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A-191-17

2019 CAF 34

Stensia Tapambwa et Richard Tapambwa (Appelants)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Intimé)

Répertorié : Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Rennie et Woods, J.C.A.—Toronto, 10 avril 2018; Ottawa, 21 février 2019.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire déposée par les appelants à l’encontre de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de refuser la demande d’ERAR des appelants — Les appelants, des citoyens du Zimbabwe, ont présenté une demande d’asile en vertu de l’art. 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les appelants étaient complices de crimes contre l’humanité — Elle a appliqué le critère de complicité consacré par l’art. 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention) — Elle a exclu les appelants du droit à l’asile — Elle a conclu que les appelants ne répondaient pas à la définition de réfugié et qu’ils n’étaient pas des personnes pouvant se réclamer de la protection de l’État aux termes des art. 96 et 97 de la Loi — La Section de l’immigration a ordonné leur expulsion — Les appelants ont présenté une demande d’ERAR en vertu de l’art. 112(1) de la Loi — Ils ont affirmé qu’étant donné que le critère fondé sur la « complicité par association » dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (Ezokola) a été remplacé par un nouveau critère fondé sur la « complicité par contribution », la conclusion menant à l’exclusion devait être réexaminée — L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’avait pas compétence d’examiner les conclusions d’exclusion — La Cour fédérale a conclu notamment qu’il n’était pas possible d’interpréter les art. 112(3) et 113 de la Loi de sorte qu’ils permettent à l’agent d’ERAR d’examiner une décision antérieure d’exclusion — Elle a conclu que le législateur n’avait pas l’intention d’ouvrir la porte à une évaluation supplémentaire de l’exclusion à l’art. 25.2 — Elle a conclu que l’intimé n’avait commis aucune erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire relativement à la demande des appelants — Il s’agissait de savoir si les agents d’ERAR ont la capacité de réexaminer une décision antérieure d’interdiction de territoire; si le refus du ministre d’examiner la demande des appelants en vertu de l’art. 25.2 de la Loi était raisonnable — Les textes des art. 112(3) et 113d) de la Loi sont sans équivoque — Si le demandeur d’asile a été exclu en vertu de la Convention, l’évaluation des risques est limitée — L’art. 112(3) ne permet pas à l’agent d’ERAR de réexaminer une décision antérieure visant une exclusion ou une décision d’interdiction de territoire — La mission de l’agent d’ERAR se limite à l’examen des allégations de risques avant le renvoi au moment où la décision est prise à la lumière d’éléments de preuve nouveaux ou d’un changement dans la situation du pays subséquemment à la décision de la SAI — Le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de réexaminer la conclusion sur laquelle repose la décision d’exclusion — Il ne peut qu’annuler le sursis et faire jouer de nouveau le processus de renvoi — La conclusion d’exclusion en l’espèce était définitive — L’évolution du droit ne constitue pas une raison de s’écarter du principe de la préclusion découlant d’une question en litige — Le ministre n’était pas tenu, au titre de la Charte canadienne des droits et libertés, d’établir une politique publique sur demande qui accorderait aux appelants un ERAR sans restriction — La décision de l’agent d’ERAR était raisonnable — Appel rejeté.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de refuser la demande d’ERAR des appelants — Les appelants ont présenté une demande d’asile en vertu de l’art. 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La Section de la protection des réfugiés a conclu que les appelants étaient complices de crimes contre l’humanité — Elle a exclu les appelants du droit à l’asile en vertu de l’art. 98 — Elle a conclu que les appelants ne répondaient pas à la définition de réfugié et qu’ils n’étaient pas des personnes pouvant se réclamer de la protection de l’État aux termes des art. 96 et 97 de la Loi — La Section de l’immigration a ordonné leur expulsion — Les appelants ont présenté une demande d’ERAR en vertu de l’art. 112(1) de la Loi — L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’avait pas compétence d’examiner les moyens puisés dans la Charte — La Cour fédérale a conclu que l’art. 7 de la Charte n’appelait pas la réévaluation actualisée de la conclusion menant à l’exclusion — Il s’agissait de savoir si le renvoi des appelants en l’absence d’une évaluation des risques selon les critères de l’art. 96 de la Loi contrevient à l’art. 7 de la Charte — Ce renvoi n’a pas contrevenu à l’art. 7 de la Charte — La thèse des appelants était contraire à la jurisprudence de la Cour suprême — L’exclusion a retiré les appelants du processus de détermination du statut de réfugié et de l’évaluation des risques prévue par l’art. 96 — Les droits prévus à l’art. 7 étaient protégés par les garanties dont les appelants disposent aux termes de la Loi — C’est à l’étape du renvoi que les intérêts prévus par l’art. 7 jouent.

Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire déposée par les appelants à l’encontre de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de refuser la demande d’ERAR des appelants.

  Les appelants, des citoyens du Zimbabwe qui ont servi dans l’Armée nationale du Zimbabwe, ont présenté une demande d’asile en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi). La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il y avait de sérieuses raisons de croire que les appelants étaient complices de crimes contre l’humanité commis par l’Armée nationale du Zimbabwe. La SPR a appliqué le critère de complicité consacré par l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention) et a conclu que les appelants étaient exclus du droit à l’asile en vertu de l’article 98. La SPR a également conclu que les appelants ne répondaient pas à la définition de réfugié en vertu de l’article 96 de la Loi et qu’ils n’étaient pas des personnes pouvant se réclamer de la protection de l’État aux termes de l’article 97 de la Loi. La Section de l’immigration a par la suite conclu que les appelants étaient interdits de territoire en raison de crimes contre l’humanité aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la Loi et a ordonné leur expulsion. Les appelants ont présenté une demande d’ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Ils ont affirmé qu’en raison de l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration) de la Cour suprême, dans laquelle le critère fondé sur la « complicité par association » a été remplacé par un nouveau critère fondé sur la « complicité par contribution », la conclusion menant à l’exclusion devait être réexaminée. L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’avait pas compétence d’examiner les conclusions d’exclusion ou les moyens puisés dans la Charte, et que la demande des appelants ne devait être examinée qu’en vertu de l’alinéa 113d) de la Loi. La Cour fédérale a conclu qu’il n’était pas possible d’interpréter le paragraphe 112(3) et l’article 113 de la Loi de sorte qu’ils permettent à l’agent d’ERAR d’examiner une décision antérieure d’exclusion. La Cour fédérale a conclu que l’agent avait correctement limité l’appréciation des risques en vertu de l’alinéa 113d) de la Loi aux seuls motifs consacrés par l’article 97. La Cour fédérale a conclu en outre que l’article 7 de la Charte n’appelait pas la réévaluation actualisée de la conclusion menant à l’exclusion. En ce qui concerne la demande de dispense de la conclusion d’exclusion présentée par les appelants pour des motifs d’intérêt public en vertu de l’article 25.2, la Cour fédérale a conclu que le législateur n’avait pas l’intention d’ouvrir la porte à une évaluation supplémentaire de l’exclusion à l’article 25.2. Elle a conclu que le ministre intimé n’avait commis aucune erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire relativement à la demande des appelants.

Il s’agissait principalement de savoir si les agents d’ERAR ont la capacité de réexaminer une décision antérieure d’interdiction de territoire, si le renvoi des appelants du Canada en l’absence d’une évaluation des risques selon les critères de l’article 96 de la Loi contrevient à l’article 7 de la Charte, et si le refus implicite du ministre d’examiner la demande des appelants en vertu de l’article 25.2 de la Loi était raisonnable.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Les textes du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) de la Loi sont sans équivoque. Si le demandeur d’asile a été exclu en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, l’évaluation des risques que doit effectuer l’agent d’ERAR est limitée. Le paragraphe 112(3) ne peut pas être interprété de sorte qu’il permet à l’agent d’ERAR de réexaminer une décision antérieure visant une exclusion en vertu de l’alinéa 112(3)c) ou une décision d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 112(3)a). Les objectifs de la Loi énoncés à l’article 3 ne permettent pas à la Cour de donner un sens au paragraphe 112(3) contraire à l’intention du législateur. Permettre à l’agent d’ERAR de réexaminer une conclusion d’interdiction de territoire antérieure constituerait une usurpation des processus établis dans la Loi et serait contraire au régime législatif. Le présent « est interdit de territoire » fait référence au fait qu’une fois que l’on a déterminé que le demandeur est interdit de territoire, celui­ci demeure interdit de territoire. Le législateur n’a pas utilisé de formule comme « peut être interdit de territoire ». L’utilisation du mot « est » est conforme à l’architecture de la Loi et aux procédures selon lesquelles on en arrive aux conclusions d’exclusion et d’interdiction de territoire. La mission de l’agent d’ERAR, que ce soit aux termes de l’article 96 ou de l’article 97, se limite à l’examen des allégations de risques avant le renvoi au moment où la décision est prise à la lumière d’éléments de preuve nouveaux ou d’un changement dans la situation du pays subséquemment à la décision de la SAI. La loi ne donne pas au ministre le pouvoir discrétionnaire de réexaminer la conclusion sur laquelle repose la décision d’exclusion. Elle ne lui permet que d’annuler le sursis et de faire jouer de nouveau le processus de renvoi. Il serait extrêmement anormal de considérer que les pouvoirs de l’agent d’ERAR incluent un pouvoir qui n’a pas été accordé au ministre. Permettre à l’agent d’ERAR d’avoir le pouvoir discrétionnaire de réexaminer les éléments de preuve antérieurs ou de décider que la question de l’exclusion doit être réexaminée aurait pour effet d’introduire un niveau d’appel sous la forme d’un nouvel examen de la décision. La conclusion d’exclusion en l’espèce était définitive. Il n’existait pas d’autre droit d’appel, de contrôle ou de recours aux termes de la Loi. La décision d’exclusion, la mesure de renvoi et le rejet de la demande d’autorisation sont dans tous les cas des décisions qui ont été prises avant Ezokola. L’autorisation leur ayant été refusée, la décision portant que les appelants étaient complices au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier est devenue définitive. En supposant que le principe de la chose jugée joue et que l’agent d’ERAR avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer, il n’existe aucun facteur pertinent qui appellerait l’exercice du pouvoir discrétionnaire en faveur des appelants. L’évolution du droit ne constitue pas une raison de s’écarter du principe de la préclusion découlant d’une question en litige. Le fait que le point d’irrévocabilité ait été atteint huit jours avant que l’arrêt Ezokola ne soit tranché n’était pas non plus pertinent.

