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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

T-1343-21

2022 CF 1186

Deborah Patterson (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

 

Répertorié : Patterson c. Canada (Procureur Général)

Cour fédérale, juge Brown—Par vidéoconférence, 12 juillet; Ottawa, 10 août 2022.

Fonction publique — Pensions — Demande de contrôle judiciaire d’une décision du Centre des pensions qui a conclu que le service ouvrant droit à pension accumulé par la demanderesse, membre de la Force de réserve des Forces armées canadiennes de 1979 à 2008, sous le régime de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC) est considéré comme une « autre période de service » conformément à l’alinéa 5(5)c) de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP) — Le Centre des pensions a conclu que le service de la demanderesse ouvrant droit à pension sous le régime de la LPRFC (28 années et plus) était calculé en fonction du maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension en vertu de la LPFP — La demanderesse a cessé d’être admissible à cotiser à sa pension du Régime de retraite de la fonction publique lorsque le total de son service ouvrant droit à pension combiné sous le régime de la LPRFC et de la LPFP a atteint 35 ans, conformément au paragraphe 5(3) de la LPFP — Les prestations de retraite sous le régime de la LPRFC pour les membres de la Force de réserve sont calculées uniquement en fonction des jours payés ou partiellement payés dans la Réserve qui, dans le cas de la demanderesse, totalisent 12 années et plus — Les droits de la demanderesse à pension sous le régime de la LPFP étaient en cause en l’espèce — La demanderesse souhaitait accumuler le plein droit à pension pour la période où elle travaille dans la fonction publique sous le régime de la LPFP — Son service ouvrant droit à pension total a été plafonné à 19 ans et 161 jours combinés de service dans les Forces canadiennes sous le régime de la LPRFC et de travail à temps plein sous le régime de la LPFP — Le congé de maternité n’ouvrait pas droit à pension sous le régime de la LPRFC et il était exclu de son service total dans la Force de réserve — La demanderesse a soutenu qu’il était déraisonnable de compter ses 28 années et plus de service ouvrant droit à pension dans la Force de réserve à l’encontre du plafond de 35 ans de service ouvrant droit à pension à titre de fonctionnaire sous le régime de la LPFP, parce qu’elle n’a pas reçu de prestations de retraite pour ses 28 années et plus, mais seulement pour ses 12 années et plus — Elle a demandé à la Cour d’interpréter le paragraphe 5(5) de la LPFP de façon à lui permettre d’accumuler une pension complète pour 35 ans de service, en ne comptant que le temps de service dans les FC (12 années et plus) à l’encontre du maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension prévu dans la LPFP — La demanderesse a soutenu, entre autres choses, que l’interprétation du Centre des pensions ne donne pas à la loi une application large, libérale et téléologique qui offre une pension complète aux personnes censées en bénéficier, soit ceux et celles qui travaillent et cotisent au régime pendant 35 ans — Il s’agissait de déterminer si la décision contestée était raisonnable — La décision n’était pas déraisonnable — Le sens ordinaire du paragraphe 5(3) et de l’alinéa 5(5)c) de la LPFP est que le service ouvrant droit à pension accumulé sous le régime de la LPRFC et payable par la Caisse de retraite des Forces canadiennes est comptabilisé dans la période d’accumulation maximale de 35 ans sous le régime de la LPFP — Il est clair et sans équivoque que le terme « autre période de service » désigne les « années de service ouvrant droit à pension » accumulées au titre de la LPRFC — Il ne faut pas confondre les autres périodes de service prévues aux paragraphes 5(3) et 5(5) avec le temps de service dans les Forces canadiennes — Le terme « autre période de service » au paragraphe 5(5) ne peut pas être interprété comme faisant référence à un autre concept comme le « service accompli dans les Forces canadiennes » — Le législateur aurait facilement pu faire référence au « service accompli dans les Forces canadiennes » aux paragraphes 5(3) ou 5(5) de la LPFP — En choisissant d’employer le terme « autre période de service » au paragraphe 5(3) de la LPFP et en mentionnant la LPRFC au paragraphe 5(5), le législateur avait en tête la définition et la signification de « service ouvrant droit à pension » sous le régime de la LPRFC — Le législateur semble avoir offert des compromis favorables aux personnes dans la position de la demanderesse — On ne peut donc pas dire qu’il n’y a aucun avantage à ce que la LPRFC et la LPFP prévoient une définition commune du service ouvrant droit à pension — L’interprétation de la demanderesse signifierait que le service ouvrant droit à pension non seulement de tous les réservistes, mais aussi de tous les employés à temps partiel au titre de la LPFP, devrait être réduit à leur période rémunérée réelle —On ne pouvait donner une interprétation aussi étroite pour des raisons essentiellement liées à l’objet de la loi, sans créer une injustice ailleurs — La solution à la question soulevée en l’espèce passerait par une modification législative plutôt que par l’interprétation judiciaire — Le rajustement du montant des prestations de retraite tient compte des périodes d’emploi à temps partiel et reflète les cotisations moins élevées qui ont été versées à la caisse de retraite — Ce principe de proportionnalité est également important dans l’objectif global des régimes — Permettre aux employés d’accumuler une pension maximale correspondant à 35 années de service n’est pas le seul objet, ni l’objet déterminant du régime législatif — Accepter les observations de la demanderesse n’aurait pas été fidèle au libellé clair des dispositions en cause — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Centre des pensions du gouvernement du Canada qui a conclu que le service ouvrant droit à pension accumulé par la demanderesse, membre de la Force de réserve des Forces armées canadiennes de 1979 à 2008, sous le régime de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC) était considéré comme une « autre période de service » conformément à l’alinéa 5(5)c) de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP).

