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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

A-204-18

2020 CAF 205

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

BCS Group Business Services Inc. (intimée)

Répertorié : Canada c. BCS Group Business Services Inc.

Cour d’appel fédérale, les juges Gauthier, de Montigny et Locke, J.C.A.—Par vidéoconférence, le 23 octobre; Ottawa, le 2 décembre 2020.

Impôt sur le revenu — Pratique — Appel d’une ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) autorisant l’intimée à être représentée par Denis Gagnon, son unique actionnaire, administrateur et dirigeant, dans le cadre de l’instance introduite par cette dernière en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles PG) — Il s’agissait de savoir si la C.C.I. pouvait autoriser une personne qui n’est pas un avocat à représenter une société dans un appel interjeté sous le régime de la procédure générale prévue dans la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la Loi), et plus précisément à son art. 17.1 — L’appelante a soutenu qu’une société ne pouvait pas comparaître « en personne » et devait être représentée par une personne physique, en l’occurrence un avocat — Elle a affirmé que l’interprétation retenue par la C.C.I. en l’espèce avait pour effet de vider de son sens le mot « représentant » figurant à l’art. 18.14 de la Loi — L’appelante a affirmé qu’en vertu de l’interprétation législative de l’art. 17.1, M. Gagnon, qui n’est pas un avocat, ne pouvait pas représenter l’intimée — Dans son ordonnance, la C.C.I. a expressément déclaré que l’art. 17.1 permet à la société de comparaître de plein droit « en personne » par l’entremise de toute personne à qui la Cour accorderait l’autorisation — Il s’agissait de déterminer l’interprétation appropriée de l’art. 17.1, et plus précisément des mots « en personne » dans l’expression « peuvent comparaître en personne » — Selon l’interprétation législative appropriée de l’art. 17.1, la C.C.I. ne pouvait pas conclure que M. Gagnon personnifiait l’intimée, qu’il exerçait le droit de cette dernière de comparaître « en personne » — M. Gagnon n’étant pas un avocat, il ne pouvait pas agir à titre de procureur pour l’intimée — L’expression « en personne » fait référence au fait d’être physiquement présent — Contrairement aux Règles PG, l’art. 17.1 de la Loi ne fait aucune distinction explicite entre une partie qui est une personne physique et celle qui ne l’est pas — Si le sens ordinaire de l’expression « en personne » est celui retenu par le législateur, une partie renverrait à une personne physique dans l’ensemble de la Loi, mais elle engloberait une société en ce qui concerne le droit d’être représenté par un avocat — Aux termes de l’art. 17.1, une partie qui est une société doit être représentée par un avocat au sens de l’art. 17.1(2) — La Loi prévoit une procédure générale et une procédure informelle — L’objectif premier du législateur était l’efficacité de l’administration de la justice dans les instances assujetties à la procédure générale — Le législateur n’avait pas l’intention de retirer le droit reconnu et accordé aux personnes physiques de faire valoir leur cause par leur propre bouche — La C.C.I. et d’autres cours ont une règle de pratique décrivant la nécessité d’interpréter leurs règles et de les appliquer de façon à pouvoir apporter une solution au litige qui soit la plus expéditive et économique possible — Cela ne signifie pas que les sociétés se voient accorder un droit automatique de comparaître en personne ni que cela permet à la C.C.I. d’interpréter la Loi selon ses propres préférences politiques — Rien n’indique que le législateur ait voulu modifier le principe de common law et du droit civil selon lequel seuls les individus avaient le droit de comparaître « en personne », ou d’adopter une définition autre que celle correspondant au sens ordinaire de ces mots à l’art. 17.1 — La Cour ne peut accepter le point de vue selon lequel la façon dont une société peut comparaître en personne devrait être définie dans les Règles PG — La disposition au paragraphe 30(2) des Règles PG ne peut être considérée comme une définition des mots « en personne » figurant à l’art. 17.1 — Ainsi, la question de savoir comment l’art. 17.1 s’appliquerait dans toute affaire donnée n’a pas été laissée en suspens — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une ordonnance rendue par la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) autorisant l’intimée à être représentée par Denis Gagnon, son unique actionnaire, administrateur et dirigeant, dans le cadre de l’instance introduite par cette dernière en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (Règles PG).

Des décisions contradictoires ont été rendues sur la question de savoir si la C.C.I. peut autoriser une personne qui n’est pas un avocat à représenter une société dans un appel interjeté sous le régime de la procédure générale prévue dans la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la Loi), et plus précisément à son article 17.1. L’appelante a avancé qu’une société est une fiction juridique et, comme elle n’a pas de corps physique, elle ne peut comparaître « en personne », et doit être représentée par une personne physique, en l’occurrence, un avocat. L’appelante a affirmé que l’interprétation retenue par la C.C.I. en l’espèce a pour effet de vider de son sens le mot « représentant » figurant à l’article 18.14 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. L’appelante a ajouté que l’on ne peut présumer que le législateur entendait supplanter la common law, laquelle n’a jamais reconnu qu’une société pouvait comparaître « en personne » devant une cour. Par conséquent, l’appelante a affirmé qu’en vertu de l’interprétation législative de l’article 17.1, M. Gagnon, qui n’est pas un avocat, ne peut en aucune circonstance représenter l’intimée. Dans son ordonnance, la C.C.I. a expressément déclaré que l’article 17.1 permet à une société de comparaître « en personne » par l’entremise de toute personne à qui la Cour accorderait l’autorisation. À l’instar de la C.C.I., M. Gagnon a fait valoir que, conformément à l’article 17.1, l’intimée n’est pas représentée par un représentant, mais qu’elle exerce plutôt son droit de comparaître en personne par l’entremise d’une personne comme lui qui la personnifie.

Il s’agissait de déterminer l’interprétation appropriée de l’article 17.1 de la Loi, et plus particulièrement des mots « en personne » dans l’expression « peuvent comparaître en personne ».