Le renvoi des appelants en l’absence d’une évaluation des risques selon les critères de l’article 96 n’a pas contrevenu à l’article 7 de la Charte. Leur thèse portant que leurs risques doivent être appréciés en fonction des critères de l’article 96 était contraire aux arrêts de la Cour suprême dans les affaires Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration et Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration). L’exclusion a retiré les appelants du processus de détermination du statut de réfugié et, par conséquent, de l’évaluation des risques prévue par l’article 96. Néanmoins, les droits que puisent les appelants dans l’article 7 de la Charte étaient protégés par les garanties dont ils disposent aux termes de la Loi. C’est à l’étape du renvoi que les intérêts prévus par l’article 7 jouent. Il n’existait aucun fondement factuel appuyant la thèse portant que le renvoi en l’absence d’une évaluation en vertu de l’article 96 a fait jouer les droits que les appelants tiraient de l’article 7.

Le ministre n’était pas tenu, au titre de la Charte, d’accueillir la demande des appelants en vertu de l’article 25.2 de la Loi. La Charte ne peut être invoquée pour obliger le ministre à accorder un ERAR sans restriction lorsque la loi (en l’espèce, le paragraphe 112(3) de la Loi) l’exclut. Les travaux préparatoires relatifs à l’article 25.2, la distinction entre le paragraphe 25(1) et l’article 25.2, la nature même de l’intérêt public, ainsi que la formule discrétionnaire de l’article, militent tous en faveur de la conclusion portant que le ministre n’avait aucune obligation d’établir une politique publique sur demande qui accorderait aux appelants, en tant que demandeurs dont la naissance du dossier est antérieure à la jurisprudence Ezokola, un ERAR sans restriction. L’obligation non limitative d’examiner toutes les demandes de dérogation aux exigences de la Loi et d’établir une politique pertinente dans le cadre de laquelle la demande de renonciation serait examinée donnerait lieu, au sommet du système, à un autre appel définitif au ministre dans tous les cas, notamment ceux à la veille du renvoi. Lorsque le législateur a conféré le pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures spéciales au cas par cas, il l’a fait expressément et avec certaines limites. L’article 25.2 ne peut être interprété de manière à permettre un recours que le législateur a expressément exclu par le paragraphe 25(1). Permettre aux agents d’ERAR d’accorder ou de refuser des exemptions en vertu de l’article 25.2 en fonction de leur opinion personnelle de ce qui constitue une bonne politique publique est incompatible avec l’enseignement des travaux et le texte même de l’article 25.2. La Convention n’oblige pas le ministre à examiner les demandes de mesures spéciales présentées en vertu de l’article 25.2 dans des circonstances comme celles que vivent les appelants.

Enfin, la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable. L’agent d’ERAR a évalué les éléments de preuve un à un et collectivement et a conclu qu’ils n’établissaient pas un risque possible lié à l’article 97. Les réserves de l’agent au sujet de la crédibilité des preuves n’étaient pas déraisonnables.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 24(1).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 25(1), 25.1, 25.2, 34 à 42, 34, 35, 37, 44(1),(2), 45, 50b), 63(2),(3),(5), 64(1), 96, 97, 98, 112(1),(2),(3), 113, 114(1),(2).

Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, art. 13(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227, art. 15b).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1F.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES  :

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE  :

Oberlander c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 52.

DÉCISIONS EXAMINÉES  :

Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239; Sukhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 427; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Azimi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1177; Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, [2017] 1 R.C.F. 153.

DÉCISIONS CITÉES  :

Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3; Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 181, [2019] 2 R.C.F. 488 ; Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, [2015] 2 R.C.F. 595; R. c. Jarvis, 2019 CSC 10, [2019] 1 R.C.S. 488; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73; Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157; Johnson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 868; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46, [2013] 3 R.C.S. 125; Eli Lilly Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2018 CAF 53; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; De Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 363.

DOCTRINE CITÉE

Bibliothèque du Parlement. Résumé législatif du projet de loi C­11  : Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la Loi sur les Cours fédérales (Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés), publication no 40­3­C11­F, le 12 mai 2010.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.

Wade, Henry William Rawson et Christopher Forsyth. Administrative Law, 11e éd. New York : Oxford University Press, 2014.

APPEL d’une décision par laquelle la Cour fédérale (2017 CF 522, [2017] 4 R.C.F. 458 a rejeté la demande de contrôle judiciaire déposée par les appelants à l’encontre de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de refuser la demande d’ERAR des appelants. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Jared Will et Joshua Blum pour les appelants.

James Todd et Aleksandra Lipska pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jared Will & Associates, Toronto, pour les appelants.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intimé.

 


            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

            Le juge Rennie, J.C.A. :

I.          L’aperçu

[1]        La principale question à trancher en l’espèce est de savoir si des personnes qui ont été exclues du droit à l’asile aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) sur le fondement de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [28 juillet 1951] [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention) pour cause de crimes contre l’humanité ont le droit de faire réexaminer la décision d’exclusion avant l’expulsion. Cette question est posée dans des circonstances très particulières et restreintes alors que l’interprétation de l’alinéa a) de la section F de l’article premier, et dès lors le fondement juridique de la conclusion selon laquelle les appelants ont été exclus du droit à l’asile au titre de la Convention, a évolué entre la date de la décision d’exclusion et l’audience devant l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2]        La réponse à cette question est importante. Si les appelants sont exclus de l’examen à titre de réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’alinéa a) de la section F de l’article premier, la nature et la portée des risques évalués par l’agent d’ERAR sont limitées et le fardeau juridique que les appelants doivent assumer pour établir ces risques est élevé (LIPR, alinéas 112(3)c) et 113d)).

[3]        Lors d’un examen des risques aux termes de l’article 97 de la LIPR, appelé ERAR restreint, les appelants doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’exclusion les exposerait personnellement plus probablement que le contraire au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou à des traitements cruels et inusités (voir Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239 (Li), au paragraph 29). Même si un tel risque est établi, les appelants peuvent quand même être expulsés après que le ministre ait soupesé les facteurs consacrés par les sous-alinéas 113d)(i) et 113d)(ii) (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh)). Par contre, s’ils réussissent à convaincre l’agent d’ERAR qu’ils font face à un risque aux termes de l’article 97, il est temporairement sursis à la mesure de renvoi les visant (paragraphe 114(1) de la LIPR).

[4]        En revanche, les risques avant renvoi des demandeurs d’asile déboutés sont appréciés aux termes de l’article 96 (alinéa 113c) de la LIPR). Dans une appréciation des risques aux termes de l’article 96, parfois appelée évaluation des motifs au sens de la Convention, les appelants doivent établir qu’ils « ressent[ent] une crainte subjective de persécution et que cette crainte est objectivement fondée » (Sukhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 25). Selon ce dernier élément, il doit y avoir une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » de persécution pour des motifs liés à la Convention (Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281 (Németh), au paragraphe 98, faisant référence à la décision Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.), page 683). Bien qu’ils doivent établir leurs thèses selon la prépondérance des probabilités, les appelants n’ont pas à démontrer que la persécution serait plus probable que le contraire (Li, au paragraphe 11). S’ils convainquent l’agent d’ERAR qu’ils font face à un risque aux termes de l’article 96, l’asile leur est conféré (paragraphe 114(1) de la LIPR).

[5]        La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les appelants avaient commis des crimes contre l’humanité et qu’ils ne pouvaient donc être exclus de la demande d’asile en vertu de l’article 98 de la LIPR, qui incorpore la section F de l’article premier au droit canadien. Par conséquent, et conformément à l’alinéa 113d) de la LIPR, l’agent d’ERAR a procédé à un ERAR restreint, c’est­à­dire seulement au regard des motifs prévus par l’article 97. L’agent a conclu que les appelants n’avaient pas atteint le seuil prévu par l’article 97 pour surseoir à leur mesure de renvoi.

[6]        Les appelants soutiennent que l’agent d’ERAR a à la fois la compétence et l’obligation légale de réexaminer la conclusion selon laquelle ils ont été exclus en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier. Ils soutiennent qu’étant donné leurs cir.constances particulières, leur renvoi est à la fois contraire à l’obligation du Canada imposée par le droit international quant à l’observation du principe du non­refoulement et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.­U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[7]        La Cour fédérale, sous la plume du juge Southcott (2017 CF 522, [[2017] 4 R.C.F. 458 (décision de la Cour fédérale)]), a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelants et a certifié trois questions à trancher par notre Cour :

a.  Les alinéas 112(3) a) et c) de la LIPR obligent­ils le ministre, dans le cadre d’un ERAR, à confirmer qu’il subsiste un motif valable pour exclure le demandeur du droit d’asile?

b.  Dans la négative, l’article 25.2 de la LIPR confère­t­il au ministre le pouvoir discrétionnaire, en l’absence d’une politique préétablie, de soustraire la personne qui présente une demande de protection en vertu de l’article 112 de la LIPR aux restrictions qui découlent du paragraphe 112(3) de la LIPR, lequel pouvoir discrétionnaire oblige le ministre à examiner la demande et à rendre une décision quant à celle-ci lorsqu’on demande d’exercer un tel pouvoir?

c.  Dans la négative, l’effet combiné des alinéas 112(3)a) et c), 113d) et de l’article 114 de la LIPR est­il contraire à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où il prive le demandeur du droit d’être reconnu comme réfugié sans qu’il soit confirméqu’ilsubsiste un motif valable pour l’exclure de la protection offerte aux réfugiés?

