Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

2019 CF 1126

IMM-3433-17

L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

et

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (intervenante)

IMM-3373-18

L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié  : Association Canadienne des Avocats et Avocates en Droit des Réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge en chef Crampton—Toronto, 6 juin; Ottawa, 6 septembre 2019.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Guides jurisprudentiels — Contrôle judiciaire d’une décision du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) de désigner des décisions de la Commission devant servir de guides jurisprudentiels relatifs à l’évaluation des demandes d’asile présentées par des ressortissants du Nigéria, du Pakistan, de la Chine et de l’Inde — Les guides jurisprudentiels ont été adoptés conformément à l’art. 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) — La demanderesse a contesté la légalité des guides jurisprudentiels pour plusieurs motifs — Il s’agissait principalement de savoir si le président a le pouvoir de désigner des guides jurisprudentiels sur des questions de fait; si les guides jurisprudentiels contestés ont entravé illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ou ont porté indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle; s’ils ont rehaussé injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile; et si le président était obligé d’entreprendre des consultations auprès des intervenants externes avant de désigner les décisions en question comme des guides jurisprudentiels — Il n’était pas déraisonnable que le président interprète implicitement l’art. 159(1)h) comme lui conférant le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels pour des questions de fait — La désignation des décisions en question comme guides jurisprudentiels n’était pas ultra vires — La décision de désigner les guides jurisprudentiels était fondée sur des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit — Le fait que l’interprétation soit implicite ne l’a pas rendue moins susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable — L’interprétation était conforme aux termes mêmes de l’art. 159(1)h) — Elle était compatible avec l’historique législatif de la disposition, son objet et son contexte législatif — Le champ d’application de la disposition n’est pas confiné aux questions de droit ou mixtes de droit et de fait — L’interprétation était également conforme au large pouvoir prévu à l’art. 159(1)g) et à l’objectif général énoncé à l’art. 162(2) de la Loi — Les guides jurisprudentiels contenant des questions de fait sont compatibles avec l’objectif qui consiste à fonctionner sans formalisme et avec célérité — Il peut être difficile de faire la distinction entre les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit — Les décisions qui consistent en des déterminations factuelles font partie de la « jurisprudence » d’une Cour — Les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, la Chine et l’Inde ont exercé une pression sur les commissaires pour qu’ils adoptent des conclusions de fait — Selon la déclaration d’attente énoncée dans les notes de politique, on attendait des commissaires qu’ils appliquent les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifient leur décision de s’en écarter — Cela ne se limitait pas à attirer l’attention des commissaires sur des renseignements factuels — Des directives peuvent influer de manière générale sur la façon dont les décisions sont prises — La ligne de démarcation est franchie lorsqu’une pression est exercée sur des décideurs afin qu’ils tirent des conclusions de fait précises — Le président ne pouvait publier un guide jurisprudentiel qui limite la liberté absolue des décideurs quasi judiciaires d’établir leurs propres déterminations factuelles — Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’a pas entravé illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissairesLes faits problématiques présentés dans les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, l’Inde et la Chine étaient des faits présentés comme étant des conclusions établies par la Section d’appel des réfugiés (SAR) sur des questions allant au-delà des éléments de preuve propres à la demanderesseLes commissaires étaient assujettis à l’attente explicite qu’ils adoptent ces conclusions — Cela saperait la confiance du public, la primauté du droit et le principe de l’indépendance judiciaire — Il n’y a pas d’expression expresse ou implicite de l’intention du législateur à l’art. 159(1)h) en ce qui concerne les déterminations factuelles — Le président peut attirer l’attention des commissaires sur des facteurs d’évaluation, des principes juridiques et des faits — Les commissaires sont libres de prendre leurs propres décisions — Le guide jurisprudentiel qui traite de questions de fait n’est pas problématique — Le problème est posé par la déclaration d’attente — Les guides jurisprudentiels contestés n’ont pas rehaussé injustement le fardeau imposé aux demandeurs d’asile — La documentation sur la situation du pays et les réponses à des demandes d’information (RDI) n’ont créé aucune iniquité procédurale — Le président avait le pouvoir de citer des renseignements contenus dans le Cartable national de documentation (CND) ou les RDI de la Commission — Un préavis raisonnable était donné aux futurs demandeurs d’asile des problèmes supplémentaires et des renseignements qui pourraient devoir être abordés — Dans la mesure où l’information contenue dans un guide jurisprudentiel fournit une raison de douter de la véracité des allégations formulées par le demandeur d’asile, la présomption de vérité ne s’applique plus — La force de la présomption dépend de la preuve corroborante fournie — L’alourdissement du fardeau découlant de la nécessité d’étayer l’exposé des faits pour refléter les faits présentés dans le CND ou les RDI de la Commission n’est pas injuste — Il en va de même en ce qui concerne tout alourdissement du fardeau pouvant résulter de facteurs d’évaluation énoncés dans un guide jurisprudentiel — Il n’était pas déraisonnable pour le président de conclure qu’une consultation publique n’était pas nécessaire avant la publication des guides jurisprudentiels — L’art. 159(1)h) traite de l’étendue de la consultation requise — Une autre consultation n’était pas nécessaire — Enfin, la décision concernant le Nigéria n’a pas été présélectionnée de manière inacceptable pour faire l’objet d’un guide jurisprudentiel — La déclaration d’attente contenue dans la note de politique publiée avec les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, l’Inde et la Chine a été déclarée comme illégale et inopérante en ce qui concerne certaines déterminations factuelles — Des questions ont été certifiées — Demandes accueillies en partie.

Pratique — Parties — Qualité pour agir — Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a désigné des décisions de la Commission devant servir de guides jurisprudentiels relatifs à l’évaluation des demandes d’asile présentées par des ressortissants du Nigéria, du Pakistan, de la Chine et de l’Inde — Les guides jurisprudentiels ont été adoptés conformément à l’art. 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) — La demanderesse a contesté la légalité des guides jurisprudentiels pour plusieurs motifs — Une requête présentée précédemment en vue de radier la demanderesse en tant que partie à l’instance a été rejetée — Le défendeur n’a pas interjeté appel de cette décision en raison de l’art. 72(2)e) de la Loi — Il a soutenu que la demanderesse n’était pas une partie habilitée — Il a soutenu que l’art. 74d) de la Loi permet de porter en appel une ordonnance interlocutoire si une question d’appel est certifiée dans le jugement définitif à l’égard de la demande connexe — Un appel d’une ordonnance interlocutoire n’est pas possible même si un juge certifie une question — L’art. 74 ne vise absolument pas les questions interlocutoires.

Pratique — Caractère théorique — Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a désigné des décisions de la Commission devant servir de guides jurisprudentiels relatifs à l’évaluation des demandes d’asile présentées par des ressortissants du Nigéria, du Pakistan, de la Chine et de l’Inde — Les guides jurisprudentiels ont été adoptés conformément à l’art. 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La demanderesse a contesté la légalité des guides jurisprudentiels pour plusieurs motifs — Les guides jurisprudentiels sur la Chine et l’Inde ont par la suite été révoqués — Le contexte d’un rapport contradictoire entre les parties, l’économie judiciaire et l’intérêt public ont joué en faveur de l’exercice du pouvoir de traiter les questions relatives aux guides jurisprudentiels révoqués.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire d’une décision du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) de désigner une ou plusieurs décisions de la Commission devant servir de guides jurisprudentiels relatifs à l’évaluation des demandes d’asile présentées par des ressortissants du Pakistan, de la Chine et de l’Inde (dossier IMM-3433-17) et du Nigéria (dossier IMM-3373-18).

Les quatre guides jurisprudentiels en cause dans la présente instance ont été adoptés conformément à l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi), qui confère au président le pouvoir de « préciser les décisions de la Commission qui serviraient de guides jurisprudentiels qui ne lieraient pas les commissaires, mais amélioreraient la cohérence du processus décisionnel ». La demanderesse a contesté la légalité des guides jurisprudentiels pour le motif que l’alinéa 159(1)h) n’autorise pas le président à publier un guide jurisprudentiel concernant des questions de fait; que les guides jurisprudentiels entravent illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires et empiètent indûment sur leur indépendance décisionnelle; qu’ils rehaussent injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile; et qu’ils ont été publiés sans aucune consultation externe. Les guides jurisprudentiels ont été publiés pour traiter notamment de la question de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, de la protection adéquate de l’État et de la persécution de minorités religieuses. Le président a qualifié le Pakistan, la Chine et l’Inde de « principaux pays sources » pour la Commission et a souligné que l’utilisation des guides jurisprudentiels était essentielle si la Commission doit traiter l’arriéré et le nombre croissant de nouvelles demandes. Le président a déclaré que ces guides jurisprudentiels étaient « fondés sur des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit ».

  Il s’agissait principalement de savoir si le président a le pouvoir de désigner des guides jurisprudentiels sur des questions de fait; si les guides jurisprudentiels contestés ont entravé illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ou ont porté indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle; s’ils ont rehaussé injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile; et si le président était obligé d’entreprendre des consultations auprès des intervenants externes avant de désigner les décisions en question comme des guides jurisprudentiels.

Jugement  : les demandes doivent être accueillies en partie.

Il n’était pas déraisonnable que le président interprète implicitement l’alinéa 159(1)h) comme lui conférant le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels pour des questions de fait, en plus des questions de droit et des questions mixtes de fait et de droit. La désignation des quatre décisions en question comme guides jurisprudentiels n’était pas ultra vires par rapport au pouvoir conféré au président aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la Loi. Le président a explicitement déclaré que les guides jurisprudentiels du Pakistan, de la Chine et de l’Inde étaient fondés sur des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit. Le fait que l’interprétation du président soit implicite, plutôt qu’explicite, ne l’a pas rendue moins susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. L’interprétation implicite de l’alinéa 159(1)h) donnée par le président était également raisonnable car elle était conforme aux termes mêmes de cette disposition. En outre, cette interprétation était largement compatible avec l’historique législatif de la disposition, son objet manifeste et son contexte législatif. Il n’y a aucune limite qui confine le champ d’application de cette disposition aux questions de droit ou mixtes de droit et de fait. L’interprétation du président était également conforme au large pouvoir prévu à l’alinéa 159(1)g) et à l’objectif général énoncé au paragraphe 162(2) de la Loi, qui confère au président le pouvoir de prendre les mesures nécessaires pour que les commissaires remplissent leurs fonctions avec diligence et efficacité. Une capacité à publier des guides jurisprudentiels sur des questions de fait est compatible avec l’objectif général qui consiste à fonctionner, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité. L’interprétation par le président de son autorité aux termes de l’alinéa 159(1)h) était raisonnable, car il peut être très difficile de faire la distinction entre les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit. Il serait contraignant d’exclure des guides jurisprudentiels toutes les conclusions de fait. Le sens ordinaire du terme « jurisprudence » englobe les décisions rendues par une cour en ce qui concerne les questions factuelles, ainsi que les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit. Sous réserve de ce qui précède, les décisions qui consistent entièrement ou en grande partie en des déterminations factuelles font tout autant partie de la « jurisprudence » d’une Cour que les décisions qui traitent de questions de droit ou de questions mixtes de fait et de droit.

Dans la mesure où les guides jurisprudentiels exerçaient effectivement une pression sur les commissaires pour qu’ils adoptent des conclusions de fait ou justifient leur décision de s’en écarter, cela constituerait une atteinte indue à leur indépendance décisionnelle. Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’a pas été touché par ces lacunes, mais les trois autres guides jurisprudentiels contestés l’ont été uniquement en raison de la déclaration d’attente énoncée dans chacune des notes de politique accompagnant la désignation des décisions en question comme guide jurisprudentiel, à savoir qu’on attendait des commissaires qu’ils « appliquent les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifient leur décision de s’en écarter, le cas échéant ». Le principe de l’indépendance décisionnelle peut être adapté pour prendre en compte les contraintes institutionnelles auxquelles sont confrontés des organes quasi judiciaires tels que la Commission. Ces limites sont atteintes lorsqu’une directive administrative ne se limite pas à attirer l’attention des commissaires sur des renseignements factuels et à les encourager à les prendre en compte, mais les oblige plutôt à suivre des conclusions de fait particulières. Dans le contexte du droit administratif, il peut être tout à fait approprié d’utiliser des outils tels que des directives pour influer de manière générale sur la façon dont les décisions sont prises, dans la mesure où il est clairement indiqué que les décideurs restent entièrement libres de tirer leurs propres conclusions, sur le fondement des faits propres à chaque affaire. Cela serait conforme au principe selon lequel les outils administratifs qui n’empiètent pas sur la liberté d’un commissaire de tirer des conclusions factuelles peuvent être légitimement utilisés pour atteindre un degré de cohérence qui ne serait pas autrement accessible. Toutefois, la ligne de démarcation serait franchie lorsque le libellé des directives peut être raisonnablement perçu comme ayant un effet probable de pression sur des décideurs indépendants afin qu’ils tirent des conclusions de fait précises ou d’atténuation de leur impartialité à cet égard. La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) ne permet pas d’affirmer que le président peut publier un guide jurisprudentiel qui limite la liberté absolue des décideurs quasi judiciaires d’établir leurs propres déterminations factuelles, à l’abri de toute pression ou incitation de tiers. Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’a pas entravé illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ni n’a restreint indûment leur liberté de statuer sur les affaires dont ils sont saisis selon leur conscience. Au contraire, le guide jurisprudentiel indiquait clairement que chaque affaire doit être tranchée en fonction de ses faits particuliers. Dans la mesure où on s’attend à ce que les commissaires fassent quelque chose de particulier, il s’agit simplement d’appliquer le critère établi pour évaluer une PRI, de tenir compte de la jurisprudence et de la documentation sur le pays mentionnées dans le guide jurisprudentiel, puis de prendre leurs propres décisions sur la base des faits particuliers de l’affaire. Les questions de fait discutées dans les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, l’Inde et la Chine étaient problématiques parce que ces questions semblaient consister en des conclusions de fait établies par la Section d’appel des réfugiés (SAR) sur des questions allant au-delà des éléments de preuve propres à la demanderesse. Compte tenu de cette déclaration, les commissaires seraient assujettis à l’attente explicite qu’ils adoptent ces conclusions, à moins qu’ils ne soient disposés à justifier leur décision de s’en écarter. On pourrait raisonnablement croire que l’effet probable des directives répétées adressées aux commissaires de la Commission serait que certains de ces commissaires se sentent obligés d’adopter les conclusions de fait du guide jurisprudentiel. La confiance du public et la primauté du droit seraient sapées. Le pouvoir discrétionnaire des membres de tirer des conclusions de fait serait illicitement entravé et leur indépendance décisionnelle serait indûment restreinte ou atteinte. En résumé, ces commissaires ne seraient pas entièrement libres d’établir des déterminations concernant les faits en question. Le principe de l’indépendance décisionnelle, même dans le contexte du droit administratif, ne pouvait supporter une aussi grande tension entre l’attente que le président a communiquée et la liberté totale des commissaires de tirer leurs propres conclusions de fait selon leur conscience. Le principe sacro-saint voulant que « celui qui entend doit trancher » à l’égard des faits contestés ne peut pas être sacrifié sur l’autel de l’accroissement de la cohérence et de l’efficacité dans la prise de décision. Il n’y a pas d’expression expresse ou implicite de l’intention du législateur à l’alinéa 159(1)h), ou ailleurs dans la Loi, en ce qui concerne les déterminations factuelles. Il est nécessairement implicite compte tenu de l’inclusion du pouvoir de publier des guides jurisprudentiels à l’alinéa 157(1)h) que le président peut attirer l’attention des commissaires sur des facteurs d’évaluation particuliers, des principes juridiques et des faits. Ce faisant, le président doit toutefois préciser que les commissaires sont libres de prendre leurs propres décisions en fonction des faits propres à chaque cas. Le guide jurisprudentiel qui traite de questions de fait n’est pas problématique en soi. C’est le cas même lorsque le guide jurisprudentiel en question traite presque exclusivement de questions de fait. Le problème est posé par la déclaration d’attente selon laquelle le guide jurisprudentiel devrait être appliqué aux cas comportant des faits semblables, à moins de justifier la décision de s’en écarter.

Les guides jurisprudentiels contestés n’ont pas rehaussé injustement le fardeau imposé aux demandeurs d’asile. Certains des renseignements contenus dans la documentation sur la situation du pays et les réponses à des demandes d’information (RDI) cités dans les guides jurisprudentiels peuvent rendre plus difficile la tâche des demandeurs d’asile d’établir le bien-fondé de leur revendication devant la Section de la protection des réfugiés ou la SAR, mais cela ne crée aucune iniquité procédurale, car le législateur a donné au président le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels, et par déduction nécessaire, ce pouvoir inclut celui de citer des renseignements contenus dans le Cartable national de documentation (CND) ou les RDI de la Commission. En désignant un guide jurisprudentiel, le président donne un préavis raisonnable aux futurs demandeurs d’asile des problèmes supplémentaires et des renseignements qui pourraient devoir être abordés dans des arguments juridiques et des éléments de preuve. Dans la mesure où l’information contenue dans un guide jurisprudentiel fournirait une raison de douter de la véracité des allégations formulées dans l’affidavit ou le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la présomption de vérité ne s’appliquerait plus. La raison sous-jacente à cette présomption est qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs d’asile ayant vécu certains types de situations d’urgence disposent de documents ou d’autres éléments de preuve pour corroborer leurs revendications. Toutefois, dans les cas où un demandeur d’asile a eu la possibilité de rassembler les éléments de preuve corroborant sa demande, la force de la présomption de vérité discutée dépend directement de la mesure dans laquelle une telle preuve corroborante est fournie. Tout alourdissement du fardeau imposé aux demandeurs d’asile en raison de la nécessité d’étayer leur exposé des faits pour refléter les faits présentés dans le CND ou les RDI de la Commission n’est pas injuste. Il en va de même en ce qui concerne tout alourdissement du fardeau pouvant résulter de facteurs d’évaluation ou de principes juridiques qui peuvent être énoncés dans un guide jurisprudentiel.

Il n’était pas déraisonnable pour le président de conclure qu’une consultation publique n’était pas nécessaire avant la publication des guides jurisprudentiels. L’alinéa 159(1)h) traite explicitement de l’étendue de la consultation requise avant que le président ne désigne un guide jurisprudentiel. Le législateur n’a pas considéré qu’une autre consultation était nécessaire. L’interprétation par le président de l’alinéa 159(1)h) est reflétée dans la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission. En outre, l’historique législatif de l’alinéa 159(1)h) conforte quelque peu l’interprétation de la disposition donnée par le président.

Enfin, la décision concernant le Nigéria n’a pas été présélectionnée de manière inacceptable pour faire l’objet d’un guide jurisprudentiel avant qu’elle ne soit finalement prise. Rien n’indique que le président ait pris une décision véritable ou de facto de désigner cette décision en tant que guide jurisprudentiel à un moment quelconque avant la publication de cette décision.

La déclaration d’attente contenue dans la note de politique publiée avec les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, l’Inde et la Chine a été déclarée comme illégale et inopérante en ce qui concerne les déterminations factuelles qui y ont été établies. La question de savoir si le président a le pouvoir, aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la Loi, de publier des guides jurisprudentiels comprenant des déterminations factuelles, et celle de savoir si les guides jurisprudentiels publiés sur le Nigéria, le Pakistan, l’Inde et la Chine constituaient une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire des membres de la Commission de tirer leurs propres conclusions de fait, ou portaient indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle, ont été certifiées.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 [L.R.C. (1985), appendice III], art. 2e).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 65.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72, 74, 159(1)g),h), 162(2).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1.1, 51(1).

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 59.06(2)a).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176; HD Mining International Ltd. c. Construction and Specialized Worker Union, Local 1611, 2012 CAF 327; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Labour Relations Board), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221; Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, [2006] 4 R.C.F. 377; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Araya Atencio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 571; Feng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2019 CF 18.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); X (Re), 2018 CanLII 52123 (C.I.S.R.); X (Re), 2017 CanLII 46496 (C.I.S.R.); X (Re), 2016 CanLII 105520 (C.I.S.R.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (14 novembre 2017), IMM-3433-17 (C.F.); Mujagic v. Kamps, 2015 ONCA 360, 12 O.R. (3d) 715; Ergen v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles), 2016 BCSC 643; Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146; Barrantes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 518; Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064.

DÉCISIONS CITÉES :

X (Re), 2017 CanLII 43112 (C.I.S.R.); Y.Z. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892, [2016] 1 R.C.F. 575; Stemijon Investments Ltd c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Danyi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; Sitba c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; Koroz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1593 (QL) (C.A.); Higbogun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 445; Zeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060; Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315; Yan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148; Han c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 858; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 454; Chunza Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 832; Tellez Picon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 129; Ramos Aguilar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 431; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, Directives no 7  : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés, Ottawa  : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2003.

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, Directives no 9  : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre, Ottawa  : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2017.

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives données par le président en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, Directives no 4  : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, Ottawa  : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 1996.

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels, Politique no 2003-01, mars 2003.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-86, 34e lég., 3e sess., fascicule no 11 (16 septembre 1992).

DEMANDES de contrôle judiciaire d’une décision du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de désigner une ou plusieurs décisions devant servir de guides jurisprudentiels relatifs à l’évaluation des demandes d’asile présentées par des ressortissants du Pakistan, de la Chine, de l’Inde et du Nigéria. Demandes accueillies en partie.

ONT COMPARU :

Lorne Waldman et Steven Blakey, pour la demanderesse.

James Todd et Margherita Braccio, pour le défendeur.

Anshumala Juyal et Darren McLeod, pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour la demanderesse.

La sous-procureure générale du Canada, pour le défendeur.

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Toronto, pour l’intervenante.