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Selon l’interprétation législative appropriée de l’article 17.1 de la Loi, la C.C.I. ne pouvait pas conclure que M. Gagnon personnifiait l’intimée et qu’il exerçait le droit de cette dernière de comparaître « en personne ». M. Gagnon n’étant pas un avocat, il ne pouvait pas agir à titre de procureur pour l’intimée. La C.C.I. ne pouvait pas autoriser M. Gagnon à agir comme représentant de l’intimée dans le cadre de l’appel dont elle était saisie. Le sens ordinaire de l’expression « en personne » ne suscite pas de controverse et fait référence au fait d’être physiquement présent. Contrairement aux Règles PG, qui distinguent clairement entre une partie qui est une personne physique et celle qui est une société, le libellé de l’article 17.1 de la Loi ne fait pas de telle distinction explicite. En l’espèce, si le sens ordinaire de l’expression « en personne » est celui retenu par le législateur, malgré la structure grammaticale, une partie renverrait à une personne physique dans l’ensemble de la Loi, mais elle engloberait une société en ce qui concerne le droit d’être représenté par un avocat. Le sens ordinaire des mots « en personne » (plutôt que le concept juridique de « personne ») et le principe de common law et de droit civil selon lequel une société ne peut pas comparaître en personne en raison de sa nature même, suggèrent fortement qu’aux termes de l’article 17.1, une partie qui est une société doit être représentée par un avocat au sens du paragraphe 17.1(2). La Loi telle qu’amendée en 1988 a créé deux types de règles de procédures : la procédure générale et la procédure informelle. L’économie générale de la Loi révèle que les deux procédures ont des objectifs différents. L’objectif de la procédure générale était de veiller à ce que les instances plus complexes et juridiquement importantes devant la C.C.I. soient traitées en respectant le droit des parties à des règles de preuve et de procédure. L’objectif premier du législateur était l’efficacité de l’administration de la justice dans les instances assujetties à la procédure générale. Le législateur n’avait pas l’intention de retirer le droit reconnu et accordé depuis longtemps aux personnes physiques de faire valoir leur cause par leur propre bouche. Faire autrement reviendrait à modifier considérablement la common law et le droit civil, au même titre que l’octroi à une société d’un droit inconditionnel prévu par la loi de comparaître « en personne » constituerait une modification majeure. À l’instar de la C.C.I., d’autres cours ont une règle de pratique décrivant la nécessité d’interpréter leurs règles et de les appliquer de façon à pouvoir apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Cela ne signifie pas que les entités artificielles, telles que les sociétés, se voient accorder un droit automatique de comparaître en personne ni que cela permet à la C.C.I. d’interpréter la Loi selon ses propres préférences politiques. Outre la structure grammaticale de l’article 17.1 (la mention « [l]es parties »), rien n’indique que le législateur ait voulu modifier le principe de common law et du droit civil selon lequel seuls les individus avaient le droit de comparaître « en personne », ou d’adopter une définition autre que celle correspondant au sens ordinaire de ces mots à l’article 17.1. Cette structure grammaticale ne suffit pas pour justifier une telle conclusion. Le point de vue selon lequel la façon dont une société peut comparaître en personne devrait simplement être définie dans les Règles PG ne peut être accepté. Sous sa forme la plus récente, la Règle PG, au paragraphe 30(2) (« [l]a partie à une instance qui n’est pas une personne physique se fait représenter par un avocat, sauf avec l’autorisation de la Cour et sous réserve des conditions que celle-ci fixe ») ne peut en toute logique être considérée comme une définition des mots « en personne » figurant à l’article 17.1. Ainsi, la question de savoir comment l’article 17.1 s’appliquerait dans toute affaire donnée n’a pas été laissée en suspens.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11, 12.

Code de procédure civile, R.L.R.Q., ch. C-25.01, art. 87, 542.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 21(1).

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la Commission de révision de l’impôt, L.C. 1970-71-72, ch. 11, art. 10(1).

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 12, 15, 17.1, 17.3, 17.6, 18 à 18.3, 18.11, 18.14, 18.24, 18.28, 20.

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 14, 15.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 66(2)c).

Projet de loi C-146, Loi modifiant la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et d’autres lois en conséquence, 2e sess., 33e lég., 1988.

Projet de loi C-167, Loi concernant la Cour canadienne de l’impôt et modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur les juges et la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, 1re sess., 32e lég., 1983.

Règles de la Commission de révision de l’impôt, DORS/73-512, règles 2(1),(3).

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688, règle 30.

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a, règles 4, 30(1), (2).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 3.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Sutlej Foods Inc. c. La Reine, 2019 CCI 20; Banque Nationale du Canada c. Atomic Slipper Co., [1991] 1 R.C.S. 1059; Trifidus Inc. c. Samgo Innovations Inc. et autres, 2011 NBCA 59; TPG Technology Consulting Ltd. c. Canada, 2011 CAF 345; R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21; R c. CIP Inc., [1992] 1 R.C.S. 843; Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S.154; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144.

DÉCISIONS mentionnÉES :

Masa Sushi Japanese Restaurant Inc. c. La Reine, 2017 CCI 239; Suchocki Accounting Ltd. c. La Reine, 2018 CCI 88; 1532099 Ontario Ltd. c. La Reine, 2020 CCI 30; Groupe Nepveu Inc. c. La Reine, 2020 CCI 80.

DOCTRINE CITÉE

Barber, Katherine, Canadian Oxford Dictionary, Don Mills, Ont. : Oxford University Press, 2004, « person ».

Lefebvre, Denis c.r., « A Government Perspective of the Amendments to the Tax Court of Canada Act » dans Report of the Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report. Toronto : Fondation canadienne de fiscalité, 1989.

Rapport du Groupe d’étude sur les activités de Revenu Canada, Ottawa : Parti progressiste-conservateur du Canada, 1984.

Robert, Paul, Le Petit Robert, Paris : Le Robert, 2018, « personne ».

APPEL d’une décision (2018 CCI 120) rendue par la Cour canadienne de l’impôt autorisant l’intimée à être représentée par Denis Gagnon, son unique actionnaire, administrateur et dirigeant, dans le cadre de l’instance introduite par l’intimée en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Bruce Senkpiel et Sara Fairbridge pour l’appelante.

Denis Gagnon pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

BCS Group Business Services Inc., West Vancouver, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Gauthier, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par Sa Majesté la Reine à l’encontre d’une décision rendue par le juge Campbell Miller de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) (2018 CCI 120), autorisant BCS Group Business Services Inc. (BCS) à être représentée par Denis Gagnon, son unique actionnaire, administrateur et dirigeant, dans le cadre de l’instance introduite par cette dernière en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (les Règles PG).

[2]        Depuis 2017, des décisions contradictoires ont été rendues par différents juges de la C.C.I. sur la question de savoir si la C.C.I. peut autoriser une personne qui n’est pas un avocat à représenter une société dans un appel interjeté sous le régime de la procédure générale prévue dans la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2 (la Loi), et plus précisément à son article 17.1.

[3]        Avant de procéder à l’interprétation de l’article 17.1 de la Loi, il importe de préciser qu’il n’incombe pas à notre Cour de modifier le sens véritable d’un texte législatif proprement interprété. Nous ne devons pas envisager quelle pourrait être la meilleure politique ni tenir compte de nos préférences personnelles quant à la question de savoir qui devrait représenter les sociétés devant la C.C.I. dans le cadre d’une instance assujettie à la procédure générale. Notre tâche consiste plutôt à interpréter le texte législatif en suivant la méthode acceptée et établie par la Cour suprême du Canada, et à le qualifier sans ambages. Si le sens véritable d’un texte législatif ne convient pas sur le plan politique, c’est au législateur qu’il incombe de le modifier. La Cour se doit d’appliquer le sens véritable du texte législatif.