[8]        La première question est formulée au regard de l’évolution du critère juridique pertinent en matière d’exclusion avant le renvoi des appelants du Canada. Par conséquent, les présents motifs portent nécessairement sur les conséquences d’une évolution du droit postérieure à une décision finale d’exclusion, mais antérieure au renvoi du Canada.

[9]        Les appelants ont également déposé un avis de question constitutionnelle, sollicitant une ordonnance pour :

DÉCLARER, conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ou au paragraphe 24(1) de la Charte, que l’effet combiné du paragraphe 112(3), de l’alinéa 113d), des paragraphes 114(1) et 114(2) de la [LIPR] et de l’alinéa 172(4)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés constitue une violation injustifiable de l’article 7 de la Charte et qu’ils sont par conséquent inopérants; ou, à titre tout à fait subsidiaire  :

ACCORDER aux demandeurs une exemption, en vertu de l’article 7 et du paragraphe 24(1) de la Charte, de l’application du paragraphe 112(3), de l’alinéa 113d), des paragraphes 114(1) et 114(2) de la Loi et de l’alinéa 172(4)b) du Règlement, faisant en sorte qu’ils aient droit à une évaluation des risques tenant compte de l’article 96 de la Loi et qu’on leur confère l’asile dans le cas où l’on en vient à la conclusion qu’ils seraient exposés à un risque de persécution;

[10]      Je répondrais aux trois questions certifiées par la négative et je rejetterais la mesure demandée dans l’avis de question constitutionnelle.

II.         Faits et procédures

[11]      Les appelants sont conjoints et citoyens du Zimbabwe. Tous deux ont servi dans l’Armée nationale du Zimbabwe. Ils ont quitté le Zimbabwe en 2001 pour les États­Unis. Ils n’ont présenté aucune demande d’asile pendant qu’ils étaient aux États­Unis, mais ils l’ont fait lorsqu’ils sont arrivés au Canada en 2011.

[12]      Le 20 novembre 2012, la SPR a conclu qu’il y avait de sérieuses raisons de croire que les appelants étaient complices de crimes contre l’humanité commis par l’Armée nationale du Zimbabwe. Pour en arriver à cette décision, la SPR a appliqué le critère de complicité consacré par l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention selon la version alors en vigueur en droit canadien (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) (Ramirez)). À la lumière de la conclusion de la SPR, les appelants ont été exclus du droit à l’asile en vertu de l’article 98 de la LIPR.

[13]      La SPR a rendu deux autres décisions.

[14]      Malgré le fait que l’alinéa a) de la section F de l’article premier excluait que l’on considère l’éventuel statut de réfugié des appelants au sens de la Convention en vertu de l’article 98 de la LIPR, la SPR a tout de même apprécié au fond leur demande au titre de l’article 96 de la LIPR. Elle l’a fait dans le cadre de son examen des demandes pour personnes à charge des enfants des appelants, qui dépendaient entièrement des preuves des appelants. La SPR a conclu que, selon ces éléments de preuve, s’ils étaient renvoyés au Zimbabwe, les enfants (et nécessairement les appelants) ne seraient exposés qu’à un faible risque de persécution et, par conséquent, ne répondaient pas à la définition de réfugié en vertu de l’article 96. La SPR a également conclu que ni les appelants ni leurs enfants ne seraient personnellement exposés à une menace à leur vie ou à un traitement cruel et inusité et que, par conséquent, elles n’étaient pas des personnes pouvant se réclamer de la protection de l’État aux termes de l’article 97 de la LIPR (avis de décision, cahier d’appel, onglet 6A, pages 96 et 97).

[15]      Sept mois plus tard, soit le 16 mai 2013, la Section de l’immigration a conclu que les appelants étaient interdits de territoire en raison de crimes contre l’humanité aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR et a ordonné leur expulsion en vertu de l’alinéa 45d) (Ordonnances d’expulsion et décision verbale consécutive à l’enquête, cahier d’appel, onglet 6B, pages 98 à 104). L’alinéa 35(1)a) dispose :

Atteinte aux droits humains ou internationaux

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants  :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

[16]      Le 11 juillet 2013, la requête en autorisation de demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR présentée par les appelants a été rejetée par la Cour fédérale (mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 9).

[17]      Huit jours plus tard, soit le 19 juillet 2013, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678 (Ezokola). Par cet arrêt, la Cour a modifié le critère fondé sur la complicité de crimes contre l’humanité, tel qu’il est formulé par l’arrêt Ramirez, et tel que l’invoque la SPR. Le critère fondé sur la « complicité par association » de l’arrêt Ramirez a été remplacé par un nouveau critère fondé sur la « complicité par contribution » qui exige que l’on doive en arriver à la conclusion selon laquelle un demandeur d’asile a volontairement « contribué de manière significative et consciente » aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation pour qu’il puisse être exclu aux termes de l’alinéa a) de la section F de l’article premier (arrêt Ezokola, aux paragraphes 29, 30 et 84).

[18]      Faisant face à une mesure de renvoi, les appelants ont présenté une demande d’ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR. Au cœur de l’argumentation des appelants devant l’agent d’ERAR se trouvait l’affirmation selon laquelle, en raison de la jurisprudence Ezokola de la Cour suprême, la conclusion menant à l’exclusion devait être réexaminée. Ils ont soutenu que, vu leur exclusion selon le critère de complicité par association, le fondement juridique de l’exclusion ne tenait plus. L’agent d’ERAR était donc tenu de réexaminer la conclusion d’exclusion et d’effectuer une évaluation des risques en fonction des critères plus favorables applicables aux demandeurs d’asile déboutés consacrés par l’article 96.

[19]      L’agent a conclu qu’il n’avait pas compétence d’examiner les conclusions d’exclusion ou les moyens puisés dans la Charte (décision d’ERAR, cahier d’appel, onglet 4, pages 69 et 70). Comme les appelants ont été exclus en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier, il s’agissait de personnes « décrites » à l’alinéa 112(3)c). Ainsi, leur demande ne devait être examinée qu’en vertu de l’alinéa 113d) selon un ERAR restreint qui autorisait seulement une évaluation en fonction des risques plus graves et du seuil juridique consacré par l’article 97 et les sous-alinéas 113d)i) et 113d)ii).

[20]      En ce qui a trait à la question de fond concernant le risque, l’agent a conclu que si les appelants étaient renvoyés au Zimbabwe, ils ne seraient pas exposés à un risque au sens de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR (décision d’ERAR, cahier d’appel, onglet 4, pages 70 à 76).

[21]      Les appelants ont demandé et obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR. La demande a été présentée au juge Southcott.

III.        La décision de la Cour fédérale

[22]      Après avoir examiné les dispositions de la LIPR qui confèrent compétence à l’agent d’ERAR, le juge de la Cour fédérale a conclu qu’il n’était pas possible d’interpréter le paragraphe 112(3) et l’article 113 de la LIPR de sorte qu’ils permettent à l’agent d’ERAR d’examiner une décision antérieure d’exclusion. Le juge Southcott a fait remarquer que l’alinéa 112(3)c) et le paragraphe 113d) de la LIPR, qui restreignent les pouvoirs de l’agent d’ERAR, sont clairs et sans ambiguïté et que ni les normes du droit pénal international ni la Charte n’appelaient une interprétation d’une disposition législative ne pouvant raisonnablement être justifiée. Par conséquent, le juge a conclu que l’agent avait correctement limité l’appréciation des risques en vertu de l’alinéa 113d) de la LIPR aux seuls motifs consacrés par l’article 97 (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 36 à 43 et 48 et 49).

[23]      Le juge a rejeté la thèse portant que l’article 7 de la Charte appelait la réévaluation actualisée de la conclusion menant à l’exclusion. Se fondant sur l’enseignement des arrêts de la Cour suprême B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 (l’arrêt B010) et Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 (Febles), le juge a fait observer que les droits consacrés par l’article 7 sont protégés par l’évaluation prévue par l’article 97 et par la possibilité d’un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 50, 52, 77 et 78).

[24]      En ce qui concerne la demande de dispense de la conclusion d’exclusion présentée par les appelants pour des motifs d’intérêt public en vertu de l’article 25.2, le juge a conclu que l’article 25.2 n’obligeait pas le ministre à examiner la demande des appelants ou de tout demandeur en particulier. À son avis, le législateur n’avait pas l’intention d’ouvrir la porte à une évaluation supplémentaire de l’exclusion à l’article 25.2. Par conséquent, le ministre n’a commis aucune erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de quelque façon relativement à la demande des appelants. Étant donné que les appelants n’ont pas démontré qu’ils relevaient des cadres d’une politique publique déjà établie, l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’examiner leur demande de mesure en vertu de l’article 25.2 pour des motifs d’intérêt public. Il appartient au ministre seul de déterminer la teneur de la politique publique; les délégués du ministre ne peuvent pas créer une politique publique (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 72 à 76).

[25]      Le juge a ensuite recherché si était raisonnable la décision sur le fond de l’agent en vertu de l’article 97 selon laquelle les appelants ne seraient pas exposés à un risque à leur retour au Zimbabwe. Après un examen approfondi et minutieux du dossier, il a conclu que la décision était raisonnable et a rejeté la demande (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 79 à 101).

[26]      Les appelants sollicitent l’annulation du jugement de la Cour fédérale et le renvoi de l’ERAR à un agent différent aux fins de réexamen. Les appelants sollicitent également une ordonnance de mandamus obligeant le ministre à répondre à leur demande d’exemption en vertu de l’article 25.2. Subsidiairement, les appelants sollicitent une déclaration portant que, lus de concert, le paragraphe 112(3), l’alinéa 113d), le paragraphe 114(1) et le paragraphe 114(2) de la LIPR sont contraires à l’article 7 de la Charte. Ils sollicitent une déclaration portant que les alinéas 112(3)a) et 112(3)c) sont inopérants aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ou encore une exemption constitutionnelle aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte.

IV.       Analyse

A.        Norme de contrôle

[27]      La mission de notre Cour est de décider si le juge de la Cour fédérale a retenu la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46).