 

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            Le juge en chef Crampton :

I.          Introduction

[1]        En ce qui concerne les déterminations factuelles, le principe selon lequel « celui qui entend doit trancher » est sacro-saint. C’est un pilier fondamental de la primauté du droit. Il ne peut être sacrifié sur l’autel de la réalisation d’une cohérence et d’une efficacité plus grande en ce qui a trait à la prise de décision administrative.

[2]        Les décideurs au sein d’organismes quasi judiciaires, tels que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) doivent pouvoir exécuter leurs fonctions décisionnelles indépendamment de toute influence indue. Une telle influence peut inclure l’établissement d’une attente voulant que les commissaires tirent des conclusions factuelles exposées dans un guide jurisprudentiel publié par le président de la Commission, sauf s’ils expliquent pourquoi de telles conclusions n’ont pas été suivies. Les facteurs importants à prendre en compte pour déterminer si un guide jurisprudentiel est susceptible d’influencer indûment les commissaires comprennent la nature du libellé établissant l’attente, l’indication claire que chaque affaire doit être jugée sur le fondement de ses faits précis, la portée de la surveillance de la conformité, et l’existence d’une crainte raisonnable que des conséquences défavorables risqueraient de découler du non-respect du guide jurisprudentiel.

[3]        Entre autres, l’imposition de l’attente d’adopter des déterminations factuelles dans un guide jurisprudentiel entraverait le pouvoir discrétionnaire des commissaires en réduisant leur liberté de tirer des conclusions de fait différentes à défaut de fournir une justification exposant les raisons pour lesquelles ils s’en sont écartés. Cela compromettrait également leur indépendance et leur impartialité perçue. En effet, cela ferait naître une crainte raisonnable que les commissaires ne soient pas entièrement libres de tirer leurs propres conclusions de fait, selon leur conscience, sans l’influence du président. En outre, cela alourdirait le fardeau de la partie qui, autrement, aurait simplement à démontrer pourquoi une conclusion de fait différente devrait être tirée, sans avoir également à établir pourquoi un écart par rapport au guide jurisprudentiel est justifié.

[4]        Toutefois, un guide jurisprudentiel de la Commission qui obligerait ou encouragerait simplement les décideurs à tenir compte de faits particuliers rapportés objectivement, de principes juridiques ou de facteurs à prendre en considération lors de la prise de décisions à l’égard des questions de droit ou des questions mixtes de fait et de droit ne poseraient pas ces problèmes. Cela signifie qu’ils ne constitueraient pas une entrave illicite à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires, ni un empiètement indu sur leur indépendance décisionnelle, ni ne réduiraient leur impartialité perçue, dans la mesure où il est clairement indiqué que les commissaires restent libres de tirer leurs propres conclusions.

[5]        De même, les guides jurisprudentiels de la Commission qui obligent ou encouragent simplement les décideurs à suivre un cadre ou une approche d’évaluation générale ne constitueraient pas une entrave illicite à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires ni un empiètement indu sur leur indépendance décisionnelle, dans la mesure où il est clairement indiqué que les commissaires restent libres de tirer leurs propres conclusions.

[6]        Les quatre guides jurisprudentiels en cause dans la présente instance, relatifs à l’évaluation des demandes d’asile présentées par des ressortissants du Nigéria, du Pakistan, de la Chine et de l’Inde, ont été validement adoptés conformément à l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Cette disposition autorise le président à préciser les décisions de la Commission qui serviront de guides jurisprudentiels, après consultation des vice-présidents de la Commission et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions. Contrairement à la position de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (ACAADR), l’alinéa 159(1)h) autorise le président à publier des guides jurisprudentiels non seulement sur des questions de droit et des questions mixtes de fait et de droit, mais également sur des questions de fait. De plus, une consultation externe préalable à la publication des guides jurisprudentiels n’était pas requise.

[7]        Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’entrave pas illégalement le pouvoir discrétionnaire des décideurs de la Commission et n’empiète pas non plus indûment sur leur indépendance décisionnelle, car il fait constamment référence à la nécessité pour chaque affaire d’être jugée sur le fondement de ses faits particuliers. Pour la même raison, il n’alourdit pas injustement le fardeau imposé aux demandeurs d’asile lors de l’établissement du bien-fondé de leurs revendications. Contrairement aux observations de l’ACAADR, le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’a pas été [traduction] « présélectionné » indûment.

[8]        En ce qui concerne les autres guides jurisprudentiels contestés, les questions de fait qui y sont traitées peuvent être regroupées en trois catégories. Premièrement, les faits qui sont propres au demandeur en particulier et qui ont été présentés en preuve; deuxièmement, les faits caractérisés comme ayant été rapportés dans la documentation sur le pays ou dans les Réponses à des demandes d’information (RDI); et troisièmement, les faits présentés comme constituant les propres conclusions de la Section d’appel des réfugiés, sur des questions allant au-delà des éléments de preuve propres au demandeur ou aux demandeurs en question. La seule entrave illégale au pouvoir discrétionnaire ou atteinte indue à l’indépendance décisionnelle des commissaires est relative à la troisième catégorie.

[9]        Cette entrave illégale ou atteinte indue résulte d’une déclaration faite dans chacune des notes de politique accompagnant la désignation des décisions en question comme guide jurisprudentiel. Cette déclaration indique [traduction] « qu’on attend des commissaires de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés de la Commission qu’ils appliquent les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifient leur décision de s’en écarter, le cas échéant ». Une déclaration similaire a été faite dans la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels [Politique no 2003-01] de la Commission et dans des courriels que le président et vice-président de la Section de la protection des réfugiés ont envoyé aux commissaires au moment de la publication de trois des guides jurisprudentiels.

[10]      Un libellé différent qui n’inclurait pas de déclaration similaire et qui laisserait explicitement les commissaires de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés totalement libres de tirer leurs propres conclusions sur des questions de fait n’entraverait pas illégalement leur pouvoir discrétionnaire et ne porterait pas indûment atteinte à leur indépendance. Il en serait ainsi même si les commissaires étaient encouragés à expliquer pourquoi ils sont parvenus à des conclusions de fait différentes dans des affaires comportant des faits semblables.

[11]      Bien que certains aspects des principes de justice naturelle puissent être écartés lorsque la législation en exempte expressément ou implicitement l’application, l’alinéa 159(1)h) ne contient pas un tel libellé concernant les déterminations factuelles que les commissaires peuvent établir. En effet, le paragraphe 162(2) de la LIPR indique clairement que chacune des sections de la Commission doit fonctionner conformément aux principes d’équité et de justice naturelle.

[12]      Cependant, en autorisant le président à publier des guides jurisprudentiels, le législateur l’a implicitement autorisé à attirer l’attention des commissaires sur certaines questions et même à les encourager à les examiner. Cela inclut les facteurs à prendre en compte dans la prise de décision, les principes juridiques pertinents et les faits rapportés dans des sources objectives, telles que la documentation sur la situation du pays ou les RDI.

[13]      Une conséquence inévitable de cette situation est que le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs lors de l’établissement du bien-fondé de leur cause peut être plus ou moins rigoureux que s’il n’avait pas été nécessaire de traiter ces facteurs, principes ou faits. Cette incidence sur le fardeau imposé aux demandeurs n’est pas injuste. Cela ne nuit pas non plus indûment à la présomption établie dans la décision Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.) (Maldonado) et les arrêts qui l’ont suivi, selon laquelle le témoignage sous serment du demandeur d’asile est véridique.

[14]      La raison sous-jacente à cette présomption de vérité est qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs d’asile ayant vécu certains types de situations d’urgence disposent de documents ou d’autres éléments de preuve pour corroborer leurs demandes. Ces circonstances peuvent inclure des camps de réfugiés, des situations de pays déchirés par la guerre et des situations dans lesquelles le demandeur d’asile ne dispose que d’un très court délai pour échapper à son ou ses persécuteurs et ne peut par la suite accéder à des documents ou à d’autres éléments de preuve depuis le Canada.

[15]      Toutefois, dans les cas où un demandeur d’asile semble avoir eu la possibilité de rassembler les éléments de preuve corroborant sa demande avant ou après son arrivée au Canada, la force de la présomption de vérité dépend directement de la mesure dans laquelle une telle preuve corroborante est fournie. Lorsque le demandeur d’asile ne formule qu’une simple allégation dénuée de fondement qui est difficile à croire lorsqu’elle est examinée en corrélation avec les renseignements objectifs contenus dans les documents du Cartable national de documentation (CND) ou des RDI de la Commission, la force de la présomption de vérité est relativement faible et cette présomption peut être écartée par ces renseignements objectifs. En fait, elle peut aussi être écartée par un défaut d’expliquer de manière raisonnable une omission de fournir des éléments de preuve qui corroborent de telles allégations.

[16]      Le maintien de la présomption de vérité dans les circonstances où une allégation dénuée de fondement ou à peine soutenue tend à la crédulité face aux renseignements factuels objectifs cités dans un guide jurisprudentiel affaiblirait l’intégrité du système d’immigration canadien et saperait la confiance du public envers ce système. La Cour, et en fait le barreau et les organisations intéressées telles que l’ACAADR, ont un rôle important à jouer pour maintenir et cultiver cette confiance du public.

II.         Contexte

[17]      Ces deux demandes concernent chacune une décision du président de désigner une ou plusieurs décisions de la Commission qui serviront de guides jurisprudentiels. Le dossier IMM-3433-17 concerne la décision de désigner des décisions de la Section d’appel des réfugiés concernant le Pakistan, la Chine et l’Inde, respectivement, comme guides jurisprudentiels. Le dossier IMM-3373-18 concerne une désignation similaire relative à une décision de la Section d’appel des réfugiés concernant le Nigéria.

[18]      L’ACAADR conteste la légalité des quatre guides jurisprudentiels pour les motifs suivants :

1.         L’alinéa 159(1)h) n’autorise pas le président à publier un guide jurisprudentiel concernant des questions de fait;

2.         Les guides jurisprudentiels entravent illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires et empiètent indûment sur leur indépendance décisionnelle;

3.         Les guides jurisprudentiels rehaussent injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile;

4.         Les guides jurisprudentiels ont été publiés sans aucune consultation externe.

[19]      En outre, l’ACAADR conteste la légalité du guide jurisprudentiel sur le Nigéria au motif que le président avait indûment présélectionné la décision qui deviendrait le guide jurisprudentiel.

[20]      Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria [guide jurisprudentiel TB7-19851] a été publié pour traiter de la question de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans ce pays pour les demandeurs d’asile qui viennent de là-bas. Pour cette raison, le guide jurisprudentiel ne comprenait que les paragraphes 13 à 30 de la décision en question [X (Re), 2018 CanLII 52123 (C.I.S.R.)]. Le guide jurisprudentiel a conclu qu’une PRI existait pour le demandeur d’asile dans cette affaire, dans deux villes en particulier. Il a ajouté qu’il « y a plusieurs villes au Nigéria, où, selon les faits individuels, il existerait [vraisemblablement] une PRI pour les personnes qui, comme l’appelante, fuient des acteurs non étatiques. » Ce guide jurisprudentiel a été publié après que le Comité sur le perfectionnement professionnel et la stratégie décisionnelle (le Comité) de la Section d’appel des réfugiés a relevé un grand nombre de demandes et d’appels en provenance du Nigéria, dans lesquels la question déterminante était soit la crédibilité, soit l’existence d’une PRI. Le Comité a estimé qu’il serait utile de centrer l’analyse uniquement sur cette dernière question afin de réduire à la fois la durée des audiences et le temps passé à rédiger ou à exposer oralement les motifs de la décision.

[21]      Le guide jurisprudentiel sur le Pakistan [guide jurisprudentiel TB7-01837] a été désigné pour déterminer si : (i) le traitement réservé à des personnes d’origine ethnique ahmadie constituait une persécution, (ii) une protection adéquate de l’État était offerte à de telles personnes, (iii) de telles personnes avaient une PRI viable dans ce pays [X (Re), 2017 CanLII 46496 (C.I.S.R.)]. Ce guide jurisprudentiel a été publié après que le Comité ait constaté qu’un certain nombre de décisions de la Section de la protection des réfugiés n’avaient pas analysé correctement la protection de l’État et les PRI pour les demandeurs ahmadis du Pakistan. Les conclusions du guide jurisprudentiel étaient favorables au demandeur d’asile dans cette affaire en ce qui concerne ces deux questions, ainsi qu’en ce qui concerne la question de la persécution.

[22]      Le guide jurisprudentiel sur l’Inde [guide jurisprudentiel MB6-01059/60] a été publié relativement à la question de savoir si les demandeurs d’asile sikhs du Pendjab avaient une PRI viable [X (Re), 2017 CanLII 43112 (C.I.S.R.)]. Une fois encore, l’objectif du Comité en recommandant la publication du guide jurisprudentiel était de réduire le temps requis pour les audiences de la Section de la protection des réfugiés et réduire le temps requis pour rédiger les décisions de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés. Le guide jurisprudentiel a conclu que les demandeurs d’asile en question avaient une PRI viable à Delhi ou à Mumbai.

[23]      Le guide jurisprudentiel sur la Chine [guide jurisprudentiel TB6-11632] a été publié dans le but de promouvoir la cohérence et de fournir aux commissaires de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés une orientation sur une question qui avait donné lieu à des divergences dans la jurisprudence de la Commission et de cette Cour. Plus précisément, il a été publié pour traiter de la question de savoir si les personnes qui prétendent être recherchées par les autorités chinoises sont susceptibles de pouvoir quitter ce pays à partir d’un aéroport en utilisant un passeport authentique. À l’instar du guide jurisprudentiel sur le Nigéria, le guide jurisprudentiel sur la Chine ne comprenait que certains paragraphes de la décision sous-jacente, à savoir les paragraphes 12 à 22 et 25 à 34 [X (Re), 2016 CanLII 105520 (C.I.S.R.)]. Après avoir examiné toute une série d’éléments de preuve relatifs au projet du Bouclier d’or de la Chine et constaté que le demandeur d’asile avait fourni des éléments de preuve « insuffisants » concernant la manière dont il avait pu quitter la Chine, il a été conclu dans le guide jurisprudentiel qu’il n’aurait pas pu quitter ce pays en utilisant son passeport authentique et avec l’aide d’un passeur, comme il l’avait prétendu.

[24]      Au moment de la publication des guides jurisprudentiels sur le Pakistan, la Chine et l’Inde, le président a qualifié ces pays de « principaux pays sources » pour la Commission et a souligné que l’utilisation des guides jurisprudentiels était [traduction] « essentielle si la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés [CISR] doit traiter l’arriéré considérable et le nombre croissant de nouvelles demandes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ». Comme il est indiqué ci-dessus, le « nombre élevé de demandes » provenant du Nigéria était également un facteur important sous-jacent à la désignation du guide jurisprudentiel sur ce pays.

[25]      Le guide jurisprudentiel sur l’Inde a été révoqué le 30 novembre 2018 en raison des changements aux renseignements sur les pays d’origine de la Commission, notamment en ce qui concerne la question de savoir si les bases de données policières en Inde sont en vases clos.

[26]      Le guide jurisprudentiel sur la Chine a été révoqué le 28 juin 2019 après l’audition de la présente demande, car il contenait une conclusion de fait qui n’était pas étayée par le CND de la Commission, plus précisément en ce qui concerne la technologie de reconnaissance faciale utilisée à l’égard des passagers partant depuis l’aéroport de Beijing.

[27]      Les notes de politique publiées au sujet des deux guides jurisprudentiels révoqués contenaient un libellé indiquant qu’ [traduction] « on s’attend à ce que les (commissaires de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés) appliquent les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifient leur décision de s’en écarter, le cas échéant ». Le même libellé figure dans les notes de politique publiées avec les guides jurisprudentiels sur les deux guides jurisprudentiels restants, qui restent en vigueur.

III.        Dispositions législatives pertinentes

[28]      Le pouvoir du président de publier des guides jurisprudentiels est énoncé à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR. Cette disposition est rédigée ainsi :

Présidence de la Commission

Fonctions

159 (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d’office des quatre sections; à ce titre :          

[…]

h) après consultation des vice-présidents et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel.   

IV.       Questions préliminaires

[29]      Avant l’audition de ces demandes, trois questions préliminaires ont été soulevées. Premièrement, le défendeur a soutenu que l’ACAADR n’avait pas qualité pour présenter les demandes. Deuxièmement, le défendeur a soutenu que la contestation par l’ACAADR des deux guides jurisprudentiels révoqués, concernant l’Inde et la Chine, est désormais théorique. Troisièmement, l’ACAADR a demandé la divulgation d’un projet du guide jurisprudentiel sur le Nigéria. Au cours de l’audition, l’ACAADR a abandonné cette demande.

[30]      Pour mémoire, je soulignerai que l’ACAADR a également abandonné sa thèse selon laquelle les guides jurisprudentiels contreviennent à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], et à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 [L.R.C. (1985), appendice III]. Par conséquent, ces questions abandonnées ne seront pas abordées dans la présente décision.

A.        Qualité pour agir de l’ACAADR

[31]      En octobre 2017, le défendeur a présenté une requête en vue de radier l’ACAADR en tant que partie à l’instance dans le dossier IMM-3433-17 et, par conséquent, de radier la procédure dans son ensemble. À l’appui de sa demande, il a soutenu que l’ACAADR n’était pas une partie habilitée à présenter une demande à l’égard des guides jurisprudentiels, car elle n’était pas directement touchée par ceux-ci et ne satisfaisait pas au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[32]      Le mois suivant, le protonotaire Aalto a rejeté la requête du défendeur.

[33]      Le défendeur n’a pas interjeté appel de cette décision à ce moment-là parce que l’alinéa 72(2)e) de la LIPR dispose que le jugement sur la demande présentée aux termes de cette loi et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel. Bien que le paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) autorise les appels des ordonnances rendues par les protonotaires, le paragraphe 1.1(2) des Règles prévoit que les dispositions de toute loi fédérale ou de ses textes d’application l’emportent sur les dispositions incompatibles des présentes règles.

[34]      Malgré ce qui précède, le défendeur continue de soutenir que l’ACAADR n’a pas qualité pour présenter les deux demandes dont la Cour est saisie dans la présente instance. À l’appui de sa thèse selon laquelle il est encore possible de faire appel de la décision du protonotaire Aalto, il avance deux arguments.

[35]      Premièrement, elle soutient que la question de savoir si l’alinéa 74d) de la LIPR permettrait de porter en appel une ordonnance interlocutoire, si une question d’appel est certifiée dans le jugement définitif à l’égard de la demande connexe, demeure ouverte. L’alinéa 74d) de la LIPR autorise un appel du jugement de la Cour « si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ».

[36]      Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176 (Edwards), au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale a explicitement déclaré qu’un appel d’une ordonnance interlocutoire n’est pas possible même si un juge certifie une question. Le défendeur reconnaît cette décision, mais interprète celle-ci comme visant une situation où un juge prétend certifier une question en rendant l’ordonnance interlocutoire, plutôt qu’en rendant un jugement définitif à l’égard de la demande connexe. Le défendeur soutient que l’arrêt Edwards a laissé ouverte la possibilité d’interjeter appel d’une décision interlocutoire lorsqu’un juge certifie une question dans le dernier type de décision.

[37]      Je ne suis pas d’accord. Après avoir déclaré qu’un appel ne serait pas possible, même si un juge avait certifié une question, la Cour a ensuite examiné l’éventail très restreint de situations dans lesquelles un appel pouvait être porté à l’encontre d’une décision interlocutoire : Edwards, précité, au paragraphe 11. Il ressort clairement de cette discussion que la Cour n’avait pas l’intention de limiter ses commentaires précédents de la manière que le défendeur soutient à présent.

[38]      À mon avis, la logique de l’article 74 de la LIPR indique que l’appel visé à l’alinéa 74d) est un appel du jugement rendu à l’égard de la demande mentionnée aux alinéas 74a) et c) et visé à l’alinéa 74b). L’article 74 ne semble absolument pas viser des questions interlocutoires. L’article concerne simplement la fixation d’une date et d’un lieu pour l’audition d’une demande, la nécessité que cette date ne soit pas fixée à moins de 30 jours ni à plus de 90 jours de la date à laquelle la demande d’autorisation est accueillie (en l’absence d’accord préalable), le règlement de la demande à bref délai et selon la procédure sommaire, et enfin, les circonstances dans lesquelles un appel du jugement peut être interjeté. La version française de l’alinéa 74d), qui fait référence au « jugement consécutif au contrôle judiciaire », me conforte dans cette opinion. Cela montre clairement que l’appel visé à l’alinéa 74d) est un appel du jugement rendu à l’égard de la demande, et non un appel d’une décision interlocutoire qui aurait pu être rendue séparément avant l’audition de la demande.

[39]      J’ajouterai simplement accessoirement que la Cour suprême du Canada a observé qu’une fois qu’une question est certifiée dans un jugement, « [l]’objet de l’appel est bien le jugement lui-même, et non simplement la question certifiée » : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 25 (non souligné dans l’original). La Cour n’a pas précisé que l’appel pouvait également s’appliquer aux décisions interlocutoires rendues avant le prononcé d’un jugement final à l’égard d’une demande.

