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[***]

2020 CF 757

DANS L’AFFAIRE d’une demande de mandats présentée par [***] en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

ET DANS L’AFFAIRE VISANT [***un État étranger, un groupe d’États étrangers, une personne morale étrangère ou une personne étrangère***]

Répertorié : Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re)

Cour fédérale, juge Gleeson—Ottawa, 12 septembre, 22 octobre et 14 décembre 2018; 27 juillet 2020.

Note de l’arrêtiste : Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].

Renseignement de sécurité — Demande de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) en vertu des art. 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité afin de collecter des informations de personnes étrangères qui travaillent au Canada — L’art. 16 autorise le Service à prêter son assistance à des ministres, « dans les limites du Canada », à la collecte d’informations sur des étrangers ou des États étrangers — Selon la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 (Les limites du Canada, CF), la collecte effectuée depuis le Canada pour de l’information à l’extérieur du Canada allait à l’encontre de la restriction « dans les limites du Canada » — Le procureur général a fait valoir que les informations pouvaient être hors des limites géographiques du Canada, mais que la méthode de collecte proposée du Service était utilisée « dans les limites du Canada »; l’art. 16 vise uniquement à restreindre le « point d’origine » de l’activité de collecte — Il s’agissait de savoir si un juge saisi d’une demande de mandats faite au titre de l’art. 16 peut, en vertu de l’art. 21, autoriser des personnes qui se trouvent dans les limites du Canada d’utiliser la méthode de collecte proposée pour obtenir des informations peu importe que les informations soient au Canada ou à l’étranger — L’assistance, « dans les limites du Canada », ne peut être interprétée de manière à signifier qu’il suffit que l’assistance soit prêtée « depuis » le Canada — Dans l’affaire Les limites du Canada, CF, la Cour a conclu à juste titre que l’interprétation correcte de l’expression « dans les limites du Canada » est « seulement au Canada » — L’art. 16 reflète les limites imposées aux activités envahissantes du Service — L’expression « dans les limites du Canada » signifie que l’assistance doit être prêtée à l’intérieur des frontières du Canada — Le législateur a accordé une grande attention à la portée géographique des différentes fonctions du Service — Il ne souhaitait pas donner à l’expression « dans les limites du Canada » une signification plus large que son sens ordinaire — Il a pris en considération l’importance de protéger les relations diplomatiques et la réputation internationale du pays et sa capacité d’obtenir des informations des gouvernements étrangers — L’art. 16 et sa restriction géographique reflètent l’équilibre entre les intérêts concurrents — L’expression « seulement au Canada » n’exige pas que toute étape, toute action ou tout élément de l’activité de collecte proposée se déroule au Canada — L’assistance est prêtée dans les limites du Canada lorsque toute « activité importante ayant trait à l’assistance ou à la collecte est menée uniquement » dans les limites du Canada — Cela est déterminé au cas par cas — La conclusion selon laquelle l’art. 16 n’interdit pas toutes les activités de collecte qui impliquent une action extraterritoriale n’était pas incompatible avec la conclusion tirée dans l’affaire Les limites du Canada, CF, selon laquelle « dans les limites du Canada » signifie « seulement au Canada » — La méthode de collecte proposée ne cadrait pas avec le principe de la courtoisie internationale ou avec des objectifs d’ordre et d’équité — L’expression « dans les limites du Canada » n’est pas plus large que l’assistance dans les limites géographiques du Canada — L’art. 21 ne confère pas à la Cour le pouvoir d’approuver des activités du Service à l’extérieur du Canada — Demande rejetée.

Interprétation des lois — Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) a demandé des mandats en vertu des art. 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité afin de collecter des informations de personnes étrangères qui travaillent au Canada — L’art. 16 autorise le Service à prêter son assistance à des ministres, « dans les limites du Canada », à la collecte d’informations sur des étrangers ou des États étrangers — Le procureur général a fait valoir que les informations pouvaient être hors des limites géographiques du Canada, mais que la méthode de collecte proposée du Service était utilisée « dans les limites du Canada »; l’art. 16 vise uniquement à restreindre le « point d’origine » de l’activité de collecte — Dans la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 la Cour a conclu à juste titre que l’interprétation correcte de l’expression « dans les limites du Canada » est « seulement au Canada » — Le sens littéral de l’expression « dans les limites du Canada » est clair et sans équivoque et il n’est pas déplacé lorsque l’expression est considérée en contexte à l’art. 16 ou en fonction d’autres dispositions de la Loi sur le SCRS — L’avancement de la technologie doit être pris en compte dans l’interprétation des lois — Toutefois, cela ne permet pas à un tribunal de vicier l’intention claire du législateur lorsque cette nouvelle technologie mène à l’exercice de l’activité même que ce dernier cherchait à limiter.

Il s’agissait d’une demande de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) afin de collecter des informations de personnes étrangères qui travaillent au Canada.

L’article 16 autorise le Service à prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, « dans les limites du Canada », à la collecte d’informations sur des étrangers ou des États étrangers. Dans la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 (Les limites du Canada, CF), la Cour a déclaré que la collecte effectuée depuis le Canada pour de l’information à l’extérieur du Canada allait à l’encontre de la restriction « dans les limites du Canada » imposée par le législateur. La Cour a conclu notamment que le législateur avait clairement l’intention de restreindre les activités menées au titre de l’article 16 à celles qui se déroulent dans les frontières du Canada. L’appel de cette décision a été rejeté dans l’arrêt Articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Re), 2018 CAF 207 (Les limites du Canada, CAF). Dans le cadre de la présente demande, le Service a affirmé que les techniques ne nécessitant pas de mandat ne lui permettraient pas d’obtenir toutes les informations requises, et a exprimé sa conviction quant à la nécessité des pouvoirs prévus dans les mandats. Bien que le Service soit toujours en mesure d’intercepter et d’obtenir des informations qui l’intéressent, il n’est plus pratique d’utiliser des méthodes antérieures pour certaines collectes. L’enjeu auquel le Service était aux prises en l’espèce ressemble à celui qui a été soulevé dans Les limites du Canada, CF. Pour collecter les informations recherchées, le Service a cerné deux méthodes de collecte, souhaitant employer l’une d’elles. Le procureur général a reconnu que les informations pouvaient être hors des limites géographiques du Canada, mais il a néanmoins soutenu que la méthode de collecte proposée était utilisée « dans les limites du Canada », aux termes de l’article 16, et que, partant, la Cour pouvait autoriser l’utilisation de cette méthode. Les faits dans la présente affaire respectaient les exigences prévues au paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS, ce qui a permis que soit décerné les mandats demandés. Il restait à se prononcer sur la question relative à l’expression « dans les limites du Canada » lorsqu’il s’agit de la méthode de collecte proposée. D’après les amici curiae, il était impossible d’affirmer à juste titre que la méthode de collecte proposée se déroule dans les limites du Canada. Ils ont soutenu en outre qu’en l’absence d’un fondement législatif exprès permettant d’agir sans égard aux lois étrangères ou internationales, la Cour n’a pas compétence pour autoriser le recours à la méthode de collecte proposée. Le procureur général s’est dit d’avis notamment que l’article 16 ne vise pas à limiter la collecte en fonction de la provenance de l’information recherchée. Il a soutenu que l’article 16 vise plutôt à restreindre le « point d’origine » de l’activité de collecte. Selon cette interprétation, le procureur général a-t-il fait valoir, la méthode de collecte proposée respecte absolument la restriction géographique prévue à l’article 16 : la collecte se déroule depuis le Canada.

Il s’agissait de savoir si un juge saisi d’une demande de mandats faite au titre de l’article 16 de la Loi sur le SCRS peut, en vertu de l’article 21 de cette même loi, autoriser des personnes qui se trouvent dans les limites du Canada d’utiliser la méthode de collecte proposée pour obtenir des informations peu importe que les informations soient au Canada ou à l’étranger.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’assistance, « dans les limites du Canada, à la collecte d’informations ou de renseignements » ne peut être interprétée de manière à signifier qu’il suffit que l’assistance soit prêtée « depuis » le Canada. Dans l’affaire Les limites du Canada, CF, la Cour a conclu à juste titre que l’interprétation correcte de l’expression « dans les limites du Canada » est « seulement au Canada ». Pour en arriver à une conclusion opposée dans la présente affaire, il aurait fallu constater que 1) la collecte d’informations en utilisant la méthode proposée peu importe qu’elles soient au Canada ou à l’étranger, respecte la restriction « dans les limites du Canada » prévue à l’article 16 de la Loi sur le SCRS; et 2) l’article 21 de la Loi sur le SCRS donne à la Cour compétence pour autoriser le Service à mener des activités qui enfreignent des lois étrangères ou internationales. Le législateur a donné au Service une autorisation limitée et contrôlée de mener des activités envahissantes pour s’acquitter de ses fonctions. L’article 16 reflète ces limites. Il définit la portée des fonctions de collecte de renseignements étrangers du Service. Le sens littéral de l’expression « dans les limites du Canada » est clair et sans équivoque : l’assistance doit être prêtée à l’intérieur des frontières du Canada. Aucun argument convaincant sur le plan de l’interprétation n’a été avancé en appui à l’affirmation selon laquelle, en raison du libellé dans lequel elle s’inscrit, l’expression « dans les limites du Canada » ne peut que signifier « depuis le Canada ». L’interprétation littérale de l’expression « dans les limites du Canada » n’est pas déplacée lorsqu’elle est considérée en contexte à l’article 16 ou en fonction d’autres dispositions de la Loi sur le SCRS. Le législateur a manifestement accordé une grande attention à la portée géographique des différentes fonctions du Service. Il y a une différence marquée entre la portée des différentes fonctions du Service, d’une part « même à l’extérieur du Canada » aux articles 12, 12.1 et 15 et, d’autre part, « dans les limites du Canada » à l’article 16. Aucun élément de l’examen contextuel de l’expression « dans les limites du Canada » n’a mené à conclure que le législateur souhaitait y donner une signification plus large que son sens ordinaire, à savoir « à l’intérieur des limites géographiques du Canada ». Le législateur a pris en considération l’importance de protéger les relations diplomatiques et la réputation internationale du pays, éléments essentiels pour que des gouvernements étrangers continuent de communiquer au Canada des informations de sécurité sensibles. L’article 16 et sa restriction géographique reflètent le souci du législateur d’en arriver à un équilibre entre les intérêts concurrents. N’est pas persuasive la proposition selon laquelle il faudrait interpréter l’article 16 de manière à autoriser la méthode de collecte proposée. Toutefois, cette interprétation n’exige pas que toute étape, toute action ou tout élément de l’activité de collecte proposée se déroule « seulement au Canada ». L’article 16, interprété adéquatement, interdit les activités de collecte qui impliquent des mesures extraterritoriales qui vont à l’encontre de l’intention du législateur ou qui comportent les risques que le législateur souhaitait atténuer. Cela doit être déterminé au cas par cas. Au minimum, ne sera pas conforme à l’article 16 une activité de collecte proposée qui implique des mesures extraterritoriales qui revêtent une importance sur le plan juridique, ou une mesure extraterritoriale proposée qui comporte les risques mêmes que le législateur souhaitait atténuer. La conclusion selon laquelle l’article 16 n’interdit pas toutes les activités de collecte qui impliquent une action extraterritoriale n’est pas incompatible avec la conclusion tirée dans l’affaire Les limites du Canada, CF, selon laquelle « dans les limites du Canada » signifie « seulement au Canada ». Pour déterminer s’il existe un lien réel et important entre le Canada et la collecte ou les informations recherchées, il est nécessaire d’étudier le lien avec « dans les limites du Canada »; il ne s’agit toutefois que d’un facteur parmi d’autres. Il y a aussi lieu de tenir compte de l’intention du législateur, des pratiques internationales et du principe de la courtoisie internationale. Il ne saurait être question d’affirmer que la méthode de collecte proposée cadre avec le principe de la courtoisie internationale ou avec des objectifs d’ordre et d’équité. L’avancement de la technologie doit être pris en compte dans l’interprétation des lois. Toutefois, cela ne permet pas à un tribunal de vicier l’intention claire du législateur lorsque cette nouvelle technologie mène à l’exercice de l’activité même que ce dernier cherchait à limiter et, donc, est à l’origine des risques et des conséquences qu’il cherchait à éviter.