[28]      En l’espèce, le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que la raisonnabilité constitue la norme de contrôle en ce qui a trait à l’interprétation par l’agent d’ERAR du paragraphe 112(3) de la LIPR (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 20 à 22).

[29]      La question de savoir si l’agent d’ERAR a le pouvoir de réexaminer une décision d’exclusion antérieure en est une d’interprétation de sa loi constitutive par l’agent d’ERAR et ne fait partie d’aucune des catégories qui réfutent la présomption de raisonnabilité. Il ressort clairement des dispositions législatives en cause que l’agent d’ERAR a le pouvoir de déterminer si les appelants sont visés par le paragraphe 112(3) de la LIPR. La question soulevée dans le présent appel ne concerne que la portée de ce pouvoir et ne peut donc vraisemblablement déboucher sur une véritable question de compétence (Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 32; Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 59).

[30]      En ce qui concerne la question relative à la Charte, l’agent d’ERAR a conclu que les agents d’ERAR n’ont pas compétence d’examiner les questions de validité constitutionnelle (Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169, aux paragraphes 47 à 57). Par conséquent, la seule décision faisant l’objet d’un examen qui porte sur le moyen puisé dans la Charte est celle de la Cour fédérale, qui fera l’objet d’un contrôle selon la norme de contrôle de la décision correcte. Quoi qu’il en soit, comme l’a indiqué le juge de la Cour fédérales, au paragraphe 22, les questions de validité constitutionnelle sont examinées selon la norme de contrôle de la décision correcte (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 30; Dunsmuir, au paragraphe 58; Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 181, [2019] 2 R.C.F. 488, au paragraphe 36; Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, [2015] 2 R.C.F. 595, au paragraphe 46).

[31]      Les appelants contestent également le refus implicite du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 25.2 de la LIPR. Ce qui est exigé par l’article 25.2 sera évalué selon la norme de la décision correcte, mais la question de savoir si, à la lumière de l’interprétation exacte de l’article 25.2 et du contexte de l’affaire, le ministre a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 25.2 sera quant à elle examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[32]      Enfin, comme le concluent les appelants, l’évaluation des risques effectuée par l’agent d’ERAR en vertu de l’article 97 sera examinée pour en déterminer le caractère raisonnable (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 19).

[33]      Le contexte étant établi, je passerai à la portée de la compétence de l’agent d’ERAR.

B.        L’interprétation du paragraphe 112(3) de la LIPR

[34]      La position des appelants est essentiellement que l’alinéa 112(3)c) est ambigu et que notre Cour doit retenir d’interprétation qui permet le réexamen d’une décision antérieure d’exclusion par l’agent d’ERAR. Ils soutiennent que tant l’article 7 de la Charte que l’obligation imposée au Canada par le droit international d’assurer une protection contre le refoulement appellent cette interprétation. Ils soutiennent également que les agents d’ERAR doivent avoir la capacité de réexaminer une décision antérieure d’interdiction de territoire. Cela est nécessaire étant donné que pour obtenir un ERAR complet, les appelants doivent non seulement échapper à l’application de l’alinéa 112(3)c) (visé par l’exclusion), mais également de l’alinéa 112(3)a) (visé par l’interdiction de territoire).

[35]      Comme on l’a noté, la thèse des appelants repose sur l’hypothèse voulant qu’il y ait une incertitude ou une ambiguïté dans la loi et que, par conséquent, l’on doit retenir l’interprétation qui est la plus conforme au droit international ou à la Charte. Ce principe général n’est pas matière à controverse (R. c. Jarvis, 2019 CSC 10, [2019] 1 R.C.S. 488, aux paragraphes 104 à 106). Toutefois, en l’espèce, il n’existe nulle ambiguïté. Les textes du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) sont sans équivoque. Si le demandeur d’asile a été exclu en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention, l’évaluation des risques que doit effectuer l’agent d’ERAR est limitée. Tel est le cas en l’espèce.

[36]      En appliquant l’approche moderne à l’interprétation législative (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21) du texte, du contexte et de l’objet, le paragraphe 112(3) ne peut tout simplement pas être interprété de sorte qu’il permet à l’agent d’ERAR de réexaminer une décision antérieure visant une exclusion en vertu de l’alinéa 112(3)c) ou une décision d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 112(3)a).

[37]      Les alinéas 112(3)a) à 112(3)c) sont ainsi libellés  :

112 (1) […]

Restriction

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :     

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;        

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;          

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés; 

[38]      Les appelants soutiennent que les alinéas 112(3)a) et 112(3)c) sont ambigus quant à savoir si l’agent d’ERAR peut procéder à une nouvelle évaluation de l’exclusion et de l’interdiction de territoire. L’alinéa 112(3)a) est ambigu, soutiennent­ils, parce qu’il dispose que la personne visée par l’alinéa « est interdit[e] » plutôt que « a été interdit[e] ». Il ressort du temps présent que le législateur voulait que l’agent d’ERAR ait le pouvoir de réexaminer la question de l’exclusion.

[39]      De même, l’alinéa 112(3)c) dispose que la personne n’est visée que si elle a été déboutée de sa demande d’asile « au titre de » l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention. Étant donné que la Cour suprême a par la suite modifié le critère d’exclusion au regard de l’alinéa a) de la section F de l’article premier, les appelants n’ont pas été exclus « au titre de » l’alinéa a) de la section F de l’article premier. Ils soutiennent également qu’une équivoque latente se manifeste lorsque l’on tient compte des obligations imposées à l’état canadien par le droit international et du principe du non­refoulement lors du processus d’interprétation.

[40]      Nul de ces arguments n’est retenu.

[41]      Il ressort du texte du paragraphe 112(3) et de l’esprit de la LIPR que l’agent d’ERAR n’a pas le pouvoir de réexaminer une décision d’exclusion. L’interprétation des appelants repose sur une lecture décontextualisée du paragraphe 112(3), ne tient pas compte de l’architecture de la LIPR et vise à donner au paragraphe 112(3) une interprétation entièrement incorrecte. Les objectifs de la LIPR énoncés à l’article 3, auxquels les appelants ont recours, ne permettent pas à la Cour de reformuler le régime énoncé dans la LIPR ni de donner un sens au paragraphe 112(3) contraire à l’intention du législateur.

[42]      Selon une présomption bien établie, la législation nationale du Canada doit, dans la mesure du possible, être interprétée d’une façon qui soit conforme au droit international (arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), au paragraphe 53). En l’absence d’indication contraire, les dispositions législatives sont également présumées respecter « les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel » (Hape, au paragraphe 53; arrêt B010, au paragraphe 47; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (L’interprétation des lois selon Sullivan), 6e éd., (Markham,Ont. : LexisNexis, 2014), au paragraphe 18.6; voir également de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 82 à 87).

[43]      Par conséquent, les obligations du Canada en matière de droit international, en l’espèce aux termes de la Convention, et les principes qui sous­tendent le droit international jouent un rôle dans l’interprétation contextuelle des lois canadiennes (arrêt B010, au paragraphe 47). Cela est renforcé par l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, lequel dispose : « L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet : […] de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ».

[44]      Il existe toutefois un important contrepoids à ces principes, soit le principe de la souveraineté du Parlement. Il faut donner effet aux dispositions législatives non ambiguës, même si elles viennent à l’encontre des obligations internationales du Canada ou du droit international (Németh, au paragraphe 35; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269, au paragraphe 50; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la page 1371; arrêt Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73, au paragraphe 16; Hape, au paragraphe 54).

[45]      Compte tenu de ces premiers principes, je reviens à l’observation des appelants concernant l’alinéa 112(3)a), à savoir qu’il ressort du temps présent « est » que l’agent d’ERAR peut réexaminer une décision antérieure d’interdiction de territoire au moment de l’ERAR.

[46]      En bref, cet argument ne tient pas, car permettre à l’agent d’ERAR de réexaminer une conclusion d’interdiction de territoire antérieure constituerait une usurpation des processus établis dans la LIPR et serait contraire au régime législatif. Le présent « est interdit de territoire » fait référence au fait qu’une fois que l’on a déterminé que le demandeur est interdit de territoire, celui­ci demeure interdit de territoire. Le demandeur d’asile comparaît devant l’agent d’ERAR en vertu de l’article 97 uniquement parce qu’il « est » interdit de territoire. Sinon, ce ne serait pas le cas. Le demandeur comparaîtrait alors devant un agent d’ERAR en vertu de l’article 96. Le législateur n’a pas utilisé de formule comme « peut être interdit de territoire ».

[47]      L’exclusion et l’interdiction de territoire qui en résulte sont des statuts détenus par les appelants, déjà déterminés par la SPR et la Section d’appel de l’immigration (SAI). C’est à ces organismes que le législateur a confié la responsabilité de ces décisions. Les décisions de la SPR et de la SAI sont définitives, sauf si elles sont annulées par la Cour fédérale. L’utilisation du mot « est » par le législateur est conforme à l’architecture de la LIPR et aux procédures selon lesquelles on en arrive aux conclusions d’exclusion et d’interdiction de territoire.

[48]      L’agent d’ERAR, qu’il intervient en vertu de l’article 96 ou de l’article 97, n’entend pas d’appel et ne rend pas de nouvelle décision sur le fond sur les demandes d’asile initiales rejetées par la SPR. Lorsque le législateur a voulu établir un tribunal d’appel relativement aux décisions de la SPR, c’est ce qu’il a fait expressément. En 2012, le paragraphe 13(1) de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8 (LMRECR) est entré en vigueur, établissant la Section d’appel des réfugiés (voir Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157, pour un examen de l’historique et de l’objet législatifs de la Section d’appel des réfugiés).

[49]      En clair, rien n’est prévu dans la loi en ce qui a trait au pouvoir d’annuler une conclusion d’interdiction de territoire ou d’exclusion par un agent d’ERAR. Au contraire, le législateur a confié cette mission à d’autres.