La demanderesse a commencé sa carrière dans la fonction publique fédérale au ministère de la Défense nationale en 2009. Le Centre des pensions a conclu que le service de la demanderesse ouvrant droit à pension sous le régime de la LPRFC, qui s’élevait à 28 ans et 88 jours (28 années et plus), était calculé en fonction du maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension en vertu de la LPFP. Par conséquent, la demanderesse a cessé d’être admissible à cotiser à sa pension du Régime de retraite de la fonction publique le 12 août 2015, lorsque le total de son service ouvrant droit à pension combiné (en fonction de la durée cumulative) sous le régime de la LPRFC et de la LPFP a atteint 35 ans, conformément au paragraphe 5(3) de la LPFP — même si elle travaillait toujours et continue de travailler dans la fonction publique. Le présent contrôle judiciaire reposait sur le fait que les prestations de retraite sous le régime de la LPRFC pour les membres de la Force de réserve sont calculées uniquement en fonction des jours payés ou partiellement payés dans la Réserve (le service dans les Forces canadiennes, ou FC), qui, dans le cas de la demanderesse, totalisent 12 ans et 249 jours (12 années et plus). Ce qui était en cause en l’espèce concernait les droits de la demanderesse à pension sous le régime de la LPFP. La demanderesse souhaitait accumuler le plein droit à pension pour la période où elle travaille dans la fonction publique sous le régime de la LPFP. La demanderesse a fait remarquer que, si elle avait travaillé à temps plein dans la Force de réserve, elle aurait accumulé 35 années complètes de service ouvrant droit à pension en vertu de la LPRFC et de la LPFP combinées à compter du 12 août 2015, et elle aurait eu droit à une pension complète pour 35 années de service à ce moment-là. Au lieu de cela, étant donné que la durée cumulative de son service dans la Force de réserve, soit 28 années et plus, est déduite du plafond de 35 ans en vertu de la LPFP, peu importe combien de temps elle travaille maintenant comme fonctionnaire à temps plein, elle n’accumulera jamais le droit à des prestations de retraite supplémentaires pour des services rendus après le 12 août 2015. À compter de cette date, son service ouvrant droit à pension total a été plafonné à 19 ans et 161 jours combinés de service dans les FC sous le régime de la LPRFC et de travail à temps plein sous le régime de la LPFP. La demanderesse a passé une partie importante de son temps non rémunéré ou partiellement rémunéré dans la Force de réserve en congé de maternité ou à l’égard de ses responsabilités en matière de garde d’enfants. Le Centre des pensions a informé la demanderesse que le congé de maternité n’ouvrait pas droit à pension sous le régime de la LPRFC et qu’il était exclu de son service total dans la Force de réserve. La demanderesse a soutenu qu’il était déraisonnable de compter ses 28 années et plus de service ouvrant droit à pension dans la Force de réserve à l’encontre du plafond de 35 ans de service ouvrant droit à pension à titre de fonctionnaire sous le régime de la LPFP, parce qu’elle n’a pas reçu de prestations de retraite pour ses 28 années et plus, mais seulement pour ses 12 années et plus. Elle a demandé à la Cour d’interpréter le paragraphe 5(5) de la LPFP de façon à lui permettre d’accumuler une pension complète pour 35 ans de service, en ne comptant que le temps de service dans les FC (12 années et plus) à l’encontre du maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension prévu dans la LPFP. La demanderesse a soutenu que l’interprétation du Centre des pensions crée une absurdité dans laquelle les employés civils de la fonction publique sont pénalisés pour avoir servi plus longtemps au sein de la Force de réserve, et ce, malgré le fait qu’ils ont accumulé 35 années ou plus de travail rémunéré à temps plein entre l’armée et la fonction publique, ce qui est certes le cas lorsqu’un membre de la Force de réserve n’y travaille pas suffisamment pour toucher un plein salaire pendant une certaine période. Elle soutient également que l’interprétation du Centre des pensions ne donne pas à la loi une application large, libérale et téléologique qui offre une pension complète aux personnes censées en bénéficier, soit ceux et celles qui travaillent et cotisent au régime pendant 35 ans. Le défendeur a soutenu que l’interprétation donnée par le Centre des pensions à l’expression « autre période de service » au sens du paragraphe 5(5) de la LPFP est raisonnable, parce qu’elle correspond à son sens ordinaire et que ce sens ordinaire devrait jouer un rôle dominant dans son interprétation. Le défendeur a soutenu que l’interprétation proposée par la demanderesse était incompatible avec le régime de la législation sur les pensions en cause et que, si était est acceptée, elle pourrait avoir de graves répercussions négatives sur de nombreux réservistes et employés à temps partiel.