[40]      Le deuxième argument avancé par le défendeur pour appuyer sa thèse selon laquelle il peut interjeter appel de la décision du protonotaire Aalto d’accorder la qualité pour agir à l’ACAADR est le suivant : une décision relative à la qualité pour agir constitue « un acte judiciaire distinct et divisible » d’une décision sur le bien-fondé d’une demande présentée aux termes de la LIPR. Toutefois, après l’audition, le défendeur a informé la Cour qu’il avait découvert l’arrêt HD Mining International Ltd. c. Construction and Specialized Workers Union, section locale 1611, 2012 CAF 327, aux paragraphes 16 et 17. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a explicitement rejeté l’argument selon lequel une décision sur la qualité pour agir n’est pas « prise dans le cadre » de la LIPR et n’est donc pas soumise à l’interdiction des appels prévue à l’alinéa 72(2)e) de cette loi. En rejetant cet argument, la Cour a déclaré [au paragraphe 16]:

Les appelantes affirment qu’une décision sur la qualité pour agir n’est pas « prise dans le cadre de » la LIPR. Je ne suis pas d’accord. Exclure des questions procédurales préliminaires de la catégorie des mesures prises dans le cadre de la LIPR reviendrait à dépouiller l’article 72 de la LIPR de son objet. La qualité pour agir est une condition préalable nécessaire à la formulation de toute question concernant l’immigration devant la Cour fédérale. Les intérêts en jeu dans un litige déterminé et le rapport que les parties entretiennent avec les intérêts en question ne sauraient être dissociés de la question elle-même. La décision portée en appel constitue donc à mon avis une mesure « prise dans le cadre de » la LIPR.

[41]      Il en résulte que la thèse du défendeur selon laquelle une décision sur la question de la qualité pour agir peut être considérée comme un « acte judiciaire distinct et divisible » d’une décision sur le bien-fondé d’une demande présentée en vertu de la LIPR, doit être rejetée.

[42]      Je m’arrête un instant pour faire remarquer que, même si la question de la qualité pour agir avait pu être considérée comme un « acte judiciaire distinct et divisible », le délai pour faire appel de la décision du protonotaire Aalto est passé depuis longtemps et cette décision est devenue res judicata, c’est-à-dire sujette au principe de la chose jugée.

[43]      Bien que la décision du protonotaire Aalto ne concerne que la demande présentée dans le dossier IMM-3433-17, j’estime qu’il est approprié de reconnaître la qualité pour agir à l’ACAADR dans le dossier IMM-3373-18 pour les mêmes raisons que celles fournies par le protonotaire Aalto, et compte tenu du fait que ces deux demandes ont été réunies et soulèvent de nombreuses questions communes.

B.        Caractère théorique

[44]      Le critère général de détermination du caractère théorique a été énoncé ainsi dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski), à la page 353 :

     La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot “théorique” (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est “théorique” si elle ne répond pas au critère du “litige actuel”. Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.

[45]      En ce qui concerne la première étape de l’analyse, le paragraphe précédant le passage cité ci-dessus indique clairement que le différend concret et tangible en question est un différend entre les parties à l’instance.

[46]      En ce qui concerne la deuxième étape de l’analyse, la Cour a relevé trois principaux facteurs à prendre en considération. Ces facteurs sont les suivants : i) l’existence continue d’un rapport contradictoire entre les parties; ii) la nécessité de promouvoir l’économie des ressources judiciaires; iii) la question de savoir si la procédure visant à statuer sur le fond de l’affaire pourrait être considérée comme un empiètement sur la fonction législative : Borowski, précité, aux pages 358 à 363.

[47]      Dans ses observations écrites, le défendeur a soutenu que le guide jurisprudentiel sur l’Inde ne devrait plus faire partie de la demande présentée dans le dossier IMM-3433-17, car cet aspect de la demande est devenu théorique. Toutefois, le défendeur n’a pas donné plus de détails.

[48]      Après l’audition de ces demandes, le président a révoqué le guide jurisprudentiel sur la Chine. En réponse à ma demande d’observations concernant le caractère théorique de cet aspect du dossier IMM-3433-17, l’ACAADR a fait valoir que les questions qu’elle avait soulevées au sujet du guide jurisprudentiel sur la Chine étaient toujours d’actualité parce que ce dernier avait été appliqué à de nombreuses affaires pour lesquelles il y a des décisions en attente devant la Cour ou la Section d’appel des réfugiés. L’ACAADR a affirmé que si la Cour ne se prononce pas maintenant sur la question du pouvoir du président de publier des guides jurisprudentiels concernant des questions purement factuelles, chaque demandeur dans les affaires en suspens concernant le guide jurisprudentiel sur la Chine sera tenu de contester ce prétendu pouvoir.

[49]      Quoi qu’il en soit, l’ACAADR soutient que le fait que des questions relatives au guide jurisprudentiel sur la Chine ont déjà été vigoureusement débattues devant la Cour dans la présente procédure constitue un motif impérieux pour la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de trancher ces questions. En outre, elle affirme que, dans la mesure où la Cour devra tout de même rendre une décision concernant les guides jurisprudentiels sur le Nigéria et le Pakistan, les ressources judiciaires ne seront pas épargnées par le refus de décider si le guide jurisprudentiel sur la Chine a été publié légalement. L’ACAADR a ajouté que la Cour n’outrepasserait pas son propre rôle institutionnel en se prononçant sur la légalité du guide jurisprudentiel sur la Chine. Enfin, l’ACAADR a déclaré que la question de savoir si le président peut publier un guide jurisprudentiel purement factuel risque de se poser à l’avenir, et qu’il est donc important que la Cour se penche une fois pour toutes sur cette question.

[50]      Pour sa part, le défendeur a simplement réaffirmé sa thèse selon laquelle les questions relatives au guide jurisprudentiel sur la Chine étaient devenues théoriques. Cependant, il a reconnu que le contexte d’un rapport contradictoire continu entre les parties et l’économie judiciaire pouvaient jouer en faveur de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour traiter les questions relatives au guide jurisprudentiel sur la Chine. Le défendeur a ajouté que [traduction] « l’existence de [plusieurs affaires actuellement devant la Cour dans lesquelles le guide jurisprudentiel sur la Chine est potentiellement un facteur pertinent] peut être pertinente dans le contexte de la détermination par la Cour de la question de savoir s’il convient » d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner une question autrement théorique.

[51]      S’agissant de l’intervenante, ses observations ont été présentées uniquement à l’égard de la demande présentée dans le dossier IMM-3433-17. Il en est ainsi car elle n’a pas demandé l’autorisation relative au dossier IMM-3373-18 (bien que certains droits de participation lui aient été accordés à diverses étapes préalables à l’audience par le juge chargé de la gestion de l’instance). En résumé, l’intervenante a fait valoir que l’aspect de la procédure concernant le guide jurisprudentiel sur la Chine est devenu théorique étant donné qu’il n’y a plus de litige actuel concernant ce guide jurisprudentiel qui nuit aux droits des parties. En outre, elle a déclaré que toutes les questions juridiques soulevées par le guide jurisprudentiel sur la Chine seraient résolues lors de l’évaluation de la légalité des guides jurisprudentiels sur le Nigéria et le Pakistan. En ce qui concerne les facteurs de la deuxième étape, elle a reconnu qu’un rapport contradictoire continue d’exister entre les parties. Cependant, elle a soutenu que les deux autres facteurs de la deuxième étape déterminés dans l’arrêt Borowski, précité, jouent en faveur de la non-résolution des questions soulevées par le guide jurisprudentiel sur la Chine.

[52]      À mon avis, l’aspect de la procédure concernant le guide jurisprudentiel sur la Chine n’est pas théorique. En effet, l’ACAADR continue d’avoir un vif intérêt dans « plusieurs affaires actuellement devant la Cour dans lesquelles le guide jurisprudentiel sur la Chine est potentiellement un facteur pertinent » (voir le paragraphe 50 ci-dessus). Le protonotaire Aalto, en reconnaissant la qualité pour agir à l’ACAADR, a déclaré que : [traduction] « L’ACAADR a un véritable intérêt, car ses membres doivent composer avec les [guides jurisprudentiels] contestés et y répondre en représentant leurs clients dans le processus d’immigration » : Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), dossier de la Cour IMM-3433-17, 14 novembre 2017, au paragraphe 13. Le juge Boswell a fait une observation semblable dans la décision Y.Z. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892, [2016] 1 R.C.F. 575, au paragraphe 41.

[53]      Rien n’influe sur ma conclusion à cet égard, car j’estime que les facteurs à prendre en compte pour exercer mon pouvoir discrétionnaire d’aborder le guide jurisprudentiel sur la Chine jouent en faveur de le faire, même si cet aspect de cette procédure est devenu théorique. Plus précisément, je suis d’accord avec l’ACAADR et avec le défendeur pour dire que le rapport contradictoire continu entre les parties et les considérations d’économie judiciaire jouent en faveur de ma résolution des questions soulevées au sujet du guide jurisprudentiel sur la Chine. En effet, l’intérêt du public à résoudre l’incertitude persistante concernant ces questions joue également en faveur de leur résolution : Borowski, précité, à la page 361. J’ajouterai simplement pour mémoire que le dernier facteur (de la deuxième étape) à prendre en compte pour déterminer s’il convient d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour aborder le guide jurisprudentiel sur la Chine n’est pas pertinent. Comme le défendeur l’a reconnu [traduction] « on ne peut pas dire que la Cour outrepasserait le rôle qui lui revient » en procédant à l’examen des questions soulevées au sujet du guide jurisprudentiel sur la Chine.

[54]      Je m’arrête un instant afin d’ajouter pour mémoire que, pour prendre ma décision, j’ai jugé inutile de prendre en considération l’affidavit supplémentaire d’Elyse Korman, assermenté le 8 juillet 2019, qui figurait dans les observations de l’ACAADR sur le caractère théorique et qui était contesté par l’intervenante. Je ne pense pas non plus qu’il soit nécessaire de prendre en compte, dans le cadre de l’examen du bien-fondé de ces demandes, les prétendus [traduction] « nouveaux arguments » avancés dans ces observations et contestés par l’intervenante.

V.        Questions en litige

[55]      Les questions en litige dans ces demandes sont les suivantes :

1.         Le président a-t-il le pouvoir de désigner des guides jurisprudentiels sur des questions de fait?

2.         Les guides jurisprudentiels contestés entravent-ils illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ou portent-ils indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle?

3.         Les guides jurisprudentiels contestés rehaussent-ils injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile?

4.         Le président était-il obligé d’entreprendre des consultations auprès des intervenants externes avant de désigner les décisions en question comme des guides jurisprudentiels?

5.         Le président avait-il indûment présélectionné le guide jurisprudentiel sur le Nigéria?

VI.       Norme de contrôle

[56]      La question de savoir si le président a le pouvoir de désigner des guides jurisprudentiels portant sur des questions de fait est une question concernant l’interprétation de sa « loi constitutive », notamment l’alinéa 159(1)h) de la LIPR. De telles questions sont présumées être susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, à moins que cette présomption ne soit réfutée : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230 (CCDP), aux paragraphes 27 et 28. À mon avis, aucune des circonstances dans lesquelles cette présomption peut être réfutée ne s’applique dans les circonstances présentes : CCDP, précité, au paragraphe 28. Pour plus de certitude, il est entendu que ce n’est pas l’une des circonstances « exceptionnelles » dans lesquelles « une analyse contextuelle révèle que le législateur avait clairement l’intention que la norme de la décision correcte s’applique ». L’ACAADR n’a pas prétendu le contraire. En effet, elle a soutenu que les autres dispositions de la LIPR ne sont d’aucune utilité dans l’interprétation de l’alinéa 159(1)a) de cette loi. Bien que l’ACAADR soutienne néanmoins que la question en litige est une question de pouvoir ou de compétence du président aux termes de l’alinéa 159(1)h), il ne s’agit pas de l’une de ces questions « insaisissables » touchant véritablement à la compétence : CCDP, précité, paragraphes 34 et 35.

[57]      En ce qui concerne la question concernant [traduction] « l’entrave au pouvoir discrétionnaire ou l’atteinte indue à l’indépendance décisionnelle » soulevée par l’ACAADR, il n’est pas nécessaire d’établir si la norme de contrôle est celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. En effet, le résultat sera le même selon l’une ou l’autre de ces normes, car l’entrave au pouvoir discrétionnaire d’un décideur est en soi déraisonnable : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 23 à 24; et Danyi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112, au paragraphe 19. À mon avis, il en va de même en ce qui concerne l’atteinte indue à l’indépendance décisionnelle du décideur quasi judiciaire en vue de tirer des conclusions de fait.

[58]      La question que l’ACAADR a soulevée au sujet du rehaussement injuste du fardeau de la preuve incombant aux demandeurs d’asile a été présentée comme une question touchant à la fois à l’équité procédurale et à l’interprétation des lois. Comme il a été indiqué ci-dessus, l’interprétation de la LIPR par le président est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Les questions d’équité procédurale sont normalement susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43. Lors de l’évaluation de ces questions, la Cour s’intéresse principalement à la question de savoir si un processus litigieux était ou est équitable sur le plan procédural : voir les arrêts Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 90; et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, au paragraphe 54.

[59]      La question que l’ACAADR a soulevée au sujet de la consultation publique a été présentée comme une question d’équité procédurale et doit donc être examinée selon la norme de la décision correcte. Toutefois, dans ce cas particulier, la question peut être résolue en examinant le libellé simple de l’alinéa 159(1)h). Par conséquent, j’estime que cette question est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

[60]      La dernière question soulevée par l’ACAADR, à savoir si le président avait indûment présélectionné le guide jurisprudentiel sur le Nigéria, avait été présentée comme une question d’interprétation de la LIPR par le président. Comme il a été indiqué ci-dessus, de telles questions sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, car elles concernent l’interprétation que fait le président de la « loi constitutive ». Cela n’a aucune incidence, car j’estime que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que le président a de facto désigné le guide jurisprudentiel sur le Nigéria comme un guide jurisprudentiel à un moment ou à un autre avant de le faire officiellement, près de deux mois après le prononcé de la décision en question par la Section d’appel des réfugiés.

VII.      Analyse

A.        Le président a-t-il le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels sur des questions de fait?

[61]      L’ACAADR soutient que chacun des quatre guides jurisprudentiels en cause dans la présente instance est nul et non avenu au motif qu’ils traitent en tout ou en partie de questions de fait et que le président n’est pas autorisé à publier un guide jurisprudentiel sur une question de fait. Pour cette raison, l’ACAADR fait valoir que la désignation des quatre décisions en question comme guide jurisprudentiel était ultra vires par rapport au pouvoir conféré au président aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR. Je ne suis pas d’accord.

[62]      À l’appui de sa thèse, l’ACAADR souligne qu’il est précisé dans la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de 2016 du président qu’une « décision qui sert de guide jurisprudentiel peut porter sur une question de droit ou une question mixte de droit et de fait ». L’ACAADR s’appuie sur cette déclaration comme une indication claire de la manière dont le président a interprété son pouvoir aux termes de l’alinéa 159(1)h). L’ACAADR note en outre que l’alinéa 159(1)h) n’a pas été modifié depuis que cette déclaration a été faite, mais le président affirme maintenant que les guides jurisprudentiels peuvent être publiés relativement à des questions de fait.

[63]      J’admets la thèse selon laquelle la déclaration citée ci-dessus donne une indication de la manière dont le président a interprété son pouvoir aux termes de l’alinéa 159(1)h). Cependant, ce n’est pas la seule indication de ce type.

[64]      Il est important de noter que dans sa décision de désigner les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, la Chine et l’Inde, le président a explicitement déclaré que ces guides jurisprudentiels [traduction] « sont fondés sur des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit » (non souligné dans l’original). De plus, dans la note de politique qui a été publiée avec le guide jurisprudentiel sur la Chine il est précisé : [traduction] « [l]a détermination clé de ce [guide jurisprudentiel] est une question de fait qui peut s’appliquer à un grand nombre de demandes, en ce sens qu’il s’agit d’une demande relative à l’infrastructure de sécurité publique du gouvernement chinois et à son fonctionnement » (non souligné dans l’original).

[65]      Dans la mesure où le guide jurisprudentiel sur la Chine est largement confiné à des faits, l’interprétation de l’alinéa 159(1)h) donnée par le président peut être implicite et est en droit d’être révisée quant à son caractère raisonnable : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), au paragraphe 63. Autrement dit, on peut déduire du fait que le guide jurisprudentiel sur la Chine porte essentiellement sur des questions factuelles, et de la déclaration citée ci-dessus dans la note de politique, que le président a interprété l’alinéa 159(1)h) comme lui conférant le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels sur des questions de fait. Le fait que l’interprétation du président soit implicite, plutôt qu’explicite, ne la rend pas moins susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : Agraira, précité, au paragraphe 63.

[66]      Il y a des indications supplémentaires de l’interprétation implicite de l’alinéa 159(1)h) donnée par le président. Plus précisément, divers renvois sont effectués aux questions de fait dans plusieurs des documents inclus dans le dossier de la présente instance. Par exemple, dans un courriel envoyé aux commissaires au moment de la désignation des guides jurisprudentiels sur le Pakistan, la Chine et l’Inde, le président a déclaré qu’« on s’attend à ce que les décideurs appliquent les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifient leur décision de s’en écarter, le cas échéant ». Une déclaration semblable a été incluse dans les notes de politique publiées avec les quatre guides jurisprudentiels en cause dans la présente instance. De même, la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission prévoit ce qui suit :

Un commissaire doit expliquer pourquoi il ne souscrit pas au raisonnement formulé dans un guide jurisprudentiel lorsque, compte tenu des circonstances de l’affaire, on s’attendrait à ce qu’il observe le guide jurisprudentiel. [En gras dans l’original.]

[67]      Dans le même ordre d’idées, les notes de politique qui annonçaient la révocation du guide jurisprudentiel sur l’Inde et de deux guides jurisprudentiels sur le Costa Rica indiquaient que ces guides jurisprudentiels avaient été désignés à l’origine parce qu’ils offraient une « analyse judicieuse des questions de droit et de fait soulevées ». Les notes de politique expliquaient que ces guides jurisprudentiels avaient été retirés en raison de certaines évolutions en matière de preuve OU de fait dans la documentation sur le pays. L’avis de révocation qui a été publié à l’égard du guide jurisprudentiel sur la Chine a fourni une explication semblable. Il a été déclaré que le guide jurisprudentiel était révoqué parce qu’il contenait « une conclusion de fait qui n’est pas appuyée par le cartable national de documentation (CND) sur la Chine en vigueur au moment où la décision [désignée comme guide jurisprudentiel] [avait] été rendue ».

[68]      À mon avis, l’interprétation implicite de l’alinéa 159(1)h) donnée par le président est également raisonnable car elle est conforme aux termes mêmes de cette disposition. En outre, cette interprétation est largement compatible avec l’historique législatif de la disposition, son objet manifeste et son contexte législatif.

[69]      En ce qui concerne le libellé clair de la disposition, il n’y a aucune limite qui confine son champ d’application aux questions de droit ou de droit et de fait. En revanche, un pouvoir illimité de désigner les décisions comme guide jurisprudentiel a été conféré « afin d’aider les commissaires dans l’exercice de leurs fonctions » et « après consultation des vice-présidents ». Sous réserve des commentaires que je ferai dans la section suivante des motifs ci-dessous, on ne comprend pas à première vue pourquoi les guides jurisprudentiels qui traitent de questions de fait ne seraient pas aussi utiles que ceux qui traitent de questions de droit ou de questions mixtes de fait et de droit pour aider les commissaires dans l’exercice de leurs fonctions.

[70]      En ce qui concerne l’historique et l’objet de l’alinéa 159(1)h), les notes explicatives dans l’analyse article par article du projet de loi C-11, abrogeant et remplaçant la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, énonçaient : [traduction] « [l]a disposition confère au président le pouvoir de préciser les décisions qui serviraient de guides jurisprudentiels qui ne lieraient pas les commissaires, mais amélioreraient la cohérence du processus décisionnel ». Encore une fois, j’estime qu’il est conforme à l’historique législatif et à l’objectif poursuivi d’interpréter l’alinéa 159(1)h) comme conférant le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels sur des questions de fait, ainsi que sur des questions de droit et des questions mixtes de droit et de fait. Cette interprétation est également conforme à l’objectif défini par le président dans sa décision de désigner les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, la Chine et l’Inde. Cet objectif visait à faciliter [traduction] « des auditions plus courtes et plus ciblées dans la Section de protection des réfugiés et des motifs ciblés nécessitant moins de temps de rédaction dans la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ».

[71]      En plus de ce qui précède, j’estime que le contexte législatif appuie davantage l’interprétation implicite du président que l’interprétation que fait l’ACAADR de l’alinéa 159(1)h). Bien que l’ACAADR soutient que les autres dispositions de la LIPR ne sont d’aucune utilité dans l’interprétation de cette disposition, j’estime que l’interprétation du président est conforme au large pouvoir prévu à l’alinéa 159(1)g) et à l’objectif général énoncé au paragraphe 162(2). L’alinéa 159(1)g) confère au président le pouvoir de prendre « les mesures nécessaires pour que les commissaires remplissent leurs fonctions avec diligence et efficacité ». Le paragraphe 162(2) prévoit que chacune des sections de la Commission « fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ». Je reviendrai sur les considérations d’équité et de justice naturelle dans la section suivante des présents motifs. Aux fins de la présente instance, j’estime qu’une capacité à publier des guides jurisprudentiels sur des questions de fait serait compatible avec l’objectif général qui consiste à fonctionner, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

[72]      Je considère également que l’interprétation par le président de son autorité aux termes de l’alinéa 159(1)h) est raisonnable, car il peut être très difficile de faire la distinction entre les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux paragraphes 35 à 37; Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Labour Relations Board), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221 (Ellis-Don), au paragraphe 39. De plus, il est impossible de tirer des conclusions sur des questions mixtes de fait et de droit sans d’abord tirer des conclusions de fait, auxquelles des critères juridiques sont ensuite appliqués. Il serait pour le moins contraignant d’exclure des guides jurisprudentiels toutes les conclusions de fait de manière à ne conserver que les phrases ou paragraphes dans lesquels subsisteraient des conclusions sur des questions mixtes de fait et de droit, ou sur des questions de droit uniquement.