[50]      Selon les articles 34 à 42 de la LIPR, on est interdit de territoire pour atteinte aux droits de la personne, diverses formes de grande criminalité ou des raisons médicales ou financières. Les conclusions d’interdiction de territoire découlent de l’effet de la loi lorsque l’agent conclut que l’intéressé est visé par l’un de ces articles. Contrairement aux demandes d’asile, aucune décision supplémentaire n’est exigée dans ce cas, ce qui fait que l’on peut être déclaré interdit de territoire.

[51]      Lorsque l’agent est d’avis qu’une personne est interdite de territoire, il rédige alors un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. Ce rapport est ensuite remis au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Le ministre examine ce rapport et, en vertu du paragraphe 44(2), prend une mesure de renvoi ou renvoie l’affaire à la Section de l’immigration à des fins d’enquête. Dans ce dernier cas, à l’issue de l’audience, la Section de l’immigration rend l’une des ordonnances visées par l’article 45. En l’espèce, la Section de l’immigration, en retenant les constats de fait de la SPR comme elle est censée le faire (selon l’alinéa 15b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227), a conclu que les appelants étaient interdits de territoire au titre de l’alinéa 35(1)a), résultant en une mesure de renvoi au titre de l’alinéa 45d) (voir Johnson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 868, aux paragraphes 24 et 25, pour de plus amples détails à ce sujet).

[52]      À la suite d’une décision d’interdiction de territoire et d’une mesure de renvoi, il a été interjeté appel devant la SAI (LIPR, paragraphes 63(2), 63(3) et 63(5)). Toutefois, nul appel ne peut être interjeté devant la SAI si l’étranger « est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée » (LIPR, paragraphe 64(1)).

[53]      Contrairement au processus complexe mis en place pour les constats d’interdiction de territoire, la mission de l’agent d’ERAR, que ce soit aux termes de l’article 96 ou de l’article 97, se limite à l’examen des allégations de risques avant le renvoi au moment où la décision est prise à la lumière d’éléments de preuve nouveaux ou d’un changement dans la situation du pays subséquemment à la décision de la SAI (Azimi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1177 (Azimi), au paragraphe 20.

[54]      Le législateur a également pris en compte les conséquences découlant d’une évaluation positive des risques dans le cas de la personne visée par le paragraphe 112(3), à savoir les personnes exclues comme c’est le cas pour les appelants. Même si le demandeur obtient gain de cause dans le cadre d’un ERAR restreint, les conclusions d’exclusion et d’interdiction de territoire ne sont pas cassées et le statut de réfugié n’est pas conféré. Il y a plutôt sursis temporaire, mais automatique, à l’exécution de la mesure de renvoi (alinéa 50b) de la LIPR). Cela se produit, et il est important de le signaler, non pas en raison d’une décision discrétionnaire de l’agent d’ERAR, mais en vertu de la LIPR (paragraphe 114(1) de la LIPR).

[55]      Lorsque le sursis temporaire est accordé, le législateur a également prévu les étapes subséquentes au paragraphe 114(2)  :

114 (1) […]

Révocation du sursis             

(2) Le ministre peut révoquer le sursis s’il estime, après examen, sur la base de l’alinéa 113d) et conformément aux règlements, des motifs qui l’ont justifié, que les circonstances l’ayant amené ont changé.    

[56]      La loi ne donne pas au ministre le pouvoir discrétionnaire de réexaminer la conclusion sur laquelle repose la décision d’exclusion. Elle ne lui permet que d’annuler le sursis et de faire jouer de nouveau le processus de renvoi. Il serait extrêmement anormal de considérer que les pouvoirs de l’agent d’ERAR incluent un pouvoir qui n’a pas été accordé au ministre.

[57]      La mission de l’agent, telle que prescrite par le législateur, consistait à déterminer si, à la lumière de nouveaux éléments de preuve ou d’un changement dans la situation du pays, les risques avaient changé (alinéa 113d) de la LIPR). L’agent n’a pas le pouvoir discrétionnaire de réexaminer les éléments de preuve antérieurs ou de décider que la question de l’exclusion doit être réexaminée. Permettre à l’agent d’ERAR de le faire aurait pour effet d’introduire un niveau d’appel sous la forme d’un nouvel examen de la décision. Cela conférerait également à l’agent d’ERAR un pouvoir décisionnel qui a été expressément conféré à la SPR et à la SAI. En fait, cela aurait pour effet de remanier la loi et conférerait aux agents d’ERAR de nouveaux pouvoirs importants que le législateur ne leur a pas conférés.

[58]      Pour conclure, je dirais que le temps présent « est » à l’alinéa 112(3)a) ne donne pas lieu à une ambiguïté lorsqu’il est question de l’architecture de la LIPR. Le temps présent « est » est plutôt conforme au traitement par le législateur de l’interdiction de territoire il s’agit d’un statut que le demandeur a acquis avant sa demande d’ERAR. Cette conclusion l’emporte et ne donne suite à aucune autre recherche sauf si la décision menant à l’exclusion est annulée au terme d’une procédure en contrôle judiciaire.

[59]      La décision d’exclusion des appelants a été rendue le 20 novembre 2012, la mesure de renvoi de la Section de l’immigration a été prise le 16 mai 2013 et la demande d’autorisation d’engager un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale a été rejetée par la Cour fédérale le 11 juillet 2013. Avec le rejet de la demande d’autorisation, la conclusion d’exclusion était définitive. Il n’existait pas d’autre droit d’appel, de contrôle ou de recours aux termes de la LIPR. Toutes ces décisions ont été prises avant la reddition de l’arrêt Ezokola le 19 juillet 2013.

[60]      Comme je l’ai expliqué, l’ERAR n’a pas pour objet la répétition du travail de la SPR et de la SAI, ni l’audition d’un appel de leurs décisions. La SPR et la Section de l’immigration sont dessaisies dès qu’elles ont rendu leurs décisions; la question de l’exclusion et de l’interdiction de territoire est définitive du point de vue du pouvoir conféré à l’agent d’ERAR aux termes de la LIPR. En l’absence de nouveaux éléments de preuve ou d’éléments de preuve d’un risque qui n’avait pas été évalué auparavant, la question de l’exclusion a finalement été tranchée par le rejet de la demande de contrôle judiciaire des appelants par la Cour fédérale le 11 juillet 2013, soit huit jours avant la reddition de l’arrêt Ezokola. L’exclusion des appelants a finalement été déterminée « en fonction » du droit en vigueur à l’époque.

[61]      L’autorisation leur ayant été refusée, la décision portant que les appelants étaient complices au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier est devenue définitive. Le statut des appelants en vertu de la LIPR avait été évalué et tranché et toutes les voies de recours, épuisées.

[62]      Par conséquent, je retiens la conclusion du juge de la Cour fédérale portant que la cohérence de l’interprétation du régime législatif va dans le sens de la conclusion selon laquelle l’agent d’ERAR n’a pas compétence de réexaminer une décision antérieure d’exclusion. Je répondrais par la négative à la première question certifiée.

C.        La préclusion relative à une question en litige et la chose jugée

[63]      Le ministre affirme que l’on a statué sur l’exclusion des appelants de façon définitive et qu’elle est passée en force de chose jugée. Se fondant sur la jurisprudence Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460 (Danyluk), au paragraphe 62, les appelants affirment que les décideurs administratifs tels que les agents d’ERAR ont le pouvoir discrétionnaire d’appliquer, ou non, ce principe et que, compte tenu de l’évolution du droit en matière de la complicité, l’agent a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de réexamen de la conclusion.

[64]      L’argument du ministre, ainsi que les arguments accessoires qu’il a fait valoir en réponse, ne contribuent pas à l’analyse des questions juridiques dont notre Cour est saisie. En effet, le moyen, tiré par le procureur général de l’autorité de la chose jugée est incompatible avec son moyen tiré de la compétence et la mission de l’agent d’ERAR.

[65]      Les principes d’autorité de la chose jugée et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée jouent lorsque le décideur ayant le pouvoir de trancher une question refuse de le faire au motif que les trois critères (mêmes parties, même question, décision finale) ont été respectés (Danyluk, au paragraphe 25).

[66]      L’agent d’ERAR a compétence pour déterminer, à la lumière de nouveaux éléments de preuve ou d’éléments de preuve qui n’auraient pu être raisonnablement obtenus au moment de l’audience de la SPR, ou à la lumière de nouveaux risques n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation antérieure, si le demandeur est exposé à un risque visé par l’article 96 ou à l’article 97, selon le cas. Le principe de la chose jugée n’entre pas en jeu puisque la question à laquelle répond la décision de l’agent d’ERAR est nécessairement différente des risques pris en considération par la SPR. Bien que le principe de la chose jugée joue à l’égard des risques et des éléments de preuve que l’on a produit antérieurement, l’agent d’ERAR examine les questions découlant de la décision de la SPR. Le principe de la chose jugée n’entre en jeu que lorsque la même question a été tranchée.

[67]      En deuxième lieu, le principe de la chose jugée n’a aucune incidence dans les circonstances où le deuxième décideur n’a pas compétence pour prendre la décision en premier lieu. Dans le traité intitulé Administrative Law (Droit administratif), 11e éd. (New York : Oxford University Press, 2014), à la page 197, les auteurs font remarquer que [traduction] « la limite la plus évidente du principe de la préclusion est qu’il ne peut être invoqué de façon à conférer à une autorité des pouvoirs qu’elle ne possède pas en droit. [...] Aucune préclusion ne peut non plus conférer à un tribunal administratif une compétence plus vaste que celle qu’il possède ». Une objection contre le deuxième décideur tranche relève purement d’une question de compétence, reposant sur le régime législatif.

[68]      Comme le principe de la chose jugée n’aide pas à trancher les questions en litige faisant l’objet d’un appel, il n’est pas nécessaire au sens strict de tenir compte de la thèse des appelants portant que l’agent d’ERAR a le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la chose jugée et d’accorder aux appelants le bénéfice d’une évolution du droit. Compte tenu de l’accent mis sur la présente question, je discuterai quand même brièvement cette thèse.

