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A-289-19

2021 CAF 153

Groupe TVA Inc. et Québecor Média Inc. (appelantes)

c.

Bell Canada, Bell ExpressVu Limited Partnership et Bell Canada Entreprises (intimeés)

et

Cogeco Communications Inc., Telus Communications Inc., Procureur général du Canada (intervenants)

Répertorié : Groupe TVA Inc. c. Bell Canada

Cour d’appel fédérale, juges Boivin, de Montigny et Locke, J.C.A. —Par vidéoconférence, 18 mai; Ottawa, 28 juillet 2021.

Radiodiffusion –– Appel interjeté à l’encontre de deux décisions et d’une ordonnance rendues par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) –– Les décisions contestées s’inscrivaient dans la foulée du premier match des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, le soir du 10 avril 2019, alors que les appelantes ont retiré le signal de la chaîne TVA Sports aux abonnés des intimées (Bell) –– Le lendemain les intimées ont déposé une injonction provisoire et le surlendemain la Cour supérieure du Québec a ordonné aux appelantes de rétablir le signal et celles-ci se sont conformés à l’ordonnance de la Cour supérieure –– En parallèle, le CRTC est intervenu dans le litige opposant les appelantes et intimées en rendant les décisions contestées –– Le CRTC a déterminé d’abord que les appelantes et intimées étaient engagées dans un différend; plus tard, il a décidé que la règle du statu quo prévue à l’art. 15(1) du Règlement sur les services facultatifs s’appliquait en l’espèce –– Par après, le CRTC a déterminé que les appelantes ont contrevenu à l’art. 15 du Règlement sur les services facultatifs en retenant leur signal de la chaîne TVA Sports pour distribution par les intimées –– Dans son ordonnance jointe à cette décision et rendue aux termes de l’art. 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), le CRTC a exigé que les appelantes continuent d’offrir leur service de programmation aux intimées jusqu’à ce que le différend soit réglé –– Les décisions contestées ont été rendues par le CRTC alors que les appelantes et intimées étaient dans un processus de négociations qui visaient à renouveler une entente d’affiliation qui liait les parties relativement à des services spécialisés –– Dans le cadre du présent appel, les appelantes ont allégué que les décisions contestées étaient invalides au motif que les dispositions règlementaires en vertu desquelles elles ont été rendues étaient ultra vires des pouvoirs qui ont été conférés au CRTC en vertu de la Loi –– Quant aux intimées, ils demandaient, à l’instar des appelantes, de conclure que les dispositions règlementaires contestées étaient ultra vires des pouvoirs conférés par la Loi mais de confirmer les décisions de la CRTC –– Il s’agissait principalement de savoir si les dispositions règlementaires contestées outrepassaient les pouvoirs conférés au CRTC par la Loi et si elles entraient en conflit avec les art. 3(1)f) et 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur –– Le législateur fédéral a confié au CRTC la mission de réglementer et de surveiller le système canadien de radiodiffusion (art. 3 et 5 de la Loi) et, pour ce faire, la Loi confie à la CRTC de vastes pouvoirs –– Parmi ces vastes pouvoirs, on relève celui d’adopter des règlements énoncés à l’art. 10 de la Loi, en l’occurrence, les dispositions règlementaires contestées en l’espèce –– Lesdites dispositions règlementaires contestées édictent un mécanisme de règlement des différends et exigent des entreprises de programmation et de distribution de continuer à fournir leurs services respectifs jusqu’à ce qu’elles parviennent à un accord ou, le cas échéant, que le CRTC rende une décision –– Ainsi, dans l’attente d’une résolution du conflit, cette règle, dite du statu quo, et qui était au cœur du présent litige, vise à assurer le maintien des services existants par les entreprises –– L’analyse consistant à savoir si le CRTC détient le pouvoir d’adopter les dispositions règlementaires contestées devait se faire plus particulièrement à la lumière de l’art. 10 de la Loi –– À sa face même, l’art. 10(1)h) de la Loi indique clairement que le législateur a octroyé au CRTC le pouvoir d’établir des règlements afin d’intervenir dans un différend concernant la fourniture de programmation entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution –– A priori donc, le libellé de l’art. 10(1)h) de la Loi confère au CRTC la compétence pour adopter les dispositions règlementaires contestées, et à plus forte raison, la règle du statu quo –– Le législateur, aux termes de l’art. 10(1)h) de la Loi, a voulu donner au CRTC le pouvoir d’intervenir par voie réglementaire dans un aspect précis des rapports économiques entre les entreprises de programmation et les entreprises de distribution –– Il s’ensuivait que les dispositions règlementaires contestées sont intra vires des pouvoirs du CRTC et s’inscrivent dans le pouvoir de réglementation dévolu à ce dernier par le législateur à l’art. 10(1)h) de la Loi –– En ce qui concerne l’impact de la règle du statu quo sur la relation contractuelle des parties, la preuve au dossier a démontré que dans les faits, les appelantes n’avaient pas mis fin à l’entente en question avec les intimées –– La règle du statu quo a pour objet d’empêcher qu’une entreprise de programmation liée à une entente d’affiliation retire son signal dans un contexte de négociations dans lequel survient un différend, ou qu’elle abandonne tout simplement le service –– Cette règle permet au CRTC en particulier de maintenir le statu quo de l’entente d’affiliation en question tel qu’elle existait avant le différend –– En ce qui concerne la question à savoir si les dispositions contestées entraient en conflit avec les art. 3(1)(f) et 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, le CRTC n’a pas été véritablement saisi de l’argumentaire relatif à la Loi sur le droit d’auteur, ce qui expliquait pourquoi il ne s’est pas prononcé à cet égard –– Pourtant, les intimées et appelantes demandaient qu’on se penche maintenant sur cette question malgré le silence du CRTC dans sa décision –– Or, la référence en question limitée au droit d’auteur contenue dans les prétentions des appelantes devant le CRTC ne justifiait pas à elle seule que cette question soit abordée et analysée –– Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de deux décisions et d’une ordonnance rendues par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), à savoir : une première décision communiquée par voie de lettre datée du 10 avril 2019; une seconde décision rendue le 18 avril 2019 (CRTC 2019-109); et une ordonnance (CRTC 2019-110) annexée à la décision CRTC 2019-109. Les deux décisions et l’ordonnance en cause ont été désignées comme étant les « décisions contestées ». Les décisions contestées s’inscrivaient dans la foulée du premier match des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, le soir du 10 avril 2019, alors que les appelantes ont retiré le signal de la chaîne TVA Sports aux abonnés des intimées (Bell). Le lendemain les intimées ont déposé une injonction provisoire et le surlendemain, c’est-à-dire le 12 avril 2019, la Cour supérieure du Québec a ordonné séance tenante aux appelantes de rétablir le signal. Les appelantes se sont conformés à l’ordonnance de la Cour supérieure. En parallèle, le CRTC est intervenu dans le litige opposant les appelantes et les intimées en rendant les décisions contestées. Le CRTC a déterminé d’abord que les appelantes et les intimées étaient engagées dans un différend. Le 10 avril 2019, le CRTC a confirmé ce constat par lettre et a décidé que la règle du statu quo prévue au paragraphe 15(1) du Règlement sur les services facultatifs s’appliquait en l’espèce. Par la suite, le 18 avril 2019, le CRTC a déterminé que les appelantes ont contrevenu à l’article 15 du Règlement sur les services facultatifs en retenant leur signal de la chaîne TVA Sports pour distribution par les intimées. Dans son ordonnance jointe à cette décision et rendue aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), le CRTC a exigé que les appelantes continuent d’offrir leur service de programmation aux intimées jusqu’à ce que le différend soit réglé. Les décisions contestées ont été rendues par le CRTC alors que les appelantes et les intimées étaient dans un processus de négociations. Ces négociations visaient à renouveler une entente d’affiliation datée du 21 novembre 2011 qui liait les parties relativement à des services spécialisés. Plus particulièrement, le différend opposant les parties concernait les modalités de fourniture et de distribution du signal de la chaîne TVA Sports, y compris le tarif des redevances payable par les intimées pour ladite chaîne. Dans le cadre du présent appel, les appelantes ont allégué que les décisions contestées étaient invalides au motif que les dispositions règlementaires en vertu desquelles elles ont été rendues étaient ultra vires des pouvoirs qui ont été conférés au CRTC en vertu de la Loi. Quant aux intimées, ils demandaient, à l’instar des appelantes, de conclure que les dispositions règlementaires contestées étaient ultra vires des pouvoirs conférés par la Loi. La position des intimées ne différait de celle des appelantes qu’en ce que les intimées demandaient à la Cour de néanmoins confirmer la validité des décisions du CRTC en cause.