I.     Thèses des parties

[4]        L’appelante s’appuie fortement sur le raisonnement énoncé dans la décision Masa Sushi Japanese Restaurant Inc. c. La Reine, 2017 CCI 239 (Masa Sushi), auquel ont souscrit d’autres juges de la C.C.I. (voir Suchocki Accounting Ltd. c. La Reine, 2018 CCI 88; 1532099 Ontario Ltd. c. La Reine, 2020 CCI 30). De manière générale, l’appelante avance qu’une société est une fiction juridique. N’ayant pas de corps physique, elle ne peut comparaître en personne à l’audience comme l’exige le sens ordinaire de l’expression « en personne ». Elle doit être représentée par une personne physique, en l’occurrence, un avocat. Selon l’appelante, cela ressort également du libellé de l’article 17.1, lorsqu’il est lu dans son contexte, y compris l’article 18.14 de la Loi. L’appelante affirme que l’interprétation retenue par la C.C.I. en l’espèce a pour effet de vider de leur sens les mots « représentant » et « agent » en anglais figurant à cet article. L’appelante ajoute que l’on ne peut présumer que le législateur entendait supplanter la common law, laquelle n’a jamais reconnu qu’une société pouvait comparaître « en personne » devant une cour, bien qu’elle soit une entité juridique distincte et une personne morale. Par conséquent, l’appelante affirme qu’en vertu de l’interprétation législative de l’article 17.1, M. Gagnon, qui n’est pas un avocat, ne peut en aucune circonstance représenter la société.

[5]        Pour sa part, M. Gagnon, qui a été autorisé par cette Cour à présenter cet appel au nom de BCS, s’appuie fortement sur les motifs de la C.C.I. (l’ordonnance) en l’espèce et sur le fait qu’une société est une [traduction] « personne » et une partie au présent appel. Il affirme qu’en raison de sa structure grammaticale, il convient d’interpréter l’article 17.1 comme permettant de plein droit à la société de comparaître « en personne », par l’entremise de son administrateur ou de son actionnaire unique. Dans l’ordonnance dont nous sommes saisis, la C.C.I. a expressément déclaré qu’une société pouvait ce faire par l’entremise de toute personne à qui la Cour accorderait l’autorisation (l’ordonnance, au paragraphe 12). À l’instar de la C.C.I., M. Gagnon postule que conformément à l’article 17.1, BCS n’est pas représentée par un représentant, mais qu’elle exerce plutôt son droit de comparaître en personne par l’entremise d’une personne qui, comme lui, la personnifie. Afin de compléter ses représentations, j’ai examiné les motifs des autres juges de la C.C.I. qui ont adopté la même conclusion dans d’autres décisions, notamment ceux exprimés dans les décisions Sutlej Foods Inc. c. La Reine, 2019 CCI 20 (Sutlej Foods) et Groupe Nepveu Inc. c. La Reine, 2020 CCI 80.

[6]        Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que le législateur n’avait pas l’intention de supplanter le principe de la common law et du droit civil selon lequel une société, de par sa nature même, ne peut pas comparaître « en personne » devant une cour. Elle ne peut être représentée que par un représentant qui est une personne distincte de la société. À mon avis, la structure grammaticale de la disposition ne suffit pas pour parvenir à une conclusion différente considérant la nature des droits décrits dans la disposition, le régime législatif précis et son objet. En adoptant des dispositions détaillées dans la Loi quant à la représentation, le législateur a restreint le pouvoir implicite de la C.C.I. de décider qui peut représenter la société devant elle, particulièrement dans le cadre d’instances assujetties à la procédure générale.

II.    Cadre législatif

[7]        Il convient de reproduire d’emblée les dispositions les plus pertinentes de la Loi et des Règles PG. De même, au vu des arguments que je devais examiner, je reproduis les deux versions antérieures de la Règle PG paragraphe 30(2), qui sont entrées en vigueur suite à l’adoption de l’article 17.1 de la Loi.

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2

Procédure générale

[…]

Comparution

17.1 (1) Les parties à une procédure peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat; dans ce dernier cas, toutefois, seules les personnes visées au paragraphe (2) peuvent agir à titre d’avocat.

Qualité de fonctionnaire judiciaire

(2) Quiconque peut exercer à titre d’avocat ou de procureur dans une province peut exercer à ce titre à la Cour et en est fonctionnaire judiciaire.

[…]

Procédure informelle

[…]

Comparution

18.14 Les parties à un appel visé à l’article 18 peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat ou par un autre représentant.

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688

(version originale adoptée en 1990)

Représentation d’une personne ou d’une personne morale par avocat

30. (1) […]

(2) Sauf disposition contraire contenue dans un texte législatif, une personne morale ne peut engager ou continuer une instance que par avocat.

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688

(version modifiée en 1993 par DORS/92-41)

30 (1) […]

(2) Une personne morale se fait représenter par un avocat dans toute instance devant la Cour, sauf lorsque dans des circonstances spéciales, la Cour autorise la personne morale à se faire représenter par un de ses dirigeants.

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a

(version actuelle adoptée en 2007)

Représentation

Représentation par avocat

30 (1) Sous réserve du paragraphe (3), la partie à une instance qui est une personne physique peut agir en son nom ou se faire représenter par un avocat.

(2) La partie à une instance qui n’est pas une personne physique se fait représenter par un avocat, sauf avec l’autorisation de la Cour et sous réserve des conditions que celle-ci fixe.

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, la personne qui agit à titre de représentant d’une partie frappée d’incapacité et qui n’est pas avocat se fait représenter par un avocat.

III.   Questions en litige et norme de contrôle

[8]        Nous sommes saisis d’une seule question, soit l’interprétation de l’article 17.1. Il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).

[9]        Personne n’a fait valoir devant notre Cour que, si l’interprétation proposée par l’appelante est la bonne, la C.C.I. pourrait quand même autoriser M. Gagnon à agir comme représentant. En fait, l’ordonnance de la C.C.I. prévoit que l’autorisation serait révoquée si notre Cour concluait que M. Gagnon ne personnifiait pas BCS, et donc que l’on ne pouvait affirmer que BCS exerçait son droit de comparaître en personne, en vertu de l’article 17.1.

IV.   Commentaires préliminaires

[10]      Avant de procéder à l’analyse, il convient de préciser les questions qui ne sont pas en litige dans le présent appel ainsi que le contexte pertinent découlant de la nature particulière de la loi en question.

[11]      Premièrement, il n’est pas contesté qu’une société constitue une personne morale ayant le pouvoir d’ester en justice (Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, paragraphe 21(1)). Ainsi, dans le cadre d’une instance, une société est une partie distincte de ses actionnaires, administrateurs, dirigeants et autres employés.

[12]      Deuxièmement, les appels interjetés sous le régime de la procédure informelle prévue aux articles 18 à 18.3 de la Loi ne soulèvent aucune question. En vertu de l’article 18.14 de la Loi, « [l]es parties » peuvent comparaître en personne ou par l’entremise d’un avocat ou d’un autre représentant (« agent » en anglais). Ainsi, tant une personne physique qu’une société ont le droit de choisir qui les représentera, sans intervention de la C.C.I.