[69]      En supposant, aux fins de l’argumentation, que le principe de la chose jugée joue et que l’agent d’ERAR avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer, il n’existe aucun facteur pertinent qui appellerait l’exercice du pouvoir discrétionnaire en faveur des appelants. L’évolution du droit ne constitue pas une raison de s’écarter du principe de la préclusion découlant d’une question en litige (voir Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46, [2013] 3 R.C.S. 125, aux paragraphes 28 à 30; voir aussi l’analyse de ce point dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2018 CAF 53, au paragraphe 54, par le juge Laskin).

[70]      Et le fait que le point d’irrévocabilité ait été atteint à peine huit jours avant que l’arrêt Ezokola ne soit tranché par la Cour suprême n’est pas non plus pertinent. Aucune distinction fondée sur des principes ne peut être établie envers un demandeur à l’égard duquel la conclusion d’exclusion est devenue définitive un jour, un mois ou un an avant la reddition de l’arrêt Ezokola. Pour faire valoir cette question, il faut tenir compte des circonstances d’un contrôle judiciaire de la décision selon laquelle un agent d’ERAR aurait refusé d’appliquer le principe de droit et décidé de réexaminer l’exclusion. Une telle décision serait évaluée en fonction du critère de la décision raisonnable. Quand une décision serait­elle déraisonnable? Un jour, huit jours, trente jours ou six mois avant la modification de l’état du droit?

[71]      Les appelants citent une jurisprudence de notre Cour, Oberlander c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 52 (Oberlander). Dans l’arrêt Oberlander, notre Cour a discuté l’effet de l’évolution du droit en ce qui a trait à la complicité dans le cadre des procédures de révocation de citoyenneté.

[72]      Je ne retiens pas la thèse portant que la jurisprudence Oberlander conforte les appelants dans leur cause.

[73]      L’arrêt Oberlander avait trait à des procédures de révocation de la citoyenneté aux termes de la Loi sur la citoyenneté (L.R.C. (1985), ch. C­29). Le gouverneur en conseil a tiré une conclusion de complicité, fondée sur la jurisprudence antérieure à l’arrêt Ezokola, découlant de la participation des demandeurs à des crimes de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. La conclusion de complicité, fondée sur des motifs antérieurs à l’arrêt Ezokola, a été confirmée au terme d’une procédure de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et en appel. Toutefois, notre Cour a renvoyé l’affaire au gouverneur en conseil pour réexamen de la question de la contrainte. Après réexamen, le gouverneur en conseil a conclu que la contrainte n’avait pas été établie. Les demandeurs ont alors demandé le contrôle judiciaire de la deuxième décision du gouverneur en conseil. L’arrêt Ezokola a été rendu public avant la deuxième audience. La Cour fédérale a conclu que, vu la doctrine de la préclusion liée à une question en litige, était exclue la remise en cause de la conclusion de complicité. Le demandeur a interjeté appel.

[74]      Notre Cour a accueilli l’appel; elle a décidé que la Cour fédérale n’avait pas tenu compte du lien entre la conclusion de complicité et la question de la contrainte. La Cour d’appel [fédérale] a conclu que la conclusion relative à la complicité était intrinsèquement liée à la question de la contrainte et que la question de savoir si la contrainte était établie constituait une question en litige devant la Cour, tout comme la conclusion de complicité.

[75]      Les circonstances selon lesquelles la préclusion liée à une question en litige s’est produite à l’occasion de l’affaire Oberlander sont donc très différentes de celles en l’espèce. La conclusion de complicité dans l’arrêt Oberlander constituait encore une question en litige. On ne peut pas en dire autant en l’espèce.

D.        L’article 7 de la Charte

[76]      Selon la position des appelants, leur renvoi du Canada en l’absence d’une évaluation des risques selon les critères de l’article 96 contrevient à l’article 7 de la Charte.

[77]      Cette thèse ne peut être retenue à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême en ce qui concerne les rapports entre l’article 7 de la Charte et les conclusions d’exclusion. De plus, le moyen tiré de l’article 7 ne repose sur aucun fait. Comme il a été expliqué ci­dessus, en appréciant les demandes de personnes à charge concernant leurs enfants en fonction des risques allégués par les appelants, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de risque au sens de l’article 96. La SPR a examiné séparément les demandes des appelants en vertu des critères de l’article 97, concluant de même qu’aucun risque n’existait. Comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, la contestation de ces conclusions par les appelants est vouée à l’échec, de sorte que le moyen des appelants tiré de la Charte est théorique.

[78]      Trois principes encadrent l’analyse en ce qui concerne l’article 7 de la Charte et le renvoi de personnes du Canada, que ce soit pour interdiction de territoire ou pour d’autres motifs.

[79]      Tout d’abord, l’arrêt Suresh enseigne que l’appréciation des risques selon l’article 97 ne contrevient pas à l’article 7. La Cour suprême du Canada a décidé que le demandeur doit établir à première vue qu’il peut y avoir un risque de torture ou d’abus similaires avant que le ministre ne procède à l’appréciation des risques avant le renvoi. Même si ce critère est rempli, le ministre peut néanmoins ordonner le renvoi après avoir apprécié le risque pour le demandeur et l’intérêt public canadien (arrêt Suresh, au paragraphe 58).

[80]      Le deuxième principe découle de l’arrêt Febles. La Cour suprême a décidé que la Charte ne garantit pas un droit positif à l’asile. En conséquence, le législateur a le pouvoir d’adopter des lois qui respectent les obligations imposées au Canada par la Convention ou d’adopter des lois qui vont au­delà ou se situent en­deçà des protections de la Convention. Confirmant la décision de notre Cour, la Cour suprême a conclu qu’il n’y avait aucun doute ou ambiguïté quant à l’intention du législateur à l’article 98 de la LIPR, c’est­à­dire d’exclure du droit d’asile toutes les personnes visées par la section F de l’article premier. La Cour a noté que « [d]e même, la Charte ne joue aucun rôle dans l’interprétation de l’art. 98 de la LIPR » (Febles, au paragraphe 67). L’existence de la section F de l’article premier confirme elle­même le principe selon lequel il n’existe aucun droit positif en droit international permettant à toutes les personnes de présenter une demande d’asile.

[81]      Le troisième principe découle de l’arrêt B010. S’appuyant sur la jurisprudence Febles, la Cour a confirmé que « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités » (c’est­à­dire l’appréciation des risques selon l’article 97) (arrêt B010, au paragraphe 75, s’appuyant sur l’arrêt Febles au paragraphe 67; LIPR, articles 97 et 112, sous alinéa 113(d)(i) et paragraphe 114(1)). La Cour a conclu que cette justification vaut également pour les décisions d’interdiction de territoire (arrêt B010, au paragraphe 75). L’article 7 n’est donc pas mis cause par une conclusion d’interdiction de territoire ou d’exclusion.

[82]      Il s’ensuit que la thèse des appelants portant que leurs risques doivent être appréciés en fonction des critères de l’article 96 est contraire à la jurisprudence de la Cour suprême. Comme la détermination d’exclusion ou d’interdiction de territoire ne met pas en cause l’article 7, il s’ensuit nécessairement que l’article 7 n’est pas mis en cause par le refus d’une évaluation des risques aux termes de l’article 96. Il s’agit de la conséquence de la trilogie des décisions de la C.S.C. (arrêts Suresh, Febles et B010). L’exclusion retire les appelants du processus de détermination du statut de réfugié et, par conséquent, de l’évaluation des risques prévue par l’article 96.

[83]      Néanmoins, il est clair que les droits que puisent les appelants dans l’article 7 de la Charte sont protégés par les garanties dont ils disposent aux termes de la LIPR. Dans l’arrêt Febles, la Cour a conclu que, s’il est exclu, l’appelant peut demander le sursis à la mesure de renvoi compte tenu des risques liés à l’article 97. C’est à l’étape du renvoi que les intérêts prévus par l’article 7 jouent (Febles, aux paragraphes 67 et 68).

[84]      Notre arrêt Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, [2017] 1 R.C.F. 153 (Atawnah) est révélateur quant à cette question.

[85]      La question en litige dans l’affaire Atawnah avait trait au sous alinéa 112(2)b.1) de la LIPR, qui interdit l’accès à tout ERAR aux demandeurs d’asile provenant de pays désignés qui ont abandonné leur demande d’asile jusqu’à ce qu’un délai de 36 mois se soit écoulé depuis la date d’abandon.

[86]      Les appelants, étaient susceptibles d’être renvoyés en Israël dans les 36 mois, soutenaient que leur renvoi du Canada sans évaluation des risques visés par l’article 96 contrevenait à l’article 7. Ils ont également fait valoir que le sous alinéa 112(2)b.1) de la LIPR était contraire à l’article 7 puisque leur demande d’asile n’avait jamais été tranchée.

[87]      Conformément à la jurisprudence Febles, notre Cour a conclu que les personnes qui ne peuvent pas faire l’objet d’un ERAR complet, tout comme les appelants en l’espèce, voient leurs risques liés à l’article 7 évalués à l’étape du renvoi. La façon d’évaluer les risques liés à l’article 7 pour les demandeurs qui sont interdits d’ERAR est un processus dans le cadre duquel « un seul décideur est requis pour examiner le risque et, s’il est convaincu que la preuve est suffisante, reporte le renvoi et transmet à un autre décideur l’examen du risque » (Atawnah, au paragraphe 27). Le refus d’un décideur de reporter le renvoi peut être contesté devant la Cour fédérale; le sursis au renvoi peut être obtenu dans l’attente de l’issue d’une procédure de contrôle judiciaire. La Cour fédérale peut, et elle le fait souvent, examiner une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi d’une manière plus complète que ne peut le faire un agent d’immigration dans le cadre d’une demande de report (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133, au paragraphe 51). La juge Dawson [dans la décision Atawnah, au paragraphe 18] a conclu que les droits dont disposent les personnes qui sont renvoyées en l’absence de fondement d’un ERAR n’étaient « pas illusoires », mais réels et exécutoires.