Il s’agissait de déterminer si la décision contestée était raisonnable.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La demanderesse n’a pas démontré que la décision était déraisonnable aux fins du contrôle judiciaire. Le sens ordinaire du paragraphe 5(3) et de l’alinéa 5(5)c) de la LPFP est que le service ouvrant droit à pension accumulé sous le régime de la LPRFC et payable par la Caisse de retraite des Forces canadiennes est comptabilisé dans la période d’accumulation maximale de 35 ans sous le régime de la LPFP. Il est clair et sans équivoque que le terme « autre période de service » désigne les « années de service ouvrant droit à pension » accumulées au titre de la LPRFC, et que son calcul est fondé sur la durée cumulative et non seulement sur le temps pendant lequel la demanderesse a été rémunérée ou partiellement rémunérée. Il ne faut pas confondre les autres périodes de service prévues aux paragraphes 5(3) et 5(5) avec le temps de service dans les FC, qui est utilisé pour calculer les prestations de retraite d’une personne et qui est très différent du service ouvrant droit à pension et des autres périodes de service. Le terme « autre période de service » au paragraphe 5(5) ne peut pas être interprété comme faisant référence à un autre concept comme le [traduction] « service accompli dans les Forces canadiennes ». Si le législateur avait voulu faire référence au [traduction] « service accompli dans les Forces canadiennes » aux paragraphes 5(3) ou 5(5) de la LPFP, il aurait facilement pu le dire, comme il le fait d’ailleurs dans le Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes et dans la LPRFC. En choisissant d’employer le terme « autre période de service » au paragraphe 5(3) de la LPFP et en mentionnant la LPRFC au paragraphe 5(5), le législateur avait en tête la définition et la signification de « service ouvrant droit à pension » sous le régime de la LPRFC. Si le législateur avait voulu que seul le service dans les FC soit compté aux fins du paragraphe 5(3), il aurait utilisé ce terme. En concevant le régime comme il l’a fait, le législateur semble également avoir offert des compromis favorables aux personnes dans la position de la demanderesse. Premièrement, même si les personnes dans la situation de la demanderesse ne peuvent plus cotiser en vue d’obtenir une pension plus importante, les retenues salariales liées à la pension passent de 9 p. 100 du salaire à seulement 1 p. 100 du salaire. De plus, le calcul de la pension de base est bonifié par l’article 15. La personne a accès à sa pension plus tôt, étant donné que c’est le service ouvrant droit à pension (durée cumulative) plutôt que le service dans les FC (temps rémunéré) qui est utilisé. On ne peut donc pas dire qu’il n’y a aucun avantage à ce que la LPRFC et la LPFP prévoient une définition commune du service ouvrant droit à pension. Notamment, personne ne pourrait se réclamer des avantages exposés en l’espèce si le service ouvrant droit à pension était calculé en fonction du service rémunéré dans les FC dans le cas de la demanderesse. L’interprétation de la demanderesse signifierait que le service ouvrant droit à pension non seulement de tous les réservistes, mais aussi de tous les employés à temps partiel au titre de la LPFP, devrait être réduit à leur période rémunérée réelle. L’interprétation proposée par la demanderesse exigerait que ces employés à temps partiel aient travaillé pendant 60 ans afin d’être admissibles à une prestation de retraite sans « pénalité » à l’âge de 55 ans, ce qui était manifestement absurde. On ne pouvait donner une interprétation aussi étroite pour des raisons essentiellement liées à l’objet de la loi, sans créer une injustice ailleurs. La solution à la question soulevée en l’espèce passait par une modification législative plutôt que par l’interprétation judiciaire. Ce que la demanderesse demandait avait du mérite, pourvu qu’elle pût l’obtenir sans créer une injustice dans d’autres situations, et que des personnes comme la demanderesse cotisent à la pension accrue qu’elles obtiendraient. Le rajustement du montant des prestations de retraite (en vertu de la LPFP ou de la partie I de la LPRFC) tient compte des périodes d’emploi à temps partiel et reflète les cotisations moins élevées qui ont été versées à la caisse de retraite. Ce principe de proportionnalité est également important dans l’objectif global des régimes. Même si l’un des aspects du régime législatif est de permettre aux employés d’accumuler une pension maximale correspondant à 35 années de service, ce n’est pas son seul objet, ni son objet déterminant. La demanderesse n’a pas répondu pas aux critères d’admissibilité établis par le législateur. Accepter les observations de la demanderesse n’aurait pas été fidèle au libellé clair des dispositions en cause.

