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A-175-21

2022 CAF 101

Le procureur général du Canada (appelant)

c.

Iris Technologies Inc. (intimée)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Iris Technologies Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Rennie et Laskin, J.C.A.—Toronto, 2 juin 2022.

Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale, qui a maintenu la décision d’un protonotaire rejetant la requête de l’appelant visant à radier la demande de contrôle judiciaire de l’intimée se rapportant à la vérification et à la cotisation dont elle a fait l’objet par le ministre du Revenu national au titre de la Loi sur la taxe d’accise — Dans son avis de demande, l’intimée a sollicité trois jugements déclaratoires portant qu’elle avait été privée de son droit à l’équité procédurale, lors du processus de vérification et de cotisation, qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir une cotisation au titre de la Loi et que les cotisations ont été établies dans le but illégitime de priver la Cour fédérale de sa compétence d’entendre les griefs en matière de droit administratif soulevés par l’intimée dans une demande connexe — L’appelant a fait valoir plus particulièrement que la Cour fédérale n’a pas tenu compte du fait que la demande de contrôle judiciaire de l’intimée était en réalité une contestation de la validité des cotisations, ce qui relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt — Il s’agissait de savoir si la demande de contrôle judiciaire de l’intimée devait être radiée — Lorsque les motifs de contrôle invoqués dans la demande étaient situés dans le contexte du mandat législatif que la Loi confère au ministre et dans les compétences respectives de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale, l’avis de demande était, dans les faits, une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la Loi, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt — En l’espèce, les jugements déclaratoires sollicités par l’intimée n’avaient pas d’effet concret — Ils étaient purement théoriques — La demande n’avait aucune chance d’être accueillie — Par conséquent, l’ordonnance de la Cour fédérale a été annulée et la demande de contrôle judiciaire de l’intimée a été radiée — Appel accueilli.

Pratique — Actes de procédure — Requête en radiation — La Cour fédérale a maintenu la décision d’un protonotaire de rejeter la requête de l’appelant visant à radier la demande de contrôle judiciaire de l’intimée se rapportant à la vérification et à la cotisation dont elle a fait l’objet par le ministre du Revenu national au titre de la Loi sur la taxe d’accise — L’appelant a fait valoir plus particulièrement que la Cour fédérale n’a pas tenu compte du fait que la demande de contrôle judiciaire de l’intimée était en réalité une contestation de la validité des cotisations, ce qui relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt — Il s’agissait de savoir si la demande de contrôle judiciaire de l’intimée devait être radiée — Lorsque les motifs de contrôle invoqués dans la demande étaient situés dans le contexte du mandat législatif que la Loi confère au ministre et dans les compétences respectives de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale, l’avis de demande était, dans les faits, une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la Loi, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt — En l’espèce, les jugements déclaratoires sollicités par l’intimée n’avaient pas d’effet concret — Ils étaient purement théoriques — La demande n’avait aucune chance d’être accueillie — Par conséquent, l’ordonnance de la Cour fédérale a été annulée et la demande de contrôle judiciaire de l’intimée a été radiée.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale, qui a maintenu la décision d’un protonotaire rejetant la requête de l’appelant visant à radier la demande de contrôle judiciaire de l’intimée se rapportant à la vérification et à la cotisation dont elle a fait l’objet par le ministre du Revenu national au titre de la Loi sur la taxe d’accise (Loi). Dans son avis de demande, l’intimée a sollicité trois jugements déclaratoires portant qu’elle avait été privée de son droit à l’équité procédurale, lors du processus de vérification et de cotisation, qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir une cotisation au titre de la Loi et que les cotisations ont été établies dans le but illégitime de priver la Cour fédérale de sa compétence d’entendre les griefs en matière de droit administratif soulevés par l’intimée dans une demande connexe. L’appelant a fait valoir que la Cour fédérale n’a pas tenu compte du fait que la demande de contrôle judiciaire de l’intimée était en réalité une contestation de la validité des cotisations, ce qui relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. L’appelant a ajouté que le juge n’a pas tenu compte du fait que le ministre n’avait aucun pouvoir discrétionnaire quant aux cotisations concernant la taxe nette au titre de la Loi. Il a affirmé également que les jugements déclaratoires sollicités dans la demande ne constituaient pas des recours recevables en matière de droit administratif. L’intimée a soutenu que le juge de la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la véritable nature de la demande n’était pas une contestation indirecte des cotisations. Elle a fait valoir qu’elle formulait des allégations recevables en matière de droit administratif relevant de la compétence de la Cour fédérale. Elle a invoqué les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, ainsi que la règle 64 des Règles des Cours fédérales, qui confèrent à la Cour fédérale un vaste pouvoir pour superviser l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel et pour rendre un jugement déclaratoire.

