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IMM-783-18

2019 CF 338

Zihao Deng (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Deng c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Zinn—Toronto, 19 février; Ottawa, 19 mars 2019.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que le demandeur avait interjeté de la décision de prendre une mesure d’interdiction de séjour à son endroitLe demandeur, un citoyen de la Chine, a obtenu le statut de résident permanent lorsqu’il était d’âge mineurCitoyenneté et Immigration Canada a entamé une enquête afin de déterminer si le demandeur s’était conformé aux obligations énoncées à l’art. 28(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) — Dans un rapport préparé en application de l’art. 44(1) de la Loi, un agent a indiqué que le demandeur n’avait pas satisfait pas aux dispositions de la LoiLe demandeur a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour lorsqu’il était d’âge mineurLors de l’audition de son appel par la SAI et à la date de la décision, il n’était plus mineur — Le demandeur a soutenu que l’agent avait omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfantLa SAI n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au motif que ce facteur ne s’applique qu’aux enfants âgés de moins de 18 ans — Le défendeur a fait valoir que la SAI ne pouvait tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’en vertu de l’art. 67(1)c) de la Loi et que, pour que celui-ci s’applique, l’enfant doit avoir moins de 18 ans au moment de l’appelIl s’agissait de savoir si la décision de la SAI de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnableL’agent a eu tort de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfantL’agent était tenu de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, car le demandeur était un enfant à la fin de la période quinquennale — La SAI a commis la même erreur — L’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération en vertu de l’art. 28(2)c) de la Loi — Bien que l’analyse visée à l’art. 28(2)c) ne se limite pas aux circonstances de cette période quinquennale, ces circonstances ne peuvent être ignorées lorsqu’il s’agit de déterminer si un enfant est un enfantIl est illogique qu’un agent soit tenu d’examiner uniquement les circonstances telles qu’elles étaient à la date de la décisionL’équité exige que si, à la fin de la période quinquennale, un enfant est touché, l’intérêt supérieur de celui-ci doit être pris en considération, et ce, même s’il atteint l’âge de 18 ans après la fin de la période quinquennaleL’art. 67(1) de la Loi ne modifie pas la responsabilité qu’a la SAI de rendre la décision qui aurait dû être rendueConclure autrement reviendrait à dire que le droit du demandeur de faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant dépend de l’échéancier du processus de la SAICette interprétation n’était pas raisonnableEn l’espèce, la durée du processus de la SAI a fait en sorte que le demandeur a eu le temps de devenir adulteLa SAI a omis de tenir compte de la matrice factuelle présente au moment de la décision faisant l’objet du contrôleEn décidant d’effectuer sa propre évaluation, elle n’a pas tenu compte de l’incidence possible sur le demandeur — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que le demandeur avait interjeté de la décision de prendre une mesure d’interdiction de séjour à son endroit.

Le demandeur, un citoyen de la Chine, est arrivé au Canada en 2010, alors qu’il était âgé de 10 ans, et il a obtenu le statut de résident permanent. Il a été effectivement présent au Canada pendant 296 jours au cours de la période quinquennale depuis qu’il est devenu un résident permanent. En 2015, le demandeur a été avisé que Citoyenneté et Immigration Canada avait entamé une enquête afin de déterminer s’il s’était conformé aux obligations applicables aux résidents permanents énoncées au paragraphe 28(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi). Dans un rapport préparé en application du paragraphe 44(1) de la Loi, un agent a indiqué que le demandeur n’avait pas satisfait aux dispositions énoncées au paragraphe 28(2) de la Loi. Le demandeur a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour devant la SAI. Il avait alors 16 ans. Lors de l’audition de son appel par un tribunal de la SAI et à la date de la décision, le demandeur n’était plus mineur. Lors de l’audience devant la SAI, le demandeur a soutenu que la mesure d’interdiction de séjour n’était pas valide en droit, car l’agent avait omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. La SAI a déclaré que ce facteur ne s’applique qu’aux enfants âgés de moins de 18 ans et que rien ne prouvait qu’il serait dans l’intérêt supérieur d’un enfant de prendre des mesures spéciales. Le défendeur a fait valoir qu’il était raisonnable que la SAI ne tienne pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant parce que le demandeur n’était plus un enfant au moment de l’audience de novo. Plus particulièrement, le défendeur a fait valoir que la SAI ne pouvait tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi et que, pour que l’alinéa 67(1)c) s’applique, l’enfant doit avoir moins de 18 ans au moment de l’appel.

