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2020 CAF 100

A-267-17

Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement (demanderesses)

c.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, Apple Inc., Apple Canada Inc., Artisti, Association canadienne des radiodiffuseurs, L’alliance des radios communautaires/National Campus and Community Radio Association, Bell Canada, Canadian Copyright Licensing Agency S/N Access Copyright, Canadian Media Producers Association, Cineplex Divertissement LP, CMRRA-SODRAC Inc., Conseil canadien du commerce de détail, Google, Ariel Katz, Microsoft Corporation, Music Canada, Musicians’ Rights Organization Canada, Pandora Media Inc., Province de la Colombie-Britannique, Québecor Média Inc., Ré:Sonne – Société de gestion de la musique, Rogers Communications Inc., Shaw Communications, Sirius XM Canada Inc., Société civile des auteurs multimédia, Société collective de retransmission du Canada, Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec, Société des auteurs et compositeurs dramatiques, Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation et Yahoo! Canada (défendeurs)

A-270-17

Apple Inc. et Apple Canada Inc. (demanderesses)

c.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, Artisti, Association canadienne des radiodiffuseurs, L’alliance des radios communautaires/National Campus and Community Radio Association, Bell Canada, Canadian Copyright Licensing Agency S/N Access Copyright, Canadian Media Producers Association, Cineplex Divertissement LP, CMRRA-SODRAC Inc., Conseil canadien du commerce de détail, Entertainment Software Association, Google, Ariel Katz, Microsoft Corporation, Music Canada, Musicians’ Rights Organization Canada, Pandora Media Inc., Province de la Colombie-Britannique, Québecor Média Inc., Ré:Sonne – Société de gestion de la musique, Rogers Communications Inc., Shaw Communications, Sirius XM Canada Inc., Société civile des auteurs multimédia, Société collective de retransmission du Canada, Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec, Société des auteurs et compositeurs dramatiques, Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada, Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation et Yahoo! Canada (défendeurs)

Répertorié : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Stratas et Near, J.C.A.—Toronto, 26 au 28 novembre 2018; Ottawa, 5 juin 2020.

Droit d’auteur — Communication au public par télécommunication — Contrôles judiciaires remettant en question la décision de la Commission du droit d’auteur d’interpréter l’art. 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur d’une manière qui fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’art. 3(1)f) de cette loi — La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), défenderesse, a déposé un projet de tarif à la Commission à l’égard de la communication au public par télécommunication d’œuvres de son répertoire au moyen d’un service de musique en ligne — L’art. 2.4(1.1) a par la suite été ajouté à la Loi — La Cour suprême dans l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Entertainment Software Association) a jugé que la transmission par Internet d’une œuvre musicale qui mène au téléchargement de cette œuvre n’était pas une communication par télécommunication — La SOCAN a fait valoir que l’art. 2.4(1.1) rendait l’arrêt Entertainment Software Association non pertinent — La Commission a accepté le point de vue de la SOCAN — Il s’agissait de savoir si la Commission a bien interprété l’art. 2.4(1.1) de la Loi — La décision de la Commission ne pouvait être maintenue — La Commission était limitée par les décisions Entertainment Software Association et Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique au sujet du sens de l’expression « communiquer au public, par télécommunication, une œuvre » — Le préambule de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur n’étaye pas l’interprétation à laquelle est parvenue la Commission — La preuve semblait plutôt indiquer que l’art. 2.4(1.1) est une disposition étroite à objet limité — Dans la décision Entertainment Software Association, la Cour suprême a conclu que le mot « communiquer » à l’art. 3(1)f) de la Loi ne visait pas les téléchargements d’œuvres protégées par le droit d’auteur — Il faudrait que l’art. 2.4(1.1) ait un libellé clair pour qu’il étaye la thèse de la Commission — L’interprétation de la Commission a élargi le sens de la communication par télécommunication pour inclure les étapes préparatoires (la mise à la disposition) aux téléchargements — L’art. 2.4(1.1) ne crée pas un nouveau droit exclusif — Il serait contraire au régime de la loi d’établir un tarif pour un acte préparatoire — Rien ne justifiait dans la présente affaire le paiement de deux redevances distinctes — La décision de la Commission a été annulée — Demandes accueillies.

Droit international — Mise en œuvre au pays — Liens entre le droit national canadien et le droit international — Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur — La Commission du droit d’auteur a interprété l’art. 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur d’une manière qui fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’art. 3(1)f) de cette loi — Dans l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Entertainment Software Association), la Cour suprême a jugé que la transmission par Internet d’une œuvre musicale qui mène au téléchargement de cette œuvre n’est pas une communication par télécommunication — La SOCAN a fait valoir que l’art. 2.4(1.1) rendait l’arrêt Entertainment Software Association non pertinent — La Commission a accepté le point de vue de la SOCAN — La position contraire ne serait pas conforme aux obligations internationales du Canada énoncées à l’art. 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (le Traité) — La Commission a mal compris les liens entre le droit national canadien et le droit international — La Commission a interprété l’art. 8 du Traité, puis a rendu l’art. 2.4(1.1) conforme à cette interprétation — Pour être exécutoires, les instruments internationaux doivent être adoptés par le législateur — Si les instruments internationaux qui ne sont pas adoptés par le législateur peuvent quand même faire partie de l’analyse d’une loi nationale, le droit international ne peut servir à écarter ou modifier le sens véritable de la loi nationale — La façon dont la Commission a traité l’art. 8 était un mauvais usage du droit international.

Interprétation des lois — La Commission du droit d’auteur (Commission) a interprété l’art. 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur (Loi) d’une manière qui fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’art. 3(1)f) de cette loi — Dans l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Entertainment Software Association), la Cour suprême a jugé que la transmission par Internet d’une œuvre musicale qui mène au téléchargement de cette œuvre n’est pas une communication par télécommunication — La SOCAN a fait valoir que l’art. 2.4(1.1) rendait l’arrêt Entertainment Software Association non pertinent — La Commission a accepté le point de vue de la SOCAN — La position contraire ne serait pas conforme aux obligations internationales du Canada énoncées à l’art. 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (le Traité) — La Commission a interprété l’art. 8 comme visant à protéger la mise à la disposition d’une œuvre par télécommunication, même en l’absence de transmission au public — La décision de la Commission a démontré une mauvaise compréhension des liens entre le droit national canadien et le droit international — Il faut toujours commencer par discerner le sens véritable du droit national — Les instruments internationaux peuvent faire partie de l’analyse du texte, du contexte et de l’objet de la loi, mais uniquement de manière précise et dans un but précis — La Cour doit donner son sens véritable à la loi si elle conclut que celle-ci est claire, même en cas de conflit avec le droit international — Le droit international ne peut servir à écarter ou modifier le sens véritable de la loi nationale — Ces principes s’appliquent aux décideurs administratifs ainsi qu’aux tribunaux judiciaires — La présence du droit international ne nous invite pas à nous écarter de la méthode normale et acceptée d’interprétation des lois — La façon dont la Commission a traité l’art. 8 n’était pas une méthode juridique acceptable.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire remettant en question la décision de la Commission du droit d’auteur (Commission) d’interpréter le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur (Loi) d’une manière qui fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de cette loi.

La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), défenderesse, a déposé un projet de tarif à la Commission pour certaines années à l’égard de la communication au public par télécommunication d’œuvres de son répertoire au moyen d’un service de musique en ligne. Après le dépôt par la SOCAN de son projet de tarif, un nouveau paragraphe, le paragraphe 2.4(1.1), parfois qualifié de paragraphe relatif à la « mise à la disposition », a été ajouté à la Loi. Peu de temps après l’ajout du paragraphe 2.4(1.1), la Cour suprême a interprété l’expression « communiquer au public, par télécommunication, une œuvre » dans l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Entertainment Software Association). Elle a jugé que la transmission par Internet d’une œuvre musicale qui mène au téléchargement de cette œuvre n’est pas une communication par télécommunication. D’après cette décision, la SOCAN ne pouvait pas percevoir de redevances pour ces téléchargements. La SOCAN a fait valoir devant la Commission que le paragraphe 2.4(1.1) rendait l’arrêt Entertainment Software Association non pertinent. Elle a fait valoir que le paragraphe 2.4(1.1) obligeait les services de musique en ligne à payer des redevances à la SOCAN lorsqu’ils mettent des œuvres musicales sur leurs serveurs Internet de manière que leurs clients-utilisateurs puissent y avoir accès, peu importe si les œuvres musicales sont par la suite transmises aux utilisateurs au moyen de téléchargement ou de diffusion, et même si elles ne sont pas transmises. La Commission a accepté le point de vue de la SOCAN. Selon la Commission, le paragraphe 2.4(1.1) fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de cette loi et est, par conséquent, un acte qui déclenche un droit tarifaire. Selon la Commission, la position contraire « ne serait pas conforme aux obligations internationales du Canada » énoncées à l’article 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (le Traité). La Commission a interprété l’article 8 comme visant à protéger la mise à la disposition d’une œuvre par télécommunication, même en l’absence de transmission au public. À son avis, son interprétation du paragraphe 2.4(1.1) était conforme à l’arrêt Entertainment Software Association. Cela a eu pour effet de créer deux actes distincts déclenchant des redevances : un pour la mise à la disposition du public et un autre pour la transmission ultérieure sur Internet.

Il s’agissait de savoir si la Commission a bien interprété le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi.

Arrêt : les demandes doivent être accueillies.

