c. Northrop Grumman Overseas Services Corporation, 2007 CAF 336. Il en ressort que la Cour fédérale serait privée de la compétence pour prononcer une ordonnance similaire, compte tenu du paragraphe 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales. Même si la question a été tranchée en application de l’article 18.2, le même raisonnement s’applique à l’article 44.

[57]      Une manière simple de résumer ce qui précède revient à dire que la répartition des compétences découlant de l’article 44 concernant les ordonnances provisoires doit être le même que celle qui est édictée par les articles 18 et 28 en ce qui a trait au fond. Retenir les prétentions de Pier 1 signifierait que notre Cour pourrait prononcer des ordonnances provisoires relatives à des questions qui sont du ressort des tribunaux énumérés à l’article 28, même si elle ne possède pas d’expertise en la matière. Un tel résultat serait illogique.

B.        Bien-fondé de la requête en suspension

[58]      Comme j’ai conclu que je n’ai pas compétence pour ordonner une injonction ou une suspension en l’espèce, il n’est pas nécessaire que j’analyse le critère à trois volets établi dans l’arrêt RJR ― Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

IV.       Conclusion et redressement

[59]      En résumé, la Cour n’a pas compétence pour entendre le fond de la demande présentée par Pier 1 ni sa requête en suspension. Par conséquent, la requête en radiation du ministre est accueillie.

[60]      Toutefois, je suis parvenu à la conclusion que la requête en suspension de Pier 1 relève de la compétence de la Cour d’appel fédérale. Dans une telle situation, il est préférable de ne pas rejeter la requête, mais plutôt de transférer l’instance à la Cour d’appel fédérale. La règle 49 des Règles des Cours fédérales a été adoptée pour traiter les situations où une instance est présentée devant la mauvaise cour. Elle est rédigée comme suit :

Transfert d’instances

49 Lorsqu’une instance a été introduite en Cour d’appel fédérale ou en Cour fédérale, un juge de la cour saisie peut en ordonner le transfert à l’autre cour.

[61]      En application de la règle 47, je peux recourir à la règle 49 de ma propre initiative : Alliedsignal Inc. c. DuPont Canada Inc., 1998 CanLII 8013 (C.F.), au paragraphe 6. Il s’agit, en effet, de la solution la plus logique et la plus pratique à la présente situation procédurale. Par conséquent, j’ordonnerai le transfert de la présente instance à la Cour d’appel fédérale, afin qu’elle puisse statuer sur la requête de Pier 1 comme il se doit.

[62]      De bonne foi, Pier 1 a saisi notre Cour de sa demande en se fondant sur la décision Danone rendue par mon collègue. Comme je l’ai déjà mentionné, je ne peux pas être d’accord avec cette décision. Toutefois, dans les circonstances, il est justifié de ne pas adjuger de dépens contre Pier 1.

ORDONNANCE dans le dossier T-1637-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.         La requête du ministre est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est radiée.

2.         La présente instance est transférée à la Cour d’appel fédérale, afin qu’elle examine la requête en suspension de Pier 1.

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.