[13]      Quant au contexte juridique pertinent, au moment de la rédaction de l’article 17.1 de la Loi, ni la common law ni le droit civil (tel que codifié par le Code de procédure civile du Québec, R.L.R.Q., ch. C-25.01 (Cpc)) ne reconnaissaient qu’une société pouvait comparaître « en personne » par l’entremise de ses dirigeants, administrateurs ou actionnaires. Le juge Gonthier a expliqué la raison d’être de cette non-reconnaissance en droit civil dans l’arrêt Banque Nationale du Canada c. Atomic Slipper Co., [1991] 1 R.C.S. 1059, à la page 1070, je souligne :

À titre préliminaire, je dois noter que Tardi [une personne physique] et Atomic [une société] ne sont pas représentés par avocat. Tardi peut fort bien plaider en son nom mais il prétend vouloir représenter Atomic. La qualité même de corporation s’oppose à ce qu’elle comparaisse en personne (art. 365 C.c.B.-C.). Elle ne peut plaider que par mandataire. Or, au Québec, seuls les avocats ont le droit de représenter une partie à l’instance (art. 61 C.p.c. et l’art. 128 de la Loi sur le Barreau, L.R.Q., ch. B-1) et il s’ensuit qu’une corporation ne peut ester en justice que par ministère d’avocat (Thomassin v. General Finance Corp., [1953] B.R. 375).

[14]      Dans l’arrêt Trifidus Inc. c. Samgo Innovations Inc. et autres, 2011 NBCA 59, au paragraphe 20, la juge Quigg a utilisé des mots semblables pour décrire l’état de la common law. Elle a indiqué que « [c]ontrairement aux particuliers, qui sont légalement et logiquement capables d’agir en leur propre nom, les corporations doivent inévitablement compter sur une personne mandatée pour les représenter. Même si le mandataire est le directeur et actionnaire unique de la corporation, il continue d’être considéré juridiquement distinct de la corporation et est considéré en conséquence comme un tiers ».

[15]      Dans les circonstances, il est utile de considérer la Règle PG paragraphe 30(2) dans son contexte et de tenir compte du fait que son approche n’est pas unique. Les cours, y compris les cours statutaires comme les Cours fédérales, disposent d’un pouvoir ou d’une discrétion implicite leur permettant de contrôler leur propre procédure, sous réserve des limites imposées par une loi précise (voir par exemple l’article 87 du Cpc qui précise les personnes qui doivent être représentées par avocat). C’est pourquoi, depuis plusieurs années, de nombreuses cours ont adopté des règles de procédure leur permettant d’autoriser des sociétés à être représentées par des personnes physiques qui ne sont pas des avocats, dans des circonstances particulières. Ceci est devenu particulièrement important en raison de l’augmentation des frais associés au litige et de la nécessité de favoriser l’accès à la justice. Cette approche, qui repose sur une procédure d’autorisation, permet à la cour de concilier cette nécessité avec le souci d’efficacité dans l’administration de la justice. Une loi n’a jamais conféré à une société le droit de comparaître « en personne ». L’octroi d’une autorisation est un privilège découlant du pouvoir discrétionnaire de la cour de contrôler sa propre procédure. Par conséquent, le législateur peut lui retirer ce pouvoir discrétionnaire en adoptant une disposition expresse à cet effet dans la loi constitutive de la cour traitant expressément de la représentation en salle d’audience.

[16]      Lorsque de telles limites n’existent pas, comme par exemple dans la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, ces autorisations ne sont octroyées ni automatiquement ni facilement. Généralement, de nombreux facteurs sont pris en compte avant qu’une autorisation de représenter une société ne soit accordée à une personne physique particulière. Ces facteurs sont notamment la complexité des questions, la faculté de la personne à représenter la société, la capacité de la personne à traiter des questions avec célérité, si la personne témoignera ou non, etc. La C.C.I. applique ces mêmes facteurs en vertu de la Règle PG paragraphe 30(2). Les facteurs que je viens de mentionner ne portent pas sur la question de savoir si l’on peut considérer que la personne « personnifie » la société.

[17]      Dans l’arrêt TPG Technology Consulting Ltd. c. Canada, 2011 CAF 345, au paragraphe 8, le juge Pelletier explique comme suit la raison d’être des règles générales comme celle qui s’applique aux Cours fédérales (qui est très semblable à la Règle PG paragraphe 30(2)) :

La règle générale veut que les personnes morales soient représentées par un avocat : voir l’article 120, Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, […] Plusieurs raisons pourraient expliquer cette règle, mais l’une d’elles – particulièrement convaincante – veut que ceux qui bénéficient des avantages de la constitution en personne morale, qu’il s’agisse par exemple de planification fiscale, de l’immunité contre la responsabilité civile délictuelle, etc., assument également les charges liées à la constitution en personne morale, dont l’obligation de se faire représenter en justice par un avocat.

[18]      Au moment de l’adoption des articles 17.1 et 18.14, les législateurs canadiens avaient établi de nombreuses règles de procédure relatives aux petites créances, visant principalement à simplifier la procédure et à faciliter l’accès à la justice. Dans la plupart des cas, toutes les parties (personne physique et sociétés) se voient expressément accorder le droit d’être représentées par une personne physique qui n’est pas un avocat. L’identité de cette personne peut varier en fonction des dispositions applicables (voir par exemple l’article 542 du Cpc qui prévoit qu’une personne physique peut être représentée par un membre de sa famille, etc.). Cette terminologie s’apparente à celle employée à l’article 18.14, laquelle sera pertinente lors de l’examen de l’économie générale de la Loi et du but ou de l’objet de la procédure informelle par rapport à la procédure générale.

[19]      De toute évidence, si l’article 17.1 crée pour une société un droit nouveau et automatique de comparaître « en personne », plutôt qu’un privilège octroyé à la discrétion d’un juge, toutes les sociétés, qu’il s’agisse de Google, Loblaws ou d’une société à propriétaire unique, pourront s’en prévaloir. Cela signifie également que, par exemple, ce droit ne pourrait être assujetti à des conditions comme celle prévue dans l’ordonnance dont nous sommes saisis, selon laquelle BCS perdrait son droit de comparaître « en personne » par l’entremise de son actionnaire unique, si M. Gagnon ne respectait pas un délai fixé par la Cour (l’ordonnance, au paragraphe 18).

[20]      Enfin, le Parlement détenant le pouvoir ultime de légiférer, il a évidemment le pouvoir de modifier la common law et le droit civil dans ses lois. Il peut aussi retenir une définition de mots ordinaires qui s’écarte de leur sens ordinaire.

V.    Analyse

[21]      Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la seule question en litige dans le présent appel est l’interprétation appropriée de l’article 17.1 de la Loi, et plus précisément des mots « en personne » dans l’expression « peuvent comparaître en personne ». L’approche moderne d’interprétation législative est bien établie. Il faut lire les mots employés dans une loi dans leur contexte global, suivant leur sens ordinaire et grammatical, en harmonie avec l’économie générale de la loi, son objet et l’intention du législateur. Il faut donc interpréter le texte en tenant compte de l’objet de la Loi et de la disposition en question, ainsi que de tout le contexte pertinent, y compris les principes de la common law et du droit civil, à moins qu’ils ne soient clairement écartés par la loi.