La décision de la Commission ne pouvait être fondée. La Commission était fortement limitée dans ce qu’elle pouvait faire de manière acceptable par le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 2.4(1.1), la jurisprudence, comme Entertainment Software Association et Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique au sujet du sens de l’expression « communiquer au public, par télécommunication, une œuvre », et la jurisprudence concernant les liens entre le droit national et le droit international et la primauté générale du premier sur le second. La Commission a invoqué le préambule de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, mais celui-ci est énoncé de façon si générale qu’il n’étaye pas l’interprétation à laquelle est parvenue la Commission. La déclaration du gouvernement lors de la présentation de la loi ne dit rien à l’égard du paragraphe 2.4(1.1) qui pourrait étayer l’interprétation de la Commission. Elle semble plutôt indiquer que le paragraphe 2.4(1.1) est une disposition étroite, à objet limité, visant à rendre plus facile de « déterminer si le partage non autorisé des œuvres protégées par le droit d’auteur sur les réseaux de pairs constitue ou non une violation du droit d’auteur ». La décision Entertainment Software Association renvoie au sens véritable du paragraphe 2.4(1.1). Dans cette décision, la Cour suprême a conclu que le mot « communiquer » à l’alinéa 3(1)f) de la Loi ne visait pas les téléchargements d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Dans la présente affaire, il faudrait que le paragraphe 2.4(1.1) ait un libellé clair pour qu’il étaye la thèse de la Commission. L’interprétation de la Commission a élargi le sens de la communication par télécommunication pour inclure les étapes préparatoires (la mise à la disposition) aux téléchargements. L’interprétation de la Commission contrevenait également aux contraintes imposées par les arrêts antérieurs de la Cour suprême. Dans l’ensemble, l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) par la Commission ne reposait sur aucun fondement acceptable.

La décision de la Commission a démontré une mauvaise compréhension des liens entre le droit national canadien et le droit international. Les termes du paragraphe 2.4(1.1) auraient dû être le point de départ de la Commission. La Commission a pris l’article 8 du Traité, l’a interprété, puis a rendu le paragraphe 2.4(1.1) conforme à cette interprétation. Elle a supposé, sans analyse, que le paragraphe 2.4(1.1) protégeait la mise à la disposition d’une œuvre par télécommunication, même en l’absence de transmission au public. La Commission a justifié ce résultat en affirmant que le paragraphe 2.4(1.1) était une disposition déterminative. Ce n’est pas parce que la législation nationale canadienne est adoptée alors que le Canada a signé un traité et que le préambule de la loi indique qu’elle vise à mettre en œuvre un traité qu’on peut supposer que le législateur a adopté le traité intégralement. Lorsque le droit national et le droit international sont tous deux susceptibles d’être pertinents à un problème juridique, il faut toujours commencer par discerner le sens véritable du droit national. Les instruments internationaux ne sont pas automatiquement exécutoires dans le droit national canadien. Si le législateur décide de ne pas adopter un instrument international précis, cet instrument ne devient pas une loi nationale contraignante. Les instruments internationaux peuvent faire partie de l’analyse du texte, du contexte et de l’objet de la loi, mais uniquement de manière précise et dans un but précis. Si la Cour conclut que la loi est claire et ne présente aucune ambiguïté patente ou latente, elle doit lui donner son sens véritable et l’appliquer. Cela doit être fait même en cas de conflit avec le droit international. Le droit international ne peut servir à écarter ou modifier le sens véritable de la loi nationale. Ces principes s’appliquent aux décideurs administratifs ainsi qu’aux tribunaux judiciaires. La présence du droit international ne nous invite pas à nous écarter de la méthode normale et acceptée d’interprétation des lois; dans certaines circonstances bien définies, le droit international est plutôt considéré à juste titre comme faisant partie de cette méthode. Dans la présente affaire, la façon dont la Commission a traité l’article 8 n’était pas une méthode juridique acceptable. Il s’agissait d’un mauvais usage du droit international. La Commission a accordé un statut supérieur au droit international par rapport au droit national. Ce faisant, elle a contrevenu aux règles imposées par la jurisprudence contraignante et les principes fondamentaux.

Enfin, le paragraphe 2.4(1.1) ne crée pas un nouveau droit exclusif. Lorsque l’utilisation par la Commission d’une « disposition déterminative » est mise de côté, il ne reste plus que l’« acte préparatoire ». Ceci est conforme à l’utilisation par le législateur des mots « constitue notamment » au paragraphe 2.4(1.1). Il serait contraire au régime de la loi d’établir un tarif pour un acte préparatoire, car cela serait une division des droits dans le but d’ajouter une couche supplémentaire de redevances. Rien ne permettait à la Commission de conclure qu’une diffusion ne fait pas partie de la mise à la disposition qui l’a précédée, de sorte qu’il convient d’exiger deux redevances distinctes. Comme il n’y avait qu’un seul droit en jeu, la seule question était de savoir si le droit a été déclenché, et les seules redevances à payer étaient celles exigibles pour l’exercice du droit.

La décision de la Commission sur l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) a été annulée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 9, 91–95.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, ch. 20, préambule.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2.4(1.1), 3(1)f).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18(1)a).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, tarif B, colonne III.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, La Haye, 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35.

Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, Genève, 20 décembre 1996, [2014] R.T. Can. no 20, art. 8.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Services de musique en ligne (CSI : 2011-2013; SOCAN : 2011-2013; SODRAC : 2010-2013) (25 août 2017), CB-CDA 2017-086, en ligne : <https://decisions.cb-cda.gc.ca/cb-cda/decisions/en/item/366865/index.do>; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427; Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; Westminster Bank Ltd. v. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.); CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743.

DÉCISIONS CITÉES :

CMRRA-SODRAC Inc. c. Apple Canada Inc., 2020 CAF 101; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Ré:Sonne c. Association canadienne des radiodiffuseurs, 2017 CAF 138; Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150; Paradis Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573; Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 224, [2020] 1 R.C.F. 362; Canada (Procureur général) c. Heffel Gallery Limited, 2019 CAF 82, [2019] 3 R.C.F. 81; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Richardson International Limited, 2015 CAF 180; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143; Walchuk c. Canada (Justice), 2015 CAF 85; Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344, sub nom. Globalive Wireless Management Corp. c. Public Mobile Inc.; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203; Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205; Erasmo c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 129; Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44; Schmidt c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 55, [2019] 2 R.C.F. 376; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174; Canada c. Cheema, 2018 CAF 45, [2018] 4 R.C.F. 328; Atlas Tube Canada ULC c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 120; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67; D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95; Yantzi c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 193; Bonnybrook Industrial Park Development Co. Ltd c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136; Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Nevsun Resources Ltd. c. Araya, 2020 CSC 5; Canada (Procureur général) c. Northern Inter-Tribal Health Authority Inc., 2020 CAF 63, [2020] 3 R.C.F. 231; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 151, [2016] 1 R.C.F. 686; R. (Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union, [2017] UKSC 5, [2018] A.C. 61; Hodge v. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117; Capital Cities Comm. c. C.R.T.C., [1978] 2 R.C.S. 141; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Canada c. Seaboard Lumber Sales Co., [1995] 3 C.F. 113 (C.A.); Pembina County Water Resource District c. Manitoba (Gouvernement), 2017 CAF 92; ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2019 CAF 147; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 700; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513; Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394; GreCon Dimter Inc. c. J. R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6; Renaud c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] 3 R.C.S. 855; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, [2012] 1 R.C.F. F-3; Robbins c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24; Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45; Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; Bernard c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 23.

DOCTRINE CITÉE

Daly, Paul. « Struggling Towards Coherence in Canadian Administrative Law? Recent Cases on Standard of Review and Reasonableness » (2016), 62:2 R.D. McGill 527.

Mancini, Mark. « The “Return” of “Textualism” at the SCC [?] » (9 avrill 2019), en ligne (blog) : Double Aspect <doubleaspect.blog/2019/04/09/the-return-of-textualism-at-the-scc/>).

Wade, William et Cristopher Forsyth, Administrative Law, 11e éd., New York : Oxford University Press, 2014.

Willis, John. « Statute Interpretation in a Nutshell » (1938), 16 Rev B. can. 1.

DEMANDES de contrôle judiciaire remettant en question la décision de la Commission du droit d’auteur (Portée de l’article 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur — Mise à la disposition (25 août 2017), CB-CDA 2017-085) d’interpréter le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur (Loi) d’une manière qui fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de cette loi. Demandes accueillies.

ONT COMPARU :

Michael Koch et Sarah Stothart pour les demanderesses Apple Inc. et Apple Canada Inc.

Gerald (Jay) Kerr-Wilson et Stacey Smydo pour les demanderesses/défenderesses Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement, Bell Canada, Québecor Média Inc., Rogers Communications Inc., Google et Shaw Communications.

David W. Kent et Jonathan O’Hara pour la défenderesse Pandora Media Inc.

Matthew S. Estabrooks et Graeme Macpherson pour la défenderesse Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

Casey Chisick et Eric Mayzel pour la défenderesse CMRRA-SODRAC Inc.

Barry B. Sookman et Daniel G.C. Glover pour la défenderesse Music Canada.

John Cotter pour la défenderesse Ré:Sonne – Société de gestion de la musique.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goodmans LLP, Toronto, pour les demanderesses Apple Inc. et Apple Canada Inc.

Fasken Martineau Dumoulin LLP, Ottawa, pour les demanderesses/défenderesses Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement, Bell Canada, Québecor Média Inc., Rogers Communications Inc., Google et Shaw Communications.

McMillan LLP, Toronto et Ottawa, pour la défenderesse Pandora Media Inc.

Gowling WLG (Canada) LLP, Ottawa, pour la défenderesse Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

Cassels Brock & Blackwell LLP, Toronto, pour les défenderesses Canadian Media Producers Association et CMRRA-SODRAC Inc.

Fasken Martineau Dumoulin LLP, Ottawa, pour les défenderesses Bell Mobility Inc., Québecor Média Inc., Rogers Communications Inc., Google et Shaw Communications.

Canadian Copyright Licensing Agency s/n Access Copyright, Toronto, pour la défenderesse Canadian Copyright Licensing Agency s/n Access Copyright.

Ariel Katz pour son compte.