LOI ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17, parties I, I.1, art. 6, 15, 16, 18(2),(3).

Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes, C.R.C., ch. 396, art. 3, 12.2(3), 16.6.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.4(1).

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9.

Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, art. 5, 13(1)c)(i).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Canada (Procureur général) c. Burke, 2022 CAF 44, [2022] 4 R.C.F. 142

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Proulx c. Canada (Procureur général), 2018 CF 761; Landriault c. Canada (Procureur général), 2016 CF 664; Lamarche c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1303, [2020] 1 R.C.F. F-2; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3, autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée, dossier no 39855 (3 mars 2022).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du Centre des pensions du gouvernement du Canada qui a conclu que le service ouvrant droit à pension accumulé par la demanderesse, membre de la Force de réserve des Forces armées canadiennes de 1979 à 2008, sous le régime de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes est considéré comme une « autre période de service » conformément à l’alinéa 5(5)c) de la Loi sur la pension de la fonction publique. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Zachary Rodgers pour la demanderesse.

Charles Maher pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

RavenLaw LLP, Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Brown :

I.     Nature de l’affaire

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Centre des pensions du gouvernement du Canada (le Centre des pensions), datée du 26 août 2021 (la décision contestée). La demanderesse est maintenant une fonctionnaire fédérale et, aux fins de la pension, elle est maintenant assujettie à la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36 (la LPFP). Toutefois, avant de se joindre à la fonction publique, elle a servi longuement dans la Force de réserve des Forces armées canadiennes (la Force de réserve), où, aux fins de la pension, elle était assujettie à la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17 (la LPRFC).

[2]        Le Centre des pensions a conclu que le service ouvrant droit à pension accumulé par la demanderesse sous le régime de la LPRFC est considéré comme une « autre période de service » conformément à l’alinéa 5(5)c) de la LPFP. Le Centre des pensions a donc conclu que son service ouvrant droit à pension sous le régime de la LPRFC, qui s’élevait à 28 ans et 88 jours (28 années et plus), était calculé en fonction du maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension en vertu de la LPFP. Par conséquent, elle a cessé d’être admissible à cotiser à sa pension du Régime de retraite de la fonction publique le 12 août 2015, lorsque le total de son service ouvrant droit à pension combiné (en fonction de la durée cumulative) sous le régime de la LPRFC et de la LPFP a atteint 35 ans, conformément au paragraphe 5(3) de la LPFP — même si elle travaillait toujours et continue de travailler dans la fonction publique.

[3]        Le présent contrôle judiciaire repose sur le fait que les prestations de retraite sous le régime de la LPRFC pour les membres de la Force de réserve sont calculées uniquement en fonction des jours payés ou partiellement payés dans la Réserve (le service dans les Forces canadiennes, ou FC), qui, dans son cas, totalisent 12 ans et 249 jours (12 années et plus). Par ailleurs, son service ouvrant droit à pension dans la Force de réserve a été calculé en fonction de la durée cumulative, ce qui comprenait non seulement son temps rémunéré, mais aussi le temps pendant lequel elle était partiellement rémunérée et celui pendant lequel elle n’était pas rémunérée du tout, pour un total de 28 ans et 88 jours.

[4]        Il n’est pas contesté que le service ouvrant droit à pension de la demanderesse et le service dans les FC sous le régime de la LPRFC sont maintenant fixes et ne peuvent plus être modifiés. Elle a choisi de recevoir une allocation annuelle en vertu de la LPRFC pour son travail dans la Force de réserve. Son allocation annuelle est calculée en fonction du service dans les FC, c’est-à-dire le temps pour lequel elle a été rémunérée ou partiellement rémunérée dans la Réserve. Il est entendu que ses prestations de retraite sous le régime de la LPRFC ne sont pas calculées en fonction de son service ouvrant droit à pension dans la Force de réserve, qui est beaucoup plus long.

[5]        Ce qui est en cause en l’espèce concerne ses droits à pension sous le régime de la LPFP. La demanderesse souhaite accumuler le plein droit à pension pour la période où elle travaille dans la fonction publique sous le régime de la LPFP. J’ai cru comprendre que son avocat a confirmé qu’elle était prête à payer pour cette accumulation de droits supplémentaires en effectuant des cotisations au titre de la LPFP, comme le font les autres fonctionnaires.

[6]        La demanderesse fait remarquer que, si elle avait travaillé à temps plein dans la Force de réserve, elle aurait accumulé 35 années complètes de service ouvrant droit à pension en vertu de la LPRFC et de la LPFP combinées à compter du 12 août 2015, et elle aurait eu droit à une pension complète pour 35 années de service à ce moment-là (bien qu’elle puisse être réduite en raison de son âge et du moment où elle est payée).