A.    Sens grammatical et ordinaire des mots

[22]      L’expression « en personne » n’est pas définie dans la loi. Cependant, le sens ordinaire de cette expression ne suscite pas de controverse. Tant en français qu’en anglais, l’expression « en personne » fait référence au fait d’être physiquement présent, « en chair et en os [in the flesh] » devant la Cour (Katherine Barber, Canadian Oxford Dictionary (Don Mills, Ont. : Oxford University Press, 2004) sub verbo « person » en anglais; Paul Robert, Le Petit Robert (Paris : Le Robert, 2018) sub verbo « personne »).

[23]      Contrairement aux Règles PG, qui distinguent clairement entre une partie qui est une personne physique et celle qui ne l’est pas (Règles PG paragraphes 30(1) et (2)), le libellé de l’article 17.1 de la Loi ne fait aucune telle distinction explicite. Le sujet de la phrase est « [l]es parties », ce qui engloberait habituellement une société. Selon certains juges de la C.C.I., l’interprétation se termine effectivement ici, puisqu’affirmer autrement reviendrait à exclure la pleine signification du mot « partie » et à ignorer la présomption contre la tautologie (Sutlej Foods).

[24]      Or, l’interprétation grammaticale et l’interprétation logique doivent se compléter. Par exemple, si le libellé de l’article 17.1 de la Loi prévoyait que : « les parties peuvent comparaître en personne ou être représentées par leur épouse ou leur époux, par un autre membre de leur famille ou par avocat », serait-il logique de conclure que l’énumération s’applique à toutes les parties, quelles que soient leurs caractéristiques inhérentes? Je réponds par la négative. En l’espèce, si le sens ordinaire de l’expression « en personne » est celui retenu par le législateur, je pense que malgré la structure grammaticale, une partie renverrait à une personne physique dans l’ensemble de la Loi, mais qu’elle engloberait une société en ce qui concerne le droit d’être représenté par un avocat. Je vais maintenant expliquer pourquoi.

[25]      Toute en reconnaissant les distinctions entre l’interprétation de la Constitution et celle des lois ordinaires, je pense que certains précédents constitutionnels peuvent tout de même nous guider dans notre compréhension de la manière dont l’interprétation grammaticale et l’interprétation logique doivent se compléter mutuellement. À cet égard, il n’existe pas de réelles distinctions entre l’approche adoptée par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne l’interprétation des lois ordinaires et celle relative à l’interprétation de la Constitution.

[26]      Certaines décisions de la Cour suprême du Canada concernant l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), sont particulièrement utiles puisque la structure grammaticale de cet article est semblable à celle de l’article 17.1 au regard de ce qui suit. Dans les deux articles, la description du détenteur du droit se fait au moyen d’une expression générale. Alors qu’à l’article 17.1, ce sont « [l]es parties » qui ont le droit de comparaître, à l’article 11 de la Charte, c’est « [t]out inculpé » qui a les droits qui y sont décrits. La description du droit à l’article 17.1 offre deux possibilités : comparaître en personne ou être représenté par avocat. C’est pourquoi j’ai également fait référence à l’hypothèse susmentionnée qui comporte une énumération légèrement plus longue, mais moins longue que celle qui figure à l’article 11 de la Charte, lequel compte neuf alinéas. À mon avis, le principe général devrait s’appliquer de la même manière.

[27]      Ce qui est intéressant dans la jurisprudence concernant l’article 11 de la Charte, c’est que la description du droit aura une incidence sur le sens de l’expression générale utilisée pour décrire le détenteur du droit. En effet, la Cour suprême a conclu que le mot « personne », qui est toujours l’unique sujet de la phrase, peut ou non s’appliquer à une société. Par exemple, l’alinéa 11c) ne s’applique pas, alors que d’autres, comme l’alinéa 11b), s’appliquent.

[28]      Dans l’arrêt R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21 (voir pages 39 à 41), le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la Cour, a examiné la question de savoir si une société a le droit énoncé à l’alinéa 11c) de la Charte, portant sur la contraignabilité d’un accusé à témoigner. La Cour a conclu que, même si les mots « [t]out inculpé » à l’alinéa 11c) engloberaient normalement les sociétés, l’interprétation de cet article serait faussée si une entité artificielle était considérée comme témoin. Selon la Cour, lorsqu’un dirigeant de la société témoigne dans une procédure contre celle-ci, il le fait à titre individuel et en tant que personne distincte ne pouvant invoquer ce droit que pour elle-même. Ce n’est pas la société qui est contrainte à témoigner, comme l’a fait valoir la société intimée. Par conséquent, en vertu de l’alinéa 11c), « [t]out inculpé » n’inclut pas une société.

[29]      En revanche, dans l’arrêt R. c. CIP Inc., [1992] 1 R.C.S. 843, la Cour suprême du Canada a conclu que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable conféré par l’alinéa 11b) de la Charte s’applique à une société. Ne pouvant justifier une distinction entre l’application de ce droit à un individu et son application à une société, la Cour a conclu qu’en ce qui concerne l’alinéa 11b), l’expression « [t]out inculpé » inclut une société.

[30]      Dans la mesure ou une entité artificielle ne peut être considérée comme témoin même si son dirigeant témoigne, une telle entité ne peut, de par sa nature même, comparaître en personne, en chair et en os, au sens de l’article 17.1. Elle ne peut tout simplement pas faire valoir sa position par sa propre bouche.

[31]      Très récemment, la Cour suprême du Canada a fourni un autre exemple dans l’arrêt Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32 (Québec (Procureure générale)) de la façon dont la nature d’un droit aura une incidence sur le sens d’une expression générale comme « chacun » (qui est aussi générale que l’expression « [l]es parties »). Cette décision concernait l’application de l’article 12 de la Charte à une société. La Cour a conclu que, même si le libellé de l’article 12 de la Charte engloberait normalement une société en tant que personne morale (« [c]hacun a droit à »), le sens ordinaire d’autres mots employés dans la disposition, comme « cruels », suggère fortement que le législateur ne pouvait avoir l’intention de l’appliquer à des objets inanimés ou à des entités juridiques telles que les sociétés. À ce sujet, les juges dissidents ont souscrit à la conclusion de la majorité selon laquelle le mot « [c]hacun » figurant à l’article 12, ne saurait, de par son sens littéral, accorder la protection aux personnes morales (voir les paragraphes 82 à 87).