Il s’agissait principalement de savoir si les dispositions règlementaires contestées outrepassaient les pouvoirs conférés au CRTC par la Loi et si elles entraient en conflit avec l’alinéa 3(1)f) et le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le législateur fédéral a confié au CRTC la mission de réglementer et de surveiller le système canadien de radiodiffusion (articles 3 et 5 de la Loi) et, pour ce faire, la Loi lui confie de vastes pouvoirs. Parmi ces vastes pouvoirs confiés au CRTC, on relève celui d’adopter des règlements énoncés à l’article 10 de la Loi, en l’occurrence, les dispositions règlementaires contestées en l’espèce. Lesdites dispositions règlementaires contestées édictent un mécanisme de règlement des différends et exigent des entreprises de programmation et de distribution de continuer à fournir leurs services respectifs jusqu’à ce qu’elles parviennent à un accord ou, le cas échéant, que le CRTC rende une décision. Ainsi, dans l’attente d’une résolution du conflit, cette règle, dite du statu quo, et qui était au cœur du présent litige, vise à assurer le maintien des services existants par les entreprises. Les articles 3 et 5 de la Loi ne sont pas attributifs de compétence et ne sauraient justifier à eux seuls la validité des dispositions règlementaires contestées. Sans pour autant ignorer les objectifs énumérés aux articles 3 et 5 de la Loi, l’analyse consistant à savoir si le CRTC détient le pouvoir d’adopter les dispositions règlementaires contestées devait se faire plus particulièrement à la lumière de l’article 10 de la Loi qui confère au CRTC son pouvoir délégué d’adopter des règlements. Il s’agit plus précisément du pouvoir réglementaire du CRTC aux termes de l’alinéa 10(1)h) en cas de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre une entreprise de programmation, en l’espèce les appelantes, et une entreprise de distribution, en l’espèce les intimées. A sa face même, l’alinéa 10(1)h) de la Loi indique clairement que le législateur a octroyé au CRTC le pouvoir d’établir des règlements afin d’intervenir dans un différend concernant la fourniture de programmation entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution. À priori donc, le libellé de l’alinéa 10(1)h) de la Loi confère au CRTC la compétence pour adopter les dispositions règlementaires contestées, et à plus forte raison, la règle du statu quo. L’objet de la Loi est vaste et à la lumière de certaines dispositions de cette loi, il ressort également que les objectifs fixés par le législateur visent non seulement les aspects culturels de la radiodiffusion mais aussi ses aspects économiques. Un survol de l’historique législatif a démontré que l’intention du législateur était d’octroyer des pouvoirs très étendus au CRTC au soutien de sa mission en matière de radiodiffusion, notamment en ce qui concerne le règlement des différends au vu du défi grandissant posé par l’avènement de l’entreprise de distribution comme contrôleur de l’accès à la programmation. Le législateur, aux termes de l’alinéa 10(1)h) de la Loi, a voulu donner au CRTC le pouvoir d’intervenir par voie réglementaire dans un aspect précis des rapports économiques entre les entreprises de programmation et les entreprises de distribution, plus particulièrement celui d’arbitrer leurs différends concernant la fourniture de la programmation. Il s’ensuivait que les dispositions règlementaires contestées par les appelantes et par les intimées sont intra vires des pouvoirs du CRTC et s’inscrivent dans le pouvoir de réglementation dévolu à ce dernier par le législateur à l’alinéa 10(1)h) de la Loi.

En ce qui concerne l’impact de la règle du statu quo sur la relation contractuelle des parties, les appelantes ont fait valoir qu’en adoptant les décisions contestées et en imposant le statu quo, le CRTC a forcé le maintien de leur relation contractuelle avec les intimées alors que leur intention était de mettre fin à l’entente d’affiliation. Or la preuve au dossier a démontré que dans les faits, les appelantes n’avaient pas mis fin à l’entente en question avec les intimées. Il s’ensuivait que les prétentions des appelantes à l’effet que leur intention était de mettre fin à l’entente d’affiliation ne pouvaient être retenues. Dans l’éventualité où les appelantes ne souhaitaient plus être liée par l’entente d’affiliation, elle était libre d’y mettre fin en conformité toutefois avec les termes de celle-ci. Ne l’ayant pas fait, l’entente d’affiliation demeurait en vigueur et les appelantes ont malgré tout retiré leur signal le 10 avril 2019. Or, la règle du statu quo a justement pour objet d’empêcher qu’une entreprise de programmation liée à une entente d’affiliation retire son signal dans un contexte de négociations dans lequel survient un différend — ou qu’une entreprise de programmation abandonne tout simplement le service. Cette règle permet au CRTC, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le législateur (i) de maintenir le statu quo de l’entente d’affiliation en question tel qu’elle existait avant le différend; (ii) de préserver l’équilibre des forces en présence au cours d’un processus de négociation et, (iii) d’assurer que les consommateurs canadiens ne soient pas privés de services pendant de tels litiges. En effet, ce n’est qu’en préservant le statu quo eu égard à la programmation et en neutralisant la possibilité d’un retrait arbitraire du service que le CRTC peut agir pour protéger l’intérêt public. Finalement, la règle du statu quo n’a pas davantage un caractère permanent, comme le prétendait les appelantes, car une partie peut demander directement au CRTC que le statu quo soit levé si le différend en cause est résolu ou, à défaut d’une entente, le CRTC peut prendre une décision en ce sens (Règlement sur les services facultatifs, paragraphe 15(2)).