Il s’agissait de savoir si la décision de la SAI de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’agent a eu tort de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent était tenu de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, car le demandeur était un enfant à la fin de la période quinquennale. La SAI a décidé de rendre la décision que l’agent aurait dû rendre, mais elle a, elle aussi, omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. En conséquence, elle a commis la même erreur que l’agent.

L’agent qui évalue l’obligation de résidence prévue au paragraphe 28(1) le fait par rapport à la période de résidence quinquennale. L’alinéa 28(2)c) prévoit qu’un agent doit examiner s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes — « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » — pour rendre inopposable l’inobservation de l’obligation de résidence. La Loi n’indique pas expressément quelle date doit être utilisée pour déterminer si l’enfant était un enfant. Bien que l’analyse visée à l’alinéa 28(2)c) ne se limite pas aux circonstances de cette période quinquennale, ces circonstances ne peuvent être ignorées lorsqu’il s’agit de déterminer si un enfant est un enfant. Il doit y avoir un examen de ces circonstances d’ordre humanitaire, y compris de l’intérêt supérieur de l’enfant, par rapport à la période faisant l’objet de l’examen. Il est illogique qu’un agent soit tenu d’examiner uniquement les circonstances telles qu’elles étaient à la date de la décision. L’équité exige que si, à la fin de la période quinquennale, un enfant est touché, l’intérêt supérieur de celui-ci doit être pris en considération, et ce, même s’il atteint l’âge de 18 ans après la fin de la période quinquennale. Le paragraphe 67(1) de la Loi ne modifie pas la responsabilité qu’a la SAI de rendre la décision qui aurait dû être rendue. Le fait que le demandeur était un enfant à ce moment-là n’a pas changé. Conclure autrement reviendrait à dire que le droit du demandeur de faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant dépend de l’échéancier du processus de la SAI. Cette interprétation n’était pas raisonnable. En l’espèce, la durée du processus de la SAI a fait en sorte que le demandeur a eu le temps de devenir adulte. La SAI a omis de tenir compte de la matrice factuelle présente au moment de la décision faisant l’objet du contrôle. En décidant d’effectuer sa propre évaluation plutôt que de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision, la SAI n’a pas tenu compte de l’incidence possible sur le demandeur. Elle a privé ce dernier de son droit de faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela a rendu la décision de la SAI déraisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 28, 44(1), 67.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Noh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 529.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration. Guide opérationnel : Traitement des demandes à l’étranger, chapitre OP 10 « Détermination du statut de résident permanent ».

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision (2018 CanLII 34149) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que le demandeur avait interjeté de la décision de prendre une mesure d’interdiction de séjour à son endroit. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Peter Lulic pour le demandeur.

Suzanne Bruce pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Peter Lulic, Toronto, pour le demandeur.

La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Zinn : M. Deng conteste la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) [Den c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 34149] a rejeté l’appel qu’il avait interjeté de la décision de prendre une mesure d’interdiction de séjour à son endroit parce qu’il ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence applicable aux résidents permanents énoncée à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]        À la fin de l’audience, les parties ont été informées que la présente demande serait accueillie et que les motifs suivraient. Voici les motifs pour lesquels j’ai décidé que la décision faisant l’objet du contrôle doit être annulée. Bien que d’autres questions aient été soulevées, ma décision est fondée sur l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant par la SAI (ou l’absence d’une telle analyse).

[3]        M. Deng, un citoyen de la Chine, est né le 12 juillet 1999. Il est arrivé au Canada avec son père le 4 février 2010 alors qu’il était âgé de 10 ans, et il a obtenu le statut de résident permanent. Il est retourné en Chine le 18 février 2010 afin d’y vivre avec sa mère. Ce n’est qu’en 2014, alors qu’il avait 15 ans, qu’il est revenu au Canada non accompagné.

[4]        M. Deng a été effectivement présent au Canada pendant 296 jours au cours de la période quinquennale depuis qu’il est devenu un résident permanent; toutefois, le paragraphe 28(2) de la Loi exige une présence d’au moins 730 jours.