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour les défenderesses Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec, Société des auteurs et compositeurs dramatiques et Société civile des auteurs multimédia.

Annie Massicotte, Montréal, pour la défenderesse Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour la défenderesse Music Canada.

Osler, Hoskin & Harcourt LLP, S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour la défenderesse Ré:Sonne – Société de gestion de la musique.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN ») gère le droit de « communication » d’œuvres musicales pour le compte de titulaires du droit d’auteur. Elle a déposé un projet de tarif à la Commission du droit d’auteur pour certaines années à l’égard de la communication au public par télécommunication d’œuvres de son répertoire au moyen d’un service de musique en ligne.

[2]        La Commission devait décider si le projet de tarif était approprié aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.

[3]        Après le dépôt par la SOCAN de son projet de tarif, la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée : voir la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, ch. 20. Un nouveau paragraphe, le paragraphe 2.4(1.1), parfois qualifié de paragraphe relatif à la « mise à la disposition », a été ajouté à la Loi sur le droit d’auteur. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

2.4 […]

Communication au public par télécommunication

(1.1) Pour l’application de la présente loi, constitue notamment une communication au public par télécommunication le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

[4]        Cela a mené à la question de savoir si le fait de simplement mettre une œuvre à la disposition du public sur un serveur en vue de sa diffusion ou de son téléchargement ultérieur était un acte pour lequel il fallait payer une redevance.

[5]        Quelques jours après l’ajout du paragraphe 2.4(1.1) à la Loi sur le droit d’auteur, la Cour suprême a rendu une décision importante qui interprétait l’expression « communiquer au public, par télécommunication, une œuvre » : voir Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231 [Entertainment Software Association]. Elle a jugé que la transmission par Internet d’une œuvre musicale qui mène au téléchargement de cette œuvre n’est pas une communication par télécommunication. Voir également Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283 [Rogers Communications], au paragraphe 2. D’après cette décision, la SOCAN ne pouvait pas percevoir de redevances pour ces téléchargements.

[6]        En raison de ces décisions et à l’appui de son projet de tarif, la SOCAN a fait valoir devant la Commission que le paragraphe 2.4(1.1) rendait la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Entertainment Software Association non pertinente. Elle a fait valoir que le paragraphe 2.4(1.1) obligeait les utilisateurs comme les services de musique en ligne à payer des redevances à la SOCAN lorsqu’ils mettent des œuvres musicales sur leurs serveurs Internet de manière à ce que leurs clients-utilisateurs puissent y avoir accès, peu importe si les œuvres musicales sont par la suite transmises aux utilisateurs au moyen de téléchargement ou de diffusion, et même si elles ne sont pas transmises.

[7]        Au vu de cette observation, la Commission a invité toutes les parties touchées directement et indirectement à présenter des observations complètes sur ce point. Après avoir examiné les observations des parties, la Commission a accepté le point de vue de la SOCAN : voir Portée de l’article 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur – Mise à la disposition (25 août 2017), CB-CDA 2017-085, en ligne : https://decisions.cb-cda.gc.ca/cb-cda/decisions/fr/item/366772/index.do. Elle a conclu ce qui suit (au paragraphe 12) :

[...] en vertu du paragraphe 2.4(1.1) de la Loi, constitue une communication au public par télécommunication, le fait de mettre une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur sur un serveur d’un réseau de télécommunication de manière à ce qu’une requête d’un membre du public entraîne la transmission de cette œuvre ou de cet objet du droit d’auteur, notamment sous la forme d’une diffusion en continu ou d’un téléchargement, qu’une telle requête se concrétise ou non.

[8]        En bref, selon la Commission, le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur fait en sorte que l’acte de mettre une œuvre à la disposition du public revient à la « communiquer au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de cette loi et est, par conséquent, un acte qui déclenche un droit tarifaire.

[9]        Selon la Commission (aux paragraphes 13 et 14), la position contraire « ne serait pas conforme aux obligations internationales du Canada » énoncées à l’article 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, Genève, 20 décembre 1996, [2014] R.T. Can. no 20 (le « Traité »). À son avis (au paragraphe 15), son interprétation du paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur était conforme à l’arrêt Entertainment Software Association.

[10]      Cette interprétation a eu pour effet de créer deux actes distincts déclenchant des redevances (au paragraphe 16) :

Le fait de mettre une œuvre à la disposition du public demeure une communication au public par télécommunication, peu importe si la transmission subséquente est un téléchargement ou une diffusion en continu. Ce fait demeure distinct de tout autre acte subséquent de transmission; les deux actes ne s’intègrent pas pour devenir un acte unique, plus large.

[11]      Les demanderesses présentent des demandes de contrôle judiciaire à la Cour et remettent en question l’interprétation par la Commission du paragraphe 2.4(1.1).

[12]      Parallèlement à sa décision interprétant le paragraphe 2.4(1.1), la Commission s’est prononcée sur le caractère approprié du projet de tarif : voir Services de musique en ligne (CSI : 2011-2013; SOCAN : 2011-2013; SODRAC : 2010-2013) (25 août 2017), CB-CDA 2017-086, en ligne : <https://decisions.cb-cda.gc.ca/cb-cda/decisions/en/item/366865/index.do>.  Elle a notamment conclu que la preuve présentée était insuffisante pour lui permettre de tirer une conclusion sur ce que devrait être le tarif pour le fait de « mettre à la disposition ». Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée : voir [CMRRA-SODRAC Inc. c. Apple Canada Inc.] 2020 CAF 101.

[13]      En l’espèce, pour les raisons qui suivent, j’accueillerais les demandes et j’annulerais la décision de la Commission sur l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1). Son interprétation ne peut être maintenue.

A.        La norme de contrôle

[14]      Le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur doit être interprété à la fois par la Commission et par les tribunaux. La Cour suprême a jugé que la norme de contrôle s’appliquant aux interprétations de la Commission dans ces cas est celle de la décision correcte : voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 [SOCAN (2004)]; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; et Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615 [Radio-Canada]. La question de savoir si ces trois décisions — SOCAN (2004), Rogers Communications et Radio-Canada — s’appliquent encore demeure en suspens.

[15]      L’année passée, la Cour suprême s’est lancée dans un « rajustement de la méthode à employer » pour choisir la norme de contrôle du bien-fondé des décisions des tribunaux administratifs. Cela soulève un doute quant à savoir si la jurisprudence, même sa propre jurisprudence, « continue de donner des indications utiles » : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 143.

[16]      L’arrêt Vavilov vise « l’ensemble des situations dans lesquelles il convient que la cour de révision déroge à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable » et effectue un examen selon la norme de la décision correcte (au paragraphe 69), soit les cinq situations suivantes : les normes de contrôle établies par voie législative, les mécanismes d’appel prévus par la loi, les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. Les arrêts SOCAN (2004), Rogers Communications et Radio-Canada ne font pas partie d’une de ces cinq situations. Ainsi, l’arrêt Vavilov sème un doute à l’égard de ceux-ci.

[17]      La Cour suprême n’a pas fermé « définitivement la porte à la possibilité qu’une autre catégorie puisse ultérieurement être reconnue comme appelant une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable » puisqu’il « serait illusoire de déclarer que nous avons envisagé toutes les combinaisons possibles de circonstances » (Vavilov, au paragraphe 70). Cela jette un doute sur les arrêts SOCAN (2004), Rogers Communications et Radio-Canada. La Cour suprême a dû tenir compte de ces arrêts, parce qu’ils sont récents et qu’on a renvoyé la Cour à ceux-ci. Pourtant, la Cour suprême n’a rien fait pour les confirmer.

[18]      Certains facteurs permettent toutefois d’alléger le doute, voire de le supprimer complètement. En discutant de l’exception des mécanismes d’appel prévus par la loi, pour lesquels la norme de contrôle est celle de la décision correcte pour les questions de droit, la Cour suprême a mentionné l’importance de respecter les « choix d’organisation institutionnelle » du législateur (Vavilov, aux paragraphes 24, 26, 36 et 46). La décision du législateur selon la Loi sur le droit d’auteur de donner compétence à la Commission et aux tribunaux à l’égard des questions d’interprétation des lois est peut-être un « choix d’organisation institutionnelle » qui mérite d’être reconnu au moyen de l’examen selon la norme de la décision correcte. De ce point de vue, les arrêts SOCAN (2004), Rogers Communications et Radio-Canada demeurent valables.

[19]      De plus, l’arrêt Vavilov appuie la cohérence, l’uniformité et la certitude dans le droit en matière de contrôle judiciaire. Les arrêts SOCAN (2004), Rogers Communications et Radio-Canada favorisent effectivement la cohérence, l’uniformité et la certitude. L’arrêt Rogers Communications, par exemple, explique comment (au paragraphe 14) :

Il serait illogique de contrôler la décision de la Commission sur un point de droit selon une norme déférente, mais d’examiner de novo la décision d’une cour de justice rendue en première instance sur le même point de droit dans le cadre d’une action pour violation du droit d’auteur. Il serait tout aussi incohérent que, saisie d’un appel visant un contrôle judiciaire, la cour d’appel fasse preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur un point de droit, mais applique la norme de la décision correcte à la décision d’une cour de justice en première instance sur le même point de droit.

[20]      Nous n’avons pas d’observations des parties sur cette question. La question de savoir si les arrêts SOCAN (2004), Rogers Communications et Radio-Canada continuent d’énoncer le droit actuel à l’égard de la norme de contrôle devra être examinée à une autre occasion.

[21]      Pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour supposera que la norme de contrôle est celle qui accorde la plus grande déférence à la Commission et qui est la plus favorable pour ceux qui appuient sa décision, à savoir la norme de la décision raisonnable.

[22]      Les parties ont présenté leurs observations alors que l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], et non l’arrêt Vavilov, faisait jurisprudence à l’égard de la norme de la décision raisonnable. Mais cela n’a aucune incidence.