[7]        Au lieu de cela, étant donné que la durée cumulative de son service dans la Force de réserve, soit 28 années et plus, est déduite du plafond de 35 ans en vertu de la LPFP, peu importe combien de temps elle travaille maintenant comme fonctionnaire à temps plein, elle n’accumulera jamais le droit à des prestations de retraite supplémentaires pour des services rendus après le 12 août 2015. À compter de cette date, son service ouvrant droit à pension total a été plafonné à 19 ans et 161 jours combinés de service dans les FC sous le régime de la LPRFC et de travail à temps plein sous le régime de la LPFP : 12 ans et 249 jours de service dans les FC (travail rémunéré et partiellement rémunéré) sous le régime de la LPRFC, plus 5 ans et 272 jours de travail à temps plein sous le régime de la LPFP.

[8]        Fait intéressant, la preuve démontre que la demanderesse a passé ce qui semble être une partie importante de son temps non rémunéré ou partiellement rémunéré dans la Force de réserve en congé de maternité ou à l’égard de ses responsabilités en matière de garde d’enfants. La preuve indique que le Centre des pensions a informé la demanderesse que le congé de maternité n’ouvrait pas droit à pension sous le régime de la LPRFC et qu’il était exclu de son service total dans la Force de réserve.

[9]        La demanderesse soutient qu’il est déraisonnable de compter ses 28 années et plus de service ouvrant droit à pension dans la Force de réserve à l’encontre du plafond de 35 ans de service ouvrant droit à pension à titre de fonctionnaire sous le régime de la LPFP, parce qu’elle n’a pas reçu de prestations de retraite pour ses 28 années et plus, mais seulement pour ses 12 années et plus, soit son service rémunéré dans les FC.

[10]      La demanderesse demande à la Cour d’interpréter le paragraphe 5(5) de la LPFP de façon à lui permettre d’accumuler une pension complète pour 35 ans de service, en ne comptant que le temps de service dans les FC (12 années et plus) à l’encontre du maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension prévu dans la LPFP. Même si elle prévoit prendre sa retraite bientôt, cette interprétation lui permettrait de continuer à cotiser à son régime de retraite tant qu’elle travaille, alors qu’à l’heure actuelle, elle ne peut pas le faire parce qu’elle a atteint le plafond de 35 ans de service ouvrant droit à pension en 2015.

[11]      La demanderesse soutient que l’interprétation du Centre des pensions crée une absurdité dans laquelle les employés civils de la fonction publique sont pénalisés pour avoir servi plus longtemps au sein de la Force de réserve, et ce, malgré le fait qu’ils ont accumulé 35 années ou plus de travail rémunéré à temps plein entre l’armée et la fonction publique, ce qui est certes le cas lorsqu’un membre de la Force de réserve n’y travaille pas suffisamment pour toucher un plein salaire pendant une certaine période. Elle soutient également que l’interprétation du Centre des pensions ne donne pas à la loi une application large, libérale et téléologique qui offre une pension complète aux personnes censées en bénéficier, soit ceux et celles qui travaillent et cotisent au régime pendant 35 ans. Elle soutient que, bien que le but des deux régimes de pension soit d’offrir des prestations de retraite aux fonctionnaires civils et militaires en fonction d’un maximum de 35 ans de service, l’interprétation du Centre des pensions empêche la demanderesse d’accumuler une pension pour 35 ans de service. Elle affirme que l’intervention de la Cour est nécessaire pour corriger cette interprétation déraisonnable.

[12]      Le défendeur soutient que l’interprétation donnée par le Centre des pensions à l’expression « autre période de service » au sens du paragraphe 5(5) de la LPFP est raisonnable, parce qu’elle correspond à son sens ordinaire et que ce sens ordinaire devrait jouer un rôle dominant dans son interprétation. Le défendeur soutient que l’interprétation proposée par la demanderesse — à savoir que le service ouvrant droit à pension doit refléter les jours réels de rémunération d’un cotisant (dans son cas, ses jours de service dans les FC) — est incompatible avec le régime de la législation sur les pensions en cause et que, si elle est acceptée, elle pourrait avoir de graves répercussions négatives sur de nombreux réservistes et employés à temps partiel.

II.    Le contexte factuel

[13]      Depuis au moins 1959, les membres de la Force régulière (Armée de terre, Marine, ARC, etc.) ont droit à des prestations de retraite en vertu de la partie I de la LPRFC. Ce régime à prestations déterminées est régi par le Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes, C.R.C., ch. 396 (le RPRFC).

[14]      Avant le 1er mars 2007, seuls les membres de la Force régulière étaient inclus dans ce régime. Les réservistes ne pouvaient en bénéficier et la LPRFC ne prévoyait pas un régime de pension comparable. Le 1er mars 2007, la partie I.1 de la LPRFC est entrée en vigueur, dans laquelle était créé le Régime de pension de la Force de réserve, un régime à prestations déterminées.

[15]      Il est important de noter que d’autres changements apportés à la partie I de la LPRFC ont permis à certains membres de la Force de réserve — y compris la demanderesse — de devenir des cotisants au titre de la partie I de la LPRFC si certains critères de service ou de rémunération étaient respectés. La demanderesse a choisi de participer au régime de retraite de la partie I de la LPRFC, connu sous le nom de Régime de retraite de la Force régulière.