Quant à la question à savoir si les dispositions contestées entraient en conflit avec l’alinéa 3(1)(f) et le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, devant le CRTC, ni les intimées ni les appelantes n’ont mis de l’avant l’argument de l’incompatibilité des dispositions contestées avec cette Loi. Or dans la présente instance, cet argument était néanmoins soulevé et amplement développé même si l’unique référence à la question du droit d’auteur en lien avec la règle du statu quo qui était contenue dans les soumissions écrites des appelantes devant le CRTC était très limitée. Le CRTC n’a pas été véritablement saisi de l’argumentaire relatif à la Loi sur le droit d’auteur, ce qui expliquait pourquoi il ne s’est pas prononcé à cet égard. Pourtant, les intimées et les appelantes demandaient qu’on se penche maintenant sur cette question malgré le silence du CRTC dans sa décision. Or, la référence en question limitée au droit d’auteur contenue dans les prétentions des appelantes devant le CRTC ne justifiait pas à elle seule que cette question soit abordée et analysée. En fait, il aurait été inopportun dans les circonstances d’en traiter.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 3, 5, 9, 10, 12(2), 13, 31(2), 32.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3(1)f), 13(4), 21, 31.

Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555, art. 12(1).

Règlement sur les services facultatifs, DORS/2017-159, art. 14(1), 15.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, [2019] 4 R.C.S. 845; Bell Canada c. 7265921 Canada Ltd., 2018 CAF 174, [2019] 2 R.C.F. 414.

DÉCISIONS MENTIONNÉES:

Bell Canada c. Québecor inc., 2019 QCCS 1366; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 217; Taman c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 1, [2017] 3 R.C.F. 520.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 34e lég., 2e sess., vol. 4 (3 novembre 1989) (L’hon. Marcel Massé).

Canada. Department of Communications. The Broadcasting Act 1988 : A Clause-by-Clause Analysis of Bill C-136 (Ottawa, août 1988).

Canada. Parlement. Chambre des Communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le Projet de loi C-136, 33e lég., 2e sess., fascicule no 1 (10 août 1988).

Canada. Parlement. Chambre des Communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le Projet de loi C-136, 33e lég., 2e sess., fascicule no 4 (17 août 1988).

Canada. Parlement. Chambre des Communes. Comité permanent des communications et de la culture. Government Response to the Fifteenth Report of the Standing Committee on Communications and Culture : A Broadcasting Policy for Canada (juin 1988) (président : John Gormley).

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. « Lettre du Conseil adressée à Peggy Tabet (Québecor Média inc.) et Rob Malcolmson (Bell Canada Enterprises) », 10 avril 2019.

Ministère des Communications. Des voix canadiennes pour un choix véritable : Une nouvelle politique de la radiodiffusion pour le Canada, 1988.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Ont.: LexisNexis, 2014.

APPEL de deux décisions et d’une ordonnance (Groupe TVA inc. – Non-conformité (18 avril 2019), décision de radiodiffusion CRTC 2019-109; Annexe à la décision de radiodiffusion CRTC 2019-109, ordonnance de radiodiffusion CRTC 2019-110) rendues par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes qui a déterminé en particulier que les appelantes ont contrevenu à l’article 15 du Règlement sur les services facultatifs en retenant leur signal de la chaîne TVA Sports pour distribution par les intimées. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Richard Vachon, Neil Peden, Marie-Pier Cloutier, Adam Jeffrey Beauregard et Catherine Mathieu pour les appelantes.

Steven G. Mason, Brandon Kain, Charlotte-Anne Malischewski et Kendra Levasseur pour les intimées.

Éric Mongeau, Patrick Girard, Alexa Teofilovic et Vincent Lanctôt-Fortier pour l’intervenante Cogeco Communications Inc.

Michael Ryan et Christopher Rootham pour l’intervenante TELUS Communications Inc.

Nadine Dupuis et Virginie Harvey pour l’intervenant le procureur général du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Woods s.e.n.c.r.l., Montréal, pour les appelantes.

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les intimées.

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour l’intervenante Cogeco Communications Inc.

Nelligan O’Brien Payne LLP, Ottawa, pour l’intervenante TELUS Communications Inc.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Boivin, J.C.A. :

I.     Introduction

[1]        Les appelantes, Groupe TVA inc. et Québecor Média inc. (TVA), interjettent appel de deux décisions et d’une ordonnance rendues par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), à savoir : une première décision communiquée par voie de lettre datée du 10 avril 2019; une seconde décision rendue le 18 avril 2019 ([Groupe TVA inc. – Non-conformité, Décision de radiodiffusion] CRTC 2019-109); et une ordonnance annexée à la décision CRTC 2019-109 ([Annexe à la décision de radiodiffusion CRTC 2019-109, Ordonnance de radiodiffusion] CRTC 2019-110). Pour les fins du présent appel, les deux décisions et l’ordonnance en cause seront désignées comme étant les « décisions contestées ».

[2]        Les décisions contestées s’inscrivent dans la foulée du premier match des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, le soir du 10 avril 2019, alors que TVA retire le signal de la chaîne TVA Sports aux abonnés des intimées, Bell Canada, Bell ExpressVu Limited Partnership et Bell Canada Enterprises (Bell). Le lendemain Bell dépose une injonction provisoire et le surlendemain, c’est-à-dire le 12 avril 2019, la Cour supérieure du Québec ordonne séance tenante à TVA de rétablir le signal (Bell Canada c. Québecor inc., 2019 QCCS 1366). TVA se conforme à l’ordonnance de la Cour supérieure.

[3]        En parallèle, le CRTC intervient dans le litige opposant TVA et Bell en rendant les décisions contestées. Le CRTC détermine d’abord que TVA et Bell étaient engagées dans un différend. Le 10 avril 2019, le CRTC confirme ce constat par lettre et décide que la règle du statu quo prévue au paragraphe 15(1) du Règlement sur les services facultatifs, DORS/2017-159 s’applique en l’espèce.

[4]        Par la suite, le 18 avril 2019, le CRTC détermine que TVA a contrevenu à l’article 15 du Règlement sur les services facultatifs en retenant son signal de la chaîne TVA Sports pour distribution par Bell. Dans son ordonnance jointe à cette décision et rendue aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11 (la Loi), le CRTC exige que TVA continue d’offrir son service de programmation à Bell jusqu’à ce que le différend soit réglé. Le CRTC ordonne aussi la suspension de la licence de radiodiffusion de TVA en précisant toutefois que cette mesure n’entrera en vigueur que dans la mesure où TVA retirerait de nouveau son signal pendant le différend.

[5]        Il est à souligner que les décisions contestées ont été rendues par le CRTC alors que TVA et Bell étaient dans un processus de négociations. Ces négociations visaient à renouveler une entente d’affiliation datée du 21 novembre 2011 qui liait les parties relativement à des services spécialisés. Plus particulièrement, le différend opposant TVA et Bell concernait les modalités de fourniture et de distribution du signal de la chaîne TVA Sports, y compris le tarif des redevances payable par Bell pour ladite chaîne.

[6]        Dans le cadre du présent appel, TVA allègue que les décisions contestées sont invalides au motif que les dispositions règlementaires en vertu desquelles elles ont été rendues sont ultra vires des pouvoirs qui ont été conférés au CRTC en vertu de la Loi.

[7]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté avec dépens.

II.    Le contexte

[8]        Le contexte du présent appel remonte au 27 février 2019, alors que des négociations sont en cours entre TVA et Bell relativement au renouvellement de l’entente d’affiliation. C’est à cette date que TVA dépose auprès du CRTC une plainte de préférence indue à l’encontre de Bell. Dans cette plainte, TVA reproche à Bell d’accorder un traitement préférentiel à sa chaîne sportive Réseau des sports (RDS) au détriment de la chaîne TVA Sports. Le lendemain, c’est-à-dire le 28 février 2019, TVA dépose un recours en dommages-intérêts contre Bell devant la Cour supérieure du Québec au même motif.