[5]        M. Deng a été avisé par une lettre datée du 30 janvier 2015 que Citoyenneté et Immigration Canada avait entamé une enquête afin de déterminer s’il s’était conformé aux obligations applicables aux résidents permanents énoncées au paragraphe 28(2) de la Loi. Cette lettre fait mention des circonstances d’ordre humanitaire mentionnées à l’alinéa 28(2)c) de la Loi. Il y est indiqué que malgré un défaut de résider au Canada pendant le nombre de jours requis, cette obligation de résidence est assujettie à ce qui suit :

28 […]

Application

(2) […]

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

[6]        M. Deng a présenté des observations écrites au titre de cette disposition. Un rapport a été préparé en application du paragraphe 44(1) de la Loi le 5 juin 2015 et résumait dans un style abrégé les détails pertinents concernant les absences du Canada, indiquant ceci : [traduction] « Ne respecte pas les autres dispositions énoncées au paragraphe 28(2) ». Ce rapport a donné lieu à la prise d’une mesure d’interdiction de séjour le 21 octobre 2015, laquelle indiquait que M. Deng est visé à :

[traduction] l’article 4 car, selon la prépondérance des probabilités, il y a des motifs de croire qu’il est un résident permanent qui est interdit de territoire pour ne pas s’être conformé à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi.

[7]        M. Deng a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour devant la SAI le 12 novembre 2015. Il avait alors 16 ans. Près de 26 mois plus tard, le 8 janvier 2018, son appel a été instruit par un tribunal de la SAI, qui a décidé le 29 janvier 2018 de rejeter l’appel. Lors de l’audition de l’appel, M. Deng avait atteint l’âge de 18 ans et n’était plus mineur.

[8]        Un examen du dossier révèle que le retard faisant en sorte que M. Deng a dépassé la limite d’âge applicable est entièrement attribuable à la SAI. M. Deng a célébré son 18e anniversaire le 12 juillet 2017. La SAI a jugé en avril 2017 qu’il avait abandonné son appel, et M. Deng a dû prendre des mesures pour faire rouvrir son dossier. Un autre tribunal de la SAI a rouvert le dossier, car il y avait eu violation de la justice naturelle : la SAI avait failli à son obligation de veiller à ce que M. Deng soit adéquatement représenté par un représentant désigné. La SAI avait décidé qu’un certain M. Liang était le représentant désigné de M. Deng, toutefois, rien ne permettait de conclure qu’il avait accepté d’agir comme tel ou même qu’il était toujours un résident du Canada. M. Liang était cité uniquement comme une personne acceptant d’agir comme gardien de M. Deng [traduction] « en cas d’urgence » et, comme il a été souligné dans la décision de rouvrir le dossier d’appel, [traduction] « il est permis de se demander si cet appel se qualifie d’urgence ». Par conséquent, la SAI a conclu que l’obligation de veiller à ce que M. Deng, un mineur, soit représenté n’a pas été respectée et le dossier d’appel a été rouvert. Si ce n’était de cette erreur, il est probable que l’appel aurait été instruit alors que M. Deng était encore mineur.

[9]        Lors de l’audience devant la SAI, M. Deng a soutenu que la mesure d’interdiction de séjour n’était pas valide en droit, car l’agent avait omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant comme l’exige la Loi. La SAI [au paragraphe 9] a résumé cette observation ainsi :

[…] Lorsque la décision a été rendue en 2015, l’appelant était mineur, mais le dossier d’appel ne contient aucun élément de preuve montrant que l’agent a tenu compte du critère « intérêt supérieur de l’enfant ». Il n’y a pas non plus d’élément de preuve confirmant directement que des motifs d’ordre humanitaire ont été analysés et rejetés.

[10]      La SAI semble accepter cette observation, déclarant ce qui suit [au paragraphe 11] :

Le dossier d’appel ne précise pas exactement les motifs d’ordre humanitaire qui ont été pris en compte par l’agent d’immigration ni ce que celuici comprenait de lexpression « intérêt supérieur de l’enfant ». En conséquence, des questions restent sans réponse quant à savoir si cette décision a été rendue conformément à l’équité procédurale.