[88]      En somme, conformément à la jurisprudence Febles de la Cour suprême, l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire par les agents de renvoi, sous la surveillance compétente de la Cour fédérale, répond aux droits que tirent les appelants de l’article 7. Vu ces garanties, les personnes comme les appelants soient renvoyées d’une manière conforme à l’article 7 de la Charte.

[89]      Je passerai maintenant à la deuxième raison pour laquelle le moyen tiré de la Charte par les appelants ne peut être retenu. Dans le cadre de l’examen par la SPR des demandes d’asile des enfants à charge, les risques allégués par les appelants ont été évalués en vertu de l’article 96 et rejetés (décision de la SPR, aux paragraphes 1 et 4). La SPR a conclu que les demandes d’asile n’étaient pas crédibles et qu’ [traduction] « ils ne seraient exposés qu’à un faible risque s’ils étaient renvoyés au Zimbabwe. Ils ne sont pas réfugiés au sens de la Convention » (décision de la SPR, au paragraphe 36).

[90]      À moins que les appelants ne convainquent la Cour que la décision de l’agent d’ERAR est déraisonnable, il n’existe aucun fondement factuel appuyant la thèse portant que le renvoi en l’absence d’une évaluation en vertu de l’article 96 fait jouer les droits que les appelants tirent de l’article 7. Comme il en sera question à la partie F des présents motifs, il n’existe aucun fondement permettant d’annuler les conclusions de l’agent d’ERAR à cet égard.

E.        Le refus implicite du ministre d’examiner la demande des appelants en vertu de l’article 25.2 était­il raisonnable?

[91]      Je passe maintenant à la deuxième question certifiée  :

L’article 25.2 de la LIPR confère­t­il au ministre le pouvoir discrétionnaire, à défaut de politique préétablie, de dispenser une personne de présenter une demande d’asile au titre de l’article 112 de la LIPR en vertu des restrictions découlant du paragraphe 112(3) de la LIPR, le ministre étant tenu en vertu dudit pouvoir discrétionnaire d’envisager le recours à celui­ci et de l’exercer?

[92]      Je crois que le fond de la question a été bien formulé par le juge de la Cour fédérale. Il a posé la question suivante  : « le ministre doit­il exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 25.2 de la LIPR afin de soustraire les demandeurs à l’application du paragraphe 112(3), de telle sorte que l’omission d’examiner leur demande de dispense entache la décision concernant l’ERAR? » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 11).

[93]      Je répondrais par la négative à cette question, telle que reformulée.

[94]      Je note d’entrée de jeu que la question n’est pas de savoir si le ministre a le pouvoir discrétionnaire général d’accorder une mesure en vertu de l’article 25.2. Cela n’est pas contesté par les appelants qui avalisent ainsi les motifs de la Cour fédérale. Cette concession est de mise. La simple lecture du paragraphe 25.2(1) et l’absence de formulation impérative constituent des indices de l’existence d’un pouvoir discrétionnaire. Il reste à déterminer si une politique publique préétablie constitue une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 25.2.

[95]      Le paragraphe 25.2(1) dispose :

Séjour dans l’intérêt public   

25.2 (1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui­ci estime que l’intérêt public le justifie.    [Je souligne.] 

[96]      En substance, les appelants soutiennent que le ministre est tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25.2 et d’établir une politique qui leur accorderait, en tant que demandeurs dont la naissance du dossier est antérieure à la jurisprudence Ezokola, un ERAR sans restriction. Une politique doit être établie et le pouvoir discrétionnaire doit également être exercé favorablement pour rendre le droit canadien conforme au droit international et à la Charte.

[97]      Il ne fait aucun doute que la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre peut être limitée par la Charte (Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, aux paragraphes 114, 117 et 128). Toutefois, la Charte ne peut être invoquée pour obliger le ministre à accorder un ERAR sans restriction lorsque la loi (en l’espèce, le paragraphe 112(3) de la LIPR) l’exclut.

[98]      Les appelants soutiennent, invoquant les principes fondamentaux du droit administratif, que lorsqu’une loi confère un pouvoir discrétionnaire à un titulaire de charge et que celui­ci refuse de reconnaître une demande d’exercice de ce pouvoir ou de répondre à celle­ci, comme en l’espèce, le juge peut l’obliger à exercer ce pouvoir discrétionnaire.

[99]      Cette thèse générale avancée par les appelants est saine. Mais il faut l’inscrire dans son cadre législatif. Les parties s’entendent sur la question précise de savoir si l’existence d’une politique publique préexistante précise constitue une condition préalable à toute obligation légale pour le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Les appelants affirment que la LIPR oblige le ministre à examiner les demandes au cas par cas et à établir une politique positive. Le ministre dit, quant à lui, qu’à moins qu’il y ait un contenu, un cadre ou des critères qui constituent une « politique publique », il n’existe aucune obligation d’agir.

[100]   La thèse des appelants ne tient pas lorsque l’article 25.2 est lu au regard du contexte complet, comme il se doit. Les travaux préparatoires relatifs à l’article 25.2, la distinction entre le paragraphe 25(1) et l’article 25.2, la nature même de l’intérêt public, ainsi que la formule discrétionnaire de l’article, militent tous en faveur de la conclusion portant que le ministre n’a aucune obligation d’établir une politique publique sur demande.

[101]   Le législateur a expressément tenu compte des circonstances selon lesquelles le ministre peut lever les exigences de la LIPR. Le ministre est en mesure, au titre du paragraphe 25(1), d’accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire aux étrangers qui ne satisfont pas aux exigences de la LIPR. Il est important de noter, aux fins du contexte, que les personnes interdites de territoire aux termes des articles 34, 35 ou 37, comme c’est le cas des appelants, ne peuvent se prévaloir du pouvoir discrétionnaire que le législateur a accordé au ministre en vertu du paragraphe 25(1).

[102]   L’article 25.2 consacre un pouvoir discrétionnaire semblable. L’étranger doit se conformer à toute condition ministérielle et le ministre doit être convaincu que la dérogation est justifiée par l’intérêt public.

[103]   Mis à part ces similitudes, il y a cependant une distinction frappante entre le paragraphe 25(1) et l’article 25.2. Le premier comporte un texte impératif. Le ministre « doit » examiner les demandes de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire. Par contre, l’article 25.2 est discrétionnaire. Le ministre « peut » envisager d’accorder une dispense. On ne peut donc pas conférer au mot facultatif ou discrétionnaire « peut » une connotation impérative.

[104]   La thèse des appelants se heurte à d’autres obstacles.

[105]   En premier lieu, les politiques publiques ne comportent aucun contenu objectif. Le contenu de la politique publique est dévolu au ministre et n’a pas été délégué (De Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 363, aux paragraphes 19 à 23). Du point de vue des appelants, le ministre a l’obligation non limitative d’examiner toutes les demandes de dérogation aux exigences de la LIPR et d’établir une politique pertinente dans le cadre de laquelle la demande de renonciation sera examinée. Il s’agirait d’une évolution importante, voire d’une modification judiciaire, du régime législatif. Cela donnerait lieu, au sommet du système, à un autre appel définitif au ministre dans tous les cas, notamment ceux à la veille du renvoi.

[106]   En deuxième lieu, lorsque le législateur a conféré le pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures spéciales au cas par cas, il l’a fait expressément et avec certaines limites : l’exemption des exigences de la LIPR doit être fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (article 25.1 de la LIPR). De plus, comme nous l’avons déjà signalé, les personnes interdites de territoire pour motifs d’ordre humanitaire au titre des articles 34, 35 et 37 ne sont pas admissibles à la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette voie étant fermée aux appelants, ils plaident une interprétation de l’article 25.2 qui leur permettrait d’avoir gain de cause par la bande. Je ne suis pas disposé à dégager de l’article 25.2 un recours que le législateur a expressément exclu par le paragraphe 25(1).

[107]   En troisième lieu, la thèse des appelants équivaut à exiger que le ministre établisse expressément une politique à leur endroit une politique qui annulerait les conclusions visant l’interdiction de territoire fondées sur le paragraphe 112(3) dans le cas d’une décision antérieure à l’arrêt Ezokola. Dans cette optique, si était accordée l’ordonnance de mandamus que sollicitent les appelants, le ministre serait essentiellement tenu non seulement d’établir une politique publique, mais également d’établir une politique publique qui leur serait favorable.

[108]   Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l’article 25.2 que telle n’était pas l’intention du législateur. Rappelons que les considérations « [d]’intérêt public » ont été, en vertu de la LMRER, extraites du paragraphe 25(1) et remises à la seule compétence et initiative du ministre. Le sommaire législatif de l’article 25.1 (Résumé législatif du projet de loi C­11 : Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la Loi sur les Cours fédérales (Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés), Bibliothèque du Parlement, publication no 40­3­C11­F (12 mai 2010) (révisée le 12 janvier 2011) se lit comme suit :

2.3.1 L’intérêt public ne peut plus être pris en compte dans l’examen effectué par le Ministre sur demande (art. 4 et 5)           

Les articles 4 et 5 du projet de loi modifient le paragraphe 25(1) de la LIPR pour répartir les éléments du processus décisionnel relatif aux considérations d’ordre humanitaire en trois pouvoirs distincts du Ministre. Selon ces articles, celui­ci ne prend en compte l’intérêt public que s’il étudie le cas d’un étranger de sa propre initiative (nouvel art. 25.2).

[109]   La Cour fédérale a conclu qu’il n’existait pas de politique publique qui viserait les appelants et que le ministre n’avait pas délégué aux fonctionnaires de pouvoirs d’application d’une politique publique. Dans ces circonstances, permettre aux agents d’ERAR d’accorder ou de refuser des exemptions en vertu de l’article 25.2 en fonction de leur opinion personnelle de ce qui constitue une bonne politique publique est incompatible avec l’enseignement des travaux et le texte même de l’article 25.2. Je remarque que dans la décision Azimi, le juge Fothergill a conclu que l’agent d’ERAR n’avait pas compétence d’examiner une conclusion visant une exclusion antérieure malgré l’évolution résultant de la jurisprudence Ezokola, étant donné l’absence de fondement législatif sur lequel un agent d’ERAR pourrait s’appuyer pour invoquer le pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 25.1 de la LIPR et, de sa propre initiative, accorder une exemption de l’application de l’alinéa 113(d) pour des considérations d’ordre humanitaire.