[9]        Quelques semaines plus tard, soit le 5 avril 2019, devant les difficultés qui surgissent dans le cadre des négociations, TVA et Bell participent à une médiation assistée par le CRTC, sans pour autant être en mesure de s’entendre.

[10]      Le lendemain, le 6 avril 2019, lors de la dernière partie de hockey de la saison régulière des Canadiens de Montréal, et quatre jours avant le début des séries éliminatoires, des bannières défilantes au bas de leur écran indiquent aux abonnés de Bell que le signal de la chaîne TVA Sports sera interrompu dans les prochains jours.

[11]      Le 7 avril 2019, Bell demande au CRTC d’aviser TVA que la règle du statu quo s’applique en l’instance et qu’en conséquence TVA doit continuer de fournir le signal de la chaîne TVA Sports à Bell.

[12]      Le 8 avril 2019, tel qu’indiqué plus tôt en introduction, le CRTC informe TVA et Bell qu’il est d’avis que les deux entités sont engagées dans un différend et que, partant, la règle du statu quo s’applique. Plus précisément, en vertu de cette règle, TVA doit continuer de fournir les services à Bell et Bell doit les distribuer selon les modalités qui existaient avant le différend conformément à l’entente d’affiliation des parties.

[13]      Le même jour, Bell demande au CRTC de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi afin d’interdire à TVA de retirer son signal. De plus, Bell soumet sa réponse à la plainte de préférence indue déposée par TVA le 27 février 2019.

[14]      Toujours au cours de la même journée, TVA transmet à Bell un avis de résiliation de l’entente d’affiliation laquelle résiliation est contestée par Bell.

[15]      Le 9 avril 2019, TVA informe le public qu’il retirera le signal de TVA Sports aux abonnés de Bell le lendemain à 19h.

[16]      Le 10 avril 2019, Bell dépose auprès du CRTC une demande d’arbitrage de l’offre finale concernant la fourniture de TVA Sports afin que le CRTC statue sur les tarifs applicables pour le signal de cette chaîne.

[17]      Le même jour, le CRTC transmet par lettre la première décision contestée dans le cadre du présent appel. Par cette lettre, le CRTC informe TVA et Bell qu’il a déterminé qu’elles sont engagées dans un différend. Le CRTC confirme que la règle du statu quo prévue au paragraphe 15(1) du Règlement sur les services facultatifs trouve application en l’espèce, s’exprimant en ces termes :

[…] le Règlement sur les services facultatifs prév[oit] le règlement des différends sur l’acheminement ainsi que des différends concernant les modalités d’acheminement. Le Conseil a déterminé que Bell et Québecor sont engagées dans un tel différend et qu’alors, la règle du statu quo s’applique. Par conséquent, Bell et Québecor sont tenues de fournir leurs services respectifs à l’autre partie, et sont tenues de distribuer ces services, aux mêmes tarifs et selon les mêmes modalités qu’avant le différend, jusqu’à ce que les parties règlent leur différend ou que le Conseil rende une décision concernant cette question non réglée. [Accentuation dans l’original; mon soulignement.]

(Lettre du CRTC du 10 avril 2019 adressée à Mme Peggy Tabet (Québecor Média inc.) et Rob Malcolmson (Bell Canada Enterprises), dossier d’appel, vol. 1, aux pages 16–17.)

[18]      Toujours le 10 avril 2019, au moment où débute la télédiffusion du premier match des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, TVA retire le signal de sa chaîne TVA Sports aux abonnés de Bell. Ce faisant, TVA prive alors près d’un million d’abonnés de la diffusion en français de parties des séries éliminatoires.

[19]      Le 11 avril 2019, Bell dépose une demande en injonction provisoire afin que la Cour supérieure du Québec ordonne à TVA de rétablir le signal de la chaîne TVA Sports. La Cour accueille la demande et TVA rétablit le signal.

[20]      Le 17 avril 2019, le CRTC tient une audience afin de déterminer si, le 10 avril 2019, TVA a contrevenu au paragraphe 15(1) du Règlement sur les services facultatifs en retirant ou en interférant avec son signal de la chaîne TVA Sports.

[21]      Dès le lendemain de l’audience, c’est-à-dire le 18 avril 2019, le CRTC rend la deuxième décision contestée dans le présent appel. Aux termes de l’article 15 du Règlement sur les services facultatifs, le CRTC conclut que TVA a contrevenu à la règle du statu quo car elle a agi de manière à « empêcher Bell de fournir TVA Sports aux Canadiens pendant un différend ». Du même coup, le CRTC rend une ordonnance obligeant TVA à continuer de fournir le signal de la chaîne TVA Sports à Bell aux mêmes tarifs jusqu’à ce que le différend soit réglé ou que le CRTC rende une décision concernant toute question non résolue. Cette ordonnance, imposée en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi est assimilée à une ordonnance de la Cour fédérale ou d’une cour supérieure d’une province lorsqu’elle est déposée auprès de l’une de ces cours et son exécution s’effectue selon les mêmes modalités (article 13). Le non-respect d’une telle ordonnance constitue une infraction à l’article 32 de la Loi et peut entraîner des poursuites devant les tribunaux. Cette ordonnance est également contestée dans le cadre du présent appel.

[22]      Le CRTC, se disant préoccupé par le peu d’égard de TVA envers son autorité, suspend également la licence de radiodiffusion de TVA Sports. Cette suspension ne prendra toutefois effet que si « le signal de TVA Sports est retenu des entreprises de distribution de Bell avant que le différend soit réglé » (décision de radiodiffusion CRTC 2019-109 et ordonnance de radiodiffusion CRTC 2019-110, dossier d’appel, vol. 1, aux pages 19–25).

[23]      Insatisfaite des décisions du CRTC, TVA dépose une demande d’autorisation devant notre Cour pour interjeter appel de ces décisions, le paragraphe 31(2) de la Loi prévoyant un appel sur des questions de droit ou de compétence.

[24]      C’est donc dans ce contexte que notre Cour a accueilli, le 18 juin 2019, la demande d’autorisation d’appel de TVA.

[25]      Dans le présent appel, TVA attaque les décisions et l’ordonnance du CRTC décrites ci-dessus et conteste non seulement l’article 15 du Règlement sur les services facultatifs mais également le paragraphe 14(1) ainsi que le paragraphe 12(1) du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555 (dispositions règlementaires contestées), le tout au motif que ces dispositions sont ultra vires des pouvoirs du CRTC.

[26]      En somme, les dispositions règlementaires contestées prévoient un mécanisme de règlement des différends lorsqu’un litige survient entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution sur la question de la fourniture ou les modalités de fourniture de programmation.

[27]      De façon singulière dans cette affaire, l’intimée Bell demande, à l’instar de l’appelante TVA, de conclure que les dispositions règlementaires contestées sont ultra vires des pouvoirs conférés par la Loi. La position de Bell ne diffère de celle de TVA qu’en ce que Bell demande à cette Cour de néanmoins confirmer la validité des décisions du CRTC en cause. Ainsi, devant notre Cour, les représentations de TVA ont porté sur la compétence du CRTC d’adopter les dispositions règlementaires contestées alors que celles de Bell se sont circonscrites à la question de savoir si les dispositions règlementaires contestées entrent en conflit avec l’alinéa 3(1)f) et le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.