[11]      Ayant pris note de ce qui précède, la SAI [au paragraphe 12] a décidé de rendre sa propre décision et a fourni l’explication suivante :

[…] un appel interjeté à la Section d’appel de l’immigration (SAI) est un appel de novo au sens le plus large. Il ne s’agit pas d’un contrôle judiciaire de la décision initiale ou simplement d’une évaluation de la question de savoir si cette décision peut se justifier au regard du droit. En conséquence, même si j’étais d’avis que l’agent des visas a agi de façon injuste sur le plan procédural ou que, par ailleurs, il a commis une erreur de droit dans son évaluation de la situation de l’appelant, j’estime qu’il ne conviendrait pas d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent. Après avoir entendu les témoignages de vive voix de l’appelant et de son père, il incombe à la SAI de tirer des conclusions quant au bienfondé de laffaire. [Note en bas de page omise.]

[12]      La SAI s’est ensuite penchée sur les facteurs d’ordre humanitaire pertinents dans le cadre de la demande de M. Deng. Comme je l’ai expliqué précédemment, je n’examinerai pas tous les facteurs. Ce qui importe en l’espèce, c’est qu’en ce qui a trait à « l’intérêt supérieur de l’enfant », la SAI a simplement déclaré ceci [au paragraphe 37] :

Comme la Cour fédérale l’a confirmé dans la décision Moya [Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 971], ce facteur ne s’applique qu’aux enfants âgés de moins de 18 ans. En conséquence, rien ne prouve, en l’espèce, qu’il serait dans l’intérêt supérieur d’un enfant de prendre des mesures spéciales.

[13]      La question qui se pose est donc de savoir si la décision de la SAI de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnable.

[14]      M. Deng soutient que la SAI était tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’elle a rendu sa décision. Comme je le comprends, l’agent qui a rendu la première décision a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. En conséquence, lorsque la SAI a décidé de rendre sa propre décision, elle était tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant puisque son rôle est de rendre la décision que l’agent aurait dû rendre. Le fait de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant simplement parce que M. Deng n’était plus un enfant au moment de l’appel devant la SAI constitue une répétition de la même erreur que celle commise par l’agent.

[15]      Le ministre a fait valoir qu’il était raisonnable que la SAI ne tienne pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant parce que M. Deng n’était plus un enfant au moment de l’audience de novo. D’après ce que je comprends de la position du ministre, la SAI ne peut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi.

[16]      L’article 67 de la Loi prévoit ce qui suit :

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Effet

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

Le ministre soutient que pour que l’alinéa 67(1)c) s’applique, l’enfant doit avoir moins de 18 ans au moment de l’appel, ce qui n’était pas le cas de M. Deng.

[17]      Je constate que bien que l’alinéa 67(1)c) soit l’une des raisons permettant de faire droit à un appel, l’alinéa 67(1)a) prévoit que la SAI doit faire droit à l’appel si : « la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait ».

[18]      En l’espèce, la SAI a déterminé, et je suis d’accord, que l’agent n’a pas adéquatement tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, outre la déclaration générale selon laquelle M. Deng ne s’était pas conformé aux obligations prévues à l’article 28 de la Loi, rien dans le dossier ne laisse entendre que l’agent a examiné l’intérêt supérieur de l’enfant, un examen exigé par l’alinéa 28(2)c) de la Loi. Je constate également que la Ligne directrice ministérielle [Guide opérationnel : Traitement des demandes à l’étranger, chapitre] OP 10 – « Détermination du statut de résident permanent » [à la page 46], qui a été citée à l’audience devant la SAI et qui se trouve dans le dossier de demande, exige que les personnes chargées de rendre des décisions concernant le statut de résident permanent en fassent plus que ce qui a été fait dans le dossier d’appel lorsqu’il existe des considérations liées à l’intérêt supérieur de l’enfant :

[…] Ce que doit faire le gestionnaire, c’est démontrer dans le dossier qu’il a examiné attentivement les intérêts des enfants et que ces intérêts ont été « identifiés et définis » et non simplement mentionnés. Indiquer dans le dossier ce qui est dans l’intérêt de l’enfant et les raisons pourquoi le gestionnaire est de cet avis serait le minimum requis pour démontrer qu’il a été conscient de ce qu’était l’intérêt des enfants et qu’il y a été sensible.