En conclusion, l’article 16 limite l’assistance à celle qui est prêtée dans les limites du Canada. Rien ne permet d’élargir la signification de ce qui est suggéré par l’expression « dans les limites du Canada », l’assistance dans les limites géographiques du Canada. L’assistance est prêtée dans les limites du Canada lorsque toute « activité importante ayant trait à l’assistance ou à la collecte est menée uniquement » dans les limites du Canada. La définition d’« activité d’assistance ou de collecte importante » dépend des circonstances de chaque cas. En l’espèce, en cas de recours à la méthode de collecte proposée, il y aurait eu des activités pertinentes portant à conséquence sur le plan juridique à l’extérieur du Canada. L’article 21 de la Loi sur le SCRS ne confère pas à la Cour fédérale le pouvoir d’approuver des activités du Service à l’extérieur du Canada visé par des demandes de mandats présentées en vertu de l’article 16 qui contreviendraient aux lois étrangères ou internationales, ou au principe de non-ingérence reconnu en droit international. En arriver à une autre conclusion reviendrait à usurper le rôle du législateur.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 12, 12.1, 15, 16, 21, 21.1.

Projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois, 41e lég., 2e sess., 2015[1].

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 conf. par Articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Re), 2018 CAF 207.

décisions citées :

X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684; X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396; Alyafi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952; Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 341.

DOCTRINE CITÉE

Côté, Pierre-André. The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. Toronto : Carswell, 2011.

Ministère de la Justice. Examen du processus de demande de mandats au SCRS, Murray D. Segal, décembre 2016.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.

DEMANDE de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité afin de collecter des informations de personnes étrangères qui travaillent au Canada. Demande rejetée.

ONT COMPARU

[***], [***] et [***] pour le procureur général du Canada.

Gordon Cameron et Shantona Chaudhury en qualité d’amici curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Gordon Cameron et Shantona Chaudhury en qualité d’amici curiae.

Voici les motifs publics du jugement et le jugement rendus en français par

Le juge Gleeson :

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction

II. Contexte

III. Question

IV. Examens de l’article 16 de la Loi sur le SCRS par les tribunaux

A. Décision Les limites du Canada, CF

B. Décision Les limites du Canada, CAF

V. Analyse

A. La preuve

1) Faits convenus

2) Déposants du Service

a) Internet et [***]

b) [***La méthode de collecte proposé***]

3) [***Preuve relative aux particularités de l'information recherchée***]

a) Importance des éléments de preuve sur [***]

4) Conclusions de fait

B. Incidence de la décision Les limites du Canada, CF

C. Interprétation de l’article 16

1) Considération de la relation entre les articles 16 et 21

2) Sens de l’expression « dans les limites du Canada »

3) Observations finales

D. [***La jurisprudence relative à l'accessibilité de l'information par l'entremise de l'Internet***]

1) [***]

2) [***]

3) La jurisprudence relative au principe [***] n’offre pas d’appui

VI. Conclusion

Note explicative

La version publique du jugement et des motifs de la Cour comporte des passages caviardés pour protéger des informations dont la divulgation porterait préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales ou à la défense nationale du Canada. Il se peut que cette mesure rende difficiles à décoder les questions juridiques soulevées en l’espèce. Pour faciliter la lecture là où cela s’impose, ces passages ont été résumés. La présente note, qui offre un aperçu de ces questions juridiques en guise d’aide à la lecture, ne fait pas partie du jugement ni des motifs de la Cour.

Les motifs portent sur des demandes de mandats faites par le Service canadien du renseignement de sécurité (Service) en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) en vue de pouvoir prêter son assistance à un ministre, comme le prévoit l’article 16 de la Loi sur le SCRS. Les mandats demandés autorisaient notamment le Service à amorcer, depuis un lieu situé au Canada, la collecte d’informations à l’étranger (pouvoirs d’enquête).

La Cour s’est penchée sur la signification de l’exigence, prévue à l’article 16 de la Loi sur le SCRS, voulant que le Service prête son assistance au ministre « dans les limites du Canada ». Elle a conclu que l’exécution des pouvoirs d’enquête de la manière proposée dans les demandes ne respectait pas l’exigence en question.

En ce sens, la Cour a abondé dans le sens de l’analyse effectuée sur cette même question par le juge Noël dans la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 (X (Re)).

La Cour a aussi entendu des éléments de preuve sur des questions de fait qui n’avaient pas été soulevées devant le juge Noël. Ces éléments de preuve ont permis à la Cour de conclure sur le plan factuel que les pouvoirs d’enquête permettraient la collecte d’informations dans un ou des pays pouvant être identifiés (autre que le Canada). Cette conclusion factuelle est venue appuyer la conclusion juridique selon laquelle cet exercice ne constituerait pas une prestation d’assistance au ministre « dans les limites du Canada », et celle voulant qu’un tel exercice enfreindrait des lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international.

La Cour était d’accord avec la conclusion exprimée dans X (Re) : le législateur a inscrit — puis maintenu — l’exigence « dans les limites du Canada » à l’article 16 parce que, notamment, la collecte de renseignements étrangers par le Canada à l’étranger pourrait être préjudiciable à ses relations internationales. Selon la Cour, la preuve en l’espèce (dont le fait que les pouvoirs d’enquête seraient exercés dans un ou des pays étrangers, ce qui enfreindrait des lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international) a fait ressortir davantage que l’exercice des pouvoirs d’enquête était susceptible de causer le préjudice que le législateur avait cherché à éviter au moyen de l’exigence « dans les limites du Canada ».

Se fondant notamment sur cela, la Cour a conclu au caractère distinct d’un ensemble de décisions canadiennes traitant d’informations à l’étranger, parce qu’elles ne concernaient pas les activités de collecte allant à l’encontre de lois étrangères, de pratiques internationales ou de la courtoisie internationale.

I.          Introduction [Retour à la table des matières]

[1]        L’article 16 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Loi sur le SCRS) autorise le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) à prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, « dans les limites du Canada », à la collecte d’informations sur des étrangers ou des États étrangers. L’article 21 prévoit que, pour l’application de l’article 16, le Service peut présenter une demande de mandat à la Cour.

[2]        Dans la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 (Les limites du Canada, CF) le juge Simon Noël s’est demandé si l’expression « dans les limites du Canada » empêchait le Service d’obtenir un mandat en vertu de l’article 21 pour mener, au titre de l’article 16, des activités d’enquête qui ne se déroulent pas entièrement dans les limites du Canada. La question dont il était saisi en particulier portait sur la possibilité que la Cour puisse autoriser [***une collecte***] effectuée depuis le Canada, [***pour de l’information***] à l’extérieur du Canada.

[3]        Le juge Noël a soutenu que [***la collecte***] proposée allait à l’encontre de la restriction « dans les limites du Canada » imposée par le législateur.

[4]        La décision défavorable a été portée en appel. La Cour d’appel fédérale a alors constaté que le dossier de la preuve n’était pas assez étoffé pour lui permettre d’étudier les questions soulevées et de se prononcer. L’appel a donc été rejeté (arrêt Articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Re), 2018 CAF 207 (Les limites du Canada, CAF)).

[5]        En l’espèce, le Service s’est présenté devant la Cour pour demander l’autorisation [***de collecter des informations***] de [***personnes étrangères***] qui travaillent au Canada. Le Service s’appuie sur un dossier de la preuve qui donne réponse à une série de questions qui, selon la Cour d’appel fédérale, ont une incidence directe sur l’espèce.

[6]        J’ai étudié attentivement la preuve, dont les éléments portant sur le mode et le lieu [***de la collecte***]. Je conclus également que, dans les circonstances exposées et au moyen de la technique proposée, la Cour n’a pas compétence pour autoriser la collecte [***des informations recherchées***]. J’expose mes motifs plus loin.