Il s’agissait de savoir si la demande de contrôle judiciaire de l’intimée devait être radiée.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Lorsque les motifs de contrôle invoqués dans la demande étaient situés dans le contexte du mandat législatif que la Loi confère au ministre et dans les compétences respectives de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale, l’avis de demande était, dans les faits, une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la Loi, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt.

En ce qui concerne l’allégation de manquements à l’équité procédurale par le ministre lors du processus de vérification et de cotisation, les vices de procédure commis par le ministre dans l’établissement de la cotisation ne constituent pas, en eux‑mêmes, un motif permettant de frapper de nullité la cotisation. Dans la mesure où le ministre a ignoré un élément de preuve, en a fait abstraction, l’a écarté ou l’a mal interprété, un appel interjeté sous le régime de la procédure générale de la Cour de l’impôt est un recours approprié et curatif. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le ministre a dérogé à la politique de l’Agence du revenu du Canada, les dérogations à la politique antérieure peuvent donner ouverture à des arguments quant aux attentes légitimes, mais elles ne peuvent invalider une décision d’établir une cotisation, ni la cotisation en tant que telle. Le ministre est tenu d’appliquer la Loi, quelles que soient les considérations relatives à la politique. En ce qui concerne le fondement probatoire des cotisations, le fait que la cotisation établie par le ministre s’appuie ou non sur des éléments de preuve est une question qui relève précisément du mandat législatif de la Cour canadienne de l’impôt. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les cotisations ont été établies dans le but illégitime de rendre nulle l’utilisation par l’intimée, devant la Cour fédérale, des recours en droit administratif à l’encontre des cotisations, le simple fait que le ministre ait établi une cotisation n’écarte pas la compétence de la Cour fédérale. L’interdiction prévue à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas lorsque la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour statuer sur la conduite du ministre ou lorsque le véritable but de la demande est de solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, dans la présente affaire, l’intimée n’a pas avancé de motif particulier ou de conduite précise du ministre. Sa plainte semblait viser l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales et le régime législatif en tant que tel, et non pas une conduite précise du ministre. De plus, une mesure de redressement déclaratoire doit définir les droits des parties. Un tribunal n’est pas censé rendre de déclarations factuelles. Bien que la détermination des droits des parties puisse donner lieu à des conclusions de fait, les tribunaux n’ont pas compétence pour simplement déclarer des faits, indépendamment des droits des parties. Il ne sert à rien d’essayer d’analyser la raison sous‑tendant une décision d’établir une cotisation ou de distinguer cette raison du bien‑fondé de la cotisation en tant que telle. Le ministre est tenu de faire appliquer les dispositions de la Loi et l’exécution de cette responsabilité prévue par la loi ne saurait constituer un motif illégitime du ministre d’établir une cotisation. Par ailleurs, les cotisations sont réputées valides et exécutoires tant qu’elles ne sont pas annulées par la Cour de l’impôt. Un jugement déclaratoire est un recours extraordinaire et donc discrétionnaire. Un aspect à prendre en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est la question de savoir si le jugement déclaratoire aura un effet concret. En l’espèce, même en partant du principe que la Cour fédérale a compétence pour examiner l’intention sous‑tendant la décision d’établir une cotisation, aucun jugement déclaratoire ne devrait être rendu. La cotisation est restée valide et exécutoire tant qu’elle ne serait pas annulée par la Cour de l’impôt.