[73]      L’ACAADR soutient en outre que l’expression « guide jurisprudentiel » ne peut être interprétée comme un guide sur des questions de fait, car le terme « jurisprudence » renvoie à des principes juridiques énoncés dans la jurisprudence. À cet égard, l’ACAADR souligne que certaines définitions du terme « jurisprudence » dans les dictionnaires renvoient respectivement à [traduction] « l’étude du droit et des principes sur lesquels il repose » et aux [traduction] « éléments généraux ou fondamentaux d’un système juridique particulier, par opposition à ses détails pratiques et concrets » (soulignement de l’ACAADR omis). L’ACAADR soutient donc que le terme « jurisprudence » n’englobe pas les conclusions de fait. Je ne trouve pas cette observation convaincante.

[74]      Les affaires sur lesquelles l’ACAADR s’est fondée pour étayer son interprétation du mot « jurisprudence » diffèrent de la situation qui nous occupe.

[75]      Avant de les aborder, j’estime qu’il est pertinent de noter que dans l’arrêt Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385 (Thamotharem), au paragraphe 90, la Cour d’appel fédérale a conclu que le pouvoir conféré au président à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR « est suffisamment large pour comprendre des directives concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires relativement à la procédure, à la preuve et à des questions de fond » (non souligné dans l’original).

[76]      En ce qui concerne les deux arrêts sur lesquels s’appuie l’ACAADR, dans l’arrêt Mujagic v. Kamps, 2015 ONCA 360, 125 O.R. (3d) 715, au paragraphe 9, la Cour a simplement décidé que les mots [traduction] « faits survenus ou découverts après [qu’une ordonnance] a été rendue » à l’alinéa 59.06(2)a) des Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl. 194, ne visaient pas les changements jurisprudentiels. Dans ce contexte, la Cour a déterminé que les [traduction] « faits nouveaux, comme tous les faits, sont tirés des éléments de preuve et non des recueils de lois ou de la jurisprudence. »

[77]      De même, dans l’arrêt Ergen v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles), 2016 BCSC 643, aux paragraphes 29 à 30, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté l’argument selon lequel on pouvait s’appuyer sur la jurisprudence pour établir une proposition factuelle. La Cour a expliqué que les cas individuels n’établissent pas des précédents factuels contraignants. Ceci est bien loin de la thèse plus modeste du défendeur selon laquelle l’alinéa 159(1)h) autorise la publication des guides jurisprudentiels non contraignants aux fins déterminées par le président, soit de faciliter [traduction] « des audiences plus courtes et plus ciblées à la Section de la protection des réfugiés et des motifs ciblés nécessitant moins de temps de rédaction à la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés », comme il est expliqué dans la décision du président de désigner les guides jurisprudentiels sur le Pakistan, la Chine et l’Inde.

[78]      L’ACAADR soutient que le sens ordinaire du terme « jurisprudence » n’englobe pas les affaires qui consistent uniquement en des déterminations factuelles. À cet égard, elle soutient que les paragraphes de la décision à l’égard desquels le guide jurisprudentiel sur la Chine a été désigné sont entièrement limités aux questions de fait. En particulier, ces paragraphes contiennent une discussion des preuves documentaires qui expliquent les détails du projet chinois du Bouclier d’Or et les conclusions de fait de la Section d’appel des réfugiés concernant son efficacité. Toutefois, je souligne pour mémoire qu’ils contiennent également une analyse de plusieurs précédents, que la Section d’appel des réfugiés a écartés en se fondant sur des différences factuelles entre ces affaires et l’affaire examinée dans le guide jurisprudentiel.

[79]      À mon avis, le sens ordinaire du terme « jurisprudence » englobe les décisions rendues par une cour en ce qui concerne les questions factuelles, ainsi que les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit. Cela dit, il est bien établi en droit que les différends factuels doivent être réglés selon le bien-fondé chaque affaire : Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, au paragraphe 32; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195, au paragraphe 71; et Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762, au paragraphe 72.

[80]      Sous réserve de ce qui précède, j’estime que les décisions qui consistent entièrement ou en grande partie en des déterminations factuelles font tout autant partie de la « jurisprudence » d’une Cour que les décisions qui traitent de questions de droit ou de questions mixtes de fait et de droit. À cet égard, j’estime qu’il est pertinent de noter que l’Avis aux parties et à la communauté juridique – Publication des décisions de la Cour a été publié après que la Cour a admis la position du barreau selon laquelle la quasi-totalité de ses jugements définitifs ont potentiellement une valeur de précédent et qu’il appartient au barreau et aux autres intervenants externes, plutôt qu’à la Cour, de déterminer si un jugement a une valeur de précédent. La position énoncée dans cet avis représentait un changement de position par rapport à celle qui avait été énoncée dans l’Avis aux parties et à la communauté juridique de la Cour – Publication des décisions ayant une valeur de précédent de 2015. Dans ce dernier document, la Cour a notamment déclaré que l’absence d’un numéro de référence neutre et le fait qu’un jugement n’était pas publié étaient [traduction] « révélateurs de l’opinion du fonctionnaire judiciaire ayant présidé l’audience que la décision n’avait pas de valeur de précédent » (non souligné dans l’original). Néanmoins, il est aussi mentionné dans le document : « Toutefois, cela n’empêche pas une partie d’adopter une position différente en ce qui concerne sa valeur de précédent. »

[81]      En outre, l’ACAADR s’oppose également au guide jurisprudentiel sur la Chine au motif qu’il ne peut être contesté de manière appropriée sans connaître tout le dossier dont la Commission était saisie au moment où elle a rendu la décision qui fut par la suite désigné comme guide jurisprudentiel. À mon avis, il est plus approprié de traiter de cette opposition dans le cadre de la question soulevée par l’ACAADR concernant le fait que le président n’a pas consulté le public avant de publier le guide jurisprudentiel sur la Chine.

[82]      L’ACAADR soutient également qu’il est inapproprié d’élever une conclusion factuelle au rang de guide jurisprudentiel, car les conditions qui existent dans un pays change constamment. Toutefois, les éléments de preuve de la présente instance établissent que la Commission surveille la preuve documentaire pertinente pour un guide jurisprudentiel. Selon l’affidavit assermenté par M. Gregory Kipling, directeur général de la Direction générale des politiques, planification et affaires ministérielles à la Commission : [traduction] « De nouveaux éléments de preuve susceptibles d’avoir une incidence sur la validité d’un guide jurisprudentiel sont examinés par la Direction des recherches et pourraient faire en sorte que les nouveaux documents soient inclus dans le CND, rejetés ou que le guide jurisprudentiel soit révoqué par le président. » En effet, c’est la raison pour laquelle les guides jurisprudentiels sur l’Inde et le Costa Rica ont été retirés.

[83]      Je m’arrête un instant pour souligner que rien n’empêche l’ACAADR ou toute autre partie intéressée de porter, à tout moment, les développements factuels et les lacunes factuelles à l’attention de la Commission.

[84]      Enfin, l’ACAADR soutient qu’un passage dans l’arrêt Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, [2006] 4 R.C.F. 377 (Kozak), au paragraphe 9, appuie la proposition selon laquelle un guide jurisprudentiel ne peut pas être publié à l’égard de questions de fait. Dans cet arrêt, la Cour a fait les observations suivantes :

[...] un guide jurisprudentiel a normalement pour but d’avoir un caractère persuasif quant à des questions de droit et à des questions mixtes de fait et de droit, alors que les causes types sont censées établir aussi des conclusions de fait persuasives sur les conditions existant dans un pays. Voir également le document intitulé Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels, Politique no 2003-01 (Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 21 mars 2003).

[85]      Cependant, ce passage provient de la section introductive de la décision de la Cour et semble simplement paraphraser un aspect de l’énoncé de politique de la Commission de 2003. Pris dans son contexte, je ne pense pas que le passage cité ci-dessus ait eu pour but d’énoncer le principe que soulève l’ACAADR. Plus précisément, ce passage n’a pas établi le principe selon lequel l’alinéa 159(1)h) de la LIPR ne confère pas au président le pouvoir de publier un guide jurisprudentiel quelconque, portant entièrement ou principalement sur des questions de fait. Ma conclusion à cet égard est renforcée par l’utilisation du terme « normalement » par la Cour dans le passage précité.

[86]      En résumé, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable que le président interprète implicitement l’alinéa 159(1)h) comme lui conférant le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels pour des questions de fait, en plus des questions mixtes de fait et de droit.

B.        Les guides jurisprudentiels contestés entravent-ils illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ou portent-ils indûment atteinte à leur indépendance?

[87]      L’ACAADR soutient que les quatre guides jurisprudentiels en cause dans ces demandes empiètent indûment sur l’indépendance décisionnelle des commissaires, car ils empiètent sur la compétence des commissaires de tirer leurs propres conclusions de fait. Autrement dit, en obligeant effectivement les commissaires à adopter les conclusions de fait énoncées dans les guides jurisprudentiels ou à justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant, les guides jurisprudentiels entravent illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires et empiètent indûment sur leur indépendance décisionnelle.

[88]      Dans la mesure où l’un des guides jurisprudentiels en question exerce ou exerçait effectivement une pression sur les commissaires pour qu’ils adoptent des conclusions de fait ou justifient leur décision de s’en écarter, je conviens que cela constituerait une atteinte indue à leur indépendance décisionnelle. Toutefois, comme on le verra plus loin, le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’est pas touché par ces lacunes et les trois autres guides jurisprudentiels contestés le sont uniquement en raison de la déclaration d’attente énoncée au paragraphe 9 ci-dessus.

1)         Indépendance décisionnelle – principes juridiques

[89]      Le principe de l’indépendance décisionnelle est l’un des principes de justice naturelle : Ellis-Don, précité, au paragraphe 47. Entre autres choses, il exige que chaque arbitre ait toute liberté pour entendre et juger des affaires qui lui sont soumises, sans ingérence dans la manière dont une affaire est menée ni dans la manière dont une décision finale est prise : Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, à la page 69.

[90]      Cela ne signifie pas que les juges et les décideurs quasi judiciaires ne peuvent pas discuter leurs affaires avec des collègues. Cependant, ils ne peuvent pas être obligés de participer à de telles discussions ou d’adopter les vues exprimées par leurs collègues. Ils doivent conserver la liberté absolue de juger leur affaire selon leur propre conscience. Ce faisant, ils doivent établir leurs propres déterminations factuelles, à l’abri de toute pression ou incitation de tiers, et doivent rester impartiaux, à l’abri d’une crainte raisonnable de partialité ou d’une impartialité atténuée : Sitba c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282 (Consolidated-Bathurst), aux pages 332 à 335; Ellis-Don, précité, aux paragraphes 27 à 29.

[91]      Comme d’autres principes de justice naturelle, le principe de l’indépendance décisionnelle n’a pas de contenu fixe, applicable aux décideurs judiciaires et quasi judiciaires. Il peut être adapté pour prendre en compte les contraintes institutionnelles auxquelles sont confrontés des organes quasi judiciaires tels que la Commission, y compris la nécessité de traiter efficacement un grand nombre d’affaires : Consolidated-Bathurst, précité, aux pages 323 à 324. Cependant, il existe des limites à la mesure dans laquelle une telle adaptation peut être réalisée.

[92]      À mon avis, ces limites sont atteintes lorsqu’une directive administrative ou un autre outil ne se limite pas à attirer l’attention des commissaires sur des renseignements factuels et à les encourager à les prendre en compte, mais les oblige, les pousse, les contraint ou les force plutôt à suivre des conclusions de fait particulières.

[93]      En d’autres termes, dans le contexte du droit administratif, il peut être tout à fait approprié d’utiliser des outils tels que des directives pour influer de manière générale sur la façon dont les décisions sont prises. À cet égard, un type légitime d’influence générale peut inclure l’identification de facteurs, de sources de renseignements et même de renseignements particuliers qui pourront être utiles à prendre en compte. En effet, j’estime qu’il est permis d’aller plus loin et d’encourager la prise en compte de tels renseignements, dans la mesure où il est clairement indiqué que les décideurs restent entièrement libres de tirer leurs propres conclusions, sur le fondement des faits propres à chaque affaire.

[94]      À mon avis, cela serait conforme au principe selon lequel les outils administratifs qui n’empiètent pas sur la liberté d’un commissaire de tirer des conclusions factuelles peuvent être légitimement utilisés pour atteindre un degré de cohérence qui ne serait pas autrement accessible : Consolidated-Bathurst, précité, à la page 340. De tels outils comprennent les guides jurisprudentiels.

[95]      Toutefois, la ligne de démarcation serait franchie lorsque le libellé des directives peut être raisonnablement perçu par les décideurs ou les membres du grand public comme ayant un effet probable de pression sur des décideurs indépendants afin qu’ils tirent des conclusions de fait précises ou d’atténuation de leur impartialité à cet égard. Il en va de même lorsque qu’un tel libellé peut être raisonnablement perçu comme faisant en sorte qu’il soit plus difficile pour les décideurs indépendants d’établir leurs propres déterminations factuelles. Il en est ainsi même s’il a été déclaré que les directives ne sont pas contraignantes.

[96]      Je m’arrête un instant pour souligner que ni le défendeur ni l’intervenante n’a cité de décision faisant autorité où il a été jugé qu’une directive administrative ou un autre outil pouvait légitimement entraver ou restreindre la liberté du décideur quasi judiciaire de tirer des conclusions de fait.

[97]      Le défendeur et l’intervenante s’appuient sur l’arrêt Thamotharem, précité, pour soutenir que les directives administratives peuvent aller plus loin en exerçant une influence sur les décideurs quasi judiciaires que je ne l’ai décrit ci-dessus. Cette affaire concernait une directive de la Commission établissant pour la Commission une pratique normalisée consistant à interroger un demandeur d’asile avant que son avocat ne l’interroge. La directive en question prévoyait également que les commissaires puissent « changer l’ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles ».

[98]      En concluant que la directive ne constituait pas une entrave irrégulière au pouvoir discrétionnaire des commissaires d’organiser leurs audiences, le juge Evans, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a déclaré ce qui suit [au paragraphe 89] :

      L’« indépendance » décisionnelle n’est pas un concept monolithique, mais une question de degré. Par exemple, l’indépendance des juges, en matière d’inconduite, est soupesée par le Conseil canadien de la magistrature en fonction de leur responsabilité à l’égard du public. L’indépendance des membres d’organismes administratifs doit être soupesée en fonction de l’intérêt qu’a l’organisme, comme institution, à veiller à la qualité et à la cohérence des décisions rendues en son nom par chacun de ses membres, décisions à l’égard desquelles, généralement, la possibilité de contestation judiciaire est limitée.

[99]      Avant de commencer son analyse de la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, le juge Evans a également formulé l’observation générale suivante [au paragraphe 60] :

      Le recours à des directives et à d’autres techniques n’ayant pas caractère obligatoire en vue d’assurer une cohérence raisonnable dans les décisions de nature administrative est particulièrement important pour l’exercice des fonctions décisionnelles des tribunaux auxquels la loi a conféré un pouvoir discrétionnaire sur des questions de procédure, de preuve ou de fond. Cette importance est d’autant plus marquée pour les tribunaux de grande envergure, comme la Commission, qui siègent en formations; dans le cas de la SPR, comme il a été précisé, le tribunal est généralement formé d’un seul commissaire.

[100]   La conclusion du juge Evans selon laquelle la directive contestée ne constituait pas une entrave illicite à la discrétion reposait sur sa conclusion que la preuve en l’espèce ne démontrait pas :

[…] qu’une personne raisonnable estimerait l’indépendance des commissaires de la SPR indûment limitée par les Directives no 7, particulièrement au regard des facteurs suivants : le libellé des directives; la preuve établissant que des commissaires dérogent à la pratique normalisée; l’importance pour la Commission, le plus grand tribunal administratif du Canada, d’obtenir un niveau acceptable de cohérence dans ses audiences, tenues le plus souvent par un seul commissaire.

Thamotharem, précité, au paragraphe 88.

[101]   Pour parvenir à cette conclusion, le juge Evans a explicitement conclu que les Directives no 7 [Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés] ne constituent pas une atteinte à l’indépendance des commissaires en imposant une attente à ceux-ci voulant qu’ils « expliquent dans leurs motifs les raisons pour lesquelles un cas présente des circonstances exceptionnelles justifiant de ne pas appliquer l’ordre normalisé des interrogatoires » : Thamotharem, précité, au paragraphe 87.

[102]   À mon avis, ni les passages reproduits ci-dessus ni aucun autre passage de l’arrêt Thamotharem ne permettent d’affirmer que le président peut publier un guide jurisprudentiel ou un autre instrument « à caractère non contraignant » qui limite la liberté absolue des décideurs quasi judiciaires d’établir leurs propres déterminations factuelles, à l’abri de toute pression ou incitation de tiers. L’évaluation par la Cour de la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans cette affaire était centrée sur la question de procédure précise de savoir si la Commission pouvait établir un ordre normalisé des interrogatoires qui ne pouvait être modifié que dans des circonstances exceptionnelles.

[103]   En abordant cette question, le juge Evans a explicitement reconnu que « les commissaires de la SRP doivent s’acquitter de leurs fonctions décisionnelles sans subir l’influence indue de tiers, y compris du président et d’autres membres de la Commission ». Il a ensuite établi une distinction entre ceci et la nécessité pour les organismes administratifs d’avoir la possibilité de mettre au point des processus visant à assurer un degré de cohérence et de qualité satisfaisant dans leurs décisions : Thamotharem, précité, au paragraphe 83. Après avoir ensuite évoqué l’arrêt Consolidated-Bathurst, précité, il a réitéré que les membres des organismes administratifs ne devaient pas être soumis à des contraintes indues quant à leur capacité de statuer sur les affaires, notamment celles qui peuvent être contraignantes au point de faire craindre raisonnablement que la capacité des membres de se prononcer sans contrainte indue est compromise : Thamotharem, précité, au paragraphe 85.

[104]   Je reconnais que, pour rendre sa décision, le juge Evans a cité le passage suivant de l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 6 (Maple Lodge), pour appuyer la proposition selon laquelle « les directives peuvent néanmoins influer valablement sur la conduite du décideur » :

[…] Le fait que le Ministre ait employé dans ses lignes directrices contenues dans l’avis aux importateurs les mots : « Si le produit canadien n’est pas offert au prix du marché, une licence est émise … » n’entrave pas l’exercice d[u] pouvoir discrétionnaire [conféré au Ministre par la loi].

[105]   Toutefois, l’arrêt Maple Lodge concernait des déclarations contenues dans des directives qui auraient limité le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par la loi. À mon avis, ce type de situation se distingue de celui où des directives administratives peuvent raisonnablement être perçues comme ayant pour effet de restreindre la capacité des décideurs administratifs quasi judiciaires de tirer leurs propres conclusions de fait ou de faire en sorte qu’il leur soit plus difficile de le faire.

[106]   Je reconnais également que, comme dans l’arrêt Thamotharem, il peut être pertinent d’examiner les éléments de preuve permettant de déterminer si les décideurs de l’organisme administratif en question se considéraient comme ayant été indûment influencés par un guide ou un ensemble de directives contesté. Cependant, ce facteur doit être pris en compte avec d’autres facteurs, notamment le libellé du document, l’existence éventuelle de sanctions ou d’autres conséquences défavorables réelles ou raisonnablement perçues comme telles en cas de non-respect, et la manière dont le document est susceptible d’être raisonnablement perçu par un membre du public.

[107]   Reconnaissant que mon interprétation de l’arrêt Thamotharem n’est pas exempte de doute et concerne une question grave de portée générale, je certifierai une question en vue d’un appel sur cette question, afin que la Cour d’appel fédérale ait la possibilité de la traiter.

[108]   Avant de conclure la présente discussion des principes juridiques généraux, il est nécessaire d’aborder un autre point. L’intervenante se fonde sur le paragraphe 49 de l’arrêt Ellis-Don, précité, pour soutenir que l’ACAADR ne peut pas attaquer la validité des guides jurisprudentiels contestés en invoquant une violation hypothétique d’un ou plusieurs des principes de justice naturelle. Cependant, dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a simplement rejeté la proposition selon laquelle une violation « présumée » de la règle audi alteram partem était suffisante pour déclencher un contrôle judiciaire. Ce faisant, elle a explicitement fait la distinction entre une violation présumée de cette règle et une violation présumée de la règle concernant la partialité décisionnelle. Elle a ensuite déclaré qu’« il faut examiner la nature du problème de justice naturelle en cause pour déterminer le seuil justifiant le contrôle judiciaire » : Ellis-Don, précité, au paragraphe 49.

[109]   Lorsque la question en litige est une atteinte à l’indépendance ou à l’impartialité décisionnelle présumée, il n’est pas nécessaire d’attendre qu’une atteinte réelle ait lieu. Il en est ainsi parce que « [s]i l’on avait adopté comme principe général l’obligation de prouver l’existence d’une partialité réelle, le contrôle judiciaire pour motif de partialité aurait vraiment été un événement rare » : Ellis-Don, précité, au paragraphe 48.

2)         Application des principes applicables aux guides jurisprudentiels contestés

[110]   Il semble admis par les parties que les commissaires sont des décideurs indépendants. L’intervenante n’a pas prétendu le contraire.

[111]   Il ne semble pas exister de désaccord entre les parties sur le point de savoir si le président peut publier des guides jurisprudentiels sur des questions de droit et des questions mixtes de fait et de droit, puis imposer une attente selon laquelle les conclusions sur ces questions seront appliquées aux cas comportant des faits semblables, à moins de justifier la décision de s’en écarter. Par conséquent, la discussion ci-dessous sera centrée sur la mesure dans laquelle les guides jurisprudentiels contestés, le cas échéant, entraveraient illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ou limiteraient indûment leur indépendance décisionnelle pour ce qui est de la détermination des faits dans les cas qui leur sont assignés.

a)         Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria

[112]   Comme il a été indiqué précédemment, le guide jurisprudentiel sur le Nigéria comprend les paragraphes 13 à 30 de la décision TB7-19851 de la Section d’appel des réfugiés.