II.         Contexte  [Retour à la table des matières]

[7]        En juillet 2018, la ministre [***] (ministre) a demandé par écrit au ministre de la Sécurité publique que le Service lui prête son assistance à la collecte de renseignements sur les moyens, les intentions et les activités [***d’un état étranger, d’un groupe d’états, d’une personne morale, ou d’une personne***] conformément à l’alinéa 16(3)b) de la Loi sur le SCRS. Cette assistance est demandée et accordée annuellement depuis [***] sous réserve de quelques exceptions. En août 2018, le ministre de la Sécurité publique a donné son consentement.

[8]        Par la suite, le Service a présenté la demande de mandats connexe en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS, dans laquelle le demandeur a affirmé que les techniques ne nécessitant pas de mandat ne permettraient pas au Service d’obtenir toutes les informations requises et a exprimé sa conviction quant à la nécessité des pouvoirs prévus dans les mandats. Par le passé, la Cour avait décerné au Service des mandats lui permettant de recueillir des informations sur les moyens, les intentions ou les activités [***d’un état étranger, d’un groupe d’états, d’une personne morale, ou d’une personne***].

[9]        Les mandats demandés comprenaient un mandat [***] qui autorise [***] mentionné dans le mandat, [***]. Il ne s’agit pas d’un nouveau pouvoir, et le Service [***a collecté ce type d’information électronique***] au Canada. Bien que le Service soit toujours en mesure d’intercepter et d’obtenir [***des informations***] qui l’intéressent, [***il n’est plus pratique d’utiliser des méthodes antérieures pour certaine collecte***]. [***]

[10]      [***L’enjeu***] auquel le Service est aux prises en l’espèce ressemble à celui qui a été soulevé dans Les limites du Canada, CF, que résume ci-dessous le juge Noël [aux paragraphes 6 à 9] :

[***]

Grâce aux informations et aux renseignements recueillis conformément aux mandats décernés par le passé en vertu de l’article 16, le Service pouvait fournir au ministre des informations utiles sur [***]. Le Service recevait également des informations au sujet de [***] pour lesquelles [***] était jugé essentiel afin que le Service soit en mesure de répondre aux demandes d’assistance du ministre.

[***]

[***]

[11]      Le Service estime qu’à l’instar de ce qui s’est produit dans Les limites du Canada, CF, [***]. Par conséquent, [***]. Pour parer à ce changement et [***collecter les informations recherchées***] le Service pourrait recourir à deux [***méthodes de collecte***].

[12]      [***La première méthode n’est pas la préférence du Service***].

[13]      [***La deuxième méthode est celle dont le Service cherche une autorisation à employer et est décrite en détail plus loin dans ces motifs***].

[14]      Le procureur général du Canada (procureur général) reconnaît que [***les informations peuvent être***] hors des limites géographiques du Canada, mais soutient néanmoins que [***la méthode de collecte proposée***] est utilisée « dans les limites du Canada », aux termes de l’article 16 de la Loi sur le SCRS et que, partant, la Cour peut autoriser [***l’utilisation de cette méthode***].

[15]      L’audition de la demande de mandats a eu lieu le 12 septembre 2018. J’ai été convaincu que les faits établis dans l’affidavit à l’appui et présentés par le déposant lors de son interrogatoire respectaient les exigences prévues au paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS, ce qui m’a permis de décerner les mandats demandés. Je suis demeuré saisi du dossier afin de me prononcer sur la question relative à l’expression « dans les limites du Canada » lorsqu’il [***s’agit de la méthode de collecte proposée***].

[16]      Pour aider la Cour à étudier la question soulevée, M. Gordon Cameron et Mme Shantona Chaudhury ont été nommés amici curiae (amici).

[17]      Une question similaire a été soulevée dans le dossier [***d’une demande simultanée***] qui concerne [***un état étranger, un groupe d’états, une personne morale ou une personne***] dans lequel des mandats avaient déjà été décernés. Le procureur général a présenté une requête visant à régler la question de l’expression « dans les limites du Canada ». Pour éviter la tenue de multiples audiences sur la même question juridique, la requête a été abandonnée; les dossiers Les limites du Canada, CF, [***], 2018 FCA 207 (Les limites du Canada, CAF) et [***la demande simultanée***] ont été déposés et font maintenant partie du dossier en l’espèce. J’ai donné au procureur général et aux amici la directive de porter spécifiquement à mon attention, avant ou pendant l’audition d’observations orales, tout document tiré des autres dossiers déposés sur lequel ils entendaient se fonder.

[18]      La preuve en l’espèce aborde [***] dans [***la demande simultanée***] mais porte surtout sur [***l’état étranger, le groupe d’états, la personne morale ou la personne en cause***].

III.        Question  [Retour à la table des matières]

[19]      La question dont est saisie la Cour en l’espèce est la suivante :

Un juge saisi d’une demande de mandats faite au titre de l’article 16 de la Loi sur le SCRS peut-il, en vertu de l’article 21 de cette même loi, autoriser des personnes qui se trouvent dans les limites du Canada [***d’utiliser la méthode de collecte proposée pour***] obtenir des informations [***] peu importe [***que les informations soient***] au Canada ou à l’étranger?

IV.       Examens de l’article 16 de la Loi sur le SCRS par les tribunaux [Retour à la table des matières]

[20]      Avant d’aborder les arguments présentés, il est utile de résumer les motifs du juge Noël et de la Cour d’appel fédérale dans Les limites du Canada, CF et dans Les limites du Canada, CAF, respectivement.

A.        Décision Les limites du Canada, CF [Retour à la table des matières]

[21]      Dans Les limites du Canada, CF, le juge Noël circonscrit ainsi la question : [***la méthode de collecte***] proposée [***] contrevient-elle à la restriction géographique imposée expressément à l’article 16 de la Loi sur le SCRS? Pour répondre, il analyse en profondeur la signification de l’expression « dans les limites du Canada ». Appliquant l’approche moderne ou contextuelle aux fins de l’interprétation de la disposition législative, il souligne que l’approche fondée sur le sens ordinaire ne suffit pas à interpréter un texte de loi : le contexte est essentiel. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la loi dans son ensemble (Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 19 à 21, citant Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham : Lexis Nexis, 2014; X(Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684; Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. Toronto : Carswell, 2011). Il souligne en outre que toute loi qui empiète sur les libertés civiles — notamment la Loi sur le SCRS — doit être interprétée avec circonspection. Les tribunaux doivent examiner avec attention les pouvoirs d’enquête afin qu’un juge n’autorise pas, par inadvertance, que soient outrepassés les fonctions et les pouvoirs méticuleusement prescrits par le législateur. Il y a lieu de minimiser toute atteinte aux libertés civiles et de veiller au respect de la primauté du droit (Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 22 à 29, citant la décision X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 (Données connexes)). Il conclut que le caractère défini et strict des fonctions du Service s’applique non seulement à celles qui touchent au renseignement de sécurité, mais aussi à ce qu’il décrit comme ses « fonctions secondaires », dont la collecte de renseignements étrangers dans un contexte d’assistance, au titre de l’article 16 de la Loi sur le SCRS (Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 25 à 29).

[22]      Dans son interprétation de l’article 16, le juge Noël effectue l’analyse nécessaire en trois parties de l’expression « dans les limites du Canada » (within Canada, en anglais).

[23]      En ce qui a trait au sens textuel de l’expression « dans les limites du Canada », le juge Noël conclut que le segment « dans les limites », à l’instar du mot within en anglais, est une allusion claire et sans équivoque aux frontières physiques et géographiques du pays. La collecte de renseignements étrangers par le Service se limite au Canada et est assujettie à d’autres limites et paramètres strictement prescrits par la loi (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 46). Bien que le sens de l’expression soit sans équivoque, le juge Noël souligne tout de même que cette interprétation textuelle n’est valable que si elle n’entre pas en conflit avec l’esprit et l’objet généraux de la Loi sur le SCRS.

[24]      Considérant l’expression dans son contexte élargi, le juge Noël analyse tant le régime de la Loi sur le SCRS, y compris les modifications récemment apportées, que l’historique de cette loi.

[25]      Quant au régime de la loi, il souligne que le législateur a restreint, sur le plan géographique, la portée des fonctions de collecte de renseignements étrangers du Service; il n’a pas pris expressément une telle mesure au moment de définir, à l’article 12, la fonction principale du Service, à savoir le renseignement de sécurité au Canada. Il fait aussi remarquer qu’en 2015, le législateur a modifié la Loi sur le SCRS, notamment pour préciser clairement que le Service est autorisé à mener des activités à l’étranger pour s’acquitter de ses fonctions visées à l’article 12, à savoir enquêter sur des menaces pour la sécurité du Canada (Projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois, 2e sess., 41e lég. 2015 (sanctionné le 23 avril 2015), L.C. 2015, ch. 9[2] (projet de loi C-44)). Le juge Noël fait remarquer qu’aucune modification de même nature n’a alors été apportée à l’article 16 : la restriction « dans les limites du Canada » est demeurée en place. Il conclut que le législateur avait clairement l’intention de restreindre les activités menées au titre de l’article 16 à celles qui se déroulent dans les frontières du Canada (Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 60 à 63). Pour en arriver à cette conclusion, il souligne 1) que l’article 16 prévoit expressément une restriction géographique, 2) que l’article 12 n’en prévoit pas, 3) que, malgré l’absence d’une restriction expresse, le législateur a tout de même précisé récemment qu’aucune restriction géographique ne s’applique aux fonctions conférées au Service en vertu de l’article 12, et 4) que la restriction prévue à l’article 16 a été conservée.

[26]      En ce qui a trait à l’historique législatif de la Loi sur le SCRS, le juge Noël souligne la distinction qui existe entre les fonctions du Service en matière de renseignement de sécurité et de renseignement étranger. Il recense les examens de politiques qui ont porté sur la nature des besoins du Canada en matière de collecte de renseignements étrangers au cours des quelque 40 dernières années. Il constate qu’il a été suggéré à de nombreuses reprises que la restriction « dans les limites du Canada » de l’article 16 soit supprimée et conclut que le législateur a constamment « réitéré son intention de restreindre aux limites du Canada les activités de collecte de renseignements étrangers. [Cela] représente l’intention claire du Canada de garantir que la collecte d’information et de renseignement étrangers se produise uniquement au Canada » (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 100).