[23]      Pour certaines cours de révision, l’arrêt Vavilov a entraîné un changement important dans la manière de mener un examen du caractère raisonnable. Cependant, pour notre Cour, du moins pour l’examen du caractère raisonnable dans un cas comme celui-ci, l’arrêt Vavilov n’a pratiquement rien changé.

[24]      Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a en fait adopté le point de vue de notre Cour selon lequel il est plus facile ou plus difficile de faire annuler les décisions administratives selon les facteurs contextuels qui libèrent ou contraignent le décideur : voir Vavilov, aux paragraphes 88 à 90. Notre Cour ne doit plus chercher à contourner les observations de la Cour suprême dans des décisions comme Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, au paragraphe 35 et Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, au paragraphe 73, qui ont interdit tout recours au contexte.

[25]      Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a accepté qu’en pratique, certaines décisions sont plus susceptibles d’être maintenues à la suite d’un examen selon la norme de la décision raisonnable, car elles sont assujetties à relativement peu de contraintes. Mais d’autres décisions sont moins susceptibles d’être maintenues parce qu’elles sont assujetties à relativement plus de contraintes. Notre Cour a déjà reconnu cette réalité dans une série de décisions de principe : voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266 [Abraham], aux paragraphes 37 à 50; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75 [Commission canadienne des droits de la personne], aux paragraphes 13 et 14; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006 [Farwaha], aux paragraphes 88 à 92; et Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 [Delios], au paragraphe 26, et voir Paul Daly, « Struggling Towards Coherence in Canadian Administrative Law? Recent Cases on Standard of Review and Reasonableness » (2016), 62:2 R.D. McGill 527.

[26]      L’arrêt Vavilov décrit également des catégories de facteurs contextuels : voir Vavilov, aux paragraphes 83, 103, 108 à 126 et 129 à 135. Comme nous le verrons maintenant, notre Cour les avait déjà presque tous décrits et appliqués.

[27]      Les décideurs administratifs qui appliquent des critères factuels de nature non juridique, ou moins juridique, sont relativement plus libres et, en pratique, il est plus difficile de faire annuler leurs décisions selon la norme de la décision raisonnable : voir Vavilov, aux paragraphes 108 à 110, et, à notre Cour, voir, p. ex., Ré:Sonne c. Association canadienne des radiodiffuseurs, 2017 CAF 138 [Ré:Sonne], au paragraphe 49; Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418 [Nation Gitxaala (2016)], au paragraphe 149; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150 [Boogaard], aux paragraphes 46, 51 et 52; Paradis Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446, au paragraphe 137; Delios, au paragraphe 21; et Farwaha, aux paragraphes 90 à 99.

[28]      Les décisions relatives à l’intérêt public fondées sur de vastes considérations de politique générale et d’intérêt public, évaluées selon des critères polycentriques, subjectifs ou indistincts et qui dépendent de l’opinion des décideurs administratifs sur des questions économiques et culturelles et sur des questions d’intérêt public au sens large — décisions dont on dit parfois qu’elles sont fondamentalement de nature exécutive — sont très peu limitées : voir Vavilov, au paragraphe 110, et, à notre Cour, voir, p. ex., Nation Gitxaala (2016), au paragraphe 150; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573 [Emerson Milling], aux paragraphes 72 et 73; et Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 224, [2020] 1 R.C.F. 362, aux paragraphes 18 et 19.

[29]      Toutes autre choses étant égales, les appréciations complexes, délicates et comportant de multiples aspects appelant le décideur administratif à apprécier avec finesse les renseignements, les impressions et les indications en utilisant des critères qui peuvent changer et être appréciés différemment d’une fois à l’autre selon des circonstances changeantes et évolutives sont assujetties à relativement peu de contraintes et sont plus difficiles à annuler : voir Vavilov, aux paragraphes 129 à 132; et, à notre Cour, voir, p. ex., Boogaard, aux paragraphes 47, 51 et 52; et Ré:Sonne, au paragraphe 50.

[30]      De même, toutes autres choses étant égales, lorsque le décideur administratif fait une évaluation qui découle de ses connaissances spécialisées, le décideur est plus libre et il peut être plus difficile de faire annuler sa décision : voir Vavilov, aux paragraphes 92, 93 et 119, et, à notre Cour, voir, p. ex., Ré :Sonne, au paragraphe 48; et Canada (Procureur général) c. Heffel Gallery Limited, 2019 CAF 82, [2019] 3 R.C.F. 81 [Heffel], aux paragraphes 36 et 37.

[31]      Lorsque les décideurs administratifs tirent leur compétence légale d’un libellé plus général qui peut avoir plusieurs sens, ils sont relativement plus libres lorsqu’ils interprètent la loi, toutes autres choses étant égales : voir Vavilov, au paragraphe 110, et, à notre Cour, voir, p. ex., Heffel; Boogaard, au paragraphe 42; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75 [Forest Ethics], au paragraphe 69; et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Richardson International Limited, 2015 CAF 180, au paragraphe 30.

[32]      De même, les décideurs administratifs sont relativement plus libres lorsque les dispositions légales leur confèrent un large pouvoir discrétionnaire : voir Vavilov, au paragraphe 108, Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; et Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; et, à notre Cour, voir, p. ex., Heffel et Forest Ethics.

[33]      D’autre part, lorsque les décideurs administratifs sont moins libres en raison de dispositions légales précises ou de décisions judiciaires bien établies, leurs décisions peuvent être annulées s’ils ne tiennent pas compte de ces limites : voir Vavilov, aux paragraphes 108 à 113, et, à notre Cour, voir, p. ex., Abraham, aux paragraphes 37 à 50; Commission canadienne des droits de la personne, au paragraphe 14; Farwaha, aux paragraphes 93 à 97; et Emerson Milling, au paragraphe 70.

[34]      Les décisions administratives qui s’apparentent davantage aux décisions des tribunaux judiciaires et sont régies par le droit et non par des questions de politique générale sont assujetties à relativement plus de contraintes : voir Vavilov, aux paragraphes 108 à 110, et, à notre Cour, voir, p. ex., Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143 [Kabul Farms], aux paragraphes 24 et 25; Walchuk c. Canada (Justice), 2015 CAF 85 [Walchuk]; et Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344, sub nom. Globative Wireless Management Corp. c. Public Mobile Inc.

[35]      Lorsque la loi prévoit une méthode précise et que le libellé est strict, elle peut ressembler à une méthode contraignante qu’il faut suivre; sinon, il peut en découler une annulation : voir Vavilov, aux paragraphes 108 à 110, et, à notre Cour, voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203; Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205 [Sharif], au paragraphe 34; et Heffel, au paragraphe 34.

[36]      De même, lorsque la décision revêt une grande importance pour le particulier, le décideur administratif doit fournir davantage de justifications et d’explications : voir Vavilov, aux paragraphes 133 à 135, et, à notre Cour, voir, p. ex., Farwaha, aux paragraphes 91 et 92; Boogaard, au paragraphe 49; Walchuk, au paragraphe 33; Sharif, au paragraphe 11; Erasmo c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 129; et Kabul Farms, aux paragraphes 24 à 26.

[37]      Les parties ont présenté leurs observations en tenant compte de l’arrêt Dunsmuir, mais elles ont également tenu compte de la jurisprudence de notre Cour. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de les inviter à fournir des observations supplémentaires concernant l’arrêt Vavilov. Les motifs qui suivent renvoient principalement à l’arrêt Vavilov. Cependant, si l’arrêt Vavilov n’existait pas, la Cour aurait prononcé les mêmes motifs en renvoyant à la jurisprudence existante de notre Cour.

[38]      Les demandes de contrôle judiciaire dont notre Cour est saisie contestent l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) par la Commission. Il convient de dire ce dont les cours de révision s’attendent des décideurs administratifs lorsqu’ils interprètent des dispositions légales, car c’est l’une des façons dont la Commission s’est égarée.

[39]      Depuis un certain temps, notre Cour dit que les décideurs administratifs qui interprètent des dispositions légales doivent prendre en compte le texte, le contexte et l’objet des dispositions afin de parvenir au sens véritable des dispositions : voir Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 [Hillier], aux paragraphes 18 à 33; Sharif, aux paragraphes 18 à 29; et Schmidt c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 55, [2019] 2 R.C.F. 376 [Schmidt], aux paragraphes 24 à 32, décisions qui suivent les arrêts de principe de la Cour suprême dans ce domaine, comme Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; et Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10. Notre Cour a également jugé que les décideurs administratifs doivent interpréter les dispositions légales d’une manière qui ne favorise pas un résultat précis et qu’ils doivent s’abstenir de viser une politique générale qui ne ressort pas de la législation en vigueur : voir Hillier, Sharif et Schmidt; voir également Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174 [Williams], aux paragraphes 41 à 52 et Canada c. Cheema, 2018 CAF 45, [2018] 4 R.C.F. 328, aux paragraphes 77 à 80.

[40]      La loi habilitante de certains décideurs administratifs leur confère la tâche d’établir ou d’appliquer des politiques, et certains d’entre eux ont une connaissance spécialisée. Cela peut faire qu’ils soient en mesure de discerner et d’appliquer la politique qui sous-tend véritablement une loi précise. Mais ce n’est pas à eux — ni aux tribunaux, d’ailleurs — de modifier la loi. En l’absence d’une délégation précise et appropriée du pouvoir de légiférer, l’établissement et la modification de la loi relèvent de ceux que nous élisons : voir Williams, au paragraphe 49; Sharif, au paragraphe 51; et Atlas Tube Canada ULC c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 120, aux paragraphes 4 et 5. Les décideurs administratifs, comme les tribunaux judiciaires, ne peuvent que discerner le sens véritable de la loi et l’appliquer fidèlement, sans négliger ce sens et sans le déformer pour obtenir un résultat dans une affaire précise ou pour atteindre ce qu’ils croient être préférable ou juste.