[16]      D’autres changements apportés à la partie I et à la partie I.1 de la LPRFC ont permis aux réservistes — comme la demanderesse — qui répondaient à certains critères d’admissibilité de « racheter » leurs années de service antérieures dans le régime auquel ils participaient, en l’occurrence le régime de la partie I de la LPRFC. Plus précisément, les cotisants au titre de la partie I de la LPRFC, comme la demanderesse, peuvent racheter du service antérieur jusqu’à concurrence de 35 années cumulatives avec tout autre service ouvrant droit à pension qu’ils peuvent avoir dans la LPFP. Ce mécanisme permet généralement aux membres de la Force de réserve d’obtenir des prestations plus importantes et de satisfaire à d’autres exigences et seuils plus rapidement que les autres cotisants.

A.    La période de service de la demanderesse dans la Force de réserve et rachat et prestations en vertu de la LPRFC

[17]      De 1979 à 2008, la demanderesse était membre de la Force de réserve des Forces armées canadiennes.

[18]      À la suite de l’entrée en vigueur des modifications le 1er mars 2007, la demanderesse est devenue une cotisante au régime de retraite de la LPRFC. Le 21 février 2010, elle a choisi de racheter son service dans la Force de réserve en vertu de la LPRFC (de 1979 au 1er mars 2007). Son rachat comprenait 27 ans et 56 jours de service ouvrant droit à pension au titre de la LPRFC. De ce nombre, 12 ans et 249 jours, soit le service pour lequel elle fut rémunérée ou partiellement rémunérés, sont comptés comme service dans les FC. Elle a également accumulé une période supplémentaire d’un an et 32 jours de service ouvrant droit à pension entre le 1er mars 2007 et le 31 mars 2008 à titre de cotisante active (plutôt que de cotisante de la Force de réserve) sous le régime de la LPRFC.

[19]      Son service ouvrant droit à pension total sous le régime de la LPRFC était donc de 28 ans et 88 jours. Cependant, ses prestations de retraite sous le régime de la LPRFC ont été calculées en fonction des jours et des jours partiels à l’égard desquels le paiement a été autorisé à son égard, c’est-à-dire les jours rémunérés et partiellement rémunérés; ces jours sont appelés jours de service dans les Forces canadiennes ou jours de service dans les FC. Les jours de service de la demanderesse dans les FC totalisent 12 ans et 249 jours. Le montant découlant de ces calculs n’est pas contesté.

[20]      Comme il a été mentionné, la demanderesse a choisi de recevoir une allocation annuelle avec effet immédiat en vertu de la LPRFC. Cette allocation annuelle lui est versée depuis qu’elle a fait son choix en 2010, avec une réduction en raison de son âge au moment où les paiements ont commencé.

B.    La période passée par la demanderesse et ses prestations au titre de la LPFP

[21]      En 2009, la demanderesse a commencé sa carrière dans la fonction publique fédérale au ministère de la Défense nationale. Le 14 novembre 2009, elle a commencé à cotiser à un régime de retraite sous le régime de la LPFP. Le 31 juillet 2010, elle a choisi de racheter son service antérieur dans la fonction publique du 15 septembre 2008 au 14 novembre 2009 (1 année et 5 jours) en vertu de la LPFP.

[22]      Dès décembre 2013, le Centre des pensions a informé la demanderesse qu’elle atteindrait 35 années de service ouvrant droit à pension le 12 août 2015, en comptant son service ouvrant droit à pension accumulé sous le régime de la LPRFC (28 ans et 88 jours) et son service ouvrant droit à pension sous le régime de la LPFP, en supposant qu’elle ait continué de travailler à temps plein comme employée civile du MDN jusqu’à ce moment-là.

[23]      Le 25 mai 2017, le Centre des pensions a écrit à la demanderesse pour l’informer qu’à compter du 12 août 2015, elle ne pourrait plus cotiser au Régime de pension de retraite de la fonction publique prévu par la LPFP, parce qu’elle avait atteint le maximum combiné de 35 années de service ouvrant droit à pension permis en vertu des régimes de la LPRFC et de la LPFP.

[24]      L’avocat de la demanderesse a écrit quatre fois au Centre des pensions pour demander des précisions sur les droits à pension de sa cliente. Dans des lettres datées des 19 et 20 novembre 2019, du 7 octobre 2020 et du 4 mars 2021, le Centre des pensions a expliqué que la demanderesse avait accumulé 28 années et 88 jours (28 années et plus) de service ouvrant droit à pension sous le régime de la LPRFC, soit le total du service courant et du service racheté en vertu de la partie I de la LPRFC, qui comprend le service pour lequel où elle a été rémunérée, le service pour lequel elle a été partiellement rémunérée et la période de temps pour laquelle elle n’a pas été rémunérée du tout (durée cumulative). Cela dit, les prestations de retraite qu’elle reçoit et le coût de son choix ont été rajustés pour tenir compte seulement des jours de travail entièrement ou partiellement rémunérés plutôt que du temps total (durée cumulative ou temps ouvrant droit à pension) qu’elle a passé dans la Force de réserve.