[28]      Enfin, il est à noter que la Cour a également entendu les observations et les représentations de trois intervenants dans le cadre de cet appel, à savoir : le procureur général du Canada (PGC), Cogeco Communications inc. (Cogeco) et Telus Communications inc. (Telus), lesquels ont obtenu la qualité d’intervenants dans l’instance par ordonnance de notre Cour datée du 4 décembre 2019.

III.   Les dispositions pertinentes

[29]      Les dispositions réglementaires contestées dans le présent appel sont les suivantes :

Règlement sur les services facultatifs, DORS/2017-159

Règlement de différends – renvoi au Conseil

14 (1) En cas de différend entre le titulaire et l’exploitant d’une entreprise de distribution autorisée ou exemptée concernant la fourniture ou des modalités de fourniture de la programmation transmise par le titulaire — y compris le tarif de gros et les modalités de la vérification visée à l’article 15.1 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion —, l’une des parties ou les deux peuvent s’adresser au Conseil en vue d’un règlement.

[…]

Obligation lors d’un différend

Obligation — tarifs et modalités

15 (1) En cas de différend entre le titulaire et une personne autorisée à exploiter une entreprise de distribution ou l’exploitant d’une entreprise de distribution exemptée concernant la fourniture ou des modalités de fourniture de la programmation transmise par le titulaire ou concernant tout droit ou toute obligation prévus par la Loi, le titulaire continue à fournir ses services de programmation à l’entreprise de distribution aux mêmes tarifs et selon les modalités qui s’appliquaient aux parties avant le différend.

Durée du différend

(2) Pour l’application du paragraphe (1), le différend débute lorsqu’un avis écrit en faisant état est déposé auprès du Conseil et signifié à l’autre entreprise en cause. Le différend prend fin dès que les entreprises en cause parviennent à un accord ou, à défaut, dès que le Conseil rend une décision concernant toute question non résolue.

Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555

Règlement de différends

12 (1) En cas de différend entre, d’une part, le titulaire d’une entreprise de distribution et, d’autre part, l’exploitant d’une entreprise de programmation autorisée ou exemptée au sujet de la fourniture ou des modalités de fourniture de la programmation transmise par l’entreprise de programmation — y compris le tarif de gros et les modalités de la vérification visée à l’article 15.1 —, l’une des parties ou les deux peuvent s’adresser au Conseil.

IV.   Les questions en litige

[30]      Le présent appel soulève deux questions :

A.    Les dispositions règlementaires contestées outrepassent-elles les pouvoirs conférés au CRTC par la Loi sur la radiodiffusion?

B.    Les dispositions règlementaires contestées entrent-elles en conflit avec l’alinéa 3(1)f) et le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur?

V.    La norme de contrôle

[31]      Il importe de rappeler que notre Cour, en accordant la demande d’autorisation d’appel de TVA, a considéré que « les demanderesses font valoir des arguments solides et une cause défendable quant à la compétence du CRTC d’adopter les articles 14 et 15 du Règlement sur les services facultatifs et l’article 12(1) du Règlement sur la distribution de radiodiffusion » (compendium des appelantes, à la page 6). Le présent pourvoi soulève donc des questions de droit qui concernent directement les limites du pouvoir du CRTC. Or, de telles questions soulèvent clairement le mécanisme d’appel prévu au paragraphe 31(2) de la Loi, et la Cour suprême du Canada nous enseigne que dans de telles circonstances, il faut s’en remettre aux normes de contrôle en appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), aux paragraphes 36–52; Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, [2019] 4 R.C.S. 845 (Bell 2019), aux paragraphes 34 et 35). Ainsi, en l’espèce, et conformément aux normes de contrôle en appel (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235), c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer au regard des décisions contestées.

VI.   Analyse

A.    Les dispositions règlementaires contestées outrepassent-elles les pouvoirs conférés au CRTC par la Loi sur la radiodiffusion?

[32]      D’emblée, il convient de souligner que le législateur fédéral a confié au CRTC la mission de réglementer et de surveiller le système canadien de radiodiffusion (articles 3 et 5 de la Loi) et, pour ce faire, la Loi lui confie de vastes pouvoirs. Dans l’arrêt Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489 (Renvoi) la Cour suprême rappelle effectivement, au paragraphe 15, ce qui suit :

Il est incontestable que le CRTC dispose de vastes pouvoirs en matière de réglementation et d’attribution de licences. Aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, le CRTC a pour mission de réglementer et de surveiller « tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en œuvre la politique canadienne de radiodiffusion » (par. 5(1)).

[33]      Parmi ces vastes pouvoirs confiés au CRTC, on relève celui d’adopter des règlements énoncés à l’article 10 de la Loi, en l’occurrence, les dispositions règlementaires contestées en l’espèce. Lesdites dispositions règlementaires contestées édictent un mécanisme de règlement des différends et exigent des entreprises de programmation et de distribution de continuer à fournir leurs services respectifs jusqu’à ce qu’elles parviennent à un accord ou, le cas échéant, que le CRTC rende une décision. Ainsi, dans l’attente d’une résolution du conflit, cette règle, dite du statu quo, et qui est au cœur du présent litige, vise à assurer le maintien des services existants par les entreprises.

[34]      Or, TVA et Bell soumettent que les articles 3, 5 et 10 de la Loi ne confèrent pas au CRTC le pouvoir d’adopter les dispositions règlementaires contestées, lesquelles obligent TVA à continuer de fournir la chaîne TVA Sports à Bell contre son gré et ce, jusqu’à ce que le CRTC rende une décision sur le différend. En fait, selon TVA, les dispositions règlementaires contestées, et plus particulièrement la règle du statu quo, forcent le maintien d’une relation contractuelle entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution et TVA soutient que cette contrainte excède les pouvoirs réglementaires du CRTC prévus par la Loi.

[35]      Il convient de reconnaître, comme le souligne TVA, que les articles 3 et 5 de la Loi ne sont pas attributifs de compétence et ne sauraient justifier à eux seuls la validité des dispositions règlementaires contestées. Ainsi, sans pour autant ignorer les objectifs énumérés aux articles 3 et 5 de Loi, l’analyse consistant à savoir si le CRTC détient le pouvoir d’adopter les dispositions règlementaires contestées doit se faire plus particulièrement à la lumière de l’article 10 de la Loi qui confère au CRTC son pouvoir délégué d’adopter des règlements (Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 217, aux paragraphes 47–49). Il s’agit plus précisément du pouvoir réglementaire du CRTC aux termes de l’alinéa 10(1)h) en cas de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre une entreprise de programmation, en l’espèce TVA, et une entreprise de distribution, en l’espèce Bell.

[36]      Afin de procéder à l’analyse de l’interprétation à donner à l’alinéa 10(1)h) de la Loi, il faut s’en remettre à la méthode moderne d’interprétation des lois suivant laquelle « il faut lire les termes d’une loi “dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » (Vavilov, au paragraphe 117; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 26 et 27; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21; E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la page 87). Je vais donc d’abord me pencher sur (i) le libellé de l’alinéa 10(1)h) de la Loi, et ensuite (ii) l’objet de cette loi, et enfin (iii) son historique législatif, le tout dans le but de déterminer si les dispositions règlementaires contestées outrepassent les pouvoirs conférés au CRTC aux termes de la Loi.