[32]      Je m’écarte ici du sujet pour souligner que dans cette affaire, la Cour suprême a confirmé la distinction entre une société et ses actionnaires et dirigeants en rejetant l’argument retenu par la majorité de la Cour d’appel du Québec, selon lequel on pourrait évaluer si la société avait subi un traitement cruel et inusité sur la base du préjudice subi par des individus au sein de celle-ci. En rejetant cet argument, la juge Abella (dissidente, mais pas sur ce point), a indiqué que les sociétés sont des personnes morales distinctes, comme l’avait souligné le juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154 [Wholesale], même si, dans le cas d’une société à actionnariat restreint, le préjudice subi par la société peut se répercuter sur ces individus (voir la page 182 de Wholesale, au dernier paragraphe). La question de savoir si une peine pourrait entraîner des difficultés financières pour la société, et ainsi avoir un impact sur ses actionnaires a été jugée sans pertinence. Les mots suivants tirés de l’arrêt Wholesale, qui sont reproduits au paragraphe 129 de l’arrêt Québec (Procureure générale), concordent parfaitement avec le raisonnement exprimé par le juge Pelletier (voir le paragraphe 17 ci-dessus) :

Les particuliers choisissent la constitution d’une société par actions parce qu’elle comporte de nombreux avantages (juridiques et autres). Ceux qui recourent au paravent de la personnalité morale et qui invoquent la distinction juridique entre eux-mêmes et la personne morale quand ils peuvent en tirer profit, ne doivent pas être autorisés à nier cette distinction dans les circonstances qui nous occupent (lorsque la distinction n’opère pas à leur avantage).

[33]      À ce stade, le sens ordinaire des mots « en personne » (plutôt que le concept juridique de « personne ») et le principe de common law et de droit civil selon lequel une société ne peut pas comparaître en personne en raison de sa nature même, suggèrent fortement qu’aux termes de l’article 17.1, une partie qui est une société doit être représentée par un avocat au sens du paragraphe 17.1(2).

B.    Autre signification

[34]      Je dois maintenant considérer si les mots « en personne » sont utilisés ailleurs dans la Loi et, dans l’affirmative, s’il en découle qu’un sens particulier doit être attribué aux mots « en personne » à l’article 17.1. Ces mots ne sont employés que dans une seule autre disposition, à savoir l’article 18.14 sous le régime de la procédure informelle. Ils figurent dans une énumération plus longue à l’article 18.14, lequel prévoit que les parties « peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat ou par un autre représentant ». Cela laisserait entendre que « en personne » n’est pas synonyme de « représentées […] par un autre représentant » (en anglais, « represented by […] an agent »).

[35]      Avant de passer à l’examen de l’évolution législative de la Loi et de l’objet de l’article 17.1, il convient de commenter brièvement l’un des arguments énoncés par la C.C.I., aux paragraphes 5 à 8 de son ordonnance. Il semble que la C.C.I. n’ait accordé aucun poids au sens ordinaire des mots ou à l’interprétation traditionnelle de la common law décrite dans la décision Masa Sushi, au motif que la C.C.I. est une cour spécialisée qui n’a jamais eu à appliquer le principe de la common law selon lequel seules les parties qui sont des personnes physiques ont le droit de comparaître « en personne ». Avec égards, il est évident que toutes les cours de justice sont liées par la Cour suprême du Canada et qu’elles doivent adopter la même méthode d’interprétation législative lorsqu’elles traitent de lois comme celle dont il est question en l’espèce. La présente affaire ne concerne pas la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] ou d’autres lois fiscales. Elle ne fait pas non plus appel à l’expertise particulière de la C.C.I. De plus, la question qui se pose n’est pas de savoir si la C.C.I. est liée par la jurisprudence de certaines cours. La question consiste plutôt à savoir si le législateur, qui est présumé connaître l’interprétation en common law ou en droit civil, entendait la modifier.

[36]      Personne n’a prétendu devant la Commission de révision de l’impôt que l’expression « en personne » revêtait une signification « technique » particulière à l’époque de son ajout dans la Loi. Lorsque la C.C.I. a été créée en 1983, l’article 15 de la Loi n’exigeait pas que l’on se penche sur le sens des mots « en personne » y figurant et sur la question de savoir si cet article pouvait s’appliquer aux sociétés, puisqu’il prévoyait simplement que toutes les parties pouvaient « comparaître en personne ou être représentées par un procureur ou autre mandataire ». Comme je l’expliquerai, cette disposition reproduisait le paragraphe 10(1) de la Loi sur la Commission de révision de l’impôt, S.C. 1970-71-72, ch. 11 (voir aussi les paragraphes 2(1) et (3) des Règles de la Commission de révision de l’impôt, DORS/73-512).

[37]      En fait, si l’on examine le libellé qu’utilise la C.C.I. elle-même dans l’ordonnance dont nous sommes saisis dans le présent appel, dans la section « Comparutions », Denis Gagnon est désigné à titre de représentant de l’appelante. C’est également le cas dans toutes les autres ordonnances de la C.C.I. qui ont été produites devant nous et dans lesquelles un individu demandait l’autorisation de représenter une société en vertu de la Règle PG paragraphe 30(2). Cela tendrait à suggérer que « en personne » est synonyme de « représentées par un autre représentant », si cette expression est censée avoir un sens technique.

[38]      Comme je l’ai déjà mentionné, à ce stade de mon analyse, les principes généraux d’interprétation législative ne me permettent pas d’accepter ou de conclure que les mots « en personne » ont le même sens que les mots « représentées par un autre représentant », sur autorisation ou non.

C.   Objet

[39]      Pour déterminer l’objet de l’article 17.1, il faut examiner l’évolution législative et l’historique de la Loi et des Règles PG. La Commission de révision de l’impôt a été créée en 1970, mais en 1983, elle a été remplacée par la C.C.I. (Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, déposée sous la forme du projet de loi C-167 la même année). La C.C.I., une cour supérieure d’archives, était censée renforcer le statut de l’ancienne Commission de révision de l’impôt et établir plus clairement son indépendance judiciaire. Cependant, elle partageait toujours sa compétence en matière d’impôt sur le revenu (la majorité de son travail) avec la Cour fédérale, qui disposait d’une compétence concurrente en première instance.

[40]      De plus, même lorsqu’un contribuable choisissait d’abord d’aller devant la C.C.I., les décisions qu’elle rendait pouvaient faire l’objet d’un appel de novo auprès de la Cour fédérale. Il va sans dire que, lorsqu’un contribuable intentait un recours devant la Cour fédérale, que ce soit en première instance ou dans le cadre d’un appel de novo, les règles et procédures de la Cour fédérale s’appliquaient.

[41]      Même si elle reprenait les pratiques de la Commission de révision de l’impôt, la Loi de 1983 semble avoir fait l’objet de critiques, du moins en ce qui concerne le fait qu’aucun formulaire spécial n’était exigé pour interjeter appel, que les règles de droit et de preuve ne s’appliquaient pas et que, comme je l’ai déjà mentionné, toutes les parties pouvaient comparaître en personne ou être représentées par avocat ou par un autre représentant (articles 14 et 15 de la Loi de 1983).

[42]      Le Parti progressiste-conservateur, à une époque où il formait l’opposition, a même mis sur pied un groupe de travail sur Revenu Canada et publié un rapport le 8 avril 1984 [Rapport du Groupe d’étude sur les activités de Revenu Canada] recommandant la mise en place d’un nouvel organisme, appelé le Tribunal des petites créances fiscales, qui s’interposerait entre Revenu Canada et la C.C.I. afin d’entendre les petits différends de manière strictement informelle [traduction] « sans l’intervention d’un avocat » (voir Denis Lefebvre Q.C., sous-procureur général adjoint, portefeuille des services du droit fiscal du ministère de la Justice, « A Government Perspective of the Amendments to the Tax Court of Canada Act » (Report of the Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report (Toronto : Canada Tax Foundation, 1989), pages 49 :15).