[27]      Considérant l’article 16 d’une manière qui concorde avec l’objectif qu’avait le législateur au moment d’adopter la Loi sur le SCRS, le juge Noël reconnaît que le Canada a un intérêt important à l’égard [***d’information électronique***] mais que cet intérêt ne saurait mener à une interprétation pour laquelle l’article 16 autoriserait [***la collecte d’information***] à l’extérieur du Canada [***utilisant la méthode de collecte proposée***].

[28]      Le juge Noël convient qu’interpréter l’article 16 de manière à exclure la collecte, par le Service, d’informations [***à l’extérieur du Canada***] met en relief l’écart entre les fonctions du Service et du Centre de la sécurité des télécommunications en ce qui a trait à la collecte de renseignements étrangers. Reconnaissant que cet écart a toujours été, il reconnaît toutefois que l’évolution de la technologie est venue le creuser. Partant, il estime que l’écart en matière de collecte ne suffit pas à fonder une interprétation téléologique de l’article 16 qui ne concorde pas avec le sens ordinaire du libellé ni l’intention du législateur, comme l’ont révélé les deux premiers volets de l’analyse interprétative.

[29]      De même, il conclut que l’évolution de la nature de la [***] et le recours à la technologie moderne ne mènent pas à une interprétation différente de l’article 16. Citant des éléments de preuve extrinsèques, il est d’avis que le législateur ne souhaitait manifestement pas que l’article 16 soit interprété de manière à autoriser la collecte de renseignements étrangers à l’extérieur du Canada. Le parcours législatif de la Loi sur le SCRS montre que la restriction géographique avait pour but d’atténuer les risques politiques, moraux et diplomatiques de la collecte de renseignements étrangers, une activité susceptible de contrevenir à des lois internationales et étrangères. À son avis, en l’article 16, le législateur a trouvé un juste milieu entre les intérêts du Canada eu égard, d’une part, à l’obtention de renseignements étrangers de grande qualité au pays et à l’étranger et, d’autre part, à la protection de ses relations diplomatiques et de sa réputation internationale. Des activités cachées qui viendraient nuire aux relations diplomatiques du Canada et entacher sa réputation internationale iraient à l’encontre de l’intention du législateur de limiter la collecte de renseignements étrangers « dans les limites du Canada ».

[30]      Le juge Noël constate que l’interprétation téléologique avancée par la procureure générale, qui appuie l’existence d’un élément extraterritorial dans la prestation d’assistance amorcée « dans les limites du Canada », pourrait ouvrir la voie à des activités cachées telles que le piratage ou le cyberespionnage, activités qui outrepassent de beaucoup l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’article 16 et qui exposent le Canada aux risques liés à la collecte de renseignements étrangers que le législateur souhaitait atténuer grâce à l’article 16.

[31]      Il va de soi qu’en 2015, en décidant de ne pas toucher à la restriction géographique prévue à l’article 16 lorsqu’il a modifié la Loi sur le SCRS (projet de loi C-44) pour préciser les fonctions conférées au Service en vertu de l’article 12, le législateur était parfaitement conscient de l’évolution de la technologie depuis l’adoption de cette disposition législative, et était en mesure de l’anticiper. Le juge Noël conclut que l’interprétation téléologique de l’article 16 proposée par la procureure générale pourrait constituer un argument convaincant pour justifier la modification de la Loi sur le SCRS, mais qu’elle ne permet pas à la Cour de faire fi du libellé précis de la loi ni de l’objectif pour lequel la disposition législative a été adoptée.

[32]      Le juge Noël s’appuie également sur le droit international et sur les principes d’interprétation des lois selon lesquels une loi interne est réputée 1) conforme au droit international et 2) ne pas avoir d’application extraterritoriale. Il estime que ces principes appuient ses conclusions, car aucun élément de preuve ne permet de réfuter ces principes d’interprétation des lois. Il reconnaît et accepte le bien-fondé de la jurisprudence qui traite de la nature exempte de frontières d’Internet, mais rejette la notion voulant que les principes exprimés englobent [***] (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 145).

[33]      Enfin, le juge Noël se penche sur l’argument selon lequel [***la collecte***] se déroule « dans les limites du Canada », parce [***que certains aspects de la collecte***] sont posés dans les limites du Canada. Il rejette cet argument, [***] car [***d’autres aspects de la collecte***] se déroulent à l’extérieur du Canada, sur le territoire [***d’un état étranger***]. Il fait ressortir la jurisprudence relative au [***]. La présomption ne saurait être réfutée si le législateur a expressément circonscrit l’activité de collecte aux « limites du Canada ».

[34]      En conclusion, le juge Noël reconnaît qu’en droit, les informations en question ont [***plus qu’un point géographique important***]. Il constate toutefois qu’en fonction du contexte, [***ces points***] peuvent ne pas avoir la même importance sur le plan juridique, ce qui doit être pris en considération dans l’analyse. Les conséquences juridiques [***de la méthode de collecte d’information électronique proposée***] sont subies [***à l’extérieur du Canada***]. Bien que [***le processus***] soit lancée depuis le Canada, les actions ayant des conséquences juridiques — [***la collecte d’information***] — se déroulent à l’étranger. Le juge Noël conclut que le fait d’orchestrer [***la collecte***] depuis le Canada ne change pas, en substance, l’acte accompli, soit une activité de collecte cachée [***à l’extérieur du Canada***] ce qui est incompatible avec l’article 16 de la Loi sur le SCRS.

B.        Décision Les limites du Canada, CAF [Retour à la table des matières]

[35]      La procureure générale a porté le jugement en appel, dans la mesure où il signifiait le refus d’autoriser [***la collecte d’information***] à l’extérieur du Canada. En appel, la procureure générale a soutenu que la demande avait été mal caractérisée, que la Loi sur le SCRS avait été mal interprétée, et que la jurisprudence sur laquelle elle s’était fondée avait été incorrectement distinguée.

[36]      Dans son rejet de l’appel, le juge Laskin souligne qu’un ensemble de questions avaient été soulevées, qu’il pourrait y avoir lieu d’examiner. Toutefois, il conclut que le dossier de la preuve n’était pas assez étoffé pour permettre d’étudier adéquatement ces questions, et ce, même si le juge désigné avait demandé des éléments de preuve qui expliqueraient clairement et explicitement ce qui se passait (Les limites du Canada, CAF, aux paragraphes 5 et 29). Il ajoute que le rejet de l’appel n’empêche en rien qu’une future demande puisse comporter suffisamment d’informations précises pour montrer que les pouvoirs demandés sont conformes à l’article 16 de la Loi sur le SCRS. Il recense 13 questions dont une grande partie — voire la totalité — avait une incidence directe sur les enjeux dont était saisie la Cour [aux paragraphes 30–31] :

À titre d’exemple, la preuve laisse sans réponse les questions suivantes, entre autres.

▪    En quoi consiste la [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

▪    [***]

Ces questions ou, au minimum, nombre d’entre elles, ont une incidence directe sur les enjeux dont est saisie la Cour en l’espèce.

V.        Analyse  [Retour à la table des matières]

[37]      Le procureur général soutient qu’en raison du dossier et de la jurisprudence applicable, la Cour n’a d’autre choix que de conclure que [***la méthode de collecte proposée***] se déroule « dans les limites du Canada ». À son avis, la Cour doit conclure que [***la méthode de collecte proposée***] peut être autorisée, peu importe qu’elle examine la question sous l’angle de la compétence, de l’interprétation de la loi ou d’une question de fait.

[38]      D’après les amici, il est impossible d’affirmer à juste titre que [***la méthode de collecte proposée***] se déroule dans les limites du Canada. Ils ajoutent que, même si c’était le cas, [***la méthode de collecte proposée***] contrevient à des lois étrangères et internationales. Ils soutiennent qu’en l’absence d’un fondement législatif exprès permettant d’agir sans égard aux lois étrangères ou internationales, la Cour n’a pas compétence pour autoriser le recours [***à la méthode de collecte proposée***].

[39]      Reconnaissant les lacunes dans la preuve relevées par la Cour d’appel [fédérale] dans Les limites du Canada, CAF, je vais d’abord examiner la preuve de façon assez détaillée avant d’établir mes principales constatations quant aux faits.

A.        La preuve  [Retour à la table des matières]

[40]      D’entrée de jeu, je souligne de nouveau que ces questions ont aussi été soulevées dans le dossier [***d’une demande simultanée***] qui porte sur [***un état étranger, un groupe d’états, une personne morale ou une personne***]. Bien que je sois saisi de ce dossier, la preuve en l’espèce est axée sur [***l’état étranger, le groupe d’états, la personne morale, ou la personne en cause***]. À mon avis, à tous égards importants, les éléments de preuve concordent, qu’ils aient trait à [***l’état étranger, le groupe d’états, la personne morale, ou la personne en cause***] ou à [***la demande simultanée***]. Le procureur général n’a pas manifesté de désaccord à ce propos, et les différences éventuelles n’ont pas d’incidence sur mes conclusions.

[41]      J’ajoute que, même si le dossier qui m’a été remis est plus détaillé et précis que celui dans Les limites du Canada, CF, il concorde dans l’ensemble avec ce dont disposait le juge Noël.

1)         Faits convenus  [Retour à la table des matières]

[42]      Les amici et le procureur général se sont entendus sur l’énoncé suivant :

La Cour peut raisonnablement inférer que la collecte d’informations, effectuée de la manière décrite dans la question dont est saisie la Cour, constituera une infraction aux [***lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international***] dont relève l’endroit où [***les aspects de la collecte se produiront***].

2)         Déposants du Service  [Retour à la table des matières]

[43]      Le Service a déposé trois affidavits en appui à la demande. Celui de [***la déposante***], comme il en a été question plus en détail au cours de son témoignage de vive voix, porte sur la manière dont le Service propose de recueillir des informations [***]. Je donne ci-dessous un simple résumé de son témoignage.