1)    Interprétation statutaire

a)    Le libellé de l’alinéa 10(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion

[37]      TVA soumet que le CRTC ne peut avoir d’impact sur les aspects économiques qui existent entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution au motif que le champ d’action du CRTC doit demeurer essentiellement dans l’arène culturelle — et non économique. Du même souffle, tant TVA que Bell tentent de circonscrire le CRTC à un rôle de second plan consistant à « assister » les parties dans leurs négociations. Or, cette perspective réductrice des pouvoirs du CRTC est contraire au libellé de l’alinéa 10(1)h) de la Loi.

[38]      Je rappelle que l’alinéa 10(1)h) de la Loi énonce ce qui suit :

Règlements

10 (1) Dans l’exécution de sa mission, le Conseil peut, par règlement :

[…]

h) pourvoir au règlement — notamment par la médiation — de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre les entreprises de programmation qui la transmettent et les entreprises de distribution;

[39]      À sa face même, l’alinéa 10(1)h) de la Loi indique clairement que le législateur a octroyé au CRTC le pouvoir d’établir des règlements afin d’intervenir dans un différend concernant la fourniture de programmation entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution. La version anglaise de l’alinéa 10(1)h) confirme dans le même sens le vaste pouvoir conféré au CRTC dans l’adoption de règlements dans le but de résoudre : « any disputes ». Cette interprétation trouve aussi appui dans la version française : « pourvoir au règlement […] de différends ». De plus, comme le souligne à bon droit Cogeco : « une disposition habilitante [comme l’alinéa 10(1)h)], qui autorise une réglementation aux fins d’accomplir un objectif (“for” ou “for the purpose of”) […] doit recevoir une interprétation large et libérale » (mémoire de faits et de droit de Cogeco, au paragraphe 27; Ruth Sullivan, Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Ont. : LexisNexis, 2014, à la page 160). Et dans le même sens, le PGC note avec justesse qu’en vertu du pouvoir octroyé au CRTC à l’alinéa 10(1)h), il serait difficile d’envisager comment le CRTC pourrait régler un différend entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution sans pour autant influer sur un volet économique de leur relation, ce dernier se retrouvant forcément à l’avant-plan.

[40]      A priori donc, le libellé de l’alinéa 10(1)h) de la Loi confère au CRTC la compétence pour adopter les dispositions règlementaires contestées, et à plus forte raison, la règle du statu quo.

b)    L’objet de la Loi sur la radiodiffusion

[41]      L’objet de la Loi est vaste et à la lumière de certaines dispositions de cette loi, il ressort également que les objectifs fixés par le législateur visent non seulement les aspects culturels de la radiodiffusion mais aussi ses aspects économiques. Par exemple, le sous-alinéa 3(1) d)(i) de la Loi énonce que le système canadien de radiodiffusion devrait « servir à […] renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada » (mon soulignement). Dans le même esprit, l’alinéa 3(1)t) de la Loi énonce quant à lui des objectifs pour les entreprises de distribution relativement à la fourniture des services de programmation, si bien qu’on ne saurait prétendre que la mission du CRTC n’a pas de dimension économique.

[42]      TVA soutient malgré tout que l’alinéa 10(1)h) de la Loi ne permet pas au CRTC d’adopter les dispositions règlementaires contestées et, par le fait même, la règle du statu quo car, ce faisant, le CRTC s’immisce dans les relations contractuelles et économiques entre les entreprises de programmation et les entreprises de distribution. Afin d’appuyer cette prétention, TVA rappelle habilement l’interprétation restrictive donnée par les tribunaux à une autre disposition, à savoir l’alinéa 9(1)h) de la Loi, notamment par notre Cour dans l’arrêt Bell Canada c. 7265921 Canada Ltd., 2018 CAF 174, [2019] 2 R.C.F. 414, (Bell 2018). TVA nous invite à transposer cette interprétation à l’alinéa 10(1)h) pour ainsi en limiter la portée.

[43]      TVA allègue donc que les motifs de ma collègue la juge Woods dans la décision Bell 2018, auxquels concourt mon collègue le juge Nadon, confirment que la Loi — et plus particulièrement l’alinéa 9(1)h) — ne permet pas au CRTC de réglementer les modalités et les conditions des ententes d’affiliation et ce, ni directement, ni par le biais d’un processus de règlement des différends tel que prévu par les dispositions règlementaires contestées. À l’appui de cette prétention, TVA s’en remet aux paragraphes 167 et 169 dans l’arrêt Bell 2018 :

À mon avis, il n’est pas raisonnable d’interpréter l’alinéa 9(1)h) comme conférant au CRTC le pouvoir général de réglementer les modalités et conditions des ententes d’affiliation. Cette interprétation va beaucoup plus loin que le sens courant du texte de l’alinéa 9(1)h) et n’est pas raisonnablement fondée sur l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la loi.

[…]

Vu son sens ordinaire, cette disposition n’inclut pas le pouvoir général de régir les modalités et conditions relatives à la prestation des services. Le CRTC ne peut que régir les modalités et conditions des services de programmation qu’il précise et que doivent assurer les titulaires.

[44]      Dans la présente affaire, TVA soumet que, dans la mesure où les articles 9 et 10 de la Loi s’interprètent au regard des mêmes objectifs, le raisonnement étayé par notre Cour dans l’arrêt Bell 2018 doit nécessairement s’appliquer en l’espèce et que le CRTC n’a pas la compétence d’adopter les dispositions règlementaires contestées.

[45]      Je ne partage pas cet avis.

[46]      En fait, la majorité de notre Cour dans l’arrêt Bell 2018 (les juges Woods et Nadon) a répondu à une problématique précise sans directement se prononcer sur l’alinéa 10(1)h) ni sur le pouvoir du CRTC de régler des différends. La règle du statu quo, au cœur du présent litige, et plus particulièrement l’alinéa 10(1)h), n’ont fait l’objet d’aucune analyse dans l’arrêt Bell 2018. La Cour a d’ailleurs pris soin de préciser, au paragraphe 173, que la décision se limitait à la portée de l’alinéa 9(1)h) de la Loi :

Comme le présent appel concerne uniquement l’alinéa 9(1)h), je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si l’objectif visé par le CRTC quand il a émis l’Ordonnance aurait pu être atteint par d’autres moyens.

[47]      Au soutien de sa prétention en l’espèce, TVA s’appuie également sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Renvoi. Dans cette affaire, la Cour suprême s’est penchée sur la compétence du CRTC d’établir un régime de compensation pour la valeur des signaux basé sur les forces du marché. Il s’agissait d’un régime dont la principale caractéristique était de conférer aux stations privées de télévision locale — à titre de radiodiffuseurs — le droit d’interdire aux entreprises de distribution de radiodiffusion la retransmission de leurs signaux en cas d’échec des négociations si les parties ne parvenaient à s’entendre sur une compensation. Ce droit d’exiger le retrait d’émissions se voulait un moyen d’accorder aux radiodiffuseurs l’influence requise pour exiger une compensation des entreprises de distribution de radiodiffusion (Renvoi, au paragraphe 19).

[48]      La Cour suprême, aux termes d’une interprétation de la Loi et en tenant compte du contexte global de celle-ci, a conclu que la création des droits envisagés par le CRTC dans cette affaire constituait « une mesure beaucoup trop éloignée des objectifs fondamentaux visés par le législateur et des pouvoirs conférés au CRTC par la Loi sur la radiodiffusion » (Renvoi, au paragraphe 33). De plus, toujours selon la Cour suprême, le régime proposé par le CRTC entrait en conflit avec certaines dispositions de la Loi sur le droit d’auteur (articles 21 et 31).