[113]   Cette section de la décision commence par l’affirmation selon laquelle la question déterminante « est la conclusion selon laquelle des PRI s’offrent à l’appelante à Ibadan et à Port Harcourt en particulier ». Le guide jurisprudentiel souligne ensuite « qu’il y a plusieurs villes au Nigéria, où, selon les faits individuels, il existerait une PRI pour les personnes qui [...] fuient des acteurs non étatiques » : au paragraphe 13 (non souligné dans l’original).

[114]   Le guide jurisprudentiel fournit ensuite un résumé du critère à deux volets pour évaluer une PRI. Ce faisant, la décision est rédigée ainsi : « Trouver une PRI repose sur l’évaluation particulière de la région visée dans la perspective d’une PRI en tenant compte de la situation personnelle de l’appelante » : au paragraphe 15 (non souligné dans l’original).

[115]   Dans les trois paragraphes qui suivent, le guide jurisprudentiel attire l’attention sur certaines conclusions de la Section de la protection des réfugiés, de la Section d’appel des réfugiés et de la Cour concernant l’existence d’une PRI au Nigéria. Le guide jurisprudentiel poursuit en désignant plusieurs grandes villes dans le sud et le centre du Nigéria « où des personnes qui fuient des acteurs non étatiques peuvent s’établir en toute sécurité, en fonction de leur situation personnelle » : au paragraphe 19 (non souligné dans l’original). Le guide jurisprudentiel réitère que « chaque appel dépend des arguments de l’appelant, des faits individuels et de l’évaluation du risque personnel de l’appelant » : au paragraphe 19 (non souligné dans l’original).

[116]   Dans le paragraphe suivant, le guide jurisprudentiel examine divers aspects de la jurisprudence en ce qui concerne le premier volet du critère à deux volets permettant d’évaluer une PRI. Encore une fois, le guide jurisprudentiel répète que l’analyse « porte sur des faits spécifiques » et nécessite de « tenir compte de la situation et des allégations d’un appelant en particulier » : aux paragraphes 20 et 21 (non souligné dans l’original).

[117]   Dans la suite du guide jurisprudentiel, la décision porte sur la documentation sur la situation du pays concernant le transport et les déplacements, la langue, l’éducation et l’emploi, le logement, la religion, « l’identité autochtone » et la disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale. En ce qui concerne les transports et les déplacements, il est aussi souligné dans le guide jurisprudentiel qu’il faut tenir compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

[118]   Le guide jurisprudentiel conclut en déclarant : « je suis d’avis qu’une évaluation conforme au cadre décrit ci-dessus serait largement applicable et déterminante dans une variété de demandes d’asile nigérianes où la crainte vient d’acteurs non étatiques, et, comme ci-dessous, qu’elle devrait être appliquée selon la situation particulière de chaque appelant » : au paragraphe 30 (non souligné dans l’original).

[119]   Compte tenu des passages que j’ai soulignés dans les différentes citations ci-dessus, je conclus que le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’entrave pas illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires ni ne restreint indûment leur liberté de statuer sur les affaires dont ils sont saisis selon leur conscience. Au contraire, le guide jurisprudentiel indique clairement que chaque affaire doit être tranchée en fonction de ses faits particuliers. Dans la mesure où on s’attend à ce que les commissaires fassent quelque chose de particulier, il s’agit simplement d’appliquer le critère établi pour évaluer une PRI (possibilité de refuse intérieur), de tenir compte de la jurisprudence et de la documentation sur le pays mentionnées dans le guide jurisprudentiel, puis de prendre leurs propres décisions sur la base des faits particuliers de l’affaire.

b)         Le guide jurisprudentiel sur le Pakistan

[120]   Le guide jurisprudentiel sur le Pakistan a été désigné à l’égard de la décision de la Section d’appel des réfugiés dans le dossier TB7-01837. Contrairement au guide jurisprudentiel sur le Nigéria et au guide jurisprudentiel sur la Chine, il n’était pas explicitement confiné à des paragraphes précis de la décision. Toutefois, la note de politique accompagnant le guide jurisprudentiel indiquait que sa « portée » visait à savoir si « le traitement réservé aux Ahmadis au Pakistan équivaut à de la persécution et s’ils ont accès à une protection de l’État et à une (PRI) ». Je limiterai donc la discussion suivante à ces parties de la décision TB7-01837. Comme je l’ai déjà indiqué, les conclusions de la Section d’appel des réfugiés sur les trois questions susmentionnées étaient toutes favorables à la demanderesse d’asile.

[121]   Je m’arrête pour observer en passant que les autres parties de cette décision, qui couvrent ses 25 paragraphes initiaux, se limitent essentiellement à une discussion sur le contexte factuel, le rôle de la Section d’appel des réfugiés et la conclusion de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité et la crainte subjective du demandeur. Dans la mesure où ils traitent des faits uniques de la situation du demandeur, ils ne soulèvent aucune question aux fins de la présente instance.

[122]   Dans les 15 paragraphes restants du guide jurisprudentiel, la Section d’appel des réfugiés traite des questions de persécution, de protection de l’État et d’existence d’une PRI. À cet égard, la Section d’appel des réfugiés aborde la preuve présentée par l’appelant; diverses erreurs commises par la SAR lors de l’évaluation de cette preuve particulière; la documentation sur le pays qui a été traitée par la Section de la protection des réfugiés et qui fait état de violence, de discrimination ou de persécution à l’égard des minorités religieuses, y compris les musulmans ahmadis, au Pakistan; le droit relatif à la signification du terme « persécution »; la preuve importante au dossier qui n’a pas été discutée; et le sens de la « liberté de religion ».

[123]   La Section d’appel des réfugiés examine ensuite divers faits rapportés dans la documentation sur le pays qui pourraient appuyer la conclusion selon laquelle les Ahmadis sont persécutés au Pakistan, y compris par des agents de l’État. La Section d’appel des réfugiés ajoute : « Même si les ahmadis n’étaient pas menacés de préjudices corporels ― et la preuve montre qu’un tel danger existe vraiment ― beaucoup d’éléments de preuve ont été fournis à l’appui de l’argument selon lequel ils font l’objet de persécution fondée sur des croyances religieuses », au paragraphe 35.

[124]   Dans les six derniers paragraphes du guide jurisprudentiel, la Section d’appel des réfugiés commence par indiquer que la Section de la protection des réfugiés a mal appliqué une définition trop restreinte de la persécution. Il explique ensuite pourquoi il a considéré que la demanderesse en question était confrontée à de graves restrictions à la pratique de sa religion. Il l’a fait par renvoi à la preuve précise qu’elle a présentée.

[125]   La Section d’appel des réfugiés formule ensuite des observations supplémentaires sur les exigences de la loi.

[126]   Compte tenu de tout ce qui précède, la Section d’appel des réfugiés conclut que la demanderesse est exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée au Pakistan en raison de sa religion ahmadie, qu’elle ne pourrait pas s’attendre à bénéficier d’une protection de l’État adéquate puisque l’État du Pakistan est l’un des principaux agents de persécution et qu’elle ne pourrait pas se prévaloir d’une PRI puisque les lois, les mesures et les pratiques de persécution existent dans toutes les régions du Pakistan.

[127]   Les questions de fait discutées dans le guide jurisprudentiel sur le Pakistan peuvent être regroupées en trois catégories : (i) les faits qui sont propres à la demanderesse et qui ont été présentés dans son témoignage; (ii) les faits caractérisés comme ayant été rapportés dans la documentation sur la situation du pays; (iii) les faits qui semblent être présentés comme constituant les propres conclusions de la Section d’appel des réfugiés sur des questions allant au-delà des éléments de preuve propres à la demanderesse.

[128]   Les faits de la première catégorie ne posent pas de problème potentiel aux fins de la présente procédure, car ils sont propres à la demanderesse d’asile dans le dossier TB7-01837.

[129]   Les faits de la deuxième catégorie ne posent pas non plus de problème potentiel, car, aux fins du guide jurisprudentiel, il s’ensuit simplement que ces faits devraient être pris en compte dans les affaires futures. Les faits auxquels il est fait référence ne sont pas présentés comme des conclusions de fait tirées par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés, mais plutôt comme des renseignements contenus dans la documentation sur la situation du pays qu’il était pertinent de prendre en compte et qui étaient incompatibles avec une conclusion à laquelle la Section d’appel des réfugiés est parvenue sur une question mixte de fait et de droit – à savoir, si la demanderesse en question était exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée. À mon avis, le fait que le président ait annoncé qu’il s’attendait à ce que le guide jurisprudentiel soit suivi ou qu’une justification de la décision de s’en écarter soit fournie aurait simplement pour effet probable d’inciter les commissaires à examiner les renseignements en question, et à décider ensuite quelle attitude adopter vis-à-vis de ces renseignements. Une telle influence ne restreindrait pas sensiblement la liberté absolue des commissaires de juger une affaire selon leur conscience ou leur capacité d’établir leurs propres déterminations factuelles, à l’abri de toute pression ou incitation du président.

[130]   Je vais maintenant me pencher sur les faits de la troisième catégorie. Comme je l’ai déjà mentionné, il semble s’agir de conclusions de fait tirées par la Section d’appel des réfugiés. Ils sont principalement énoncés dans le paragraphe suivant [paragraphe 33] du guide jurisprudentiel :

   Les ahmadis sont marginalisés et exclus du système politique, car, afin de s’inscrire à titre d’électeurs, ils doivent signer une déclaration sur la finalité du prophète Mahomet, à laquelle ils ne peuvent souscrire. Les étudiants qui s’inscrivent à l’université doivent, s’ils se présentent comme musulmans, signer une déclaration similaire, qui exclut les ahmadis. Des professeurs d’université ont réclamé l’assassinat d’ahmadis, et les étudiants qui s’y opposaient ont été expulsés. Le gouvernement pakistanais persécute de manière proactive les ahmadis sur les plans social, économique et éducatif, au point où leur subsistance devient difficile. 

[131]   En outre, la Section d’appel des réfugiés semble avoir adopté comme sa propre conclusion le fait que les ahmadis ne jouissent pas de la liberté de religion au Pakistan.

[132]   Je n’ai pas inclus dans cette troisième catégorie de conclusions de fait les constatations finales formulées par la Section d’appel des réfugiés en ce qui concerne la possibilité sérieuse de persécution, l’indisponibilité d’une protection adéquate de l’État et l’absence de PRI, car ce sont toutes des conclusions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, elles ne sont pas visées par ces demandes, nonobstant la position de l’ACAADR selon laquelle les conclusions relatives à l’existence ou à la non-existence d’une PRI sont des conclusions de fait plutôt que des conclusions mixtes de fait et de droit.

[133]   Dans le contexte du guide jurisprudentiel, les conclusions de fait dans la troisième catégorie discutée ci-dessus sont problématiques aux fins de la présente instance en raison de la déclaration suivante : « les commissaires de la SPR et de la SAR doivent appliquer les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant ». Compte tenu de cette déclaration, les commissaires seraient assujettis à l’attente explicite qu’ils adoptent les conclusions susmentionnées, à moins qu’ils ne soient disposés à justifier leur décision de s’en écarter. Dans les cas comportant des faits semblables, il est raisonnable de s’attendre à ce que certains commissaires qui pourraient ne pas être en mesure de fournir de telles justifications puissent très bien se sentir obligés d’adopter les conclusions de fait en question en raison de la directive explicite voulant que ce soit ce que les commissaires sont censés faire. C’est d’autant plus vrai étant donné que la déclaration d’attente a été communiquée aux commissaires à plusieurs reprises, notamment dans la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission, dans un courriel du président daté du 21 juillet 2017 et dans un courriel du même jour de la vice-présidente de la Section d’appel des réfugiés. À mon avis, le libellé précis de l’attente ainsi que le fait qu’elle a été communiquée à plusieurs reprises confèrent à celle-ci un caractère contraignant distinct.

[134]   Bien qu’il n’y ait aucune preuve que les commissaires s’exposeraient à des sanctions ou à d’autres conséquences défavorables s’ils n’appliquaient aucun des guides jurisprudentiels contestés, l’expérience commune indique qu’au moins certains commissaires se sentiraient obligés par de telles déclarations répétées, provenant de leurs superviseurs, relatives à la conduite qui est attendue d’eux. En effet, la documentation interne de la Commission indique que le taux d’acceptation des demandeurs ahmadis du Pakistan est passé de 93 p. 100 à 98 p. 100 après la publication du guide jurisprudentiel.

[135]   Je m’arrête un instant pour observer que la documentation connexe concernant l’incidence du guide jurisprudentiel sur la Chine et du guide jurisprudentiel sur l’Inde est plus ambiguë, car elle ne compare pas les résultats entre la période antérieure et la période postérieure à la publication. Cependant, cette documentation montre qu’un pourcentage important des commissaires suivent ces guides jurisprudentiels. Plus précisément, sur un échantillon de 80 décisions de la SPR rendues après la désignation du guide jurisprudentiel sur la Chine en juillet 2017, le guide jurisprudentiel a été explicitement appliqué dans 22 p. 100 des cas pertinents et implicitement dans 39 p. 100 des cas. (Il s’agissait de décisions dans lesquelles le guide jurisprudentiel n’était pas mentionné, mais dans lesquelles le CND de la Commission était utilisé pour faire la même analyse de la sortie du demandeur de la Chine). Dans une autre étude portant sur la manière dont les commissaires de la Section d’appel des réfugiés et de la Section de la protection des réfugiés ont appliqué le guide jurisprudentiel sur la Chine pendant cette même période, dans les cas où le guide jurisprudentiel a été explicitement cité, il a été déterminé que le guide jurisprudentiel avait été appliqué lors du prononcé d’une décision défavorable dans 68 p. 100 des cas. En ce qui concerne le guide jurisprudentiel sur l’Inde, sur un échantillon de 80 cas de la Section de la protection des réfugiés dans lesquels ce guide jurisprudentiel a été explicitement mentionné entre juillet 2017 et janvier 2018, le guide jurisprudentiel a été appliqué dans 51 p. 100 des cas pour appuyer la conclusion selon laquelle une PRI était disponible.

[136]   Je reconnais que ces statistiques démontrent aussi implicitement que ce ne sont pas tous les commissionnaires qui suivent aveuglément les guides jurisprudentiels. Cependant, là n’est pas la question. Le fait est qu’il existe une crainte raisonnable qu’au moins certains commissaires risquent de se sentir obligés d’adopter les conclusions de fait énoncées dans les guides jurisprudentiels.

[137]   Quoi qu’il en soit, au moins une partie du public pourrait raisonnablement croire que l’effet probable des directives répétées adressées aux commissaires de la Section d’appel des réfugiés et de la Section de la protection des réfugiés serait qu’au moins certains de ces commissaires se sentent obligés d’adopter les conclusions de fait du guide jurisprudentiel. Étant donné que les conclusions de fait dans cette troisième catégorie sont au cœur des questions qui seraient en jeu dans des cas comportant des faits semblables, c’est particulièrement problématique.

[138]   En effet, dans la mesure où les membres du public pourraient raisonnablement croire en l’existence d’une quelconque ingérence indue dans certaines déterminations factuelles établies par les commissaires, cela ne saurait être toléré. Le principe sacro-saint voulant que « celui qui entend doit décider » (Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146 (Adams), au paragraphe 31) serait violé et la confiance du public envers la Commission et à l’égard de la primauté du droit serait sapée. S’il en était autrement, le gouvernement en place pourrait simplement nommer un président ayant des opinions particulières sur des questions susceptibles de faire l’objet de différends factuels importants, étant entendu que cette personne prendrait des mesures pour imposer ces opinions aux commissaires, notamment en leur communiquant à plusieurs reprises qu’ils sont censés adopter de telles opinions. Il est difficile de concevoir quelque chose qui serait plus préjudiciable à la confiance du public envers la Commission.

[139]   Contrairement au guide jurisprudentiel sur le Nigéria, le guide jurisprudentiel sur le Pakistan ne souligne ni même mentionne que chaque affaire doit être tranchée en fonction de ses propres faits. Si un commissaire de la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés devait se tourner vers la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de portée générale de la Commission pour obtenir une confirmation sur ce point, il ne la trouverait pas. En effet, bien que la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels du président établie par la Commission indique explicitement que les directives de la Commission ne sont pas contraignantes, la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels n’indique nulle part que les guides jurisprudentiels ne lient pas les commissaires. Ces commissaires devraient se tourner vers des sources lointaines, telles que l’historique législatif abordé au paragraphe 70 ci-dessus, ou la jurisprudence sur ce point particulier, pour apprendre ce fait ou se faire rappeler de celui-ci.

[140]   Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’au moins certains commissaires dans une affaire future comportant des faits semblables à ceux du guide jurisprudentiel sur le Pakistan ne se sentiraient pas tout à fait libres de trancher l’affaire selon leur propre conscience. Au contraire, certains commissaires risquent de se sentir obligés d’adopter les déterminations factuelles que la Section d’appel des réfugiés semble avoir établies au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 du guide jurisprudentiel. Par conséquent, leur pouvoir discrétionnaire de tirer des conclusions de fait serait illicitement entravé et leur indépendance décisionnelle serait indûment restreinte ou atteinte. En résumé, ces commissaires ne seraient pas entièrement libres d’établir des déterminations concernant les faits en question, en étant totalement libres et en accord avec leur propre conscience. En outre, au moins une partie du public pourrait raisonnablement craindre que certains commissaires se sentent ainsi soumis à des pressions et ne soient donc pas totalement impartiaux.

[141]   Il convient de souligner que le problème lié à la troisième catégorie de questions de fait évoquée ci-dessus n’est pas relatif aux déterminations établies par la Section d’appel des réfugiés dans la décision TB7-01837. Il est plutôt relatif à la déclaration dans la note de politique accompagnant le guide jurisprudentiel sur le Pakistan, selon laquelle « les commissaires de la SPR et de la SAR doivent appliquer les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant ». Imposer cette attente et l’obligation correspondante de justifier une décision de ne pas suivre le guide jurisprudentiel dans des affaires comportant des faits semblables entraîne la pression indue exercée sur les commissaires d’adopter les déterminations factuelles établies par la Section d’appel des réfugiés dans la décision TB7-01837 comme étant les leurs. C’est d’autant plus vrai compte tenu de la mesure dans laquelle la communication de cette attente a été répétée et de l’absence de déclaration claire indiquant que chaque affaire doit être tranchée en fonction de ses faits précis.

[142]   Comme je l’ai fait remarquer, il serait tout à fait légitime que le président encourage les commissaires à prendre en compte le guide jurisprudentiel dans les cas comportant des faits semblables traitant des questions de persécution, de la disponibilité d’une protection de l’État et de la disponibilité d’une PRI pour les Ahmadis au Pakistan. J’estime qu’il serait également légitime que le président encourage les commissaires à suivre le guide jurisprudentiel, à condition qu’il soit aussi clairement indiqué qu’ils sont totalement libres de s’écarter du guide jurisprudentiel sur la foi des faits particuliers de l’affaire dont ils sont saisis. Il n’y aurait rien d’anormal à ce qu’un commissaire applique volontairement le guide jurisprudentiel dans de telles circonstances : Koroz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1593 (QL) (C.A.), au paragraphe 3 et 9.

[143]   Cependant, le principe de l’indépendance décisionnelle, même dans le contexte du droit administratif, ne peut supporter une aussi grande tension entre l’attente que le président a communiquée et la liberté totale des commissaires de tirer leurs propres conclusions de fait selon leur conscience. Le principe sacro-saint voulant que « celui qui entend doit trancher » à l’égard des faits contestés ne peut pas être sacrifié sur l’autel de l’accroissement de la cohérence et de l’efficacité dans la prise de décision.

[144]   Je reconnais que la conclusion que j’ai tirée ci-dessus est différente de la conclusion tirée par le juge Harrington dans la décision Barrantes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 518, aux paragraphes 5 à 15. Bien que le juge Harrington ait exprimé son malaise concernant le libellé de la déclaration d’attente, il n’a pas accepté l’observation du demandeur selon laquelle cette déclaration exerçait une pression institutionnelle exagérée sur les commissaires et donnaient aux demandeurs l’impression que leur audition n’était pas entièrement impartiale. Cependant, il ne semble pas que l’attention du juge Harrington ait été attirée sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada que j’ai évoquée aux paragraphes 89 à 90 ci-dessus.

[145]   Une distinction peut également être faite avec deux autres décisions invoquées par l’intervenante. Dans la première, soit la décision Araya Atencio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 571 (Araya Atencio), au paragraphe 20, le juge Pinard a déclaré ce qui suit : « Il ne s’agit pas d’un cas pour lequel la Commission n’a pas fait preuve d’indépendance, mais plutôt d’un cas pour lequel la Commission a examiné les lignes directrices et, par conséquent, s’est assurée que sa décision était compatible avec les autres décisions rendues pour des demandeurs dans une situation analogue » (renvoi omis). Cette déclaration se limitait à la question de savoir si le commissaire en question avait fait preuve d’indépendance. Il ne semble pas que le guide jurisprudentiel auquel le juge Pinard a fait référence ait été contesté ni que son attention ait été attirée sur la jurisprudence que j’ai évoquée aux paragraphes 89 à 90 ci-dessus.

[146]   L’autre décision invoquée par l’intervenante est la décision Feng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 18 (Feng), au paragraphe 29. Dans cette décision, le juge Gleeson a rejeté l’argument selon lequel la Section d’appel des réfugiés avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant le guide jurisprudentiel sur la Chine. Il l’a fait après avoir conclu que la SAR était parvenue à sa propre conclusion sur la question en litige avant de se tourner vers le guide jurisprudentiel et de déclarer qu’elle appuyait la conclusion tirée dans le guide jurisprudentiel. Compte tenu de ce qui précède, je n’estime pas que cette affaire appuie la proposition selon laquelle le guide jurisprudentiel sur la Chine n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire des commissaires ni ne porte atteinte indûment à leur indépendance, tel que je l’ai conclu.