En l’espèce, les jugements déclaratoires n’avaient pas d’effet concret—ils étaient purement théoriques. De ce fait, la demande n’avait aucune chance d’être accueillie. Par conséquent, l’ordonnance de la Cour fédérale a été annulée et la demande de contrôle judiciaire de l’intimée a été radiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 12.

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18, 18.1.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 64, 76, 303, 351.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557.

DÉCISION EXAMINÉE :

Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140.

DÉCISIONS mentionnÉES :

Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; McCain Foods Limited c. J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4, [2021] A.C.F. no 37 (QL); 744185 Ontario Inc. c. Canada, 2020 CAF 1; Canada c. Dow Chemical Canada ULC, 2022 CAF 70; West Moberly First Nations v. British Columbia, 2020 BCCA 138, 37 B.C.L.R. (6th) 232; S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99; 1472292 Ontario Inc. (Rosen Express) v. Northbridge General Insurance Company, 2019 ONCA 753, 96 C.C.L.I. (5th) 1; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266; Johnson c. Canada, 2015 CAF 51; Iris Technologies Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 117.

APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2021 CF 597, [2022] 1 R.C.F. 383), qui a maintenu une ordonnance (T‑768‑20, ordonnance du protonotaire Aalto datée du 21 janvier 2021 (C.F.)) rejetant la requête de l’appelant visant à radier la demande de contrôle judiciaire de l’intimée se rapportant à la vérification et à la cotisation dont elle a fait l’objet par le ministre du Revenu national au titre de la Loi sur la taxe d’accise. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Elizabeth Chasson, Andrea Jackett, Katie Beahen, Christopher Ware et Natanz Bergeron pour l’appelant.

Leigh Somerville Taylor pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Leigh Somerville Taylor Professional Corporation, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rennie, J.C.A. : Iris Technologies Inc. a fait l’objet d’une vérification et d’une cotisation par le ministre du Revenu national au titre de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la LTA). En réponse, Iris a déposé un avis de demande auprès de la Cour fédérale, sollicitant trois jugements déclaratoires portant qu’Iris avait été privée de son droit à l’équité procédurale, lors du processus de vérification et de cotisation, qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir une cotisation au titre de la LTA et que les cotisations ont été établies dans le but illégitime de priver la Cour fédérale de sa compétence d’entendre les griefs en matière de droit administratif soulevés par Iris dans une demande connexe. Le procureur général a demandé la radiation de la demande. Le protonotaire a rejeté la requête du procureur général et cette décision a été maintenue en appel devant la Cour fédérale (2021 CF 597 [2022] 1 R.C.F. 383, la juge McDonald). Le procureur général interjette maintenant appel devant notre Cour.

[2]        Une demande de contrôle judiciaire sera radiée si elle n’a aucune chance d’être accueillie (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (arrêt JP Morgan), aux paragraphes 47 et 91). En appliquant cette norme, le tribunal doit lire la demande selon une approche globale et réaliste de manière à saisir la véritable nature de la demande (au paragraphe 49).

[3]        Formuler des griefs en utilisant des termes de droit administratif et en demandant des remèdes propres à ce domaine du droit n’en font pas pour autant des griefs en droit administratif. Le tribunal doit aller au-delà des mots employés. Ceci est particulièrement vrai lors de la contestation de cotisations au titre de la LTA ou de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, où le législateur a établi une cour de justice et un système spécialisés pour les appels en matière fiscale et a expressément exclu la compétence de contrôle judiciaire de la Cour fédérale lorsqu’une cotisation fait l’objet d’un appel (Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, article 12; Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, paragraphe 18(5); Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793); arrêt JP Morgan, précité.

[4]        Le procureur général fait valoir que le juge n’a pas tenu compte du fait que la demande de contrôle judiciaire d’Iris était en réalité une contestation de la validité des cotisations, ce qui relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Il ajoute que le juge n’a pas tenu compte du fait que le ministre n’avait aucun pouvoir discrétionnaire quant aux cotisations concernant la taxe nette au titre de la Loi. Le procureur général affirme également que les jugements déclaratoires sollicités dans la demande ne constituent pas des recours recevables en matière de droit administratif.