[19]      L’agent a-t-il eu tort de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant? À mon avis, la réponse est oui. L’agent était tenu de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, car M. Deng était mineur à la fin de la période de résidence quinquennale. Comme il est expliqué ci-après, il s’agit de la date pertinente à prendre en considération pour déterminer s’il y a lieu d’effectuer une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cas de quelqu’un comme M. Deng.

[20]      L’agent qui évalue l’obligation de résidence prévue au paragraphe 28(1) le fait par rapport à la période de résidence quinquennale. Cependant, l’alinéa 28(2)c) prévoit qu’un agent doit examiner s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes — « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » — pour rendre inopposable l’inobservation de l’obligation de résidence. Ces décisions sont rendues après la période pertinente. La Loi n’indique pas expressément quelle date doit être utilisée pour déterminer si l’enfant était un enfant. À mon avis, bien que l’analyse visée à l’alinéa 28(2)c) ne se limite pas aux circonstances de cette période quinquennale, ces circonstances ne peuvent être ignorées lorsqu’il s’agit de déterminer si un enfant est un enfant.

[21]      Premièrement, cela est évident si on examine le libellé du paragraphe 28(2), qui prévoit que les circonstances d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt de l’enfant, « régissent » [non souligné dans l’original] les obligations de résidence prévues au paragraphe 28(1), lequel mentionne que ces obligations sont applicables « à chaque période quinquennale ». Par conséquent, il doit y avoir un examen de ces circonstances d’ordre humanitaire, y compris de l’intérêt supérieur de l’enfant, par rapport à la période faisant l’objet de l’examen. Il est illogique qu’un agent soit tenu d’examiner uniquement les circonstances telles qu’elles étaient à la date de la décision.

[22]      Deuxièmement, dans l’affaire Noh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 529 (Noh), le juge Russell explique que pour ce qui est des facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant visés à l’article 25, l’enfant doit être âgé de moins de 18 ans au moment de la réception de la demande. Il n’est pas nécessaire qu’il soit toujours mineur le jour où la décision est rendue. Cela est logique parce que le contraire pourrait entraîner une injustice étant donné que le ministre est le seul responsable de l’échéancier du processus. Hypothétiquement, une décision pourrait être rendue le jour de la demande, ou le ministre pourrait attendre de nombreuses années afin d’éviter d’avoir à tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. La seule date équitable sur laquelle se fonder est donc la date du dépôt de la demande.

[23]      Il n’est question d’aucune « demande » à l’article 28, mais il y a la date de fin de la période quinquennale faisant l’objet de l’examen. Comme la date de demande, la date de fin n’est pas une date déterminée par le ministre. En marge de l’analyse effectuée dans l’affaire Noh, l’équité exige que si, à la fin de la période quinquennale, un enfant est touché, l’intérêt supérieur de celui-ci doit être pris en considération, et ce, même s’il atteint l’âge de 18 ans après la fin de la période quinquennale.

[24]      Cela ne veut pas dire que la situation après la date de la décision peut être ignorée. L’alinéa 28(2)c) indique précisément que le décideur doit tenir compte de l’intérêt supérieur de « l’enfant directement touché ». Les enfants qui sont mineurs à la date d’une décision sont directement touchés, même s’ils n’étaient pas encore nés à la fin de la période quinquennale. Par exemple, l’enfant d’un résident permanent peut être né après la date de fin de la période quinquennale, et la perte du statut de son parent peut nuire à son intérêt supérieur. Par conséquent, l’intérêt supérieur d’un enfant né après la période quinquennale doit également être pris en considération.

[25]      Je suis d’avis que, comme en l’espèce, lorsqu’une personne est touchée et qu’elle était mineure à la fin de la période quinquennale (et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de la personne dont le statut fait l’objet d’un examen), les intérêts de cette personne en tant qu’enfant doivent être pris en considération.

[26]      En l’espèce, M. Deng était un enfant à la fin de la période quinquennale. L’agent n’a pas tenu compte de son intérêt supérieur. Par conséquent, la décision de l’agent était erronée en droit.

[27]      Examinons maintenant la décision faisant l’objet du contrôle. Comme le paragraphe 67(2) l’explique :

67 (1) […]

Effet

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente. [Non souligné dans l’original.]