[43]      Entre 1984 et 1987, la Loi a été modifiée à trois reprises : (i) en 1984, pour prévoir l’attribution des dépens aux appelants, (ii) en 1985, pour enjoindre aux parties de présenter une demande d’audience à huis clos avec motifs à l’appui, plutôt que de présenter une simple demande, et (iii) en 1987, pour modifier la durée du mandat des juges de la C.C.I. Cependant, l’économie générale de la Loi n’a pas changé.

[44]      Or, en 1988, le projet de loi C-146 a été déposé. Bien qu’il ait reçu la sanction royale en 1988, seules les dispositions portant sur le comité des règles sont entrées en vigueur le 29 septembre 1988. Le reste de la Loi modifiée est entré en vigueur le 1er janvier 1991 (en vertu d’un décret daté du 28 septembre 1990). Il convient de mentionner que la première version des Règles PG paragraphes 30(1) et (2) adoptée par le nouveau comité des règles, a été approuvée avant l’entrée en vigueur de la Loi modifiée (DORS/90-688, datée du 7 septembre 1990). La première version de ces règles énonçait clairement que les sociétés devaient être représentées par avocat. Il n’y avait aucune exception. Cela révèle, à tout le moins, que ceux qui ont participé de près à l’élaboration du projet de loi C-146 et qui ont vécu ce changement majeur à l’économie générale de la Loi comprenaient que le droit de comparaître en personne ne s’appliquait pas à une société.

[45]      Les changements importants opérés par les amendements de 1988 ne devraient pas être sous-estimés, parce qu’ils illustrent l’objectif de l’article 17.1 et de la nouvelle économie générale de la Loi. La C.C.I. s’est vue conférer une compétence exclusive pour entendre les appels interjetés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, ainsi qu’une compétence en vertu d’autres lois (article 12 de la Loi). Les appels interjetés à l’encontre de ses décisions le seraient désormais directement auprès de la Cour d’appel fédérale et ne seraient plus instruits de novo (articles 17.6 et 18.24 de la Loi).

[46]      Plus précisément, la Loi telle qu’amendée a créé deux types de règles de procédures : la procédure générale et la procédure informelle. Je comprends que la procédure générale visait à soumettre ces affaires aux règles de preuve et de procédure généralement applicables devant les autres cours supérieures de justice, comme cela se faisait lorsque de telles affaires étaient portées devant la Cour fédérale avant 1988. Une exception à ces règles est très clairement énoncée dans la procédure générale. À l’article 17.3, l’étendue du droit à l’interrogatoire préalable est limitée dans certains cas. Il convient de noter que, dans de tels cas, la Loi précise expressément les circonstances où la C.C.I. a le pouvoir discrétionnaire d’accorder autrement une autorisation, et où un interrogatoire plus approfondi est en fait obligatoire. M. Lefebvre confirme mon point de vue et ma compréhension à la page 49 :2, où il semble décrire l’article 17.3 comme la seule exception à l’objet général d’adopter une procédure semblable à celle de la plupart des autres cours de justice à l’époque. Je dois préciser que lorsque le projet de loi C-146 a été étudié par le Comité sénatorial des banques et du commerce, M. Lefebvre était le représentant du gouvernement et le seul témoin.

[47]      Comme je l’ai déjà mentionné, l’article 17.1 a été inséré sous le régime de la procédure générale, pour remplacer la disposition législative qui portait sur la représentation et qui s’appliquait auparavant à toutes les instances dont étaient saisies la C.C.I. et la Commission de révision de l’impôt l’ayant précédée (voir le paragraphe 36 ci-dessus). Plus important encore, aux fins de la présente analyse, le mot « représentant » a été supprimé alors qu’il a été conservé dans la procédure informelle (article 18.14 de la Loi).

[48]      Bien que le législateur ait maintenu le droit des contribuables d’être représentés par un avocat sous le régime de la procédure informelle, il est évident, à mon avis, que le principal objectif de la procédure informelle était de continuer à fournir un accès à la justice facile et moins coûteux à tous les contribuables pour le type d’instances auxquelles la procédure s’appliquait. Comme indiqué précédemment, à l’époque, on s’attendait à ce que cette procédure s’applique à 70 p. 100 des affaires portées devant la C.C.I.

[49]      Il n’est pas nécessaire d’en dire plus sur la procédure informelle puisqu’elle ne fait pas l’objet du présent appel. Toutefois, il importe certainement de tenir compte du fait que l’économie générale de la Loi révèle que les deux procédures ont des objectifs différents. À la page 49 :2, M. Lefebvre confirme qu’avec l’ajout du nouveau chapitre sur la procédure informelle, le législateur a retenu l’idée d’offrir aux contribuables ayant des petites créances fiscales l’accès à une sorte de cour des petites créances. La C.C.I. a adopté cinq ensembles de règles de procédure informelle pour traiter de divers types d’affaires relevant désormais de sa compétence. Enfin, comme l’a expliqué M. Lefebvre, aux pages 49 :2 à 49 :5, bien qu’elle ne soit pas entièrement nouvelle, la procédure informelle diffère de celle qui s’appliquait devant la C.C.I. et la Commission de révision de l’impôt avant 1988.

[50]      À ma connaissance, il n’y a rien d’autre dans l’évolution législative et l’historique de l’article 17.1 ou de la Loi modifiée en 1988 qui puisse nous éclairer sur l’intention du législateur.

[51]      Ainsi, si l’accès à la justice était le principal objectif de la procédure informelle, ce n’était pas le cas des dispositions de la procédure générale. La C.C.I. disposait désormais d’une compétence exclusive pour traiter d’instances plus complexes et juridiquement importantes. L’objectif de la procédure générale était de veiller à ce que ces instances, qui n’étaient pas soumises à la procédure informelle (y compris celles auxquelles s’applique l’article 18.11), soient traitées en respectant le droit des parties à des règles de preuve et de procédure, comme devant toute autre cour de justice. Contrairement à la procédure informelle, la valeur de précédent s’appliquait aux décisions rendues sous le régime de la procédure générale (article 18.28 de la Loi).

[52]      Je constate que, dans la décision Sutlej Foods, le juge a mentionné qu’« [i]l est important qu’un avocat représente un appelant, car l’avocat est censé connaître la jurisprudence applicable, la procédure à l’audience et la procédure avant l’audience. La procédure générale n’est pas une procédure informelle » (paragraphe 20). À mon avis, ces propos, bien qu’exprimés dans un contexte légèrement différent, reflètent toujours la distinction importante entre l’objectif principal de l’article 17.1 et celui de l’article 18.14, en particulier à l’égard des sociétés. L’objectif premier du législateur était l’efficacité de l’administration de la justice dans les instances assujetties à la procédure générale. Il est également évident que le législateur n’avait pas l’intention de retirer le droit reconnu et accordé depuis longtemps aux personnes physiques de faire valoir leur cause par l’intermédiaire de leur propre bouche. Faire autrement reviendrait à modifier considérablement la common law et le droit civil, au même titre que l’octroi à une société d’un droit inconditionnel prévu par la loi de comparaître « en personne » constituerait une modification majeure.