[44]      [***La déposante***] est la superviseure de [***] à la Direction [***] du SCRS, [***]. Les éléments de preuve qu’elle a apportés comportent deux volets. En premier lieu, ils traitent de la circulation des données sur Internet : [***] la façon d’accéder à ces données par l’utilisateur ainsi que [***]. Ils portent ensuite sur la manière dont le Service entend [***collecter l’information***].

a)         Internet et [***]  [Retour à la table des matières]

[45]      Selon la description qu’en fait [***la déposante***], Internet est un réseau qui se compose d’une série d’appareils électroniques (notamment des ordinateurs et des appareils mobiles) et de pièces d’équipement de réseau (appareils) interreliés par des dispositifs filaires et sans fil. Ces appareils reçoivent, transmettent et interprètent des signaux leur permettant d’accomplir des tâches, dont certaines se déroulent en arrière-plan et ne sont pas apparentes pour l’utilisateur d’Internet ou de l’appareil connecté. Ces tâches d’arrière-plan comprennent l’acheminement des demandes d’informations et la transmission des informations qui permettent à l’utilisateur, par exemple, de consulter des sites Web, d’utiliser les médias sociaux, de faire des opérations bancaires ou commerciales en ligne ainsi que de recevoir et d’envoyer des courriels.

[46]      Chaque appareil comporte une adresse IP (protocole Internet) unique qui facilite la circulation d’informations vers le bon appareil destinataire. L’utilisateur n’a pas besoin de connaître les adresses IP pour accéder à un appareil contenant les informations qui l’intéressent. Il utilise plutôt un navigateur Web pour consulter des pages Web, et ce, grâce au nom de la page ou du site Web. L’appareil et le réseau effectueront le jumelage entre le nom du site Web et la bonne adresse IP. Le fait d’accéder à des informations par l’entremise d’un réseau ne permet pas à l’utilisateur de déterminer où elles sont stockées ni où elles se trouvent. Aucune de ces activités ne requiert de connaissances techniques particulières de l’Internet et son fonctionnement.

[47]      Des protocoles précis servent à établir la connexion entre des appareils. Tout appareil connecté à Internet peut présenter une requête à un autre appareil connecté : la requête est acheminée par Internet à l’adresse IP ainsi recherchée. L’appareil qui la reçoit déterminera s’il y a lieu de répondre et, dans l’affirmative, comment le faire. S’ensuit un processus de négociation, la « prise de contact », qui sous-tend l’établissement de communications entre les appareils. Rien de tout cela ne requiert d’intervention humaine.

[48]      [***Une discussion des preuves relatives à la technologie d’Internet, y compris la manière dont l’information électronique est transmise, enregistrée et stockée***].

[49]      [***Une discussion des preuves relatives à la technologie d’Internet, y compris la manière dont l’information électronique est transmise, enregistrée et stockée***].

[50]      [***Une discussion des preuves relatives à la technologie d’Internet, y compris la manière dont l’information électronique est transmise, enregistrée et stockée***].

b)         [***La méthode de collecte proposée***]  [Retour à la table des matières]

[51]      [***En se fondant sur la revue de l’affaire, le Service a identifié certains, mais pas toutes les particularités qu’il cherchait, au sujet de l’information***].

[52]      [***Le Service propose d’accéder l’information recherchée en utilisant la méthode proposée***].

[53]      [***Description de la méthode de collecte proposée***]. [***] Les informations ainsi recueillies seraient celles qui permettent de répondre à la demande d’assistance du ministre des Affaires étrangères ou de la Défense nationale. Il peut s’agir de tous les types d’informations susmentionnés.

[54]      Le Service peut procéder autrement, c’est-à-dire [***Description de la méthode de collecte proposée***].

[55]      [***Description de la méthode de collecte proposée***].

[56]      [***Description de la méthode de collecte proposée***].

[57]      [***Description de la méthode de collecte proposée***].

[58]      [***Description de la méthode de collecte proposée***].

[59]      [***La méthode de collecte proposée***] permet d’accéder à des informations [***] d’intérêt [***la méthode de collecte proposée***] ne s’agit pas [***].

[60]      [***Description de la méthode de collecte proposée***].

[61]      [***Description de la méthode de collecte proposée***].

3)         [***Preuve relative aux particularités de l’information recherchée***]  [Retour à la table des matières]

[62]      [***La déposante***] n’a pas abordé [***] dans son affidavit. Toutefois, les amici l’ont interrogée à ce propos.

[63]      Selon la description qu’en a faite [***la déposante***] s’entend de [***] [***La déposante***] a reconnu que [***].

[64]      Les amici ont soumis à l’attention de [***la déposante***] une série de documents (pièces A-2 à A-13) portant sur [***les particularités de l’information recherchée par le Service***]. Il s’agit notamment d’une série de reportages médiatiques et de documents [***] précisant les éléments suivants : [***].

[65]      [***La déposante***] a affirmé que ses recherches ne lui ont pas permis d’apprendre ces informations qui, a-t-elle reconnu, permettent de présumer que les [***] ce qu’elle n’a pas pu vérifier :

[traduction]

R.  Je ne peux pas me prononcer sur l’exactitude des informations publiées. Je n’ai aucun moyen de les vérifier par moi-même.

Q. D’accord, je vous remercie. Vous n’avez aucun moyen de les vérifier par vous-même. Toutefois, avez-vous des raisons de revenir sur la déclaration que vous avez faite dans votre affidavit, selon laquelle le Service [***ne peut pas vérifier les particularités de l’information recherchée***]?

R.  Nous n’avons toujours aucun moyen de vérifier cela. À en juger par tous ces articles, il semble très probable [***] Mais je n’ai aucun moyen de vérifier ces informations.

Q. Pouvez-vous jeter un coup d’œil au paragraphe 26 de votre affidavit? Parce que je vais vous demander de repenser à votre réponse à cette question. Avez-vous le paragraphe 26 devant vous?

R.  Oui, je l’ai.

Q. Les propos que vous utilisez au sujet de [***] sont presque les mêmes – ils sont identiques, pourrait-on soutenir – que ceux que vous tenez à l’égard de [***] respectivement. Ce que vous dites, c’est que même si [***]. Je lis un extrait du milieu du paragraphe 26 :

[***]

Je vous le demande : compte tenu des informations qui vous ont été présentées au cours de la dernière heure, maintiendriez-vous qu’il n’existe en pratique aucun moyen de vérifier [***les particularités de l’information recherchée***]?

R.  Je maintiens ma déclaration : je n’ai aucun moyen de vérifier. Compte tenu des informations que vous m’avez présentées, je pourrais certainement renforcer mes propos, affirmer qu’il est probable que [***] mais il m’est impossible de le vérifier.

Q. D’accord. Je crois qu’il nous faut passer à un autre sujet. [Non souligné dans l’original.]

[66]      [***La déposante***] a aussi reconnu [***] bien que ce ne soit pas vrai dans tous les cas :

[traduction]

LE JUGE GLEESON : D’accord. J’en suis encore au paragraphe 37 [de l’affidavit de [***la déposante***]. Selon la phrase suivante :

[***]

À la lumière de votre discussion de cet avant-midi avec M. Cameron [***] est-ce une affirmation que vous maintenez?

LE TÉMOIN : Compte tenu des informations dont nous avons discuté aujourd’hui, il y en a certainement quelques-unes qui en [***]

En général, [***] mais c’est le cas de certains.

LE JUGE GLEESON : Vous avez abordé plus tôt, dans votre témoignage [***]

LE TÉMOIN : Oui.

LE JUGE GLEESON : À votre avis, ces [***] font-ils partie [***]

LE TÉMOIN : Oui.

LE JUGE GLEESON : Peut-on présumer que vous considéreriez [***] comme des [***]

LE TÉMOIN : C’est le cas.

a)         Importance des éléments de preuve sur [***]  [Retour à la table des matières]

[67]      Le procureur général soutient que les éléments de preuve relatifs [***] n’ont que peu d’utilité eu égard à la question dont est saisie la Cour. À son avis, les documents [***] reflètent simplement [***] et rien dans la preuve ne permet d’assurer que [***]. Le procureur général souligne ensuite que le Service n’est pas en mesure de vérifier la véracité des affirmations dont fait état la preuve documentaire, notamment en ce qui a trait [***aux particularités de l’information recherchée***]. À son avis, laisser entendre que le Service serait tenu de vérifier [***toutes les particularités relatives à l’information recherchée***] imposerait un fardeau insupportable, compte tenu du grand nombre de possibilités relatives [***à l’information sur l’Internet***].

[68]      L’argument selon lequel les éléments de preuve sur [***] ne sont utiles que si [***toutes les particularités de l’information***] peut être vérifié, vérification qui impose au Service un fardeau insupportable, est tout simplement indéfendable.

[69]      Lorsqu’il fait une demande de mandats, le Service est tenu de fournir à la Cour, dans la mesure du raisonnable, toute information utile. Pour s’acquitter de cette obligation, le Service ne peut pas se contenter de lui présenter les informations qu’il connaît ou qu’il a en sa possession. Une demande présentée ex parte implique de procéder à des recherches, encore une fois dans la mesure du raisonnable, pour que la Cour puisse disposer de toute information utile disponible. Bien qu’il puisse être ardu de s’acquitter d’une telle obligation, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’il incombe à la Cour de décider des faits pertinents (Murray D. Segal, Examen du processus de demande de mandats au SCRS, décembre 2016, à la page 36).

[70]      En l’espèce, les éléments de preuve qui [***se rapportent aux particularités de l’information recherchée***] peuvent être pertinents, ce que met en relief l’affidavit de [***la déposante***] qui fait de nombreuses allusions générales aux faits que [***pas toutes les particularités de l’information sont connues***] et que les recherches entreprises permettent uniquement de conclure en toute certitude que [***].