[147]   Je reconnais que certains aspects des principes de justice naturelle peuvent être écartés lorsque la législation, expressément ou par déduction nécessaire, les écarte : Adams, précité. Cependant, il n’y a pas d’expression expresse ou implicite de l’intention du législateur à l’alinéa 159(1)h), ou ailleurs dans la LIPR, en ce qui concerne les déterminations factuelles. En fait, le paragraphe 162(2) de la LIPR exige explicitement que chacune des sections de la Commission « fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ». Compte tenu de cette disposition et en l’absence du libellé explicite ou implicite évoqué ci-dessus, on ne peut pas dire que le président a été autorisé à publier des guides jurisprudentiels qui obligent effectivement les commissaires à adopter des conclusions sur les questions de fait qui y sont énoncées ou à fournir une justification de la décision de s’en écarter.

[148]   Cela dit, j’estime qu’il est nécessairement implicite compte tenu de l’inclusion du pouvoir de publier des guides jurisprudentiels à l’alinéa 157(1)h) que le président peut attirer l’attention des commissaires, et même les encourager à prendre en compte des facteurs d’évaluation particuliers, des principes juridiques et des faits rapportés dans des sources objectives lorsqu’ils prennent leurs décisions. Ce faisant, le président doit toutefois préciser que les commissaires sont libres de prendre leurs propres décisions en fonction des faits propres à chaque cas.

[149]   Le défendeur soutient qu’il est légitime que le président établisse une attente de suivre les guides jurisprudentiels et oblige les commissaires à fournir une justification motivée s’ils ne le font pas, car la Cour a déclaré que les décideurs administratifs devraient agir de la sorte dans les cas appropriés : voir par exemple la décision Higbogun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 445, au paragraphe 57. À titre d’exemple, le défendeur renvoie à la jurisprudence de notre Cour concernant les Directives no 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives OSIGEG). Le défendeur soutient qu’il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures. En d’autres termes, il ne devrait pas être inapproprié d’imposer une telle obligation à l’égard des directives ou des guides jurisprudentiels qui peuvent compliquer la tâche des demandeurs d’asile pour faire valoir leur revendication s’il est tout à fait approprié d’imposer une telle obligation lorsque les directives ou les guides jurisprudentiels sont destinés à bénéficier aux demandeurs d’asile.

[150]   À mon avis, cette observation passe à côté d’un élément important, l’importance de la façon dont les guides jurisprudentiels ou les directives publiés par le président peuvent influencer un commissaire. Dans le cas des Directives OSIGEG, une orientation relativement à divers thèmes généraux est simplement proposée. En voici quelques-uns : comment mieux comprendre les difficultés uniques auxquelles se heurtent les personnes ayant diverses OSIGEG lorsqu’il s’agit d’établir la preuve de leur OSIGEG; l’importance d’éviter les stéréotypes et les hypothèses inappropriées au moment d’établir les faits; la manière dont le langage peut avoir des connotations négatives; comment évaluer la crédibilité dans ce contexte unique; et les différentes manières dont un demandeur d’asile peut établir un lien avec un motif de protection des réfugiés reconnu. Bien que certaines dispositions des Directives OSIGEG obligent les commissaires à tenir compte de certaines affaires en prenant leur décision, elles n’imposent pas une attente voulant que les conclusions de fait soient adoptées ni une exigence de fournir une justification motivée expliquant pourquoi de telles conclusions n’ont pas été adoptées. Aux fins de la présente instance, il s’agit d’une différence essentielle entre les Directives OSIGEG et l’allégation de l’ACAADR en ce qui concerne les guides jurisprudentiels contestés.

[151]   En résumé, j’estime que la déclaration d’attente contenue dans la note de politique accompagnant la publication du guide jurisprudentiel sur le Pakistan entrave illicitement l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires et porte atteinte indûment à leur indépendance en ce qui concerne les déterminations factuelles énoncées au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 de ce guide jurisprudentiel. Les considérations qui appuient cette conclusion comprennent le caractère impératif du libellé de la déclaration, la mesure dans laquelle des déclarations similaires ont été communiquées à plusieurs reprises aux commissaires, l’absence de libellé indiquant clairement que les commissaires sont libres d’établir leurs propres déterminations factuelles sur la base des faits propres à chaque cas, et l’absence de toute indication ou de tout appel que le guide jurisprudentiel n’est pas contraignant. J’ajouterai simplement en passant que les données disponibles concernant le résultat des décisions de la Commission comme suite à la publication du guide jurisprudentiel contribuent très peu à dissiper mes inquiétudes quant à la mesure dans laquelle il pourrait entraver indûment l’indépendance décisionnelle des commissaires.

c)         Le guide jurisprudentiel sur l’Inde

[152]   Le guide jurisprudentiel sur l’Inde a été désigné à l’égard des décisions MB6-01059 et MB6-01060 de la Section d’appel des réfugiés, qui traitaient des demandes de deux demandeurs d’asile qui étaient mari et femme. À l’instar du guide jurisprudentiel sur Pakistan, le guide jurisprudentiel sur l’Inde n’était pas limité à des paragraphes précis de la décision et il n’y a rien en dehors de la « portée » définie du guide jurisprudentiel qui soit pertinent aux fins de la présente instance. Il est précisé dans la note de politique accompagnant le guide jurisprudentiel que cette portée correspondait la disponibilité d’une PRI en Inde pour les demandeurs de la région du Pendjab de ce pays. Cela a été défini comme la question déterminante dans l’appel devant la Section d’appel des réfugiés et était donc le seul élément central de l’analyse de la Section d’appel des réfugiés. Comme je l’ai indiqué précédemment, dans le guide jurisprudentiel, il a été conclu que les demandeurs d’asile en question avaient une PRI viable à Delhi ou à Mumbai, et le guide jurisprudentiel a été révoqué le 30 novembre 2018.

[153]   Comme c’est le cas pour le guide jurisprudentiel sur le Pakistan, les questions de fait discutées dans le guide jurisprudentiel sur l’Inde peuvent être regroupées dans les trois catégories suivantes : (i) les faits qui sont propres aux demandeurs et que ceux-ci ont présentés en preuve; (ii) les faits caractérisés comme ayant été rapportés dans la documentation sur la situation du pays; (iii) les faits qui sont présentés comme constituant les propres conclusions de la Section d’appel des réfugiés, sur des questions allant au-delà des éléments de preuve propres aux demandeurs.

[154]   Le traitement que fait la Section d’appel des réfugiés des faits entrant dans les deux premières catégories ne pose pas de problème potentiel aux fins de la présente instance, essentiellement pour les mêmes raisons que celles évoquées aux paragraphes 128 à 129 ci-dessus, en ce qui concerne le guide jurisprudentiel sur le Pakistan. J’ajouterai simplement pour mémoire que, compte tenu du fait que la décision de la Section d’appel des réfugiés était défavorable aux demandeurs d’asile, les conclusions de fait relevant de la première catégorie concernaient généralement l’insuffisance des preuves présentées par les demandeurs et l’absence d’éléments de preuve pour appuyer des aspects particuliers de leur revendication ou de leurs observations. Les questions de fait relevant de la deuxième catégorie concernaient généralement des renseignements tirés des preuves documentaires ou des RDI que la Section d’appel des réfugiés avait citées ou paraphrasées.

[155]   Les questions de fait relevant de la troisième catégorie posent un problème pour les mêmes raisons que celles que j’ai exposées aux paragraphes 132 à 143 et 151 ci-dessus, en ce qui concerne le guide jurisprudentiel sur le Pakistan. Il en est ainsi parce que ces questions semblent consister en des conclusions de fait établies par la Section d’appel des réfugiés.

[156]   Il y avait cinq conclusions de ce type dans le guide jurisprudentiel :

1.         Les sikhs n’ont généralement pas de difficulté à déménager dans d’autres régions de l’Inde : au paragraphe 36.

2.         Pour retrouver des suspects qui déménagent dans d’autres États, la police du Pendjab doit pouvoir compter sur la coopération de la police ou de l’autre État. La police ne tenterait de retrouver des personnes que dans des cas extrêmes : au paragraphe 36.

3.         [L]e processus de vérification des locataires n’amènerait pas la police de Delhi ou de Mumbai à communiquer ou à contre-vérifier l’information avec le service policier du Pendjab : au paragraphe 36.

4.         Il est évident que la preuve documentaire démontre que la police de Delhi ou de Mumbai ne communiquerait pas avec le service policier du Pendjab dans le cadre du processus d’enregistrement des locataires : au paragraphe 40.

5.         Il y a peu de discrimination à l’égard des sikhs en Inde : au paragraphe 47.

[157]   Les conclusions factuelles susmentionnées semblaient toutes être bien étayées par la preuve documentaire citée par la Section d’appel des réfugiés. Cependant, là n’est pas la question. En imposant une attente voulant que ces conclusions soient suivies à moins qu’une justification motivée de s’en écarter ne soit fournie, un commissaire aurait très bien pu considérer que sa liberté de tirer des conclusions de fait différentes dans des affaires comportant des faits semblables était moins grande qu’elle ne l’aurait été en l’absence de la déclaration d’attente (voir les paragraphes 133 à 134 et 139 à 141 ci-dessus). En outre, comme il est indiqué au paragraphe 138 ci-dessus, un membre du public aurait très bien pu raisonnablement craindre que ce soit l’effet probable du guide jurisprudentiel. C’est particulièrement problématique étant donné que les conclusions factuelles de la Section d’appel des réfugiés (énumérées au paragraphe 156 ci-dessus) ont été déterminantes pour savoir si une PRI existerait à Delhi ou à Mumbai pour les personnes d’origine ethnique sikh du Pendjab.

[158]   Comme pour le guide jurisprudentiel sur le Pakistan, je n’ai pas inclus la principale conclusion de la Section d’appel des réfugiés relative à l’existence d’une PRI à Delhi et à Mumbai dans les conclusions de fait entrant dans la troisième catégorie qui précède, car cette conclusion est une détermination portant sur une question mixte de fait et de droit. Elle n’est donc pas visée par ces demandes.

d)         Le guide jurisprudentiel sur la Chine

[159]   Le guide jurisprudentiel sur la Chine a été désigné à l’égard de la décision TB6-11632 de la Section d’appel des réfugiés. La portée du guide jurisprudentiel était confinée à l’« [a]nalyse de la question visant à établir si une personne recherchée par les autorités peut quitter la Chine à un aéroport en utilisant un passeport authentique ». À cet égard, le guide jurisprudentiel se limitait aux paragraphes 12 à 22 et 25 à 34 de la décision dans le dossier TB6-11632. Dès le début de l’examen de la question par la Section d’appel des réfugiés, cette dernière a souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur d’asile n’aurait pas réussi à quitter la Chine en utilisant son passeport authentique, compte tenu de ses allégations selon lesquelles le Bureau de la sécurité publique (BSP) voulait l’arrêter. En contestant la conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur ce point, le demandeur d’asile a soutenu devant la Section d’appel des réfugiés qu’il était raisonnable de supposer que le passeur qu’il avait sollicité pour l’aider avait les moyens soit d’éviter la détection soit de garantir le consentement des agents dans les aéroports concernés. Cette hypothèse reposait sur le fait que l’entreprise du passeur était fondée sur sa capacité à faire sortir des personnes de la Chine.

[160]   Comme il est indiqué au début des présents motifs, le guide jurisprudentiel sur la Chine a été révoqué le 28 juin 2019 en raison du fait qu’il contenait une conclusion de fait qui n’était pas étayée par le CND de la Commission. Ce fait concernait la technologie de surveillance de la reconnaissance faciale utilisée à l’égard des passagers partant d’un aéroport de Beijing.

[161]   Comme c’est le cas pour les guides jurisprudentiels sur le Pakistan et l’Inde, les questions de fait traitées dans le guide jurisprudentiel sur la Chine peuvent être regroupées dans les trois catégories suivantes : (i) les faits qui sont propres au demandeur et qui ont été présentés dans son témoignage; (ii) les faits caractérisés comme ayant été rapportés dans la documentation sur la situation du pays; (iii) les faits qui sont présentés comme constituant les propres conclusions de la Section d’appel des réfugiés, sur des questions allant au-delà des éléments de preuve propres au demandeur.

[162]   Le traitement que fait la Section d’appel des réfugiés des faits entrant dans les deux premières catégories ne pose pas de problème potentiel aux fins de la présente instance, essentiellement pour les mêmes raisons que celles évoquées aux paragraphes 128 à 129 ci-dessus, en ce qui concerne le guide jurisprudentiel sur le Pakistan. Pour mémoire, je noterai que les conclusions de la première catégorie incluaient la détermination selon laquelle les éléments de preuve du demandeur concernant la façon dont il a réussi à quitter la Chine en utilisant son propre passeport étaient « insuffisants » et que cette preuve n’était « pas crédible ». En outre, l’essentiel de la discussion sur les questions factuelles consistait uniquement en des références et citations tirées de la documentation sur la situation du pays contenue dans le CND, sans autre commentaire.

[163]   S’agissant de la troisième catégorie, elle comprenait les six conclusions de fait suivantes tirées par la Section d’appel des réfugiés :

1.         Le demandeur n’aurait pas réussi à quitter la Chine en utilisant son passeport authentique, compte tenu de ses allégations selon lesquelles le BSP voulait l’arrêter : au paragraphe 12.

2.         Compte tenu de l’importance du système du Bouclier d’or en Chine, il est raisonnable de s’attendre à ce que l’utilisation de cet appareil fasse aussi l’objet d’une surveillance et que des systèmes redondants soient en place pour empêcher que le système soit compromis par une seule personne : au paragraphe 28.

3.         Les éléments de preuve objectifs concernant le Bouclier d’or et les autres contrôles mis en place aux frontières chinoises sont convaincants. Il est peut-être possible qu’un passeur contourne certains des contrôles de sécurité, mais il est hautement improbable que le demandeur ait pu contourner tous les contrôles de sécurité mis en place : au paragraphe 32.

4.         Bien que, selon certains éléments de preuve documentaire, la corruption existe dans les services de police de la Chine et que les autorités chinoises n’appliquent pas toujours les règles de façon uniforme, la prépondérance de la preuve documentaire montre que les autorités aux frontières effectuent un contrôle rigoureux : au paragraphe 33.

5.         [I]l est très improbable que le passeur prétendument sollicité par le demandeur ait su à l’avance quels agents il devait soudoyer pour permettre à son client de passer sans problème chacun des multiples points de contrôle d’un aéroport : au paragraphe 34.

6.         À la lumière des allégations du demandeur selon lesquelles il était recherché par les autorités chinoises et à la lumière des éléments de preuve concernant la poursuite vigoureuse de la part du BSP, il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités locales aient entré les renseignements concernant le demandeur dans la base de données du Bouclier d’or afin de multiplier leurs efforts en vue de l’arrêter : au paragraphe 34.

[164]   Je reconnais que notre Cour a conclu que certaines des conclusions énoncées ci-dessus étaient raisonnables à plusieurs reprises : voir par exemple les décisions Zeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060, au paragraphe 32; Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666, au paragraphe 17; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315, au paragraphe 19; Yan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, aux paragraphes 20 à 21; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877, aux paragraphes 20 à 21; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148, aux paragraphes 37 à 39; Han c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 858 (Han), aux paragraphes 31 à 36. Mais là n’est pas la question.

[165]   Aux fins des présentes demandes, les conclusions de fait susmentionnées de la Section d’appel des réfugiés sont problématiques pour les raisons exposées aux paragraphes 132 à 141 et 151 ci-dessus. C’est particulièrement vrai parce que les conclusions étaient relatives aux questions qui auraient une grande importance pour déterminer si un demandeur d’asile pouvait quitter la Chine par avion en utilisant un passeport authentique.

[166]   Le guide jurisprudentiel sur la Chine contient également une analyse de la jurisprudence de notre Cour qui est problématique pour les raisons exposées aux paragraphes 133 à 141 et 151 ci-dessus. Plus précisément, aux paragraphes 31 et 32 du guide jurisprudentiel, la SAR a déclaré ce qui suit :

   La SAR estime que, bien que la Cour fédérale ait conclu, dans la décision Yao, qu’il était possible pour une personne recherchée de quitter la Chine en toute sécurité avec l’aide d’un passeur, un certain nombre de décisions de la Cour fédérale appuient la conclusion de la SAR à cet égard. La SAR souligne particulièrement la décision X (Re) […], dans laquelle elle a examiné des circonstances semblables :

[…]

     Cette conclusion est étayée en outre par les décisions [de la Cour fédérale], dans lesquelles la Cour fédérale a soutenu des conclusions selon lesquelles une personne recherchée par les autorités chinoises ne pouvait pas traverser sans problème les contrôles à la sortie du pays […] [Renvois omis.]

[167]   Dans la mesure où le passage précédent peut raisonnablement être perçu comme réduisant la liberté totale d’un commissaire de suivre la décision Yao mentionnée dans la citation ci-dessus, plutôt que de suivre l’autre ligne de jurisprudence privilégiée par le guide jurisprudentiel, il est aussi problématique que les conclusions de fait dans la troisième catégorie, examinées au paragraphe 163 ci-dessus.

[168]   Il vaut la peine de souligner que je n’estime pas qu’un guide jurisprudentiel qui traite de questions de fait soit problématique en soi. C’est le cas même lorsque, comme pour le guide jurisprudentiel sur la Chine, le guide jurisprudentiel en question traite presque exclusivement de questions de fait. Le problème est posé par la déclaration d’attente selon laquelle le guide jurisprudentiel devrait être appliqué aux cas comportant des faits semblables, à moins de justifier la décision de s’en écarter. Ce problème pourrait être évité en encourageant simplement les commissaires à prendre en compte un guide jurisprudentiel, voire à le suivre, dans des cas comportant des faits semblables, à condition qu’il soit clairement indiqué aux commissaires qu’ils sont libres de tirer leurs propres conclusions sur le fondement des faits propres à chaque cas.

[169]   Je m’en voudrais de ne pas m’arrêter pour reconnaître que, dans la décision Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, j’avais relevé que la déclaration d’attente figurant dans la note de politique accompagnant le guide jurisprudentiel sur la Chine n’était pas déraisonnable. Toutefois, cette déclaration a été faite lors de l’évaluation de la question de savoir si la Section d’appel des réfugiés avait conclu de manière déraisonnable que la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport si elle était recherchée par les autorités chinoises. Les parties à cette affaire n’ont pas soulevé la question de savoir si la déclaration d’attente contenue dans la note de politique constituait une entrave illicite à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou une atteinte indue à l’indépendance décisionnelle. Il en va de même pour plusieurs autres affaires de la Cour dans lesquelles l’utilisation d’un guide jurisprudentiel sur la Chine par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés a été jugée raisonnable : Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 454, aux paragraphes 22 à 24; Han, précité.

[170]   Compte tenu de ce qui précède, les affaires dans lesquelles la Cour a approuvé l’utilisation du guide jurisprudentiel sur la Chine ne sont pas particulièrement utiles ni pertinentes.

e)         Résumé

[171]   Pour les raisons que j’ai évoquées, le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’entrave pas illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de tirer leurs propres conclusions de fait, et il ne porte pas indûment atteinte à l’indépendance des commissaires ni ne réduit leur impartialité présumée.

[172]   Toutefois, les conclusions de fait formulées au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 du guide jurisprudentiel sur le Pakistan ont cet effet. Il en va de même pour les conclusions de fait formulées dans les guides jurisprudentiels sur l’Inde et la Chine, qui ont été révoqués, et qui sont mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus. Dans chaque cas, ces conclusions sont relatives à des questions qui vont au-delà des éléments de preuve spécifiques au demandeur ou aux demandeurs en question et qui pourraient donc bien se poser dans d’autres cas.

[173]   Le problème ne se pose pas en raison des conclusions de la Section d’appel des réfugiés, mais à cause de la déclaration d’attente formulée dans les notes de politique accompagnant la publication du guide jurisprudentiel sur le Pakistan, du guide jurisprudentiel sur l’Inde et du guide jurisprudentiel sur la Chine, ainsi que dans la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission et dans les courriels du 21 juillet 2017 du président et de la vice-présidente (Section de la protection des réfugiés).

[174]   Je reconnais que le libellé de la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission diffère quelque peu du libellé des notes de politique, car il est dit qu’on s’attend des commissaires qu’ils « suivent le raisonnement » (non souligné dans l’original) exposé dans une décision qui sert de guide jurisprudentiel, dans des cas comportant des faits semblables, à moins qu’il n’existe une raison de ne pas le faire. Dans les notes de politique, le libellé correspondant est le suivant : « les commissaires de la SPR et de la SAR doivent appliquer les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant » (non souligné dans l’original). À mon avis, l’effet réel et l’effet présumé seraient essentiellement les mêmes. Il est raisonnable de déduire que celui qui est censé appliquer le raisonnement d’un guide jurisprudentiel adoptera les principales conclusions de fait figurant dans le guide jurisprudentiel. C’est particulièrement vrai étant donné que la déclaration d’attente a été communiquée aux commissaires à plusieurs reprises.

C.        Les guides jurisprudentiels contestés rehaussent-ils injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile?

[175]   L’ACAADR prétend que les guides jurisprudentiels rehaussent injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile. Elle soutient qu’au lieu de devoir établir comment le demandeur a quitté la Chine uniquement au moyen de sa preuve, le demandeur doit également surmonter les déterminations factuelles contenues dans le guide jurisprudentiel. En s’appuyant sur la décision Maldonado, précitée, et les arrêts qui l’ont suivie, l’ACAADR affirme que cela contrecarre la présomption selon laquelle le témoignage sous serment d’un demandeur est présumé crédible et véridique. Dans le cas du guide jurisprudentiel sur la Chine, il est dit que celui-ci agit de la sorte en enjoignant effectivement aux commissaires d’adopter la présomption selon laquelle il est improbable qu’une personne qui prétend être recherchée par les autorités chinoises quitte ce pays par avion en utilisant son propre passeport. L’ACAADR affirme que si le législateur avait voulu imposer aux demandeurs une norme de preuve plus rigoureuse, il l’aurait explicitement prévu dans la LIPR. Cependant, il ne l’a pas fait.