[5]        Iris soutient que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que la véritable nature de la demande n’était pas une contestation indirecte des cotisations. Elle fait valoir qu’elle formule des allégations recevables en matière de droit administratif relevant de la compétence de la Cour fédérale. Elle invoque les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, ainsi que la règle 64 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qui confèrent à la Cour fédérale un vaste pouvoir pour superviser l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel et pour rendre un jugement déclaratoire.

[6]        La réponse à la question concernant le caractère essentiel d’une demande est une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte (McCain Foods Limited c. J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4, [2021] A.C.F. no 37 (QL), au paragraphe 65; 744185 Ontario Inc. c. Canada, 2020 CAF 1, au paragraphe 49. Lorsque les motifs de contrôle invoqués dans la présente demande se situent dans le contexte du mandat législatif que la LTA confère au ministre et dans les compétences respectives de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour fédérale, nous concluons que l’avis de demande est, dans les faits, une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la LTA, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Dans sa demande, Iris sollicite également des jugements qui n’ont pas d’effet concret. De ce fait, la demande n’a aucune chance d’être accueillie. Par conséquent, nous accueillerions l’appel, annulerions l’ordonnance de la Cour fédérale, accueillerions la requête et radierions la demande.

[7]        Je me pencherai maintenant sur les jugements précis sollicités dans l’avis de demande.

[8]        Iris sollicite un jugement déclaratoire portant que le ministre a manqué à l’équité procédurale au cours du processus de vérification et de cotisation et qu’il n’a pas suivi la politique antérieure à l’égard de l’administration de la LTA.

[9]        Notre Cour, au paragraphe 82 de l’arrêt JP Morgan, a traité la question de la disponibilité des recours en contrôle judiciaire pour manquement à l’équité procédurale par le ministre lors du processus de vérification et de cotisation. Nous jugeons qu’il est pertinent de reproduire cette citation :

[…] Les vices de procédure commis par le ministre dans l’établissement de la cotisation ne constituent pas, en euxmêmes, un motif permettant de frapper de nullité la cotisation […] Dans la mesure où le ministre a ignoré un élément de preuve, en a fait abstraction, l’a écarté ou l’a mal interprété, un appel interjeté sous le régime de la procédure générale de la Cour canadienne de l’impôt est un recours approprié et curatif. En appel devant cette Cour, les parties auront la possibilité d’interroger au préalable, d’obtenir la communication de documents, de présenter des preuves documentaires, d’appeler des témoins et de faire des observations. La jouissance ultérieure de droits procéduraux peut remédier à des vices de procédure antérieurs […] [Renvois omis.]

[10]      À l’appui de son argument concernant l’équité procédurale, Iris fait valoir que le ministre a dérogé à la politique de l’Agence du revenu du Canada lors de la vérification et de l’établissement de la cotisation. Les dérogations à la politique antérieure peuvent donner ouverture à des arguments quant aux attentes légitimes, mais elles ne peuvent invalider une décision d’établir une cotisation, ni la cotisation en tant que telle. Le ministre est tenu d’appliquer la LTA, quelles que soient les considérations relatives à la politique.

[11]      Le raisonnement formulé dans l’arrêt JP Morgan permet également de statuer sur le deuxième jugement déclaratoire sollicité, à savoir le fait que les cotisations ont été établies sans éléments de preuve. Le fait que la cotisation établie par le ministre s’appuie ou non sur des éléments de preuve est une question qui relève précisément du mandat législatif de la Cour canadienne de l’impôt.

[12]      Le troisième motif de la demande est l’allégation selon laquelle les cotisations ont été établies dans le but illégitime de rendre nulle l’utilisation par Iris, devant la Cour fédérale, des recours en droit administratif à l’encontre des cotisations.

[13]      Le simple fait que le ministre ait établi une cotisation n’écarte pas la compétence de la Cour fédérale. L’interdiction prévue à l’article 18.5 ne s’applique pas lorsque la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour statuer sur la conduite du ministre ou lorsque le véritable but de la demande est de solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. C’est ce qui s’est produit dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, où un contrôle judiciaire a été accueilli à l’égard des pénalités imposées lors d’une nouvelle cotisation : voir aussi l’arrêt Canada c. Dow Chemical Canada ULC, 2022 CAF 70.