[41]      L’arrêt Vavilov est maintenant la plus récente intervention de la Cour suprême à cet égard. En bref, il confirme sans modification les principes susmentionnés énoncés par notre Cour, en soulignant qu’on peut saisir l’intention du législateur « uniquement à partir du texte de loi, de l’objet de la disposition législative et du contexte dans son ensemble » (au paragraphe 118).

[42]      Si le décideur administratif ne fait que prétendre s’intéresser au texte, au contexte et à l’objet plutôt que de procéder à une véritable analyse, son interprétation légale pourrait être annulée. Le même sort sera réservé à une analyse rapide qui favorise un résultat précis ou vise une politique générale qui ne fait pas partie de la législation. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a énoncé ce qui suit (aux paragraphes 120 et 121) :

[...] le fond de l’interprétation [d’une disposition législative] par le décideur administratif doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet. En ce sens, les principes habituels d’interprétation législative s’appliquent tout autant lorsqu’un décideur administratif interprète une disposition. Par exemple, lorsque le libellé d’une disposition est « précis et non équivoque », son sens ordinaire joue normalement un rôle plus important dans le processus d’interprétation : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10. Lorsque le sens d’une disposition législative est contesté au cours d’une instance administrative, il incombe au décideur de démontrer dans ses motifs qu’il était conscient de ces éléments essentiels.

La tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause. Toutefois, le décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité—mais plausible—simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. Il incombe au décideur de véritablement s’efforcer de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité.

(D’autres décisions récentes de la Cour suprême sur le devoir d’éviter d’interpréter les lois de façon expéditive afin d’atteindre un résultat précis sont TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144 et R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, et voir également Mark Mancini, « The “Return” of “Textualism” at the SCC[?] » (9 avril 2019), en ligne : <https://doubleaspect.blog/2019/04/09/the-return-of-textualism-at-the-scc/>).

[43]      Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 124, la Cour suprême nous enseigne que « la cour qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas procéder à une analyse de novo ni déterminer l’interprétation “correcte” d’une disposition contestée » [caractères italiques dans l’original]. Une telle analyse ne serait pas un contrôle du caractère raisonnable et serait plutôt un contrôle selon la norme de la décision correcte ne faisant pas preuve de retenue suffisante. De même, la cour de révision ne doit pas procéder à sa propre analyse et comparer ensuite l’interprétation administrative à celle-ci. Il s’agirait d’un contrôle « déguisé selon la norme de la décision correcte ». Voir Vavilov, au paragraphe 116, et, à notre Cour, voir, p. ex., Delios, au paragraphe 28; Heffel, au paragraphe 50; Schmidt, au paragraphe 39; et Hillier, au paragraphe 14.

[44]      Le défaut d’examiner un aspect pertinent du texte, du contexte ou de l’objet ne mènera pas nécessairement à une décision déraisonnable. Cependant, « s’il est manifeste que le décideur administratif aurait pu fort bien arriver à un résultat différent s’il avait pris en compte un élément clé du texte, du contexte ou de l’objet d’une disposition législative, le défaut de tenir compte de cet élément pourrait alors être indéfendable et déraisonnable dans les circonstances » : voir Vavilov, au paragraphe 122. Ainsi, il existe des cas où l’interprétation du décideur administratif est indéfendable. Dans l’ensemble, « il s’agit principalement de savoir si l’aspect omis de l’analyse amène la cour de révision à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (Vavilov, au paragraphe 122.).

[45]      Lorsqu’ils procèdent au contrôle du caractère raisonnable, les tribunaux judiciaires sont en droit d’exiger que les décideurs administratifs expliquent leur raisonnement et justifient leurs conclusions sur les questions d’interprétation légale : voir Vavilov, aux paragraphes 109 et 116. Voir également Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au paragraphe 29. Le fait d’exiger une explication et une justification assure que le décideur administratif se soit attaqué « de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties » et qu’il fût « effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » : voir Vavilov, au paragraphe 128, et, à notre Cour, avant l’arrêt Vavilov, voir D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95; Yantzi c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 193, au paragraphe 4; et Bonnybrook Industrial Park Development Co. Ltd c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, aux paragraphes 87 à 94. Lorsque, en tenant compte du dossier, les motifs « comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative » : voir Vavilov, au paragraphe 96.

[46]      Il n’est pas nécessaire d’examiner en plus de détail la norme de contrôle en l’espèce. Pour les motifs énoncés ci-dessous, la décision de la Commission ne peut être fondée.

[47]      Même selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Commission était fortement limitée dans ce qu’elle pouvait faire de manière acceptable par ce qui suit :

          le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 2.4(1.1) et la méthode acceptée pour examiner ces éléments (voir Vavilov, aux paragraphes 120 et 121, et la jurisprudence antérieure à Vavilov, précitée);

          la jurisprudence dans ce domaine, comme Entertainment Software Association et Rogers Communications Inc., au sujet du sens de l’expression « communiquer au public, par télécommunication, une œuvre » (voir Vavilov, aux paragraphes 111 et 112, et la jurisprudence antérieure à Vavilov, précitée);

          la jurisprudence concernant les liens entre le droit national et le droit international et la primauté générale du premier sur le second (voir Vavilov, aux paragraphes 111 à 114, et la jurisprudence antérieure à Vavilov, précitée).

[48]      Lors de son interprétation du paragraphe 2.4(1.1), la Commission a enfreint ces contraintes et est parvenue à une décision déraisonnable.

B.        Analyse

[49]      La Commission ne dit jamais explicitement qu’elle avait un résultat souhaité à l’esprit et qu’elle allait interpréter le paragraphe 2.4(1.1) de manière à obtenir ce résultat. Cependant, en examinant les motifs dans leur ensemble, que ce soit délibéré ou non, c’est exactement ce que la Commission a fait : elle a biaisé son analyse en faveur d’un résultat précis.

[50]      Deux indices généraux du caractère inacceptable ressortent des motifs de la Commission :

1)      Une interprétation légale inacceptable — La Commission a exposé la méthode acceptée d’interprétation des lois et la nécessité d’examiner le texte, le contexte et l’objet de la loi, au paragraphe 95. Cependant, l’analyse qui suit omet des éléments importants, notamment des éléments contextuels comme l’arrêt de la Cour suprême Entertainment Software Association. Ainsi, en cours de route, la Commission a fait dans son raisonnement des sauts qui ne peuvent être justifiés. Ces défauts fondamentaux entraînent une perte de confiance fatale dans l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) par la Commission.

2)      Une mauvaise compréhension des liens entre le droit international et le droit national — Un élément de l’objet et du contexte du paragraphe 2.4(1.1), voire un élément important, est l’article 8 du Traité. Toutefois, la Commission ne s’est pas contentée de le considérer comme un simple élément : elle a développé sa propre vue d’ensemble de l’article 8, ne l’étayant aucunement, et a imposé au paragraphe 2.4(1.1), une disposition légale nationale, un sens qui correspondait à son point de vue, qualifiant le paragraphe 2.4(1.1) de « disposition déterminative ». Ce faisant, la Commission a contrevenu à la jurisprudence contraignante qui limite les façons dont le droit international peut influencer l’interprétation du droit national.

1)         Une interprétation légale inacceptable

[51]      De l’avis de la Commission, le fait de mettre une œuvre à la disposition du public est une « communication au public par télécommunication » qui existe indépendamment de toute transmission ultérieure, telle qu’une communication ultérieure sous la forme d’une diffusion ou un acte de reproduction sous la forme d’un téléchargement. Cela signifie que deux tarifs s’appliquent, un pour la mise à la disposition du public et un autre pour la transmission ultérieure sur Internet (au paragraphe 16). Certaines parties fondent leur contestation sur cela : voir le mémoire des faits et du droit de Apple Inc. et de Apple Canada Inc., aux paragraphes 36 et 89 à 92, et le mémoire des faits et du droit de Pandora Media Inc., aux paragraphes 4, 5, 14 et 24 à 30.

[52]      La Commission n’a fourni aucun motif valable pour affirmer que le paragraphe 2.4(1.1) a cet effet.

[53]      Elle a invoqué le préambule de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur (au paragraphe 98), mais en aucun cas le préambule n’étaye l’interprétation de la Commission. La partie du préambule invoquée par la Commission est la suivante :

Attendu :

que la Loi sur le droit d’auteur est une loi-cadre importante du marché et un instrument indispensable de la politique culturelle qui, au moyen de règles claires, prévisibles et équitables, favorise la créativité et l’innovation et touche de nombreux secteurs de l’économie du savoir;

que le développement et la convergence des technologies de l’information et des communications qui relient les collectivités du monde entier présentent des possibilités et des défis qui ont une portée mondiale pour la création et l’utilisation des œuvres ou autres objets du droit d’auteur protégés;

que la protection du droit d’auteur, à l’ère numérique actuelle, est renforcée lorsque les pays adoptent des approches coordonnées, fondées sur des normes reconnues à l’échelle internationale;

que ces normes sont incluses dans le Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit d’auteur et dans le Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, adoptés à Genève en 1996;

que ces normes ne se trouvent pas toutes dans la Loi sur le droit d’auteur.

Le préambule est énoncé de façon si générale qu’il n’étaye pas l’interprétation à laquelle est parvenue la Commission. Le préambule laisse également penser que la Loi sur la modernisation du droit d’auteur vise à mettre en œuvre certaines normes du droit international, mais il est vague quant à la mesure dans laquelle la loi le fait. Il n’encourage certainement pas qu’on ne tienne pas compte du libellé précis de la Loi sur le droit d’auteur et qu’on ne fasse qu’interpréter et appliquer le droit international dans son intégralité.