[71]      Les éléments de preuve sur [***] portent précisément sur ces questions. Il n’y a pas lieu de dissiper tout doute au sujet de la preuve avant qu’elle puisse être utile à la Cour. Lorsqu’un fait n’est pas établi en preuve avec une certitude absolue, ou qu’il préfère que la preuve soit abordée sous un certain angle, le Service peut présenter à la Cour des observations à cet effet. Le Service est tenu de faire toutes les recherches raisonnables eu égard aux questions soulevées dans une demande et d’en soumettre les résultats à la Cour. En l’espèce, j’ai eu à ma disposition la preuve sur [***]. Il est regrettable toutefois que les recherches nécessaires sur cette question aient été menées par les amici, et pas, à l’origine, par le Service.

[72]      Selon la preuve sur [***] (pièce A-1, à la page 2). Ces éléments de preuve dévoilent [***] et montrent que [***] (pièce A-1, à la page 2).

[73]      En l’absence des éléments de preuve concernant [***la déposante***] a souligné dans son affidavit qu’elle estimait que [***]. Après avoir pris connaissance desdits éléments de preuve, elle a reconnu [***]

[74]      Je reconnais que, dans son témoignage, [***la déposante***] a affirmé ne pas être en mesure de vérifier que [***] concordent bel et bien avec les éléments de preuve sur [***]. Toutefois, ceux-ci ne se contredisent pas entre eux ni ne contredisent les autres éléments de preuve présentés à la Cour, y compris ceux qu’a amenés [***la déposante***]. En outre, rien n’est venu les contredire. Le procureur général a soulevé des préoccupations générales quant à l’utilité probante des reportages médiatiques, mais ne les a pas précisées.

4)         Conclusions de fait  [Retour à la table des matières]

[75]      Voici mes principales conclusions de fait, selon la prépondérance des probabilités :

A.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

B.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

C.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

D.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

E.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

F.         [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

G.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

H.        Le Service recourt à [***des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***] depuis le Canada.

I.          [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

J.         Une fois [***des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***] depuis le Canada, aucune intervention humaine n’est nécessaire jusqu’à ce que [***].

K.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

L.         [***La méthode de collecte proposée***] entraîne un accès [***] aux informations [***] et il est raisonnable de présumer, en l’espèce, que cet accès constitue aussi une infraction aux [***lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international***].

M.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

N.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

O.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***]. Il n’y a aucun accès aux autres informations [***] et il n’y a pas de répercussions pour celles-ci.

P.        [***Des constatations factuelles concernant des problèmes techniques et/ou géopolitiques liés à l’information recherchée et/ou la méthode proposée pour les obtenir***].

B.        Incidence de la décision Les limites du Canada, CF  [Retour à la table des matières]

[76]      Le procureur général est d’avis que, dans son analyse interprétative, le juge Noël n’a pas tenu compte adéquatement des modifications apportées par le projet de loi C-44 ni des principes de l’extraterritorialité et de la courtoisie judiciaire. Toutefois, le procureur général ne remet pas en question les grandes conclusions du juge quant à la signification de l’expression « dans les limites du Canada » ou à l’intention du législateur lorsqu’il a imposé la restriction géographique prévue à l’article 16.

[77]      Le procureur général soutient plutôt qu’une interprétation contextuelle de l’article 16 doit prendre en considération la compétence du juge désigné de décerner un mandat, comme le prévoit l’article 21. [***Les méthodes proposées concernant le lieu et l’information recherchée***] doivent être définis adéquatement. Selon le procureur général, cela pousse à conclure que la restriction « dans les limites du Canada » exige uniquement que la collecte se déroule « depuis » le Canada, plutôt que depuis l’étranger. À son avis, cette interprétation de la restriction géographique concorde pleinement avec la jurisprudence qui reconnaît [***la nature sans frontières de l’Internet***].

[78]      J’adopte l’analyse interprétative du juge Noël, puisque celle-ci n’a pas été remise en question, sauf quand je précise le contraire dans l’examen des observations présentées. Cette approche reflète tant les arguments offerts que le principe de la courtoisie judiciaire, qui vise à favoriser la cohérence entre les juges d’un même tribunal dans les affaires qui mettent en cause des faits, des éléments de preuve et des arguments très similaires.

[79]      Il y a généralement lieu de respecter le principe de la courtoisie judiciaire, même s’il n’est pas habituellement considéré comme étant contraignant dans la même mesure que le stare decisis, à moins que les circonstances ne justifient que le juge s’écarte de la décision rendue antérieurement. Ces circonstances n’ont pas été formulées catégoriquement. Toutefois, selon la jurisprudence, il y a généralement lieu de respecter le principe, à moins 1) que les faits diffèrent, 2) qu’une question différente se pose, 3) que la décision antérieure soit manifestement erronée, 4) que des décisions subséquentes aient remis en question la validité de la décision antérieure, 5) que la décision antérieure ait été rendue sans que l’ensemble des précédents faisant autorité aient pu être pris en considération ou 6) que l’application de la décision entraînerait une injustice (Alyafi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 45; Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 341).

[80]      Dans le rejet de l’appel dans l’arrêt Les limites du Canada, CAF, le juge Laskin souligne que ce rejet n’empêche en rien que, dans le cadre d’une demande future, des éléments de preuve soient suffisamment précis pour établir qu’octroyer le pouvoir en question respecte les exigences de l’article 16.

[81]      Je dois donc déterminer si le dossier étoffé qui m’a été confié m’amène à une conclusion différente de celle qui a été formulée dans la décision Les limites du Canada, CF. Je conviens avec les amici que, pour en arriver à une conclusion opposée, je dois constater que :

la collecte [***d’informations***] [***en utilisant la méthode proposée***] peu importe [***qu’elles soient***] au Canada ou à l’étranger, respecte la restriction « dans les limites du Canada » prévue à l’article 16 de la Loi sur le SCRS; et

l’article 21 de la Loi sur le SCRS donne à la Cour compétence pour autoriser le Service à mener des activités qui enfreignent des lois étrangères ou internationales.

C.        Interprétation de l’article 16  [Retour à la table des matières]

1)         Considération de la relation entre les articles 16 et 21  [Retour à la table des matières]

[82]      Comme il a été souligné plus haut, le procureur général soutient qu’il faut interpréter l’article 16 de manière à donner effet à la relation qui existe entre les articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS. À son avis, pour donner une interprétation adéquate à la restriction « dans les limites du Canada », il est d’abord nécessaire de définir adéquatement [***la collecte***] à entreprendre et d’examiner ce que l’article 21 de la Loi sur le SCRS permet au juge saisi d’une demande de mandats faite par le Service.

[83]      Voici l’article 21 de la Loi sur le SCRS :

Demande de mandat

21 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada, sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.       

Contenu de la demande

(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

b) le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

c) les catégories de communication dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont à autoriser;

d) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d’un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures présentées au titre du paragraphe (1) touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

[84]      Le procureur général souligne que, pour décerner un mandat, la Cour doit être convaincue que la demande, notamment, fait état [***des informations à collecter***] et des lieux [***où les informations seront collectées***]. Toutefois, [***concernant les informations à collecter***] et de la description du lieu [***où les informations seront collectées***] le législateur a adopté une approche large et libérale. D’après le procureur général, une telle approche a son importance dans le contexte [***de l’information en question, car la provenance est difficile à décrire et la terminologie ne correspond pas au type de collecte***].

[85]      Le procureur général fait valoir que, dans la décision Les limites du Canada, CF, [***un lieu a été attribué à un certain aspect de la collecte***]. Toutefois, la difficulté [***d’attribuer la provenance à des informations dans ce contexte***] est reconnue dans la jurisprudence [***]. Selon le procureur général, il n’y a pas lieu de traiter de cette question [***] qui peut être épineuse, [***dans le cadre particulier de cette demande***]. À son avis, cette approche tient mieux compte [***des caractéristiques des informations recherchées***] et permet au Service d’avoir un accès constant aux informations dans l’exercice de ses fonctions, peu importe les connaissances dont il dispose [***sur les particularités de l’information***].

[86]      Le procureur général ajoute qu’aux termes du paragraphe 21(3), le juge autorise le Service à [***collecter de l’information***]. Ce libellé ne contraint pas la Cour à n’autoriser que [***] et [***la méthode de collecte proposée***] ne revient pas à [***]. Elle permet plutôt au Service, depuis le Canada, [***de collecter les informations recherchées***]. Le pouvoir demandé vise [***] — et aura pour résultat [***la collecte de l’information***] par le Service. Cette caractérisation des activités concorde avec le contexte légal établi à l’article 21 et reflète les réalités technologiques d’aujourd’hui.

[87]      À mon avis, le fait que le procureur général se fonde sur la nature générale des [***types d’informations en question***] — pour soutenir [***que le type d’information en question se conforme au***] paragraphe 21(2) n’est d’aucune aide, et ce, pour deux raisons.

[88]      En premier lieu, les caractéristiques générales des [***types d’informations en question***] lesquelles s’appuie le procureur général, bien qu’elles ne soient pas contestées, ne concordent tout simplement pas avec les éléments de preuve dont je dispose. Les [***informations recherchées en utilisant la méthode proposée***] se situent [***à l’extérieur du Canada***]. En outre, toujours selon ce que démontre la preuve, [***]. Rien dans la preuve ne permet d’établir la moindre circonstance où [***].

[89]      L’impossibilité d’établir avec certitude [***les particularités de l’information***] n’appuie pas l’opinion du procureur général, selon qui l’article 16 permet la collecte « depuis » le Canada.

[90]      En second lieu, il n’importe en rien [***] ou — de l’avis des amici — [***] mais que ce terme désigne simplement [***une étiquette pour les informations recherchées***]. Il est plutôt nécessaire d’examiner l’objectif du recours [***à la méthode de collecte proposée***].

[91] [***Description et caractérisation légale de la méthode de collecte proposée***].

[92]      À mon avis, il ne suffit pas de démontrer qu’une demande satisfait les alinéas 21(2)a) à f) pour qu’un juge soit autorisé à décerner un mandat en vertu de l’article 21. Cette disposition exige en outre que le juge soit convaincu que le mandat demandé soit nécessaire pour permettre au Service « d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 » (alinéa 21(2)b)). Le juge doit donc avoir la conviction que la collecte proposée respecte les limites imposées par l’article 16 à la collecte de renseignements étrangers, notamment, bien sûr, la restriction géographique.