[49]      Dans le cas présent, TVA prétend que suivant l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt Renvoi, le CRTC ne peut contrôler ou s’immiscer dans les rapports économiques entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution et que, conséquemment, les dispositions règlementaires contestées et la règle du statu quo doivent être déclarées invalides.

[50]      Encore une fois, je ne partage pas cet avis. La portée que TVA donne à l’arrêt Renvoi dans le cadre de la présente affaire est exagérée compte tenu de la question que la Cour suprême était appelée à trancher. Il faut plutôt lire la conclusion de la Cour suprême dans l’arrêt Renvoi, comme se limitant au régime de compensation proposé par le CRTC. Partant, cela ne signifie pas que toute mesure règlementaire adoptée par le CRTC ayant des conséquences économiques soit de facto ultra vires de la Loi. On ne saurait donc voir dans l’arrêt Renvoi une interdiction, voire une élimination, de tout droit de contrôle économique du CRTC entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution au sein du régime de radiodiffusion canadien.

[51]      Dans le même ordre d’idées, il convient aussi de souligner que récemment, dans l’arrêt Bell 2019, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’une interprétation restrictive de l’alinéa 9(1)h) « n’entravera pas les efforts déployés par [le CRTC] pour réglementer l’industrie de la radiodiffusion conformément aux objectifs énumérés au par. 3(1) » (Bell 2019, au paragraphe 49). En définitive, et comme l’ont plaidé les intervenants, la portée de la disposition en cause en l’espèce, à savoir l’alinéa 10(1)h), ne se trouve en aucun point altérée par l’interprétation restrictive qu’ont donnée les tribunaux à l’alinéa 9(1)h) de la Loi.

c)    L’historique législatif

[52]      Bien que l’historique législatif ne soit pas en soi déterminant, il fournit des indications supplémentaires sur l’interprétation à donner à l’alinéa 10(1)h) de la Loi. En l’espèce, un survol de cet historique démontre que l’intention du législateur était d’octroyer des pouvoirs très étendus au CRTC au soutien de sa mission en matière de radiodiffusion, notamment en ce qui concerne le règlement des différends au vu du défi grandissant posé par l’avènement de l’entreprise de distribution comme contrôleur de l’accès à la programmation.

[53]      Il est opportun de rappeler que la genèse de ce défi s’est manifestée lorsque le gouvernement fédéral a permis l’intégration verticale sans restriction. Ce faisant, il a permis à une même entreprise de détenir soit la propriété ou le contrôle de service de programmation et de distribution. En donnant son appui à l’intégration verticale, le gouvernement fédéral était dès lors conscient du potentiel accru de conflits d’intérêts que l’intégration verticale pouvait entraîner. Afin de répondre à ce défi, il a été décidé que le CRTC aurait le pouvoir de régler des différends qui peuvent survenir dans le cadre d’une négociation entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution. Ce rôle d’arbitre dévolu au CRTC pour pallier les risques potentiels de conflits d’intérêt et pour résoudre, dans l’intérêt public, les différends entre entreprises a été réitéré à maintes reprises : voir « Des voix canadiennes pour un choix véritable : Une nouvelle politique de la radiodiffusion pour le Canada » (ministère des Communications, 1988); Government Response to the Fifteenth Report of the Standing Committee on Communications and Culture : A Broadcasting Policy for Canada (juin 1988); Chambre des Communes, Comité législatif sur le Projet de loi C-136, Procès-verbaux et témoignages, 33e lég., 2e sess., no 1 et no 4 (10 et 17 août 1988), aux pages 1 : 27 et 4 : 41 (président : Robert E. J. Layton); The Broadcasting Act 1988 : A Clause-by-Clause Analysis of Bill C-136 (Department of Communications, August 1988); Débats de la Chambre des communes, 34e lég., 2e sess., vol. 4 (3 novembre 1989), à la page 5548 (l’hon. Marcel Massé) (cahier conjoint des lois, règlements, jurisprudence et doctrine, vol. 12, à la page 4497; vol. 13, aux pages 4838, 4842, 4879 et 4999; vol. 14, aux pages 5278 et 5396). En l’espèce, ce rôle de décideur accordé au CRTC est d’autant plus crucial que, comme l’a fait remarquer le PGC, tant TVA que Bell sont des entreprises intégrées verticalement qui à la fois distribuent et offrent de la programmation, multipliant ainsi le risque de différends.

[54]      Qui plus est, à l’époque de l’adoption de la Loi, l’Association canadienne de câblodistribution avait proposé que soit limité le pouvoir du CRTC en cause, à un pouvoir non contraignant de médiation (Chambre des Communes, Comité législatif sur le Projet de loi C-136, Procès-verbaux et témoignages, 33e lég., 2e sess., no 4 (17 août 1988) à la page 4A : 7 (président : Robert E. J. Layton) (cahier conjoint des lois, règlements, jurisprudence et doctrine, vol. 14, à la page 5308). Or, cette proposition de l’industrie, qui aurait souhaité par le fait même circonscrire le rôle du CRTC à celui « d’assister » les entreprises dans leurs différends — et que TVA reprend à son compte quelque 30 ans plus tard — n’a pas été retenu par le législateur à l’époque. Ce dernier a plutôt opté pour conférer au CRTC le pouvoir de « settle disputes », c’est-à-dire de « régler les différends » (cahier conjoint des lois, règlements, jurisprudence et doctrine, vol. 13, à la page 4999).

[55]      À la lumière de ce qui précède, il appert que le législateur, aux termes de l’alinéa 10(1)h) de la Loi, a voulu donner au CRTC le pouvoir d’intervenir par voie réglementaire dans un aspect précis des rapports économiques entre les entreprises de programmation et les entreprises de distribution, plus particulièrement celui d’arbitrer leurs différends concernant la fourniture de la programmation. Il s’ensuit que les dispositions règlementaires contestées par TVA et par Bell sont intra vires des pouvoirs du CRTC et s’inscrivent dans le pouvoir de réglementation dévolu à ce dernier par le législateur à l’alinéa 10(1)h) de la Loi.

[56]      Il reste à aborder la prétention de TVA et de Bell en vertu de laquelle la règle du statu quo, en obligeant TVA à fournir son signal de la chaîne TVA Sports à Bell, permet au CRTC de forcer le maintien d’une relation contractuelle permanente entre TVA et Bell, alors que TVA n’y consent pas.

2)    L’impact de la règle du statu quo sur la relation contractuelle des parties

[57]      Rappelons que lorsque le différend a pris forme entre TVA et Bell au sujet du signal de la chaîne TVA Sports, les deux entreprises étaient liées par une entente d’affiliation. En vertu de cette entente, TVA avait effectivement l’obligation de transmettre son signal de la chaîne TVA Sports à Bell.

[58]      Le CRTC, dans ce contexte, constatant notamment la plainte de préférence indue déposée par TVA le 27 février 2019, la médiation assistée à laquelle TVA et Bell avaient pris part le 5 avril 2019 et prenant acte des lettres de Bell (7, 8 et 10 avril 2019), a déterminé à bon droit qu’il y avait un différend entre les parties.