[54]      La Commission s’est ensuite penchée sur les déclarations du gouvernement lors de l’adoption de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Celles-ci sont également si générales qu’elles n’appuient pas l’interprétation à laquelle est parvenue la Commission.

[55]      Il y a tout d’abord la déclaration du gouvernement lors de la présentation de la loi, au paragraphe 101. Elle ne dit rien à l’égard du paragraphe 2.4(1.1) qui pourrait étayer l’interprétation de la Commission :

Le projet de loi intitulé Loi sur la modernisation du droit d’auteur donne aux secteurs reposant sur le droit d’auteur un cadre clair pour investir dans le contenu créatif, atteindre de nouveaux marchés, lancer de nouveaux modèles d’affaires et combattre la violation du droit d’auteur dans un environnement numérique. Les titulaires du droit d’auteur sont souvent des artistes et des créateurs. La nouvelle Loi sur la modernisation du droit d’auteur favorise la créativité, l’innovation et la culture en introduisant de nouveaux droits et mesures de protection pour les artistes et les créateurs. Elle aidera ces gens à protéger leurs œuvres et veillera à ce qu’ils reçoivent une rémunération équitable pour leurs efforts.

[...]

Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, appelés collectivement Traités Internet de l’OMPI, établissent les nouveaux droits et mesures de protection des auteurs, interprètes et producteurs. Le Canada a signé ces traités en 1997. Le projet de loi permettra de mettre en œuvre les droits et mesures de protection connexes, afin qu’une future décision soit prise concernant la ratification de ces traités. Tous les titulaires du droit d’auteur auront désormais le « droit de mettre à disposition », à savoir le droit exclusif de contrôler l’affichage d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur Internet. Ainsi, il sera plus facile de déterminer si le partage non autorisé des œuvres protégées par le droit d’auteur sur les réseaux de pairs constitue ou non une violation du droit d’auteur. [Note en bas de page omise.]

[56]      Plutôt qu’étayer l’interprétation de la Commission, ce passage semble l’infirmer. Il semble indiquer que le paragraphe 2.4(1.1) est une disposition étroite, à objet limité, visant à rendre plus facile de « déterminer si le partage non autorisé des œuvres protégées par le droit d’auteur sur les réseaux de pairs constitue ou non une violation du droit d’auteur ». Mais la Commission ne s’est pas arrêtée à cet obstacle dans son cheminement vers le résultat qu’elle a atteint. Au lieu de cela, elle est passée à un autre document gouvernemental, intitulé « Droit d’auteur équilibré — Glossaire », au paragraphe 102.

[57]      Ce document ne dit rien qui étaye l’interprétation de la Commission du paragraphe 2.4(1.1). Il explique seulement que la « mise à disposition » constitue un « [d]roit exclusif pour les titulaires du droit d’auteur d’autoriser la communication au public de leur œuvre ou d’un autre objet protégé de façon à ce que le temps et l’endroit de la réception de la communication puissent être individuellement choisis par les membres du public (p. ex., iTunes) ».

[58]      En ce qui concerne le contexte, la Commission a noté que l’expression « mise à la disposition » figure ailleurs dans la loi, et elle n’a pas tiré de conclusion de ce fait, au paragraphe 106. En fait, elle reconnaît que ces « dispositions ne semblent pas faire la lumière sur la question » (au paragraphe 106).

[59]      La Commission s’est ensuite penchée sur l’importante décision de la Cour suprême Entertainment Software Association. La Cour suprême a affirmé que la « communication par télécommunication » était fondamentalement un droit d’exécution, et que le terme « communiquer » n’englobait pas des activités apparentées à la reproduction (au paragraphe 109). La Commission a ensuite écarté l’arrêt Entertainment Software Association parce qu’il est antérieur au Traité (au paragraphe 110). En fait, à partir de là, la Commission ne s’est plus intéressée au texte, au contexte ou à l’objet du paragraphe 2.4(1.1). Le Traité a pris toute la place.

[60]      Sans offrir de raisonnement à l’appui, la Commission a exposé sa propre vision très expansionniste du Traité (au paragraphe 111) :

[...] La nouvelle protection concernant la mise à disposition d’une œuvre par télécommunication visait à fournir aux titulaires de droits des outils pour poursuivre ceux qui mettent des œuvres à la disposition du public en ligne, même sans preuve de reproduction ou de communication.

[61]      Pour étayer son interprétation du verbe « communiquer » au paragraphe 2.4(1.1) afin que ce paragraphe corresponde à son point de vue sur les exigences du Traité, la Commission a examiné (aux paragraphes 113 et 114) la définition que donnent les dictionnaires du verbe « communiquer », et non la jurisprudence de la Cour suprême, plus précisément l’arrêt Entertainment Software Association. Cependant, ces définitions, où il est question de la transmission de renseignements, ne correspondent pas convenablement au libellé du paragraphe 2.4(1.1). Par ailleurs, la Cour suprême, dans l’arrêt Entertainment Software Association, a expressément rejeté ce genre d’utilisation abstraite des définitions de dictionnaires sans tenir compte du contexte (au paragraphe 31).

[62]      Cela n’a pas empêché la Commission de parvenir à la définition qu’elle préférait. À son avis, le paragraphe 2.4(1.1) était une disposition déterminative (au paragraphe 115) :

Étant donné que la mise à disposition d’une œuvre ne requiert pas qu’une transmission ait lieu, le sens ordinaire de l’énoncé « communiquer au public, par télécommunication » ne saurait correspondre au sens que lui donne le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi, lequel a donc l’effet d’une disposition déterminative.

[63]      La Commission a expliqué qu’une disposition déterminative est « une fiction juridique qui donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur reconnaît habituellement » (au paragraphe 116). Malgré le sens normal du mot « communiquer », la Commission a fait en sorte que le paragraphe 2.4(1.1) corresponde à son point de vue sur les exigences du Traité.

[64]      La méthode convenable était d’expliquer le sens de l’expression « communication au public par télécommunication » en examinant le texte, le contexte et l’objet de cette expression d’une manière réelle et utile. La Commission a abandonné cette méthode et a imposé un sens tiré de sa propre vision du Traité en cachant l’incohérence en qualifiant le paragraphe 2.4(1.1) de disposition déterminative.

[65]      La décision de la Cour suprême Entertainment Software Association mérite un examen plus approfondi parce que, selon toute analyse rationnelle, elle renvoie au sens véritable du paragraphe 2.4(1.1) et limite la Commission. Dans l’arrêt Entertainment Software Association, la Cour suprême a examiné si le mot « communiquer » à l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur visait les téléchargements d’œuvres protégées par le droit d’auteur. La Cour suprême a conclu que ce n’était pas le cas.

[66]      La Cour suprême est parvenue à cette conclusion après avoir examiné attentivement l’évolution des modes d’exécution d’une œuvre, d’abord en présence d’un auditoire sur place, puis par radiodiffusion à un auditoire éloigné, puis par communication au public par télécommunication grâce à la câblodistribution et, enfin, par Internet. Le législateur pouvait s’écarter de l’interprétation faite par la Cour suprême de l’expression « communication au public, par télécommunication », mais, à l’instar d’une dérogation au principe de la neutralité technologique, il faudrait un texte légal clair : voir Entertainment Software Association, au paragraphe 9. Les conséquences en l’espèce sont évidentes : il faudrait que le paragraphe 2.4(1.1) ait un libellé clair pour qu’il étaye la thèse de la Commission. Comme nous l’avons vu plus haut, les déclarations générales auxquelles renvoie la Commission ne signifient pas que le législateur l’ait autorisée à ne pas tenir compte de cette contrainte. C’est cependant ce qu’a fait l’interprétation de la Commission : elle a élargi le sens de la communication par télécommunication pour inclure les étapes préparatoires (la mise à la disposition) aux téléchargements.

[67]      L’interprétation de la Commission contrevient également aux contraintes imposées par les arrêts antérieurs de la Cour suprême. La Cour suprême a mis en garde contre la duplication des niveaux de règlements et de frais qui seraient source d’inefficacité et de coûts inutiles. Dans l’arrêt Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336, au paragraphe 31, la Cour suprême a conclu qu’un juste équilibre entre les titulaires de droits d’auteur et les utilisateurs exige qu’on tienne compte de l’efficacité réglementaire. Elle a ajouté à cette ligne de pensée dans l’arrêt Entertainment Software Association lorsqu’elle a estimé que la loi devait être interprétée « de manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et d’exigibilité d’une redevance qui soit uniquement fondé sur le mode de livraison de l’œuvre à l’utilisateur ». Sinon, on « imposerait en fait un coût injustifié pour l’utilisation de technologies Internet plus efficaces » (au paragraphe 9 [italique dans l’original]).

[68]      Dans l’ensemble, l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) par la Commission ne repose sur aucun fondement acceptable.

2)         Une mauvaise compréhension des liens entre le droit international et le droit national

[69]      Les termes du paragraphe 2.4(1.1) sont : « communication au public par télécommunication ». Selon la méthode acceptée d’interprétation des lois, cela aurait dû être le point de départ. Mais plutôt que de partir de là, la Commission s’y est prise autrement.

[70]      Comme il est indiqué ci-dessus, la Commission a pris l’article 8 du Traité, l’a interprété, puis a rendu le paragraphe 2.4(1.1) conforme à cette interprétation. Elle a interprété l’article 8 du Traité comme visant à protéger la mise à la disposition d’une œuvre par télécommunication, même en l’absence de transmission au public (au paragraphe 111). Elle a supposé, sans analyse, que le paragraphe 2.4(1.1) mettait en œuvre ce sens précis de l’article 8 (au paragraphe 99). Par conséquent, le paragraphe 2.4(1.1) protégeait le fait de rendre une œuvre accessible par télécommunication même en l’absence de transmission au public, comme la mise d’œuvres sur un serveur Internet en vue de leur téléchargement par les utilisateurs (au paragraphe 117).