[93]      Je ne suis pas convaincu que les exigences prévues au paragraphe 21(2) ni une démonstration du respect de ces exigences contribuent à l’interprétation de l’article 16. Toutefois, pour une autre raison, l’article 21, de pair avec les articles 12 et 12.1 de la Loi sur le SCRS, s’avèrent utiles pour cette interprétation.

[94]      Les articles 12 et 12.1 autorisent expressément le déroulement des activités visées « même à l’extérieur du Canada ». L’article 21 constitue l’autorisation judiciaire de mener des « activités à l’extérieur du Canada » dans le cadre d’une enquête visée par l’article 12 ou de mesures de réduction d’une menace pour la sécurité du Canada (paragraphes 21(3.1) et 21.1(4)). Il y a lieu de souligner le contraste, d’une part, entre l’autorisation donnée par le législateur de mener des activités extraterritoriales en ces occurrences et, d’autre part, la restriction géographique expressément prévue à l’article 16 (l’assistance dans les limites du Canada) et le mutisme de l’article 21 quant à l’autorisation judiciaire de prêter assistance, à l’extérieur du territoire, à la collecte en vertu d’un mandat décerné au titre de l’article 16. Pour interpréter l’article 16, il est impératif de prendre en considération cette approche distinctement différente de la définition de la portée géographique des fonctions séparées du Service ainsi que le pouvoir de la Cour d’autoriser les activités extraterritoriales.

2)         Sens de l’expression « dans les limites du Canada »  [Retour à la table des matières]

[95]      S’intéressant ensuite à l’article 16, le procureur général soutient que le sens grammatical et ordinaire de l’expression « dans les limites du Canada » doit être considéré en contexte, en fonction du libellé de l’article 16 et, comme il a été mentionné plus haut, en fonction d’autres articles de la Loi sur le SCRS.

[96]      L’article 16 autorise le Service à prêter son assistance « à la collecte d’informations ou de renseignements sur » des étrangers ou des États étrangers. Selon le procureur général, interprété adéquatement, ce passage signifie que la collecte d’informations ou de renseignements doit s’effectuer « depuis le Canada » plutôt qu’à l’étranger.

[97]      Le procureur général est d’avis que l’article 16 ne vise pas à limiter la collecte en fonction [***de la provenance de l’information recherchée***]. Il soutient plutôt que l’article 16, interprété adéquatement, vise à restreindre le « point d’origine » de l’activité de collecte. Selon cette interprétation, [***la méthode de collecte proposée***] respecte absolument la restriction géographique prévue à l’article 16 : la collecte se déroule depuis le Canada.

[98]      Voici l’article 16 de la Loi sur le SCRS :

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Assistance

16 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Service peut, dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada, prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, dans les limites du Canada, à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités :

a) d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers;

b) d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes :

(i) les citoyens canadiens,

(ii) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,

(iii) les personnes morales constituées sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale.

Restriction

(2) L’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées à l’alinéa (1)b).

Consentement personnel des ministres

(3) L’exercice par le Service des fonctions visées au paragraphe (1) est subordonné :

a) à une demande personnelle écrite du ministre de la Défense nationale ou du ministre des Affaires étrangères;

b) au consentement personnel écrit du ministre. [Non souligné dans l’original.]

[99]      Le législateur a donné au Service une autorisation limitée et contrôlée de mener des activités envahissantes pour s’acquitter de ses fonctions. L’article 16 reflète ces limites. Il définit la portée des fonctions de collecte de renseignements étrangers du Service (Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 38–44). Dans son interprétation d’une loi qui permet que soient menées des activités envahissantes dans l’intérêt de l’État, la Cour doit se laisser guider par les principes qui figurent dans cette loi. Il y a lieu de limiter et de contrôler l’exercice de pouvoirs intrusifs (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 25).

[100]   Les principes législatifs de « limites et de contrôles » sont manifestes à l’article 16. La collecte de renseignements étrangers par le Service est subordonnée à une demande personnelle écrite du ministre de la Défense nationale ou des Affaires étrangères. L’assistance se limite à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’étrangers ou d’États étrangers, et elle doit être prêtée « dans les limites du Canada ». Le sens littéral de ce libellé est clair et sans équivoque : l’assistance doit être prêtée à l’intérieur des frontières du Canada (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 47).

[101]   Aucun argument convaincant sur le plan de l’interprétation n’a été avancé en appui à l’affirmation du procureur général selon qui, en raison du libellé dans lequel elle s’inscrit, l’expression « dans les limites du Canada » ne peut que signifier « depuis le Canada ». Il se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans [***]. Comme je l’exprime plus loin, cette décision se distingue de l’espèce.

[102]   L’interprétation littérale de l’expression « dans les limites du Canada » n’est pas déplacée lorsqu’elle est considérée en contexte à l’article 16 ou en fonction d’autres dispositions de la Loi sur le SCRS. J’ai abordé les pouvoirs extraterritoriaux prévus aux articles 12, 12.1, 21 et 21.1 et les ai mis en opposition avec la restriction géographique prévue expressément à l’article 16. Je souligne en outre qu’une définition vient appuyer les fonctions conférées au Service en vertu de l’article 12, celle de « menaces envers la sécurité du Canada » (article 2), qui fait état d’activités « qui touchent le Canada ou s’y déroulent ». De plus, l’article 15 autorise le Service à mener des enquêtes en vue des évaluations de sécurité. Dans le projet de loi C-44, le législateur a également précisé que le Service pouvait s’acquitter des fonctions « même à l’extérieur du Canada » (projet de loi C-44, ch. 9, article 4).

[103]   Le législateur a manifestement accordé une grande attention à la portée géographique des différentes fonctions du Service. Cette question ne se pose pas eu égard à un seul article de la Loi sur le SCRS, mais plutôt à la plupart, voire à toutes les activités qui relèvent des fonctions du Service (articles 12, 12.1, 15 et 16). S’agissant des articles 21 et 21.1, le législateur a aussi pris en considération la question de l’extraterritorialité relative aux autorisations judiciaires. Ce faisant, il a adopté la restriction géographique prévue à l’article 16, qui est une disposition unique dans la Loi sur le SCRS.

[104]   À l’instar du juge Noël, je ne peux que conclure que le législateur a eu l’intention de bien marquer la différence entre la portée des différentes fonctions du Service, d’une part « même à l’extérieur du Canada » aux articles 12, 12.1 et 15 et, d’autre part, « dans les limites du Canada » à l’article 16. Aucun élément de l’examen contextuel de l’expression « dans les limites du Canada » ne m’amène à conclure que le législateur souhaitait y donner une signification plus large que son sens ordinaire, à savoir « à l’intérieur des limites géographiques du Canada ».

[105]   L’approche téléologique de l’interprétation de cette expression, qui exige que la Cour étudie tant l’objectif général de la loi que celui de l’article en question, ne me permet pas d’en arriver à une conclusion différente.

[106]   Le procureur général n’a pas contesté l’analyse téléologique exhaustive qu’a effectuée le juge Noël dans la décision Les limites du Canada, CF. Celui-ci conclut que le législateur a reconnu l’intérêt et les besoins du Canada en matière de renseignements étrangers de grande qualité au pays et à l’étranger. Toutefois, le législateur a également pris en considération l’importance de protéger les relations diplomatiques et la réputation internationale du pays, éléments essentiels pour que des gouvernements étrangers continuent de communiquer au Canada des informations de sécurité sensibles qu’il n’est pas en mesure de recueillir et d’évaluer par lui-même.

[107]   L’article 16 et sa restriction géographique reflètent le souci du législateur d’en arriver à un équilibre entre les intérêts concurrents, ce qui l’a mené à inclure dans la Loi sur le SCRS une fonction limitée de collecte de renseignements étrangers qui exclut que soient menées « à l’étranger des activités cachées et offensives » (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 118). Le législateur n’avait pas l’intention que cette fonction limitée de collecte de renseignements étrangers « puisse [être interprétée] comme autorisant des opérations [cachées] de collecte de renseignements étrangers à l’extérieur du Canada ». La restriction géographique prévue à l’article 16 visait à « atténuer les risques politiques, diplomatiques et moraux liés à la tenue d’activités de collecte de renseignements étrangers, qui pourraient contrevenir à des lois étrangères et à des lois du Canada et compromettre la réputation internationale du Canada et les politiques du pays en matière de défense » (Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 118–119).

[108]   Une approche téléologique de l’interprétation de l’article 16, en particulier de l’expression « dans les limites du Canada », ne va pas dans le sens de la position du procureur général, selon qui il y a lieu d’élargir la signification de l’expression pour servir l’objet de la Loi sur le SCRS.

[109]   N’est pas persuasive la proposition selon laquelle il faudrait interpréter l’article 16 de manière à autoriser [***la méthode de collecte proposée***] en raison de la conduite des [***]. Le procureur général n’a souligné aucun principe d’interprétation ni élément de jurisprudence en appui à son opinion.

3)         Observations finales  [Retour à la table des matières]

[110]   L’examen de l’article 16 en fonction du contexte global, du sens grammatical et ordinaire du libellé, de façon harmonieuse avec le régime et l’objet de la loi et l’intention du législateur, ne me permet pas de conclure que l’assistance « dans les limites du Canada, à la collecte d’informations ou de renseignements » peut être interprétée de manière à signifier qu’il suffit que l’assistance soit prêtée et que [***] soit effectuée « depuis » le Canada. En contexte, ce segment exige que ces deux actions se déroulent dans les limites du Canada.

[111]   Le juge Noël a conclu que l’interprétation correcte de l’expression « dans les limites du Canada » est « seulement au Canada ». J’abonde dans son sens.

[112]   Toutefois, j’estime que cette interprétation n’exige pas que toute étape, toute action ou tout élément de l’activité de collecte proposée se déroule « seulement au Canada ». Une fois qu’il est admis que la restriction géographique imposée par le législateur vise à éviter que soient menées « à l’étranger des activités cachées et offensives » de collecte de renseignements étrangers, il est possible de donner à l’article 16 une interprétation adéquate : il interdit les activités de collecte qui implique des mesures extraterritoriales qui vont à l’encontre de l’intention du législateur ou qui comportent les risques que le législateur souhaitait atténuer. Cela doit être déterminé au cas par cas. Au minimum, ne sera pas conforme à l’article 16 une activité de collecte proposée qui implique des mesures extraterritoriales qui revêtent une importance sur le plan juridique, ou une mesure extraterritoriale proposée qui comporte les risques mêmes que le législateur souhaitait atténuer.