[59]      C’est sur la base de ce constat que le CRTC a appliqué la règle du statu quo obligeant ainsi TVA et Bell à fournir leurs services respectifs à l’autre entreprise selon les modalités prévues à l’entente d’affiliation en place préalablement au différend.

[60]      TVA fait valoir qu’en adoptant les décisions contestées et en imposant le statu quo, le CRTC a forcé le maintien de sa relation contractuelle avec Bell alors que son intention était de mettre fin à l’entente d’affiliation. Or, comme le soulignent les intervenants, la preuve au dossier démontre que dans les faits, TVA n’avait pas mis fin à l’entente en question avec Bell. D’une part, le 10 avril 2019, c’est-à-dire à la date à laquelle TVA a interrompu son signal, TVA ne laissait pas entendre qu’elle voulait mettre fin à l’entente. Au contraire, TVA demeurait disponible pour trouver une solution, dénouer l’impasse dans laquelle elle se retrouvait avec Bell et convenir d’une nouvelle entente d’affiliation satisfaisante (dossier d’appel, vol. 4, à la page 800; vol. 5, aux pages 842 et 843). Il s’ensuit que les prétentions de TVA à l’effet que son intention était de mettre fin à l’entente d’affiliation ne peuvent être retenues.

[61]      En ce qui concerne l’avis de résiliation qu’a fait parvenir TVA à Bell en date du 8 avril 2019, et sur lequel TVA s’appuie pour soutenir que l’entente d’affiliation entre les deux entreprises n’était plus en vigueur, force est de constater qu’il ne contient pas de date effective de résiliation. L’avis de résiliation précise expressément que la date effective ainsi que l’heure de la résiliation seront confirmées « dans une communication à venir » (dossier d’appel, vol. 2, à la page 343). Qui plus est, la preuve au dossier ne révèle aucune lettre subséquente confirmant les modalités de la résiliation. En ce sens, l’avis de résiliation invoqué par TVA à l’appui de ses prétentions s’apparente plutôt à l’expression d’une intention de se retirer de l’entente d’affiliation, intention à laquelle elle n’a pas donné suite. Au surplus, dans l’éventualité où TVA ou Bell souhaitaient résilier l’entente en question, celle-ci contient un terme déterminé renouvelable jusqu’à la transmission par une partie d’un préavis de 180 jours comme le souligne Bell à juste titre (dossier d’appel, vol. 5, à la page 837). Selon les termes mêmes de l’entente en cause, TVA était donc dans l’obligation de fournir ce préavis de 180 jours si elle souhaitait y mettre fin, ce qu’elle n’a pas fait.

[62]      Dans ces circonstances, il est pour ainsi dire difficile d’accepter l’argument de TVA selon lequel la règle du statu quo l’oblige à demeurer dans une relation contractuelle sans son consentement sachant que c’est précisément en vertu de l’entente d’affiliation que TVA a l’obligation de transmettre son signal à Bell. Dans l’éventualité où TVA ne souhaitait plus être liée par l’entente d’affiliation, elle était libre d’y mettre fin en conformité toutefois avec les termes de celle-ci. Ne l’ayant pas fait, l’entente d’affiliation demeurait en vigueur et TVA a malgré tout retiré son signal le 10 avril 2019, privant ainsi près d’un million de consommateurs canadiens de la télédiffusion exclusive en français du premier match des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey.

[63]      Or, la règle du statu quo a justement pour objet d’empêcher qu’une entreprise de programmation liée à une entente d’affiliation retire son signal dans un contexte de négociations dans lequel survient un différend — ou qu’une entreprise de programmation abandonne tout simplement le service. Cette règle permet au CRTC, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le législateur (i) de maintenir le statu quo de l’entente d’affiliation en question tel qu’elle existait avant le différend; (ii) de préserver l’équilibre des forces en présence au cours d’un processus de négociation et, (iii) d’assurer que les consommateurs canadiens ne soient pas privés de services pendant de tels litiges. En effet, ce n’est qu’en préservant le statu quo eu égard à la programmation et en neutralisant la possibilité d’un retrait arbitraire du service que le CRTC peut agir pour protéger l’intérêt public. Autrement dit, dans la mesure où la règle du statu quo oblige la fourniture du service, elle vise précisément à préserver l’équilibre en place et, par le fait même, protéger cet intérêt. Finalement, la règle du statu quo n’a pas davantage un caractère permanent, comme le prétend TVA, car une partie peut demander directement au CRTC que le statu quo soit levé si le différend en cause est résolu ou, à défaut d’une entente, le CRTC peut prendre une décision en ce sens (Règlement sur les services facultatifs, paragraphe 15(2)).

B.    Les dispositions contestées entrent-elles en conflit avec l’alinéa 3(1)f) et le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur?

[64]      Lors de l’audience devant le CRTC, TVA a remis en question la compétence du CRTC d’adopter les dispositions règlementaires contestées en vertu de la Loi. Le CRTC a d’ailleurs analysé et disposé de cette question dans ses décisions dans cet esprit. Devant le CRTC, ni Bell ni TVA, n’ont mis de l’avant l’argument de l’incompatibilité des dispositions contestées avec la Loi sur le droit d’auteur. Or devant notre Cour, cet argument est néanmoins soulevé et amplement développé même si l’unique référence à la question du droit d’auteur en lien avec la règle du statu quo est contenue dans les soumissions écrites de TVA devant le CRTC, se limitant à ce qui suit :

Finalement, le processus d’AOF qui impose le statu quo et qui mène ultimement à une décision du CRTC sur le tarif des redevances est non seulement ultra vires des compétences du CRTC, mais contrevient aux articles 3(1)f) et 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur.

(Dossier d’appel, vol. 4, à la page 629.)

[65]      Le CRTC n’a pas été véritablement saisi de l’argumentaire relatif à la Loi sur le droit d’auteur, ce qui explique qu’il ne s’est pas prononcé à cet égard. Pourtant, Bell et TVA demandent à cette Cour de se pencher sur cette question malgré le silence du CRTC dans sa décision. Or, comme le souligne à juste titre Telus, la référence on ne peut plus limitée au droit d’auteur contenue dans l’extrait ci-dessus des prétentions de TVA devant le CRTC, ne justifie pas à elle seule que notre Cour aborde cette question et qu’elle en fasse l’analyse (Taman c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 1, [2017] 3 R.C.F. 520. En fait, je suis d’avis qu’il serait inopportun dans les circonstances d’en traiter.

[66]      Cela étant, et sans pour autant décider de la question, une observation s’impose : à première vue, le conflit que soulèvent Bell et TVA entre la Loi sur le droit d’auteur et les dispositions règlementaires contestées apparaît plutôt théorique puisque la règle du statu quo implique nécessairement qu’il existe déjà une entente contractuelle entre une entreprise de programmation et une entreprise de distribution. Or, conformément à l’entente en vigueur lors du différend entre TVA et Bell, TVA avait donné son consentement à la transmission de ses œuvres par Bell. Il s’ensuit qu’une cession des droits d’auteur par TVA précède l’application de la règle du statu quo et la question de savoir si les dispositions règlementaires contestées entrent en conflit avec des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur n’a donc, a priori, aucune réelle incidence dans la présente affaire.

VII.  Conclusion

[67]      Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les dispositions règlementaires contestées sont intra vires des pouvoirs du CRTC en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Locke, J.C.A. : Je suis d’accord.

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