[110]   Les appelants citent également l’alinéa 3(3)f), selon lequel la LIPR doit avoir pour effet « de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. » Comme dans le cas de leur moyen puisé dans la Charte, les appelants soutiennent que l’article 25.2 est nécessaire pour assurer la conformité à la Convention dans le cas où le libellé du paragraphe 112(3) ne peut être interprété de manière à assurer cette conformité. Cette thèse repose sur l’argument portant que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il « n’a pas été indiqué clairement [...] que les obligations imposées au Canada par le droit international comprennent la nécessité de procéder au réexamen en raison de l’évolution de la jurisprudence » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 35).

[111]   Pour essentiellement les mêmes raisons exprimées par la Cour fédérale, je conviens qu’il n’y a pas de jurisprudence allant dans ce sens. En plus du principe consacré par l’arrêt Febles, exposé ci­dessus au paragraphe 80 des présents motifs, je ne peux conclure que la Convention oblige le ministre à examiner les demandes de mesures spéciales présentées en vertu de l’article 25.2 dans des circonstances comme celles que vivent les appelants, surtout compte tenu du recours dont ils disposent par ailleurs.

[112]   L’existence d’un ERAR restreint selon l’article 97 et la possibilité de demander le sursis d’exécution d’une mesure de renvoi sont, en soi, suffisantes pour protéger les droits que les appelants puisent dans la Charte. Il s’ensuit que, dans ces circonstances, le ministre n’est pas tenu, au titre de la Charte, d’accueillir la demande des appelants en vertu de l’article 25.2.

F.         Le caractère raisonnable de la décision de l’agent d’ERAR

[113]   Je passe maintenant au dernier motif d’appel  : la contestation par les appelants de la décision sous­jacente de l’agent d’ERAR selon laquelle ils ne seraient exposés à aucun risque lié à l’article 97 s’ils étaient renvoyés au Zimbabwe. Le juge de la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en appliquant la norme de contrôle du caractère raisonnable à cette conclusion.

[114]   Pour obtenir gain de cause dans le cadre d’une évaluation des risques liés à l’article 97, le demandeur d’asile débouté doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable que le contraire que son renvoi l’expose à un risque personnel de torture, de mort ou de traitement cruel et inusité (Li, au paragraphe 29). Le juge de la Cour fédérale a procédé à l’examen approfondi et minutieux de la décision de l’agent d’ERAR, que je retiens. À la lumière de mon examen des motifs de l’agent d’ERAR et des preuves, je rejetterais ce motif d’appel.

[115]   L’agent a évalué les allégations de risque de chacun des appelants et les éléments de preuve à l’appui de celles­ci. L’agent a conclu que les appelants n’avaient pas produit suffisamment d’éléments de preuve objectifs dont il ressortait qu’ils encourraient un risque personnalisé pour leur vie ou un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’ils devaient retourner au Zimbabwe.

[116]   Les appelants soutiennent que l’évaluation des risques effectuée par l’agent d’ERAR était déraisonnable et que l’agent s’est fondé sur un rapport d’expert désuet plutôt que sur la preuve d’expert qu’ils ont présentée. Ils affirment que l’agent a commis une erreur en concluant qu’étaient conjecturaux et impersonnels les risques découlant du fait que l’appelant, M. Tapambwa, ait été confondu avec son frère jumeau. Ils affirment également que l’agent n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif des éléments de preuve, notamment dans le cas de l’incident de 2013 alléguant que le gouvernement zimbabwéen recherchait M. Tapambwa.

[117]   Le juge de la Cour fédérale a conclu que les décisions rendues se situaient dans la fourchette des issues acceptables et étaient défendables sur le plan des faits et du droit. Le juge a correctement qualifié les arguments avancés par les appelants de contestation de l’évaluation par l’agent de la crédibilité et du poids à accorder à la preuve. Je ne retiens pas la thèse portant que le juge n’a pas tenu compte « du poids cumulatif des éléments de preuve ». Les éléments de preuve doivent d’abord être jugés crédibles et probants pour qu’on leur accorde du poids. En l’espèce, les conclusions de l’agent d’ERAR en ce qui a trait à la crédibilité et au poids des éléments de preuve étaient entièrement raisonnables et transparentes vu le dossier dont il disposait, et suffisantes en elles­mêmes pour trancher l’allégation de risque.

[118]   L’agent a discuté la preuve d’expert présentée par les appelants (à la page 72 du cahier d’appel) et a conclu qu’elle [traduction] « n’a pas réfuté les conclusions importantes de la Commission concernant la crédibilité des demandeurs » (la preuve d’expert se trouve à l’onglet E à la page 280 du cahier d’appel). Je retiens cette conclusion. Le rapport d’expert, quel que soit son poids, ne pouvait pas supplanter la décision de la SPR en matière de crédibilité. J’ajouterais que dans le meilleur des cas, l’affidavit d’expert n’aide pas la cause des appelants. Comme l’a fait remarquer le juge de la Cour fédérale, le déposant « a expressément déclaré que l’on ne saurait affirmer avec certitude que la qualité de demandeurs d’asile déboutés des demandeurs, à lui seul, les exposerait à un risque de persécution » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 100).

[119]   Quant à la question de savoir si le profil particulier des appelants les plaçait dans une situation de risque élevé, comme l’a fait valoir l’expert, la SPR a effectivement examiné ce risque à la lumière de leur profil personnel. De plus, de leur propre aveu (à la note 103 de leur mémoire), les appelants contestent en fait le fait que la SPR se soit appuyée sur un rapport prétendument désuet. Il s’agit d’une attaque indirecte contre une décision à l’égard de laquelle on a refusé l’autorisation de procéder à un contrôle judiciaire.

[120]   Le deuxième argument des appelants est également sans fondement. L’agent n’a pas conclu que la possibilité d’être confondu avec le frère jumeau de M. Tapambwa n’était que pure conjecture. L’agent a plutôt conclu que les éléments de preuve présentés ne démontraient pas qu’il serait confondu avec son jumeau au point qu’il y aurait un risque de préjudice visé à l’article 97 (voir le quatrième paragraphe de la page 13 de la décision de l’agent d’ERAR (page 75 du cahier d’appel)).

[121]   Enfin, en ce qui concerne les preuves relatives aux événements de 2013 et de 2014, l’agent a noté et expliqué en détail les éléments de preuve suivants  :

●          La lettre de la mère de M. Tapambwa (voir la première moitié de la page 12 de la décision de l’agent d’ERAR (page 74 du cahier d’appel) et la pièce « D » du cahier d’appel, onglet C de la page 136);

●          Le rapport médical de la mère de M. Tapambwa (voir le deuxième paragraphe de la page 12 de la décision de l’agent (page 74 du cahier d’appel) et la pièce « E » du cahier d’appel, onglet C de la page 142);

●          Deux lettres de l’avocat dont les services ont été retenus pour retrouver le père de M. Tapambwa dont on avait perdu la trace (voir le dernier paragraphe de la page 12 et le premier paragraphe de la page 13 de la décision de l’agent (pages 74 et 75 du cahier d’appel) et les pièces « F » et « G » du cahier d’appel, onglet C des pages 145 et 148);

●          Une lettre de l’oncle de M. Tapambwa (voir le deuxième paragraphe de la page 13 de la décision de l’agent (page 75 du cahier d’appel) et la pièce « H » dans le cahier d’appel, onglet C de la page 154).

[122]   Je ne puis conclure qu’il y a eu erreur dans le traitement que l’agent a réservé à l’un ou l’autre de ces éléments de preuve. L’agent d’ERAR a évalué les éléments de preuve un à un et collectivement et a conclu qu’ils n’établissaient pas un risque possible lié à l’article 97. Outre l’insuffisance des preuves, l’agent avait également des réserves au sujet de la crédibilité des preuves. Je ne suis pas convaincu que ces réserves étaient déraisonnables. Au contraire, l’agent a expliqué de façon claire et rationnelle pourquoi il a tiré cette conclusion. En fait, l’agent a examiné l’ensemble des preuves, contrairement à ce qui a été soutenu devant nous. La demande a été rejetée [traduction] « [à] la lumière de la totalité des éléments de preuve dont [l’agent] a été saisi » (voir le troisième paragraphe à la page 14 de la décision de l’agent d’ERAR (page 76 du cahier d’appel)).

V.        Conclusion

[123]   Je répondrais donc par la négative aux trois questions certifiées, telles qu’elles ont été reformulées, et je rejetterais l’appel.

            Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

            La juge Woods, J.C.A. : Je suis d’accord.

 

 

 

 


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27)  

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger          

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[…]

Séjour dans l’intérêt public   

25.2 (1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui­ci estime que l’intérêt public le justifie.   

[…]

Sécurité      

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c). 

[…]

Atteinte aux droits humains ou internationaux               

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants : 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;     

[…]

Activités de criminalité organisée      

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.     

[…]

Définition de réfugié               

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :       

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.   

Personne à protéger               

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :   

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;   

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,  

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,      

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles­ci ou occasionnés par elles,      

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.  

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés     

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.      

[…]

Demande de protection         

112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[…]

Restriction 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :     

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;        

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;          

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés; 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).        

Examen de la demande         

113 Il est disposé de la demande comme il suit : 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;         

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;         

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;         

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous­alinéa e)(i) ou (ii) —, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :   

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,           

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada;       

[…]

Convention relative au Statut des Réfugiés des Nations Unies, [28 juillet, 1951] [1969] R.T. Can. no 6

Article premier

Définition du terme « réfugié »

[…]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :      

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;     

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;  

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.      

 

 


 

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