[71]      Comme nous l’avons vu, la Commission a justifié ce résultat, sans aucune analyse à l’appui, en affirmant que le paragraphe 2.4(1.1) était une disposition déterminative. La Commission a fait en sorte que le paragraphe 2.4(1.1) corresponde à son point de vue sur le Traité au point de faire en sorte que la Loi sur le droit d’auteur signifie autre chose que ce qu’elle énonce. C’est comme si la Commission avait considéré le Traité — plus précisément son avis sur ce que signifie le Traité — comme étant le droit supérieur qui régit le droit national au Canada et comme si la Commission avait fait en sorte que la loi interne adoptée par le législateur corresponde à ce sens.

[72]      Les défendeurs défendent cette approche et nous demandent d’appliquer la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398 [Balev]. Ils affirment que, dans les faits, l’arrêt Balev rend le Traité en cause dans cette affaire contraignant en droit canadien. Ainsi, selon eux, la méthode de la Commission, soit interpréter l’article 8 du Traité et supposer ensuite que le paragraphe 2.4(1.1) a mis en œuvre cette interprétation dans son intégralité, était bonne.

[73]      Ce n’est pas ce que dit l’arrêt Balev. Dans cet arrêt, la Cour suprême a examiné la loi provinciale qui a adopté et intégré, explicitement, intégralement et sans modification, la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants [La Haye, 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35 (la Convention)]. Ainsi, dans cette affaire, la Cour suprême devait interpréter la Convention elle-même. Cela est différent de l’espèce, où le paragraphe 2.4(1.1) n’adopte ou n’intègre pas explicitement l’article 8 du Traité intégralement et sans modification.

[74]      Ce n’est pas parce que la législation nationale canadienne est adoptée alors que le Canada a signé un traité et que le préambule de la loi, comme ici, indique qu’elle vise à mettre en œuvre un traité qu’on peut supposer que le législateur a en fait adopté le traité intégralement. En fait, le législateur peut avoir restreint les dispositions du traité ou les avoir étendues. Il peut même avoir fait quelque chose complètement différent.

[75]      La décision de la Commission et de nombreuses observations à l’appui de celle-ci démontrent une mauvaise compréhension des liens entre le droit national canadien et le droit international.

a)         Les liens justes entre le droit international et le droit national

[76]      Lorsqu’ils préparent un argument juridique, certains professeurs de droit, avocats, décideurs administratifs et juges invoquent le droit international — ou parfois simplement l’impression qu’il donne — parce qu’ils le considèrent comme toujours pertinent, convaincant et contraignant. D’autres le considèrent comme un argument supplémentaire et espèrent convaincre ceux qui se laissent facilement influencer par sa provenance prestigieuse et parfois par sa large acceptation. D’autres encore y voient une source de valeurs à privilégier et de normes idéologiques, des munitions pratiques à l’appui d’une cause. Devant une Cour régit par les règles de droit, il s’agit là d’un abus du droit international.

[77]      Nous constatons ces abus trop souvent de nos jours. Le droit international n’entre dans les débats judiciaires et administratifs que de manière précise et conforme aux règles de droit établies et à notre cadre constitutionnel : voir Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73 [Nation Gitxaala (2015)].

[78]      Il est vrai que certains traités et conventions ont été signés par nombre de pays, dont certains très importants. Il est également vrai que les règles prohibitives du droit international coutumier font partie de notre common law : voir R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 [Hape], au paragraphe 39; et Nevsun Resources Ltd. c. Araya, 2020 CSC 5 [Nevsun]. Mais le droit national — comme une loi, un règlement ou un décret — qui énonce autre chose prévaut toujours. C’est pourquoi lorsque le droit national et le droit international sont tous deux susceptibles d’être pertinents à un problème juridique, il faut toujours commencer par discerner le sens véritable du droit national.

[79]      N’oublions pas pourquoi le droit national prévaut. Sur le territoire du Canada, la Constitution du Canada est la loi suprême : voir la Loi constitutionnelle de 1982, article 52. Aux termes de la Constitution, les représentants élus au Parlement fédéral et aux législatures provinciales ont le pouvoir exclusif de faire des lois : voir les articles 91 à 95 de la Loi constitutionnelle de 1867; Canada (Procureur général) c. Northern Inter-Tribal Health Authority Inc., 2020 CAF 63, [2020] 3 R.C.F. 231, au paragraphe 31; Williams, au paragraphe 49; et Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 151, [2016] 1 R.C.F. 686, au paragraphe 26. En application de notre Constitution, personne d’autre n’a le pouvoir d’établir des lois, et certainement pas les fonctionnaires non élus à l’étranger qui rédigent et règlent les instruments internationaux. À moins que le législateur n’ait fait de délégation valable au pouvoir exécutif, même celui-ci n’a pas le pouvoir de faire des lois : Williams, au paragraphe 49; R. (Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union, [2017] UKSC 5, [2018] A.C. 61, aux paragraphes 40 à 46. Sauf pour le pouvoir exceptionnel de faire des lois en vertu de la prérogative de la Couronne, un pouvoir que prévoit explicitement l’article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867, nous ne sommes soumis qu’aux lois adoptées par ceux que nous élisons et par ceux qui exercent des pouvoirs législatifs qui leur ont été valablement délégués : voir, p. ex., Hodge v. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117. Être souverain et autonome sur notre territoire et vivre dans un État démocratique, c’est être régi par des lois adoptées par les personnes que nous élisons.

[80]      Pour cette raison fondamentale, les instruments internationaux ne peuvent pas devenir des lois canadiennes sans un acte législatif national. Autrement dit, les instruments internationaux ne sont pas automatiquement exécutoires dans le droit national canadien. Ils doivent être intégrés au droit national canadien par une loi qui adopte l’instrument international en tout ou en partie ou qui établit des normes empruntées à l’instrument ou liées à celui-ci : voir Capital Cities Comm. c. C.R.T.C., [1978] 2 R.C.S. 141, aux pages 171 et 172; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et bien d’autres décisions. Si le législateur décide de ne pas adopter un instrument international précis, cet instrument ne devient pas une loi nationale contraignante : voir Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, au paragraphe 137. Ceux qui veulent qu’il soit une loi contraignante n’ont qu’un seul recours : ils doivent persuader certains politiciens de le faire.

[81]      Parfois, les instruments internationaux mènent à une loi ou en influencent les termes en totalité ou en partie. Ainsi, les instruments internationaux peuvent jouer un rôle important dans l’interprétation des lois, en faisant légitimement partie de l’analyse du texte, du contexte et de l’objet de la loi. Mais il ne s’agit pas d’une mêlée générale axée sur les résultats : ils entrent dans l’analyse, mais uniquement de manière précise et dans un but précis.

[82]      Parfois, le texte d’une loi adopte explicitement l’instrument international intégralement. Dans un tel cas, il n’y a aucun doute, et la tâche d’interprétation se résume donc à l’interprétation de l’instrument international. Il en est ainsi dans l’arrêt Balev.

[83]      Parfois, le texte d’une loi est ambigu, mais le droit international peut avoir influencé son objet ou son contexte. Dans un tel cas, il convient d’examiner l’instrument international pertinent lors de la détermination du sens véritable de la loi. Dans ce contexte, une ambiguïté signifie que la disposition est « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation », qu’elle a « deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur », ou que « le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes » : voir Bell ExpressVu, aux paragraphes 29 et 30; Westminster Bank Ltd. v. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L. (Eng.)), à la page 222; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, au paragraphe 14; et John Willis, « Statute Interpretation in a Nutshell » (1938), 16 Rev B. can. 1, aux pages 4 et 5.

[84]      Parfois, le texte d’une disposition semble clair, mais l’objet de la disposition est visé par le droit international. Dans un tel cas, il faut néanmoins examiner le droit international pour voir s’il existe des ambiguïtés latentes à résoudre dans le texte légal et, dans l’affirmative, l’utiliser avec les autres éléments du contexte et de l’objet pour résoudre l’ambiguïté latente : voir National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Baker; Canada c. Seaboard Lumber Sales Co., [1995] 3 C.F. 113 (C.A.); et Pembina County Water Resource District c. Manitoba (Gouvernement), 2017 CAF 92. Il ne s’agit là que d’une application particulière de la règle générale qui veut que même lorsque le texte de la loi est clair, il faut néanmoins examiner le contexte et l’objet de la loi afin de voir s’il existe des ambiguïtés latentes à résoudre : voir ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48; et Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 10; et voir également CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2019 CAF 147, au paragraphe 27; et Hillier, au paragraphe 24.

[85]      Si, après avoir ainsi interprété la loi nationale, la Cour conclut que la loi est claire et ne présente aucune ambiguïté patente ou latente, la Cour doit lui donner son sens véritable et l’appliquer. Cela doit être fait même en cas de conflit avec le droit international : voir Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281, au paragraphe 35; Hape, au paragraphe 54; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269, au paragraphe 50; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 700 et Nation Gitxaala (2015), au paragraphe 16. En raison de notre régime constitutionnel, le droit international ne peut servir à écarter ou modifier le sens véritable de la loi nationale.

[86]      La prise en compte du droit international dans l’interprétation légale, comme l’interprétation légale elle-même, doit être neutre, sans être axée sur le résultat et sans être tendancieuse : voir Williams, aux paragraphes 46 et 48; Hillier, au paragraphe 26; et Sharif, au paragraphe 51.

[87]      Ces principes s’appliquent aux décideurs administratifs ainsi qu’aux tribunaux judiciaires. Comme les tribunaux judiciaires, les décideurs administratifs doivent interpréter les lois en examinant leur texte, leur contexte et leur objet : voir Vavilov, aux paragraphes 120 et 121. Comme nous l’avons vu plus haut, en utilisant cette méthode, le droit international n’entre dans l’analyse que de certaines manières précises.