[176]   Dans la mesure où les observations de l’ACAADR concernent les déterminations factuelles établies dans le guide jurisprudentiel sur l’Inde et le guide jurisprudentiel sur la Chine, et mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus, j’admets que l’ACAADR a un argument valable. Cet argument est que, d’un point de vue pratique, un demandeur d’asile peut être obligé de produire plus d’éléments de preuve qu’il aurait dû présenter en l’absence du guide jurisprudentiel. Ce sera probablement le cas lors d’une audition au cours de laquelle le commissaire a décidé d’adopter les déterminations factuelles contenues dans le guide jurisprudentiel. Cependant, pour les raisons abordées au paragraphe 181 ci-dessous, je ne suis pas convaincu par la thèse qu’elle a adoptée en ce qui concerne la décision Maldonado.

[177]   Mon accord avec l’ACAADR se limite aux guides jurisprudentiels sur la Chine et l’Inde révoqués, car les guides jurisprudentiels sur le Nigéria et le Pakistan n’ont pas pour effet de rehausser le fardeau imposé aux demandeurs d’asile. Il est très clairement indiqué dans le guide jurisprudentiel sur le Nigéria que chaque affaire doit être tranchée en fonction de ses faits particuliers, alors que le guide jurisprudentiel sur le Pakistan aide les demandeurs d’asile à établir le bien-fondé de leur revendication, plutôt que de leur compliquer la tâche.

[178]   Dans la mesure où le problème lié aux guides jurisprudentiels (révoqués) sur la Chine et l’Inde concerne la déclaration d’attente formulée dans les notes de politique accompagnant ces guides jurisprudentiels et dans la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission, je l’ai déjà réglé ci-dessus. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de revenir sur ce problème dans ce contexte supplémentaire. En effet, j’ai déjà conclu que la déclaration d’attente entrave illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés de tirer leurs conclusions de fait totalement libres de toute influence, et porte indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle.

[179]   Au-delà de ce problème, qui ne concerne que les faits qui sont propres à un demandeur d’asile, les guides jurisprudentiels contestés ne rehaussent pas injustement le fardeau imposé aux demandeurs d’asile. Je reconnais que certains des renseignements contenus dans la documentation sur la situation du pays et les RDI cités dans les guides jurisprudentiels peuvent rendre plus difficile la tâche des demandeurs d’asile d’établir le bien-fondé de leur revendication devant la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés. Confronté à des faits particuliers tirés de la documentation sur la situation du pays ou à d’autres sources objectives citées dans un guide jurisprudentiel, un demandeur peut très bien juger nécessaire de fournir davantage d’éléments de preuve que ceux qu’il aurait autrement fournis pour appuyer sa demande d’asile. Toutefois, cela ne crée aucune iniquité procédurale, car le législateur a donné au président le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels, et par déduction nécessaire, ce pouvoir inclut celui de citer des renseignements contenus dans le CND ou les RDI de la Commission. Cela inclut également le pouvoir d’attirer l’attention sur des facteurs d’évaluation ou des principes juridiques qui peuvent être défavorables ou favorables aux demandeurs d’asile.

[180]   En effet, comme je l’ai souligné, ce pouvoir consiste également à encourager les commissaires à prendre en compte de tels facteurs ou principes. Si cela complique la tâche des demandeurs d’asile qui cherchent à établir le bien-fondé de leur revendication devant la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés, cela n’est pas inéquitable sur le plan procédural, en particulier dans le contexte d’une procédure d’enquête. Bien au contraire. En désignant un guide jurisprudentiel, le président donne un préavis raisonnable aux futurs demandeurs d’asile des problèmes supplémentaires et des renseignements qui pourraient devoir être abordés dans des arguments juridiques et des éléments de preuve.

[181]   En ce qui concerne la décision Maldonado, cette affaire étaye simplement le principe suivant : « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » : Maldonado, précitée, à la page 305 (non souligné dans l’original).

[182]   Il en résulte que s’il a une raison quelconque de douter de la véracité des allégations formulées dans l’affidavit ou le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la présomption de vérité disparaît. Dans la mesure où l’information contenue dans un guide jurisprudentiel fournirait une telle raison, la présomption de véracité ne s’appliquerait plus.

[183]   La raison sous-jacente à cette présomption de vérité est qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs d’asile ayant vécu certains types de situations d’urgence disposent de documents ou d’autres éléments de preuve pour corroborer leurs revendications : voir, par exemple, la décision Chunza Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 832 (Chunza Garcia), au paragraphe 17. Ces circonstances peuvent inclure des camps de réfugiés, la situation dans des pays déchirés par la guerre ou des situations dans lesquelles le demandeur d’asile ne dispose que d’un très court délai pour échapper à son ou ses persécuteurs et ne peut par la suite accéder à des documents ou à d’autres éléments de preuve depuis le Canada.

[184]   Toutefois, dans les cas où un demandeur d’asile semble avoir eu la possibilité de rassembler les éléments de preuve corroborant sa demande avant ou après son arrivée au Canada, la force de la présomption de vérité discutée ci-dessus dépend directement de la mesure dans laquelle une telle preuve corroborante est fournie. Lorsque le demandeur d’asile ne fournit rien d’autre qu’une simple allégation dénuée de fondement qui est difficile à croire lorsqu’elle est examinée en corrélation avec les renseignements objectifs contenus dans les documents du CND ou des RDI de la Commission, la force de la présomption de véracité est relativement faible et cette présomption peut être écartée par ces renseignements. En fait, elle peut aussi être écartée par un défaut d’expliquer de manière raisonnable une omission de fournir des éléments de preuve qui corroborent de telles allégations : Tellez Picon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 129, au paragraphe 12; Ramos Aguilar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 431, aux paragraphes 44 et 45; Chunza Garcia, précitée.

[185]   Le défendeur a fourni un exemple hypothétique lors de l’audition de ces demandes. Dans cet exemple, le demandeur d’asile a affirmé s’être échappé de Berlin-Est pour se rendre à Berlin-Ouest. Cependant, la documentation sur la situation du pays indiquait qu’il y avait un haut mur de béton entre les deux parties de cette ville et qu’il y avait des mines terrestres du côté est de ce mur, des capteurs infrarouges le long du mur et des nids de mitrailleuses à divers intervalles. La documentation indiquait également que personne ne s’était échappé de Berlin-Est depuis environ trois ans. Compte tenu de ces faits, il serait très difficile pour le demandeur de prétendre simplement qu’un passeur l’avait aidé à se déplacer entre les deux parties de la ville. En l’absence de preuves supplémentaires du demandeur expliquant comment le passeur a pu surmonter tous ces obstacles, la présomption de véracité disparaîtrait.

[186]   Je suis d’accord. En fait, cela semble avoir été précisément ce qui s’est passé dans la décision TB6-11632, dans laquelle le demandeur semble avoir présenté un exposé de faits à peine soutenu selon lequel il aurait utilisé un passeur pour quitter la Chine en utilisant son propre passeport. D’autres membres de notre Cour et moi-même avons conclu à plusieurs reprises que le rejet de cet exposé de faits par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés était raisonnable lorsque le demandeur n’a pas été en mesure de concilier son exposé de faits avec les renseignements sur le pays mentionnés dans le guide jurisprudentiel sur la Chine : voir par exemple, la décision Jiang, précitée, aux paragraphes 20 à 26, et les affaires qui y sont mentionnées.

[187]   En résumé, je suis d’accord avec l’ACAADR pour dire que le guide jurisprudentiel sur l’Inde révoqué et le guide jurisprudentiel sur la Chine révoqué rehaussent injustement le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs d’asile. Cependant, mon accord se limite aux déterminations factuelles qui sont mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus. Autrement dit, je conviens que les guides jurisprudentiels alourdissent injustement le fardeau imposé aux demandeurs d’asile, parce qu’on s’attend à ce que les commissaires adoptent ces déterminations factuelles ou expliquent pourquoi ils ne l’ont pas fait.

[188]   Toutefois, tout alourdissement du fardeau imposé aux demandeurs d’asile en raison de la nécessité d’étayer leur exposé des faits pour refléter les faits présentés dans le CND ou les RDI de la Commission n’est pas injuste. J’estime qu’il en va de même en ce qui concerne tout alourdissement du fardeau pouvant résulter de facteurs d’évaluation ou de principes juridiques qui peuvent être énoncés dans un guide jurisprudentiel. En conférant au président le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels qui incluraient raisonnablement de telles questions, le législateur peut, par voie de conséquence nécessaire, être considéré comme ayant reconnu que de tels guides jurisprudentiels pourraient influer sur la facilité ou la difficulté avec laquelle une personne pourrait établir le bien-fondé de sa demande d’asile.

[189]   Pour mémoire, je m’arrête un instant pour observer que le demandeur a également soutenu que les guides jurisprudentiels contestés créent un processus inéquitable, car en obligeant les commissaires à suivre le guide jurisprudentiel, ils usurpent le rôle du commissaire et violent le principe selon lequel celui qui entend l’affaire doit la trancher ayant égard aux faits contestés. J’estime que cet argument est un autre moyen d’affirmer que les guides jurisprudentiels contestés entravent illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de tirer leurs propres conclusions de fait, ou empiètent indûment sur leur indépendance réelle ou présumée. Comme cette question a été traitée dans la section VII.B de présents motifs ci-dessus, il est inutile de la réexaminer ici.

D.        Le président était-il obligé d’entreprendre des consultations auprès des intervenants externes avant de désigner les décisions en question comme des guides jurisprudentiels?

[190]   L’ACAADR prétend que le président n’avait pas le pouvoir de publier les guides jurisprudentiels contestés sans consultation publique. Elle soutient qu’en l’absence d’une telle consultation publique, la publication des guides jurisprudentiels était injuste, en partie parce que les demandeurs d’asile et les organisations de défense des réfugiés n’ont aucun moyen de savoir quels renseignements non traités dans les guides jurisprudentiels ont pu être communiqués à la Commission. L’ACAADR ajoute que l’omission de solliciter les commentaires des parties intéressées a enfreint l’exigence de préavis de la justice naturelle. Enfin, l’ACAADR affirme que, lorsque les questions abordées dans un guide jurisprudentiel sont essentiellement factuelles, comme dans le cas du guide jurisprudentiel sur la Chine, il est particulièrement important de mettre en place un vaste processus de consultation pour garantir que le guide jurisprudentiel reflète le compte rendu le plus complet possible.

[191]   Je ne suis pas d’accord.

[192]   La réponse simple aux observations de l’ACAADR est que l’alinéa 159(1)h) traite explicitement de l’étendue de la consultation requise avant que le président ne désigne un guide jurisprudentiel. À cet égard, il prévoit que le président « après consultation des vice-présidents et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, [...] précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel » (non souligné dans l’original). Il est raisonnable d’interpréter ces mots comme indiquant implicitement que le législateur n’a pas considéré qu’une autre consultation était nécessaire. Autrement dit, après avoir pris conscience de l’étendue de la consultation requise avant qu’un guide jurisprudentiel puisse être désigné, il n’est pas déraisonnable de conclure que le législateur avait implicitement considéré qu’il n’était pas nécessaire de consulter d’autres personnes ou organisations. Cela suffit pour surmonter tout droit à l’équité procédurale de demander un préavis que les demandeurs d’asile, les avocats spécialisés en droit des réfugiés ou d’autres parties intéressées ont pu avoir avant l’adoption de l’alinéa 159(1)h) dans sa forme actuelle : Adams, précité.

[193]   Il est entendu que l’interprétation par le président de l’alinéa 159(1)h) de la manière décrite ci-dessus est reflétée à l’article 7 de la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission dans laquelle il est explicitement indiqué : « Des consultations externes n’ont lieu que dans des circonstances exceptionnelles, établies au gré du président. »

[194]   J’ajouterai simplement que l’historique législatif de l’alinéa 159(1)h) conforte quelque peu l’interprétation de la disposition donnée par le président. En résumé, en 1992, à l’époque pendant laquelle les dispositions qui ont précédé cet alinéa, les paragraphes 65(3) et (4) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, faisaient l’objet d’un débat, Mme Barbara Jackman, au nom du Law Union of Ontario, a recommandé au comité législatif compétent que ces paragraphes soient modifiés pour inclure l’obligation de consulter le barreau avant la publication des directives : Comité législatif sur le projet de loi C-86, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, Procès-verbaux et témoignages, 34e lég., 3e sess., fascicule no 11 (16 septembre 1992) à 11 h 42 (Mme Barbara Jackman). Cette recommandation n’a pas été adoptée.

[195]   Je reconnais que l’article 65 de la Loi sur l’immigration prévoyait simplement la publication de directives, par opposition aux guides jurisprudentiels. Il semble que la question de la consultation publique en ce qui concerne la publication des guides jurisprudentiels n’a pas été soulevée au moment où le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels a été inclus à l’alinéa 159(1)h). Par conséquent, le seul historique législatif est celui qui était antérieur à l’inclusion de ce pouvoir à l’alinéa 159(1)h). À mon avis, cet historique législatif a une signification limitée aux fins de la présente instance. Mais on ne peut en faire abstraction.

[196]   En résumé, je ne suis pas d’accord avec les observations de l’ACAADR concernant la consultation publique. Il n’était pas déraisonnable pour le président de conclure qu’une telle consultation n’était pas nécessaire avant la publication des guides jurisprudentiels. En effet, la simple lecture de l’alinéa 159(1)h) donnerait à penser qu’une telle consultation n’était pas en fait nécessaire.

E.        Le président avait-il indûment présélectionné le guide jurisprudentiel sur le Nigéria?

[197]   L’ACAADR prétend que la décision à l’égard de laquelle le guide jurisprudentiel sur le Nigéria avait été désigné (TB7-19851) avait été présélectionnée de manière inadmissible pour faire l’objet d’un guide jurisprudentiel avant d’être finalement prise, de sorte que la décision définitive puisse être conçue pour servir de guides jurisprudentiels.

[198]   L’ACAADR soutient que la présélection des décisions pour servir de guides jurisprudentiels est inadmissible pour deux raisons principales. Premièrement, elle est inadmissible aux termes de l’alinéa 159(1)h), qui confère au président le pouvoir, « après consultation des vice-présidents, [...] [de] précise[r] les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel ». L’ACAADR affirme que ce pouvoir est clairement rétrospectif, dans la mesure où il est question de « décisions de la Commission », plutôt que d’affaires en suspens qui n’ont pas encore été tranchées. Deuxièmement, l’ACAADR soutient qu’en présélectionnant la décision TB7-19851 pour qu’elle devienne un guide jurisprudentiel avant qu’elle ne soit complétée, la Commission a compromis l’indépendance du processus de détermination du statut de réfugié.

[199]   Pour appuyer ses observations, l’ACAADR se fonde sur ce qui suit :

1.         Un courriel daté du 9 mai 2018, envoyé par Lauren Gamble, commissaire de la Section d’appel des réfugiés qui a rédigé la décision dans le dossier TB7-19851, à la vice-présidente par intérim (Section d’appel des réfugiés), à la vice-présidente adjointe (Section d’appel des réfugiés) et à un conseiller juridique de la Commission. Dans ce courrier électronique, la commissaire Gamble a déclaré : [traduction] « À la suite de nouvelles consultations, j’ai apporté quelques modifications du projet que vous avez déjà examiné (celui qui pourrait être désigné comme guide jurisprudentiel à l’avenir) […] Merci à tous pour votre contribution et vos commentaires, c’est très apprécié. »

2.         Un courriel daté du 10 mai 2018, adressé au président par la vice-présidente par intérim (Section d’appel des réfugiés), qui accompagnait le projet de note de politique qui a finalement été publié avec le guide jurisprudentiel. Ce courriel faisait état de ce qui suit :

[traduction]

Premier projet de décision aux fins de commentaires. Les parties effacées sont un libellé standard tiré des notes de politique du guide jurisprudentiel existantes, je ne sais pas si nous voulons toujours tout cela. La police plus foncée correspond à ce que Valérie a rédigé en référence au nouveau guide jurisprudentiel.

Les commentaires de Lori sur les sections générales de Lauren étaient bons [CAVIARDÉ] Lauren nous remettra le projet définitif demain. [Faites-moi savoir] si vous voulez voir le projet le plus récent avec les commentaires de Lori ce soir.

3.         Un courriel daté du 15 septembre 2017, adressé par Mme Suzanne Legace à plusieurs commissaires, qui contenait ce qui suit :

[traduction]

Par suite d’une réunion tenue hier avec la vice-présidente adjointe de la SAR, ceci a pour but de vous informer qu’une décision de la SAR a été désignée comme guide jurisprudentiel (guide jurisprudentiel) pour la Turquie. Dès que j’aurai la justification de la vice-présidente adjointe de la SAR, je commencerai à travailler sur la note de politique. La décision sera mise au point la semaine prochaine.

Veuillez noter que :

•           Le Comité de direction et le vice-président de la SPR sont au courant.

•           Les décisions de la SAR et de la SPR devront être traduites et épurées.

•           Une stratégie de communication sera nécessaire.

•           Le CND devra être modifié.

•           Les membres de la SAR et de la SPR devront être informés.

•           La date limite est le plus vite possible, mais fixée au plus tard à la fin du mois d’octobre.

Dès que j’aurai plus de détails, je communiquerai avec vous.

En outre, deux autres décisions de la SAR seront probablement désignées en tant que guide jurisprudentiel cet automne.

4.         Une partie du paragraphe 13 du guide jurisprudentiel sur le Nigéria, dans laquelle la commissaire Gamble a fait observer qu’en plus des PRI viables qui s’offrent à la demanderesse d’asile à Ibadan et à Port Harcourt, « j’ajouterais qu’il y a plusieurs villes au Nigéria, où, selon les faits individuels, il existerait une PRI pour les personnes qui, comme la [demanderesse], fuient des acteurs non étatiques ».

5.         Un passage d’un document intitulé Désignation de la décision TB7-19851 en tant que guide jurisprudentiel, daté du 15 juin 2018, qui explique que la décision [traduction] « traite de la question de la PRI au Nigéria, qui revêt une importance particulière pour le Conseil en raison du volume actuel élevé des demandes d’asile nigérianes ».

[200]   En faisant référence au document mentionné au point 3 ci-dessus, l’ACAADR avait simplement pour objectif de se fonder sur ce document pour prouver que la Commission agissait en partant du principe que la présélection était admissible. Je m’arrête pour noter que la décision qui y est mentionnée n’a finalement pas été désignée comme guide jurisprudentiel par le président.

[201]   À mon avis, les autres documents mentionnés ci-dessus ne corroborent pas l’affirmation de l’ACAADR selon laquelle le document TB7-19851 avait été présélectionné de manière illicite. Je ne suis pas d’accord non plus avec l’observation de l’ACAADR selon laquelle l’indépendance du processus de détermination du statut de réfugié aurait été compromise par la participation d’autres commissaires à la révision d’un ou de plusieurs projets de décision de la commissaire Gamble, et à la formulation de commentaires à cet égard.

[202]   Aucune preuve n’indique que le président ait pris une décision définitive, voire provisoire, visant à désigner la décision TB7-18951 en tant que guide jurisprudentiel avant le 6 juillet 2018, au moment où la décision avait été ainsi désignée. C’était environ deux mois après que la commissaire Gamble a rendu sa décision, le 17 mai 2018. Par conséquent, même si j’admettais la thèse de l’ACAADR selon laquelle l’alinéa 159(1)h) n’autorisait pas le président à désigner de manière prospective en tant que guide jurisprudentiel une décision qui n’était pas encore complétée, l’ACAADR n’a pas établi que le pouvoir plus restreint de désigner des décisions antérieures comme guides jurisprudentiels a été outrepassé. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je décide s’il serait raisonnable d’interpréter l’alinéa 159(1)h) comme conférant ce pouvoir.

[203]   Nonobstant ce qui précède, l’ACAADR s’oppose à la participation d’autres cadres supérieurs et avocats de la Commission à la révision de la décision TB7-19851 et à la formulation de commentaires sur celle-ci avant sa mise au point par la commissaire Gamble. À cet égard, elle s’appuie sur l’arrêt Ellis-Don, précité, et l’arrêt Kozak, précité. À mon avis, l’arrêt Ellis-Don autorise ce qui semble avoir été fait en l’espèce, tandis qu’une distinction s’impose quant à l’arrêt Kozak.

[204]   L’arrêt Ellis-Don concernait une affaire dans laquelle un projet de décision favorable à l’appelante avait été remplacé par une décision défavorable à l’appelante à la suite d’une réunion interne de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO). Il semble que la réunion avait été convoquée pour discuter des implications politiques du projet de décision. Après le prononcé de la décision définitive, l’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CRTO au motif que les règles de justice naturelle avaient été violées.

[205]   En rejetant l’appel, la Cour suprême du Canada a souligné que la décision rendue dans l’arrêt Consolidated-Bathurst, précité, avait « reconnu la légitimité des consultations institutionnelles en tant que moyen d’assurer la cohérence des décisions rendues par différents arbitres ou différentes formations au sein d’un organisme administratif » : Ellis-Don, précité, au paragraphe 28. La Cour a ensuite résumé les principes de base à suivre pour éviter toute atteinte indue à l’indépendance ou à l’impartialité d’un décideur quasi judiciaire, et pour garantir que la règle audi alteram partem est respectée. En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité, la Cour a dégagé les trois principes suivants de sa décision antérieure dans l’arrêt Consolidated-Bathurst :

1.         La procédure de consultation interne ne peut pas être imposée par un niveau d’autorité supérieur dans la hiérarchie administrative, mais doit être demandée par les arbitres eux-mêmes.