[53]      Il convient de rappeler la déclaration suivante de la Cour suprême dans l’arrêt TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, au paragraphe 83 :

Certes, l’importance de promouvoir l’accès à la justice ne fait aucun doute (voir Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 1). On ne saurait pour autant permettre, à moins d’une directive du législateur, que cet objectif prenne le dessus sur les autres objectifs importants visés par la Loi sur l’arbitrage […]

[54]      Enfin, je ne peux souscrire aux commentaires de la C.C.I. au paragraphe 8 de l’ordonnance, qui suggèrent qu’il est pertinent, en l’espèce, de tenir compte du caractère unique de la C.C.I. À l’instar de la C.C.I. (Règle PG 4), d’autres cours, y compris notre Cour et la Cour fédérale, ont une règle de pratique (voir la règle 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106) décrivant la nécessité d’interpréter leurs règles et de les appliquer de façon à pouvoir apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Cependant, comme mentionné précédemment, cela ne signifie pas que les entités artificielles, telles que les sociétés, se voient accorder un droit automatique de comparaître en personne ni que cela permet à la C.C.I. d’interpréter la Loi selon ses propres préférences politiques.

[55]      Encore une fois, à ce stade de mon analyse, outre la structure grammaticale de l’article 17.1 (la mention « [l]es parties »), rien n’indique que le législateur ait voulu modifier le principe de common law et du droit civil selon lequel seuls les individus avaient le droit de comparaître « en personne », ou d’adopter une définition autre que celle correspondant au sens ordinaire de ces mots à l’article 17.1. Comme je l’ai expliqué, cette structure grammaticale ne suffit pas pour justifier une telle conclusion.

[56]      De plus, comme je l’ai dit, même si j’estime qu’il s’agit d’une structure grammaticale involontairement défaillante, le comité des règles chargé d’adopter les Règles PG avant l’entrée en vigueur de la Loi modifiée semble n’avoir eu aucune difficulté à comprendre exactement le sens du libellé de l’article 17.1. Son interprétation à l’époque concorde avec mon interprétation téléologique : les sociétés ne peuvent être représentées que par un avocat.

[57]      Aucun des juges de la CCI qui ont conclu que les mots « en personne » devaient avoir un sens plus large que leur sens ordinaire n’a proposé une définition ou un sens différent de ces mots à l’article 17.1. Selon eux, la façon dont une société peut comparaître en personne devait simplement être définie dans les Règles PG. Je ne peux pas accepter ce point de vue.

[58]      Tout d’abord, je remarque que l’article 20 de la Loi ne traite aucunement de cette question (voir en revanche l’alinéa 66(2)c) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43). Il ne s’agit pas d’une des questions expressément énoncées comme relevant de la compétence du comité des règles. Même s’il en était ainsi, tel qu’indiqué, la toute première version de cette règle n’a pas tenté de définir l’expression « en personne » vis-à-vis d’une société; au contraire, elle écarte totalement l’idée qu’une société puisse comparaître en personne.

[59]      En outre, à supposer que la Règle PG paragraphe 30(2), telle que modifiée en 1993, puisse être interprétée comme signifiant que seul un dirigeant de la société pourrait personnifier une société au sens de l’article 17.1, le comité des règles de la C.C.I. ne pourrait pas sous-déléguer sa compétence à chaque juge en soumettant un droit prétendument accordé inconditionnellement par le législateur à une autorisation qui ne serait accordée que [traduction] « dans des circonstances spéciales ». Cela est d’autant plus vrai considérant que les critères utilisés pour apprécier si une telle autorisation doit être accordée ont peu, voire rien, à voir avec la question de savoir si un individu « personnifie » la société. De toute évidence, l’individu doit être autorisé à représenter la société dans le cadre d’une instance particulière, mais il s’agit là d’une question distincte, puisqu’une société pourrait adopter une résolution conférant ce pouvoir à son comptable.

[60]      Sous sa forme la plus récente, la Règle PG paragraphe 30(2), qui semble permettre à toute personne (y compris une tierce personne, comme le comptable ordinaire de la société) de la représenter sur autorisation, ne peut en toute logique être considérée comme une définition des mots « en personne » figurant à l’article 17.1.

[61]      Ainsi, je ne peux pas convenir que la question de savoir comment l’article 17.1 s’appliquerait dans toute affaire donnée a été laissée en suspens. En fait, comme je l’ai mentionné, au moment de l’entrée en vigueur de la Loi, les Règles PG de la C.C.I. avaient déjà été approuvées et publiées et la Règle PG paragraphe 30(2) était manifestement conforme à mon interprétation téléologique de l’article 17.1.

[62]      En 1988, l’adoption de la procédure générale et de la restriction quant aux personnes qui pouvaient représenter une partie (voir le paragraphe 36 ci-dessus) a apporté des changements importants à la procédure à suivre par les juges de la Commission de révision de l’impôt, qui siégeaient désormais à la C.C.I., ainsi que par les nouveaux juges nommés en 1983, puisqu’ils devaient désormais suivre des règles plus formelles qui caractérisaient une cour de justice telle que la Cour fédérale. Il se peut que l’objectif de cette restructuration ait été perdu dans les dernières versions des Règles PG, surtout parce qu’il est plutôt inhabituel de trouver une disposition législative traitant expressément de questions de procédure comme celle en l’espèce.

[63]      Certes, l’article 17.1 aurait pu être formulé en termes plus clairs, à l’instar de la version de 1990 des Règles PG paragraphes 30(1) et (2). Cependant, à l’époque pertinente, personne n’aurait pu penser qu’une société pouvait comparaître en personne.

VI.   Conclusion

[64]      À la lumière de tout ce qui précède, je conclus que selon l’interprétation législative appropriée de l’article 17.1 de la Loi, la C.C.I. ne pouvait pas conclure que M. Gagnon personnifiait BCS et qu’il exerçait le droit de BCS de comparaître « en personne ». M. Gagnon n’étant pas un avocat, il ne pouvait pas agir à titre de procureur pour BCS. La C.C.I. ne pouvait pas autoriser M. Gagnon à agir comme représentant de BCS dans le cadre de l’appel dont elle était saisie.

[65]      À l’audience, l’appelante a précisé qu’elle ne demandait pas de dépens. Par conséquent, je propose que l’appel soit accueilli, sans dépens. L’ordonnance de la C.C.I., au paragraphe 18, stipule qu’elle sera révoquée si notre Cour conclut que M. Gagnon ne peut pas agir pour le compte de BCS, en vertu de l’article 17.1. Il n’est pas précisé si cette révocation est automatique, donc pour éviter toute incertitude, je propose de l’annuler.

Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Locke, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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