[88]      Cependant, les décideurs administratifs comme la Commission sont différents des tribunaux judiciaires puisqu’ils n’ont pas de compétence inhérente ou plénière. Ils ne disposent que des pouvoirs que la loi leur confère explicitement ou implicitement et ils ne doivent appliquer que les normes explicites et implicites prévues par la loi qui les lie : voir Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513, au paragraphe 16; et Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394. Ces normes peuvent intégrer le droit international ou permettre, même implicitement, la prise en compte du droit international. De plus, les règles du droit international coutumier font partie de la common law canadienne, sauf si les lois canadiennes les modifient ou en interdisent l’application ou si les lois canadiennes sont incompatibles avec elles, et les décideurs administratifs peuvent tenir compte de ces règles dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire : voir Vavilov, au paragraphe 114; Baker; Hape, au paragraphe 39; et Nevsun.

[89]      Pour défendre la décision de la Commission, certains des défendeurs ont fait valoir qu’il faut présumer que la législation nationale est conforme au droit international. Il est vrai qu’une certaine jurisprudence fait état d’une « présomption de conformité » : voir, p. ex., Vavilov, au paragraphe 182; Hape; GreCon Dimter Inc. c. J. R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401, au paragraphe 39 et suivants; et Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176. Mais le mot « présomption » peut induire dangereusement en erreur.

[90]      Les lois nationales sont présumées conformes à un traité pertinent, tout comme les lois accordant des bénéfices sont présumées avoir un objet d’amélioration et comme les lois sont présumées s’interpréter de façon équitable et large, mais l’accent, comme toujours, doit être mis sur ce que le législateur a réellement fait dans la loi : voir Hillier, aux paragraphes 37 et 38. Comme toujours, cela exige une recherche rigoureuse, impartiale et objective du sens véritable de la loi en analysant son texte, son contexte et son objet.

[91]      En fait, la présomption exige que la Cour et les décideurs administratifs tiennent compte du droit international pertinent comme élément du contexte de l’adoption de la loi, comme il est expliqué ci-dessus, à moins que la loi n’indique clairement le contraire : voir B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704. Mais la présomption ne permet pas à ceux qui interprètent la loi nationale de conclure hâtivement, sans analyse, que son sens véritable est le même que celui d’un quelconque élément du droit international. Elle ne leur permet pas non plus de déformer ou de modifier le sens véritable de la loi nationale pour la rendre conforme au droit international. Ce serait aller trop loin; notre régime constitutionnel et nos dispositions fondamentales l’interdisent.

[92]      Vu de cette façon, la présence du droit international ne nous invite pas à nous écarter de la méthode normale et acceptée d’interprétation des lois; plutôt, dans certaines circonstances bien définies, le droit international est considéré à juste titre comme faisant partie de cette méthode.

b)         La démarche de la Commission en l’espèce

[93]      En l’espèce, en fait, la Commission s’est penchée sur l’article 8 du Traité, a fait valoir son point de vue sur le sens de cet article sans aucune justification, puis a rendu le paragraphe 2.4(1.1) conforme à son point de vue. Ce n’est pas une méthode juridique acceptable. Il s’agit d’un mauvais usage du droit international. La Commission a accordé un statut supérieur au droit international par rapport au droit national. Ce faisant, elle a contrevenu aux règles imposées par la jurisprudence contraignante et les principes fondamentaux.

[94]      Dans l’ensemble, pour les motifs qui précèdent, l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) par la Commission n’est pas fondée. Elle ne peut pas être confirmée.

3)         Qu’en est-il alors du paragraphe 2.4(1.1)?

[95]      Bien que les demanderesses, et les défendeurs qui les soutiennent, aient fait valoir que la décision de la Commission est erronée et qu’ils aient demandé des déclarations à cet égard, ils n’ont pas présenté de vision d’ensemble du sens véritable du paragraphe 2.4(1.1). C’est pourquoi notre Cour ne devrait pas tenter de fournir une orientation complète.

[96]      On peut dire ce qui suit en tenant compte des observations présentées. Le paragraphe 2.4(1.1) ne crée pas un nouveau droit exclusif. La Commission a utilisé une « disposition déterminative » pour créer un droit qui, simultanément, faisait et ne faisait pas partie du droit de communication. Lorsque la disposition déterminative est mise de côté, il ne reste plus que ce que la Commission elle-même a décrit (au paragraphe 117) comme un « acte préparatoire ». Ceci est conforme à l’utilisation par le législateur des mots « constitue notamment » au paragraphe 2.4(1.1). Il serait contraire au régime de la loi d’établir un tarif pour un acte préparatoire, car cela serait une division des droits dans le but d’ajouter une couche supplémentaire de redevances : voir Radio-Canada, au paragraphe 63; et Entertainment Software Association, au paragraphe 9.

[97]      S’il n’y a pas de nouveau droit exclusif, rien ne permet à la Commission de conclure qu’une diffusion ne fait pas partie de la mise à la disposition qui l’a précédée, de sorte qu’il convient d’exiger deux redevances distinctes. Comme il n’y a qu’un seul droit en jeu, la seule question est de savoir si le droit a été déclenché, et les seules redevances à payer sont celles exigibles pour l’exercice du droit.

4)         Les mesures de redressement

[98]      Après qu’une cour de révision a jugé que l’interprétation de la loi par le décideur administratif ne peut être maintenue, elle doit examiner la question des mesures de redressement.

[99]      Le redressement habituel est d’annuler la décision administrative et de la renvoyer pour nouvelle décision parce que le législateur a fait du décideur administratif, et non de la cour qui effectue le contrôle, le décideur du fond : voir Vavilov, aux paragraphes 140 et 141. Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Les mesures de redressement sont discrétionnaires : voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 (qui porte sur le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non des mesures de redressement dans les affaires procédurales), et Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6 (qui porte sur le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non des mesures de redressement pour des vices de fond).

[100]   Parfois, la Cour n’accorde pas le redressement habituel parce qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire au décideur administratif pour une nouvelle décision : voir, p. ex., Renaud c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] 3 R.C.S. 855; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, [2012] 1 R.C.F. F-3; Robbins c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24; Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45; et Sharif, aux paragraphes 53 et 54. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec soin, en gardant à l’esprit que c’est le décideur administratif, et non le tribunal qui effectue le contrôle, qui est le décideur du fond : voir Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, à la page 361; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 16 à 19.

[101]   La Cour suprême a depuis confirmé la validité de la jurisprudence sur les réparations susmentionnée : voir Vavilov, aux paragraphes 139 à 142.

[102]   En l’espèce, il est clair qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire au décideur administratif pour une nouvelle décision. Dans sa décision connexe du 25 août 2017 (CB-CDA 2017-086), la Commission a estimé que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour lui permettre de tirer une conclusion sur ce que devrait être le tarif dans ce cas pour le fait de « mettre à la disposition ». Notre Cour a maintenant confirmé la décision connexe : 2020 CAF 101. Renvoyer le paragraphe 2.4(1.1) à la Commission pour nouvelle interprétation ne changerait pas le résultat sur le fond; aucun tarif ne serait fixé pour le fait de « mettre à la disposition ».

[103]   Les demanderesses sollicitent des déclarations quant à l’interprétation juste du paragraphe 2.4(1.1). Elles ne donnent aucun motif à l’appui de leur demande. Nous ne savons donc pas pourquoi elles souhaitent des déclarations en l’espèce.

[104]   Selon l’expérience de la Cour, de nombreuses parties ne demandent des déclarations que pour mettre en évidence leur redressement, pour le transformer, pour ainsi dire, de redressement en minuscules en redressement en majuscules. Cependant, ce n’est pas le rôle des déclarations; elles ne sont pas comme la touche « Verr. Maj. » sur un clavier, qu’on taperait pour crier.

[105]   Les déclarations, qu’on peut accorder en application de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, constituent des recours extraordinaires qu’on n’accorde uniquement lorsque cela est nécessaire et utile : voir C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332. On peut y avoir recours pour dénoncer, de manière contraignante pour tous, des actes publics, des décisions ou des dispositions légales précises qui sont contraires à la loi. On peut également y avoir recours pour délimiter, de manière concrète et contraignante pour tous, les droits ou la situation juridique des parties devant la Cour lorsque la délimitation aura une certaine utilité pratique : voir William Wade et Cristopher Forsyth, Administrative Law, 11e éd., New York : Oxford University Press, 2014, aux pages 483 à 491. Le concept clé qui sous-tend l’accessibilité aux déclarations est l’utilité pratique : voir Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99.

[106]   En l’espèce, on ne prononce pas de déclaration uniquement pour donner aux motifs d’un jugement annulant une interprétation incorrecte d’une disposition légale — qui lie déjà les autres parties, la Commission et les cours — un éclat supplémentaire sans raison pratique. Lorsque les motifs du jugement suffisent, le redressement supplémentaire qu’est une déclaration n’est d’aucune utilité pratique et ne sera pas accordé : voir Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, au paragraphe 158 et Bernard c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 23, au paragraphe 7.

[107]   En outre, en l’espèce, il n’est pas possible de prononcer de déclaration quant au sens et à l’effet définitifs et complets du paragraphe 2.4(1.1). Nous n’avons pas eu d’argumentation complète à ce sujet. En outre, cela n’aurait aucune incidence pratique sur le résultat de l’instance : compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait à l’égard du fait de « mettre à la disposition » en l’espèce, la Commission a décidé de ne pas approuver de tarif.

[108]   En l’espèce, la mesure de redressement appropriée est d’annuler la décision de la Commission concernant l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) avec dépens aux demanderesses, et rien de plus.

C.        Dispositif proposé

[109]   Pour les motifs qui précèdent, j’annulerais la décision de la Commission sur l’interprétation du paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur avec dépens aux demanderesses calculés selon le milieu de la colonne III du tarif B.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Near, J.C.A. :  Je souscris à ces motifs.

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