2.         La consultation doit se limiter aux questions de principe et de droit; et doit reposer sur les faits énoncés par les membres qui ont réellement entendu les témoignages.

3.         Même relativement aux questions de droit et de principe, les décideurs administratifs doivent demeurer libres de prendre la décision qu’ils jugent juste selon leur conscience et selon leur compréhension des faits et du droit. Ils ne peuvent pas être forcés d’adopter les opinions exprimées par d’autres membres de leur tribunal.

Ellis-Don, précité, au paragraphe 29.

[206]   En ce qui concerne la règle audi alteram partem, la Cour a déclaré que le simple fait que des questions ayant déjà été débattues par les parties soient discutées de nouveau à l’interne la Commission ne constituait pas une violation de cette règle. Cependant, il faut que « les parties soient avisées de toute nouvelle question soulevée pendant la discussion et qu’elles aient la possibilité de répondre de manière efficace » : Ellis-Don, précité, au paragraphe 32.

[207]   La Cour a ajouté que, dans la mesure où ces règles étaient respectées, la présomption de régularité des procédures administratives s’appliquait, même si le projet de décision faisant l’objet des discussions a été modifié à la suite de ces discussions : Ellis-Don, précité, au paragraphe 33.

[208]   Aucun élément de preuve n’indique que les échanges internes de la Commission en lien avec le guide jurisprudentiel sur le Nigéria constituaient une violation de l’un des principes susmentionnés. Plus précisément, rien n’indique que quiconque au sein de la Commission ait imposé à la commissaire Gamble les échanges qui ont eu lieu au sujet d’un ou plusieurs projets de sa décision.

[209]   Il n’y a pas non plus de preuve selon laquelle les échanges sont allés au-delà des questions de principe et de droit ou qu’ils ne se sont pas déroulés sur le fondement des faits tels qu’ils ont été déterminés par la commissaire Gamble. Bien que certains changements aient été apportés au projet à la suite des échanges, rien ne permet de penser que l’un quelconque de ces changements ait concerné les déterminations factuelles de la commissaire Gamble. Il est entendu que si, à la suite de ces échanges, la commissaire Gamble avait volontairement ajouté une observation générale à sa décision, soulignant que son cadre d’analyse pourrait s’appliquer à d’autres types de revendications du Nigéria, selon les faits de l’affaire, cela ne contreviendrait à aucun des principes confirmés dans l’arrêt Ellis-Don. Il en serait de même si la commissaire Gamble avait ajouté un libellé précisant qu’une PRI (qui correspond à une question mixte de fait et de droit) pourrait exister dans d’autres villes.

[210]   Rien n’indique que la commissaire Gamble aurait pu être contrainte à inclure de telles observations générales dans sa décision, y compris celles qui figurent aux paragraphes 13 et 16 de sa décision. En effet, je ne suis pas d’accord avec la caractérisation par l’ACAADR du libellé contesté dans le paragraphe 13 comme étant [traduction] « gratuit ». Ce libellé indiquait explicitement qu’il existerait une PRI dans d’autres villes pour les personnes qui, [traduction] « comme l’appelante », fuient des acteurs non étatiques, selon les faits individuels (non souligné dans l’original).

[211]   En plus de ce qui précède, rien n’indique que la commissaire Gamble n’aurait pas toujours été libre d’établir ses propres déterminations en ce qui concerne les questions de politique et de droit, y compris les questions mixtes de fait et de droit.

[212]   Enfin, il n’y a pas d’éléments de preuve qui indique que de nouvelles questions ont été soulevées dans les échanges.

[213]   Par conséquent, la présomption de régularité des procédures administratives de la Commission s’applique : Ellis-Don, précité, au paragraphe 33.

[214]   En ce qui concerne l’arrêt Kozak, précité, l’ACAADR s’appuie sur cette affaire pour étayer son observation selon laquelle les échanges qui ont eu lieu au sujet d’un ou de plusieurs projets de la décision TB7-19851 ont compromis l’indépendance du processus de détermination du statut de réfugié de la Commission. Cependant, cette affaire se distingue de la présente. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale avait conclu que la façon dont une « cause type » particulière avait été créée et finalement jugée a fait naître une crainte raisonnable de partialité ou d’impartialité atténuée. Cette conclusion s’appuyait toutefois sur la conclusion de la Cour selon laquelle l’un des deux membres de la formation qui a entendu l’affaire :

[…] aurait pu être prédisposé à rejeter la demande des appelants étant donné qu’il avait joué un rôle de premier plan dans un exercice qui peut sembler avoir été justifié en partie par le désir de [Citoyenneté et Immigration Canada] et de la Commission de produire un « précédent » juridique et factuel faisant autorité ― sans avoir peut-être de force obligatoire ―, en particulier en ce qui concerne le caractère adéquat de la protection de l’État, qui serait utilisé pour réduire la proportion de décisions rendues en faveur de Roms hongrois demandant l’asile.

Kozak, précité, au paragraphe 65.

[215]   Compte tenu de ce qui précède, la Cour a observé ce qui suit : « On peut raisonnablement considérer que la formation n’était pas suffisamment indépendante de la direction de la Commission et était, de ce fait, influencée par les raisons pour lesquelles cette dernière avait élaboré la stratégie relative aux causes types », Kozak, précité, au paragraphe 65.

[216]   Contrairement à la situation exposée dans les citations qui précèdent, aucune preuve n’indique que le président ou d’autres commissaires aient été prédisposés à réduire ou à modifier de quelque manière que ce soit le taux d’acceptation des demandes d’asile présentées par des personnes d’origine nigériane. Au contraire, leurs objectifs étaient tout à fait légitimes.

[217]   Selon l’affidavit non contesté de M. Kipling, avant la désignation de la décision TB7-19851 comme guide jurisprudentiel, le Comité de perfectionnement professionnel et de stratégie décisionnelle de la Commission a jugé nécessaire de trouver un moyen de traiter plus efficacement le grand nombre de demandes provenant de ce pays, en se concentrant sur l’existence d’une PRI. Entre autres choses, il a été estimé que cela réduirait la nécessité de traiter les questions liées à la crédibilité et réduirait ainsi la durée de l’audition ainsi que le temps passé à rédiger ou à exposer oralement les motifs.

[218]   En conséquence, le Comité a recherché et examiné plusieurs décisions réglées de la Section d’appel des réfugiés concernant l’existence des PRI au Nigéria. Cependant, il n’a pas été en mesure de trouver une décision susceptible d’avoir une large application au sein de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés. Au cours de ce processus, un échange de courriels inclus dans le dossier de la Cour indique que l’un des commissaires a proposé volontairement deux décisions à prendre en considération aux fins de PRI. Cela était conforme à la pratique d’autres commissaires, qui se sont portés volontaires pour rédiger leurs décisions aux fins de prise en considération potentielle pour servir de guides jurisprudentiels pour diverses raisons. En effet, dans le courriel que le président a envoyé aux commissaires le 21 juin 2017 au sujet des trois autres guides jurisprudentiels en cause dans la présente procédure, il a activement encouragé les commissaires à aider à identifier de bonnes décisions à prendre en considération pour potentiellement servir de guides jurisprudentiels. Il a également vivement encouragé les commissaires à distribuer à d’autres commissaires les projets de leurs décisions à prendre en considération aux fins de commentaires. À cet égard, il a ajouté que le processus de distribution et de commentaires est [traduction] « entièrement volontaire ». Une corroboration à cela est fournie dans un courriel du 12 mai 2017 adressé au président par la vice-présidente par intérim (Section d’appel des réfugiés), désignant la décision qui a finalement été désignée comme guide jurisprudentiel sur le Pakistan comme étant celle que le décideur de la Section d’appel des réfugiés a proposée pour servir de guides jurisprudentiels.

[219]   L’affidavit de M. Kipling indique également ce qui suit :

[traduction] [Quand] une question d’importance est examinée, le commissaire qui décide est totalement indépendant dans l’évaluation de l’appel et dans la détermination de son issue. Ni le comité ni la direction n’est intéressé par le résultat ou la participation à la détermination du bien-fondé de la décision devant le commissaire assigné.

[220]   L’ACAADR n’a présenté aucune preuve du contraire. Il est entendu que le courrier électronique daté du 9 mai 2018 et mentionné au paragraphe 199 ci-dessus indique que la commissaire Gamble a volontairement apporté certaines modifications à son projet précédent, sur le fondement des commentaires reçus.

[221]   En résumé, la décision TB7-19851 de la Section d’appel des réfugiés n’a pas été présélectionnée de manière inacceptable pour faire l’objet d’un guide jurisprudentiel avant qu’elle ne soit finalement prise. Rien n’indique que le président ait pris une décision véritable ou de facto de désigner cette décision en tant que guide jurisprudentiel à un moment quelconque avant la publication de cette décision le 17 mai 2018.

[222]   Les échanges qui ont eu lieu entre certains membres de la direction de la Commission et la commissaire Gamble étaient tout à fait légitimes et n’ont pas fait naître une crainte raisonnable que cette dernière ne soit pas impartiale ou que la direction de la Commission ait indûment porté atteinte à son indépendance.

VIII.     Conclusion

[223]   Pour les raisons que j’ai indiquées, l’alinéa 159(1)h) de la LIPR autorise le président à publier un guide jurisprudentiel portant sur les questions de fait, ainsi que les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit. Aucune consultation publique n’était requise en ce qui concerne la désignation par le président des quatre guides jurisprudentiels contestés dans la présente instance.

[224]   Le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’entrave pas illicitement l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires et n’empiète pas indûment sur leur indépendance décisionnelle, car il fait constamment référence à la nécessité pour chaque affaire d’être jugée sur le fondement de ses faits particuliers. Pour la même raison, ce guide jurisprudentiel n’augmente pas injustement le fardeau imposé aux demandeurs d’asile lors de l’établissement de leurs revendications. Contrairement à ce que l’ACAADR a déclaré, le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’a pas été [traduction] « présélectionné » indûment.

[225]   Des trois guides jurisprudentiels restants en question, seul le guide jurisprudentiel sur le Pakistan reste en vigueur. En raison de l’attente exprimée dans la note de politique publiée avec ce guide jurisprudentiel, le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés est entravé illicitement et leur indépendance décisionnelle est indûment atteinte. En effet, la déclaration réduit la liberté de ces décideurs d’établir leurs propres déterminations factuelles dans des affaires comportant des faits semblables, à moins qu’ils ne justifient leur décision de ne pas appliquer le guide jurisprudentiel. Ces déterminations factuelles concernent des questions traitées au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 du guide jurisprudentiel. Ces questions vont au-delà de la preuve factuelle précise présentée par le demandeur d’asile dans l’affaire TB5-01837 de la Section d’appel des réfugiés, et pourraient bien se présenter dans des affaires futures. La déclaration d’attente est illicite et donc inopérante à l’égard de ces affaires.

[226]   En ce qui concerne les affaires visant le guide jurisprudentiel sur le Pakistan qui peuvent actuellement être soumises à la Section d’appel des réfugiés ou à la Cour, chaque affaire devra être évaluée individuellement pour déterminer si la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés, selon le cas, est parvenue à sa propre conclusion sans aucune influence indue de la déclaration d’attente dans la mesure où elle se rapporte au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 du guide jurisprudentiel : Araya Atencio, précitée; Feng, précitée.

[227]   À l’avenir, la solution évidente à ce problème consiste à supprimer la déclaration d’attente de la note de politique publiée avec le guide jurisprudentiel sur le Pakistan, du moins en ce qui concerne les déterminations factuelles établies dans le guide jurisprudentiel au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35.

[228]   Les conclusions résumées dans les trois paragraphes précédents immédiats ci-dessus s’appliquent également aux guides jurisprudentiels sur l’Inde et la Chine révoqués. Les déterminations factuelles en question sont celles mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus. Bien entendu, aucune action n’est requise en ce qui concerne la déclaration d’attente formulée dans la note de politique qui l’accompagne, ces guides jurisprudentiels ayant été révoqués.

[229]   En ce qui concerne l’observation de l’ACAADR selon laquelle les guides jurisprudentiels contestés rehaussent injustement le fardeau de la preuve des demandeurs d’asile, j’ai conclu qu’il en était autrement relativement au guide jurisprudentiel sur le Nigéria et au guide jurisprudentiel sur le Pakistan. En ce qui concerne le guide jurisprudentiel sur la Chine et le guide jurisprudentiel sur l’Inde, je suis d’accord avec l’ACAADR, mais seulement dans une certaine mesure. Plus précisément, j’estime que la déclaration d’attente qui accompagnait la publication de ces guides jurisprudentiels rehaussait injustement le fardeau de la preuve des demandeurs d’asile uniquement en ce qui concerne les déterminations factuelles mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus. Encore une fois, aucune action n’est requise de la part de la Commission, car ces guides jurisprudentiels ne sont plus en vigueur. En ce qui concerne les affaires dont la Section d’appel des réfugiés et la Cour sont actuellement saisies, chaque affaire devra être évaluée individuellement pour déterminer si la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés, selon le cas, est parvenue à sa propre conclusion sans aucune influence indue de la déclaration d’attente dans la mesure où elle se rapporte aux déterminations factuelles mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus.

[230]   Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il n’est pas approprié d’accorder le redressement demandé par l’ACAADR, à savoir des déclarations selon lesquelles les décisions TB7-01837, TB7-19851, TB6-11632 et MB6-01059/MB6-01060 de la Section d’appel des réfugiés n’ont pas été rendues légalement et sont inopérantes.

[231]   J’accorderai plutôt un redressement plus limité consistant à déclarer la déclaration d’attente contenue dans la note de politique publiée avec le guide jurisprudentiel sur le Pakistan comme illégale et inopérante en ce qui concerne les déterminations factuelles établies au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 du guide jurisprudentiel.

[232]   Je vais également déclarer que l’attente formulée dans les notes de politique accompagnant le guide jurisprudentiel sur l’Inde et le guide jurisprudentiel sur la Chine, respectivement, était illégale et inopérante dans la mesure où elle se rapportait aux déterminations factuelles mentionnées aux paragraphes 156 et 163 ci-dessus.

IX.       Questions à certifier

[233]   À la fin de l’audition de ces demandes, le défendeur a proposé quatre questions à certifier et l’ACAADR en a proposé trois. Après avoir exprimé ma réticence à certifier quatre questions compte tenu les commentaires antérieurs de la Cour d’appel fédérale (voir par exemple l’arrêt Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28 à 29), chacune des parties a retiré l’une de ses questions. Ce faisant, le défendeur a reconnu que sa question retirée n’était pas potentiellement une question grave de portée générale, comme l’exige l’alinéa 74d) de la LIPR.

[234]   Les trois questions restantes proposées par le défendeur sont les suivantes :

1.         L’utilisation par la Commission des guides jurisprudentiels publiés aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR entrave-t-elle l’indépendance des commissaires?

2.         Le président de la Commission a-t-il le pouvoir aux termes de l’alinéa 159(1)h) de publier des guides jurisprudentiels sur des questions de fait?

3.         L’alinéa 159(1)h) de la LIPR exige-t-il que le président mène des consultations auprès des intervenants externes avant de publier un guide jurisprudentiel?

[235]   La première des trois questions indiquées ci-dessus était semblable à celle que l’ACAADR a retirée. Les deux questions restantes posées par l’ACAADR sont les suivantes :

1.         Le président a-t-il le pouvoir aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR de publier des guides jurisprudentiels qui comprennent des déterminations factuelles?

2.         Le président peut-il sélectionner une revendication en tant que guide jurisprudentiel avant que la décision ne soit rendue?

[236]   Telle que formulée par le défendeur, sa première question est davantage une question de référence très large qu’une question qui découle des questions soulevées dans ces demandes. De telles questions ne sont pas admissibles à la certification : Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674, au paragraphe 46. Les observations de l’ACAADR sur la question concernant l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire concernent les allégations de fait et les déterminations factuelles établies dans les guides jurisprudentiels contestés, ainsi que la déclaration d’attente énoncée dans les notes de politique accompagnant la publication des guides jurisprudentiels. L’ACAADR a soutenu que cette déclaration ordonnait effectivement à un membre d’adopter les déterminations factuelles énoncées dans les guides jurisprudentiels. À mon avis, il s’agit d’une question grave de portée générale qui découle des faits de cette affaire. En conséquence, je certifierai une question sur cet enjeu.

[237]   En ce qui concerne la deuxième question proposée par le défendeur, j’estime qu’il serait plus approprié de certifier la question correspondante proposée par l’ACAADR. (Voir la première des deux questions proposées par l’ACAADR ci-dessus). Il en est ainsi parce que les parties importantes de trois des quatre guides jurisprudentiels contestés dans ces demandes étaient axées sur des questions de droit (p. ex. le critère relatif à une PRI) et sur des questions mixtes de fait et de droit (p. ex. la disponibilité d’une PRI). Seul le guide jurisprudentiel sur la Chine était centré uniquement sur une question de fait.

[238]   En ce qui concerne la troisième question proposée par le défendeur, j’estime qu’elle n’est pas considérée comme une question grave de portée générale. En effet, il ressort implicitement du libellé clair de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR qu’il n’est pas nécessaire de consulter les intervenants externes avant que le président désigne un guide jurisprudentiel.

[239]   En ce qui concerne les deux questions posées par l’ACAADR, j’ai déjà traité sa première question. Il reste sa deuxième question. J’estime qu’il s’agit d’une question susceptible d’un renvoi, car elle ne découle pas des faits de l’affaire. Cette question a été soulevée à propos du guide jurisprudentiel sur le Nigéria. La preuve non contestée atteste que ce guide jurisprudentiel a été officiellement désigné comme un guide jurisprudentiel environ deux mois après que la Section d’appel des réfugiés a rendu sa décision dans le dossier TB7-19851. Aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que le président, de manière informelle ou de facto, avait désigné cette décision comme un guide jurisprudentiel avant son prononcé.

[240]   Par conséquent, je certifierai les questions suivantes :

1.         Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a-t-il le pouvoir, aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de publier des guides jurisprudentiels comprenant des déterminations factuelles?

2.         Les guides jurisprudentiels que le président a publiés sur le Nigéria, le Pakistan, l’Inde et la Chine constituent-ils une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire des membres de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés de tirer leurs propres conclusions de fait, ou portent-ils indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle?


Jugement dans les dossiers IMM-3433-17 et IMM-3373-18

LA COUR accueille les présentes demandes en partie :

1.         Aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a le pouvoir de publier des guides jurisprudentiels comprenant des déterminations factuelles.

2.         Le président n’était pas obligé d’entreprendre des consultations auprès des intervenants externes avant de désigner les guides jurisprudentiels sur le Nigéria, le Pakistan, l’Inde et la Chine.

3.         Le guide jurisprudentiel désigné à l’égard du Nigéria ne constitue pas une entrave illicite à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés de la Commission ou sa Section d’appel des réfugiés de tirer leurs propres conclusions de fait. Cela n’empiète pas non plus indûment sur l’indépendance décisionnelle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés ni n’alourdit injustement le fardeau imposé aux demandeurs du statut de réfugié lors de l’établissement du bien-fondé de leurs revendications. Ce guide jurisprudentiel n’a pas été présélectionné indûment.

4.         La déclaration d’attente incluse dans la note de politique qui a été publiée conjointement avec la désignation par le président de la décision de la Section d’appel des réfugiés dans la décision TB7-01837 en tant que guide jurisprudentiel sur le Pakistan était illégale et inopérante en ce qui concerne les conclusions de fait énoncées au paragraphe 33 et dans les deux premières phrases du paragraphe 35 de ce guide jurisprudentiel. Le reste de la note de politique, ainsi que le texte du guide jurisprudentiel lui-même, ne constitue pas une entrave illicite à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires ni un empiètement indu sur leur indépendance décisionnelle ni n’alourdit injustement le fardeau des demandeurs du statut de réfugié lors de l’établissement du bien-fondé de leurs revendications.

5.         La déclaration d’attente formulée dans les notes de politique qui ont été publiées conjointement avec la désignation par le président des décisions de la Section d’appel des réfugiés dans les décisions MB6-01059/MB6-01060 et TB6-11632 comme guide jurisprudentiel sur l’Inde et la Chine, respectivement, était illégale et inopérante en ce qui concerne les conclusions de fait mentionnées aux paragraphes 156 et 163 des motifs de jugement ci-joints. Le reste de ces notes de politique, ainsi que le texte des guides jurisprudentiels eux-mêmes, ne constituait pas une entrave illicite à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires ni un empiètement indu sur leur indépendance décisionnelle ni n’alourdissait injustement le fardeau des demandeurs du statut de réfugié lors de l’établissement du bien-fondé de leurs revendications.

6.         Les deux questions suivantes sont certifiées comme questions graves de portée générale au sens l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

(i)         Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a-t-il le pouvoir, aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de publier des guides jurisprudentiels comprenant des déterminations factuelles?

(ii)        Les guides jurisprudentiels que le président a publiés sur le Nigéria, le Pakistan, l’Inde et la Chine constituent-ils une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire des membres de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés de tirer leurs propres conclusions de fait, ou portent-ils indûment atteinte à leur indépendance décisionnelle?


ANNEXE 1 – Lois applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 

72 […]

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation : 

[…]

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.         

[…]

Présidence de la Commission

Fonctions

159 (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d’office des quatre sections; à ce titre :          

[…]

h) après consultation des vice-présidents et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel.   

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

Champ d’application

Application

1.1 (1) Sauf disposition contraire d’une loi fédérale ou de ses textes d’application, les présentes règles s’appliquent à toutes les instances devant la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale.  

Dispositions incompatibles

(2) Les dispositions de toute loi fédérale ou de ses textes d’application l’emportent sur les dispositions incompatibles des présentes règles.        

[…]

Appel des ordonnances du protonotaire

Appel

51 (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédéral.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.