[14]      Iris n’a pas avancé de motif particulier ou de conduite précise du ministre, si ce n’est de déclarer que le ministre a établi les cotisations pour priver la Cour fédérale de sa compétence dans l’instance connexe introduite devant la Cour fédérale. La plainte d’Iris semble viser l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales et le régime législatif en tant que tel, et non pas une conduite précise du ministre.

[15]      Ce motif pose un autre problème : un jugement déclaratoire est sollicité.

[16]      Une mesure de redressement déclaratoire doit définir les droits des parties. Un tribunal n’est pas censé rendre de déclarations factuelles (West Moberly First Nations v. British Columbia, 2020 BCCA 138, 37 B.C.L.R. (6th) 232, aux paragraphes 309 à 312). Bien que la détermination des droits des parties puisse donner lieu à des conclusions de fait, les tribunaux n’ont pas compétence pour simplement déclarer des faits, indépendamment des droits des parties (S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99 (arrêt Metro Vancouver Housing), au paragraphe 60; 1472292 Ontario Inc. (Rosen Express) v. Northbridge General Insurance Company, 2019 ONCA 753, 96 C.C.L.I. (5th) 1, aux paragraphes 22 et 30).

[17]      Il ne sert à rien d’essayer d’analyser la raison sous-tendant une décision d’établir une cotisation ou de distinguer cette raison du bien-fondé de la cotisation en tant que telle. C’est un exercice inutile puisque les cotisations en tant que telles ne dépendent pas d’un pouvoir discrétionnaire : soit la taxe est exigible en vertu de la loi, soit elle ne l’est pas. Le ministre est tenu de faire appliquer les dispositions de la LTA et l’exécution de cette responsabilité prévue par la loi ne saurait constituer un motif illégitime du ministre d’établir une cotisation (Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, au paragraphe 25; arrêt JP Morgan, au paragraphe 104; Johnson c. Canada, 2015 CAF 51 (arrêt Johnson)). Par ailleurs, les cotisations sont réputées valides et exécutoires tant qu’elles ne sont pas annulées par la Cour canadienne de l’impôt (Iris Technologies Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 117, au paragraphe 50). Le fait d’alléguer que le ministre a agi de manière inappropriée en établissant la cotisation n’a nullement pour effet de modifier celle-ci. À proprement parler, ce motif de demande constitue essentiellement une remise en cause de la validité de la cotisation en tant que telle.

[18]      Un jugement déclaratoire est un recours extraordinaire et donc discrétionnaire. Un aspect à prendre en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est la question de savoir si le jugement déclaratoire aura un effet concret (arrêt Metro Vancouver Housing, au paragraphe 60). En l’espèce, même en partant du principe que la Cour fédérale a compétence pour examiner l’intention sous-tendant la décision d’établir une cotisation, aucun jugement déclaratoire ne devrait être rendu. La cotisation reste valide et exécutoire tant qu’elle n’est pas annulée par la Cour canadienne de l’impôt. Rendre un jugement déclaratoire ne pouvant pas invalider les cotisations aurait peu ou n’aurait pas d’utilité (arrêt Johnson, au paragraphe 41). Aucun jugement déclaratoire ne sera rendu s’il existe un recours subsidiaire adéquat. En l’espèce, les jugements déclaratoires n’auront pas d’effet concret; ils sont purement théoriques.

[19]      À la lumière des motifs qui précèdent et du règlement du présent appel, il est inutile de traiter la requête déposée par le procureur général en vue de présenter une déclaration récente en tant que nouvel élément de preuve concernant l’appel au titre de la règle 351. La Cour accueille la requête présentée en application des règles 76 et 303 des Règles des Cours fédérales en vue de modifier l’intitulé de la cause afin que le procureur général du Canada remplace le ministre du Revenu national à titre d’appelant.

[20]      En conséquence, l’appel est accueilli et l’avis de demande est radié, le tout avec dépens devant notre Cour et la Cour fédérale.

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