[28]      En l’espèce, la SAI a décidé de rendre la décision que l’agent aurait dû rendre. Cependant, elle a, elle aussi, omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. En conséquence, elle a commis la même erreur que l’agent. Il s’ensuit que l’intérêt supérieur de M. Deng n’a jamais été pris en considération, même si la Loi l’exigeait.

[29]      Le ministre renvoie au paragraphe 67(1), qui explique qu’« il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé » [non souligné dans l’original]. Il affirme qu’en raison de cette mention et du fait qu’il s’agit d’une audience de novo, la SAI doit tenir compte des faits tels qu’ils se présentent au moment de l’audience.

[30]      À mon avis, le paragraphe 67(1) ne modifie pas la responsabilité qu’à la SAI de rendre la décision qui aurait dû être rendue. Peu importe que M. Deng ait vieilli, il était un enfant à la fin de la période quinquennale pertinente. Le fait qu’il était un enfant à ce moment-là n’a pas changé. La décision qui aurait dû être rendue en est une qui aurait dû tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[31]      Conclure autrement reviendrait à dire que le droit de M. Deng de faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant dépend de l’échéancier du processus de la SAI. Cette interprétation n’est pas raisonnable. En l’espèce, la durée du processus de la SAI a fait en sorte que M. Deng a eu le temps de devenir adulte. La situation est bien décrite par le juge Russell dans l’affaire Noh, au paragraphe 66 :

La présente affaire (comme d’autres affaires semblables) concerne des demandeurs CH qui auraient pu bénéficier de la prise en compte de l’intérêt supérieur d’un enfant qui n’est plus admissible à cette protection en raison seulement du temps écoulé entre le dépôt de la demande et son examen par le défendeur. Or, les délais administratifs de traitement des demandes sont généralement l’affaire du défendeur, et ce serait faire abstraction de cette réalité si l’on disait que les agents ne sont pas tenus de considérer l’intérêt supérieur d’un enfant directement concerné dans cette situation. Selon moi, le défendeur ne peut invoquer sa propre lenteur à évaluer la demande CH dont il s’agit ici pour éteindre une obligation qui lui aurait incombé s’il avait agi rapidement. L’agente était donc tenue de considérer l’intérêt supérieur de Min Ji au moment d’évaluer la demande CH. [Non souligné dans l’original.]

[32]      Cela ne signifie pas que la SAI, lors d’un appel de novo, ne peut pas tenir compte de nouveaux éléments de preuve ou des modifications apportées aux lois; cependant, elle commet une erreur si elle omet, comme l’a fait ce tribunal, de tenir compte de la matrice factuelle présente au moment de la décision faisant l’objet du contrôle.

[33]      Même si j’avais conclu que la SAI avait eu raison de juger qu’elle n’était pas tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant parce que M. Deng était un adulte au moment de l’appel, j’aurais quand même conclu que sa décision de faire sa propre évaluation était déraisonnable.

[34]      En décidant d’effectuer sa propre évaluation plutôt que de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision, la SAI n’a pas tenu compte de l’incidence possible sur M. Deng. L’agent n’a jamais tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et même la SAI reconnaît qu’il aurait dû. En effectuant sa propre évaluation tout en sachant qu’elle ne tiendrait pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, la SAI savait que l’intérêt supérieur de M. Deng ne serait jamais pris en considération. Avant de décider d’effectuer sa propre évaluation dans de telles circonstances plutôt que de renvoyer l’affaire, la SAI avait l’obligation d’examiner le préjudice possible que cette avenue pourrait causer à M. Deng. Elle a privé ce dernier de son droit de faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant, écartant ainsi l’obligation expresse de la Loi. La décision de ne pas renvoyer l’affaire à un agent sans tenir compte de cet élément rend la décision déraisonnable.

[35]      Pour ces motifs, la présente demande doit être accueillie et l’appel doit être renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SAI pour une nouvelle décision.

[36]      Après avoir été interrogées, les parties ont informé la Cour qu’elles n’avaient aucune question à proposer aux fins de certification.

JUGEMENT dans le dossier IMM-783-18

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision de la Section d’appel de l’Immigration concernant l’appel interjeté par M. Deng à l’encontre de la mesure d’interdiction de séjour à son endroit est annulée, que son appel est renvoyé à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel de l’Immigration pour une nouvelle décision conformément aux présents motifs et qu’aucune question n’est certifiée.

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