[25]      Conformément aux dispositions applicables, y compris les paragraphes 5(5) et 5(3) de la LPFP, le Centre des pensions a compté tout le service ouvrant droit à pension accumulé sous le régime de la LPRFC comme « autre période de service » au titre du paragraphe 5(5) de la LPFP.

[26]      Le 29 juin 2021, la demanderesse a présenté des observations au Centre des pensions aux fins de réexamen. Dans une lettre datée du 26 août 2021 (en fait le 26 juillet 2021), le Centre des pensions a confirmé sa décision, laquelle fait maintenant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le litige a trait aux différentes interprétations des parties du paragraphe 5(5) de la LPFP et, plus précisément, aux différentes interprétations de l’expression « autre période de service » sont en cause.

III.   La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[27]      La décision complète du Centre des pensions est la suivante :

[traduction]

La présente fait suite à votre lettre datée du 8 juillet 2021 concernant le rachat par Mme Patterson de service antérieur dans la Force de réserve dans le cadre du régime de pension des Forces canadiennes et l’effet de ce rachat sur son admissibilité à continuer d’accumuler du service sous le régime du Régime de retraite de la fonction publique.

Je tiens à vous assurer que, dans le cadre du processus du Centre des pensions visant à établir la date à laquelle Mme Patterson a atteint 35 années de service, la législation sur les pensions a été appliquée correctement, conformément aux directives des promoteurs des régimes de retraite de la fonction publique et des Forces canadiennes. Malheureusement, l’application de ces dispositions n’est pas une question sur laquelle un pouvoir discrétionnaire peut être exercé, quelles que soient les circonstances de l’affaire.

Cela dit, nous avons pris la liberté de transmettre une copie de votre correspondance aux promoteurs du régime, au ministère de la Défense nationale et au Secrétariat du Conseil du Trésor, pour qu’ils en tiennent compte dans le cadre de tout exercice d’examen législatif.

IV.   Les questions en litige

[28]      La seule question en litige consiste à savoir si la décision contestée était raisonnable.

V.    La norme de contrôle

[29]      La demanderesse et le défendeur soutiennent tous deux que les décisions du Centre des pensions doivent être examinées au regard de la norme de la décision raisonnable : Proulx c. Canada (Procureur général), 2018 CF 761, au paragraphe 25; Landriault c. Canada (Procureur général), 2016 CF 664 (la juge Strickland), au paragraphe 16; Lamarche c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1303, [2020] 1 R.C.F. F-2 (le juge Southcott), aux paragraphes 25 et 26.

[30]      Il s’agit d’un cas d’interprétation des lois. Les parties, à juste titre à mon avis, ont abordé la présente affaire de la façon suivante de la façon suivante (présentée par la demanderesse) :

[traduction]

32. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a reconnu que, lorsqu’elle examine une décision d’interprétation des lois rendue par un décideur administratif, il est possible que l’éventail des issues raisonnables à la disposition du décideur soit beaucoup plus restreint que ce à quoi l’on pourrait s’attendre lorsque le décideur est chargé d’appliquer la loi à certains faits :

[…] [M]ême si la cour qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas procéder à une analyse de novo ni déterminer l’interprétation « correcte » d’une disposition contestée, il devient parfois évident, lors du contrôle de la décision, que l’interaction du texte, du contexte et de l’objet ouvrent la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause ou de l’aspect contesté de celleci […] il ne servirait à rien de renvoyer la question de l’interprétation au décideur initial en pareil cas. Par contre, les cours de justice devraient généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation d’une disposition qui relève de la compétence d’un décideur administratif.

Vavilov, précité, au para 124, dossier de la demande de la demanderesse Vol III, onglet 15.

33. Les décideurs administratifs comme le Centre des pensions sont donc limités par le texte, le contexte et l’objet de la législation qu’ils sont appelés à interpréter. Dans la présente affaire, le Centre des pensions a interprété le libellé de l’article 5 de la LPFP dans le contexte de son interaction avec la LPRFC et les règlements promulgués en vertu de celle-ci. Lorsqu’ils examinent le degré de contrainte imposé aux décideurs administratifs, les tribunaux examinent la loi elle-même afin d’évaluer la teneur du pouvoir discrétionnaire dont le décideur dispose dans son interprétation. Une cour de révision examine la loi pour établir si elle fournit un « libellé plus général qui peut avoir plusieurs sens » ou « une méthode précise et [un libellé] strict […] [qui ressemblent] à une méthode contraignante qu’il faut suivre. »

Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, dossier de la demande de la demanderesse Vol III, onglet 17.

34. La Cour suprême du Canada a conclu à plusieurs reprises qu’il n’existe qu’une seule réponse raisonnable à la question de l’interprétation des lois soulevée par une décision administrative. [Commentaire de la Cour : La Cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93].