[113]   Les éléments de preuve sur [***] témoignent qu’en l’espèce la [***méthode de collecte proposée***] serait utilisée pour accéder [***] aux informations [***qui sont à l’extérieur du Canada***]. Les faits ne révèlent pas une situation dans laquelle [***les informations seraient connues pour être en dehors de n’importe quel état***]. Mes conclusions sont limitées aux conclusions de fait ci-dessus au paragraphe 75. Bien que je n’exprime aucune opinion à cet égard, je reconnais que de différentes circonstances pourraient permettre de conclure que l’utilisation de [***la méthode de collecte proposée***] serait conforme à l’exigence « dans les limites du Canada » de l’article 16.

[114]   Ma conclusion selon laquelle l’article 16, correctement interprété, n’interdit pas toutes les activités de collecte qui impliquent une action extraterritoriale n’est pas incompatible avec la conclusion du juge Noël, selon qui « dans les limites du Canada » signifie « seulement au Canada ». Il en est parvenu à cette conclusion après une analyse détaillée au cours de laquelle il a constaté, du moins en partie, que [***la collecte***] contrevenait à l’article 16 parce que des [***éléments fondamentaux de la collecte se produisent à l’extérieur du Canada***] (Les limites du Canada, CF, au paragraphe 169).

D.        [***La jurisprudence relative à l’accessibilité de l’information par l’entremise de l’Internet***]  [Retour à la table des matières]

[***Note : Les paragraphes 155 à 125 sont une discussion de la jurisprudence relative à l’accessibilité de l’information par l’entremise de l’Internet***]

[115]   Le procureur général soutient que d’attribuer un caractère unique au [***] permettrait à la Cour d’autoriser [***]. Il est toutefois d’avis que la jurisprudence relative au principe [***] permet de mieux aborder la question. Cette jurisprudence reconnaît [***] fait état [***].

1)         [***] [Retour à la table des matières]

[116]   [***]

[117]   [***]

[118]   [***]

[119]   [***]

[120]   [***]

2)         [***]  [Retour à la table des matières]

[121]   Le procureur général s’appuie également grandement sur l’arrêt [***] de la Cour d’appel fédérale. À son avis, cette décision tranche la question et me lie.

[122]   [***]

[123]   [***]

[124]   [***]

[125]   [***]

3)         La jurisprudence relative au principe [***] n’offre pas d’appui  [Retour à la table des matières]

[126]   Pour déterminer s’il existe un lien réel et important entre le Canada et [***la collecte ou les informations recherchées***] il est nécessaire d’étudier le lien avec « dans les limites du Canada »; il ne s’agit toutefois que d’un facteur parmi d’autres. Il y a aussi lieu de tenir compte de l’intention du législateur, des pratiques internationales et du principe de la courtoisie internationale. Pour ce faire, du moins en l’espèce, il est nécessaire de définir adéquatement [***la méthode de collecte proposée***].

[127]   [***La méthode proposée comporte des éléments qui ne sont pas présents dans la jurisprudence discutée, y compris des violations des lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international d’une manière qui pourrait nuire à l’intérêt du Canada***].

[128]   Ces circonstances ne correspondent pas au type de pratiques internationales invoquées [***] pour conclure que [***]. En outre, il ne saurait être question d’affirmer [***que la méthode de collecte proposée, en violant des lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international***] cadre avec le principe de la courtoisie internationale ou avec des objectifs d’ordre et d’équité. Le critère du lien réel et important vise à éviter que l’on aille trop loin dans l’exercice de compétences sur les opérations extraterritoriales [***], non à encourager l’élargissement des limites territoriales. Enfin, comme il a été établi plus haut, l’article 16 de la Loi sur le SCRS limite expressément les activités extraterritoriales quant à la prestation d’assistance par le Service, un fait qui distingue cette circonstance [***].

[129]   Je reconnais que certaines activités [***de la méthode de collecte proposée***] auront lieu, en l’espèce, dans les limites du Canada, et que [***] en question sont au Canada et [***] depuis les frontières du Canada. Toutefois, ces activités menées dans les limites du Canada lors du recours [***] ne suffisent tout simplement pas à m’amener à conclure à l’établissement d’un lien réel et important en l’espèce. À défaut d’un tel lien, le procureur général ne peut pas s’appuyer sur la jurisprudence relative au principe [***] (outre les arrêts [***] il a invoqué les décisions [***] et [***] toutes deux citées dans la décision Les limites du Canada, CF, aux paragraphes 150–167).

[130]   S’agissant de cette conclusion, je n’ai rien à redire quant à la nécessité que les tribunaux reconnaissent l’avancement de la technologie et interprètent les lois en fonction de la réalité technologique d’aujourd’hui. Toutefois, l’arrêt [***] ne montre pas qu’un tribunal peut s’appuyer sur des percées technologiques pour adopter une interprétation qui va à l’encontre du sens ordinaire d’un libellé, de l’intention du législateur ou de l’objet d’une loi. À cet égard, j’abonde dans le sens des amici. Il y a lieu de tenir compte des nouveaux moyens technologiques dans l’interprétation des lois, mais cela ne permet pas à un tribunal de vicier l’intention claire du législateur lorsque cette nouvelle technologie mène à l’exercice de l’activité même que ce dernier cherchait à limiter et, donc, est à l’origine des risques et des conséquences qu’il cherchait à éviter.

VI.       Conclusion  [Retour à la table des matières]

[131]   L’article 16 limite l’assistance à celle qui est prêtée dans les limites du Canada. Ni le libellé, ni son contexte, ni l’objet de la Loi sur le SCRS et de l’article 16 ne permettent d’élargir la signification de ce qui est suggéré par l’expression « dans les limites du Canada », l’assistance dans les limites géographiques du Canada.

[132]   L’assistance est prêtée dans les limites du Canada lorsque toute « activité importante ayant trait à l’assistance ou à la collecte est menée uniquement » dans les limites du Canada. La définition d’« activité d’assistance ou de collecte importante » dépend des circonstances de chaque cas. Cependant, une activité qui est importante sur le plan d’assistance ou de collecte inclura au minimum, 1) toute activité pertinente qui porte à conséquence sur le plan juridique et 2) toute activité qui présente les risques mêmes que le législateur a cherché à atténuer par l’adoption de la restriction géographique prévue à l’article 16. En règle générale, toute activité qui contrevient aux principes du droit international présente ces risques, à moins que le législateur ait l’intention manifeste ou implicite qu’elle ne soit pas limitée par le droit d’un État étranger ou le droit international.

[133]   En l’espèce, en cas de recours [***à la méthode de collecte proposée***] il y aura des activités pertinentes qui portent à conséquence sur le plan juridique à l’extérieur du Canada, notamment [***l’activité de collecte contraire aux lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international***]. De plus, l’utilisation de cette [***méthode de collecte proposée***] dans ces circonstances serait incompatible avec le principe de la courtoisie internationale. [***La méthode de collecte proposée***] implique de nombreuses activités à l’extérieur du Canada, activités qui sont pertinentes sur le plan juridique et qui présentent les risques que le législateur cherchait à atténuer. Les risques pour le Canada ne sont pas qu’hypothétiques [***].

[134]   Voici la réponse aux questions posées par les amici : [***la collecte d’information***] sans distinction quant à [***savoir si l’information provient de l’étranger, en utilisant la méthode de collecte proposée***] ne respecte pas, en l’espèce, la restriction « dans les limites du Canada » prévue à l’article 16 de la Loi sur le SCRS. En outre, l’article 21 de la Loi sur le SCRS ne confère pas à la Cour le pouvoir d’approuver des activités du Service [***à l’extérieur du Canada***] visé par des demandes de mandats présentées en vertu de l’article 16 qui contreviendraient aux [***lois étrangères ou internationales, ou le principe de non-ingérence reconnu en droit international***].

[135]   Le procureur général a porté à mon attention la décision récente du juge James O’Reilly dans le dossier SCRS [***] car elle aborde, en partie, une question relative à la restriction « dans les limites du Canada » prévue à l’article 16. Le juge O’Reilly y conclut que, dans les circonstances et malgré un élément extraterritorial potentiel, l’activité d’assistance en question respecte les restrictions géographiques imposées par l’article 16. Les circonstances semblent très différentes de celles en l’espèce, et selon la description qui en est donnée dans cette décision, il n’est pas évident que toute action extraterritoriale serait caractérisée comme étant importante pour l’activité d’assistance ou de collecte.

[136]   En raison de ma conclusion, [***] il s’agit toutefois d’une issue inévitable, compte tenu de la restriction prévue à l’article 16. J’abonde dans le sens du juge Noël : en arriver à une autre conclusion reviendrait à usurper le rôle du législateur.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         La demande de mandat visant [***la collecte d’information par l’entremise de la méthode proposée***] pour prêter assistance au ministre [***] en vertu de l’article 16 de la Loi sur le SCRS est rejetée;

2.         Une copie de ce jugement et de ces motifs sera placée dans le dossier de la Cour [***du cas simultané***]; et

3.         Dans les 20 jours suivant la date du présent jugement et des motifs qui l’accompagnent, l’avocat du procureur général et du Service canadien du renseignement de sécurité les passera en revue pour en déterminer les parties qui peuvent être rendues publiques. Au cours des 20 jours suivants, les amici examineront leurs recommandations. Les deux parties collaboreront dans le respect du principe de la publicité des débats judiciaires. Toute question litigieuse sera portée à l’attention du soussigné dans les cinq jours suivants pour être tranchée.



[1] Sanctionnée le 23 avril 2015 : Loi sur la protection du Canada contre les terroristes, L.C. 2015, ch.  9.

[2] Loi sur la protection du Canada contre les terroristes.

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