Voir p. ex., Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au para 64, dossier de la demande de la demanderesse Vol III, onglet 14; Wilson c Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, au para 25, dossier de la demande de la demanderesse Vol III, onglet 23.

[31]      De plus, voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3 (le juge Stratas, les juges Rennie et MacTavish souscrivant aux motifs) aux paragraphes 16 à 19, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada accordée, dossier no 39855 (3 mars 2022). Cet appel sera instruit à l’automne 2022; on ne m’a pas demandé de reporter l’examen de la présente affaire jusqu’à ce que les motifs de la Cour suprême soient rendus, ce qui, de toute façon, ne sera probablement pas avant le printemps ou 2023, voir même après cela. Je vais maintenant rendre ma décision en tenant compte des dispositions du paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7], qui obligent la Cour fédérale à statuer « à bref délai et selon une procédure sommaire ». En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), le juge Rowe, s’exprimant pour les juges majoritaires, explique ce sur quoi une décision raisonnable doit être fondée et ce que la cour de révision doit examiner lorsqu’elle procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable [aux paragraphes 31 à 33] :

La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « … ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). (Non souligné dans l’original.)

[32]      Qui plus est, selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés [au paragraphe 128] :

Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39. (Non souligné dans l’original.)

VI.   Le droit applicable

[33]      Le paragraphe 5(3) de la LPFP est ainsi libellé :

5 [...]

Contribution — trente-cinq ans de service

(3) La personne ayant à son crédit, le 1er janvier 2013 ou après cette date, une période de service d’au moins trente-cinq ans ouvrant droit à pension — ou une période de service ouvrant droit à pension et une autre période de service totalisant au moins trente-cinq ans — n’est pas tenue de verser la contribution visée au paragraphe (2), mais est tenue de verser, par retenue sur son traitement ou autrement, à la Caisse de retraite de la fonction publique, en plus de toute autre somme exigée par la présente loi, une contribution — dont les taux sont déterminés par le Conseil du Trésor sur recommandation du ministre — à compter du 1er janvier 2013 ou du jour où elle a atteint trente-cinq ans de service, le dernier en date étant à retenir. (Je souligne.)

[34]      Le paragraphe 5(5) de la LPFP est ainsi libellé :

5 [...]

Autre période de service

(5) Pour l’application du paragraphe (3), autre période de service s’entend des années de service ouvrant droit à une prestation de pension de retraite ou de pension d’un genre spécifié dans les règlements qui est à payer :

a) soit sur le Trésor ou un compte parmi les comptes du Canada autre que le compte de pension de retraite;

b) soit sur un fonds ou un régime de pension de retraite ou de pension auquel ont été payées des contributions prélevées sur le Trésor à l’égard d’employés recrutés sur place à l’étranger;

c) soit par la Caisse de retraite des Forces canadiennes, au sens de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, ou la Caisse de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, au sens de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada. (Non souligné dans l’original, italique et gras dans l’original.)

VII.  Analyse

A.    La décision du Centre des pensions est-elle raisonnable?

[35]      Une cour de révision doit s’assurer que le décideur a interprété les dispositions législatives pertinentes « d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause », voir Vavilov, au paragraphe 121. Cela est conforme à la démarche téléologique de l’interprétation des lois et de l’interprétation d’un article dans l’ensemble du contexte du régime législatif applicable, démarche que la Cour a commentée dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 21 et 22.

1)    Interprétation du paragraphe 5(5) de la LPFP

[36]      La demanderesse fait valoir que la limite de 35 ans d’accumulation du service ouvrant droit à pension sous le régime paragraphe 5(5) de la LPFP vise le montant de la pension qui est à payer par la Caisse de retraite des Forces canadiennes. La demanderesse fait valoir que, pour la plupart des anciens membres de la Force de réserve qui ont reçu des prestations sous le régime de la LPRFC, leur pension est calculée en fonction du service dans les FC plutôt que du service ouvrant droit à pension. Je dois dire d’entrée de jeu, avec tout le respect que je dois à la demanderesse, que bien que ce soit possiblement, voir probablement le cas, je ne suis pas convaincu que la trame factuelle dont je suis saisie nécessite que je me penche sur l’interprétation présentée par la demanderesse.

[37]      Les parties conviennent que, dans le cas des membres de la Force de réserve dans la situation de la demanderesse qui font des cotisations au titre de la LPRFC, un rajustement prévu au paragraphe 16.6(2) du RPRFC est appliqué au calcul de leurs prestations de retraite au titre de l’article 15 de la LPRFC. Je remarque toutefois que cela n’a aucune incidence sur le calcul du service ouvrant droit à pension. Le rajustement exige que le Centre des pensions calcule les prestations de retraite qui reflètent les jours de travail réellement rémunérés ou partiellement rémunérés du cotisant plutôt que le temps total — appelé durée cumulative ou temps ouvrant droit à pension — que la personne a passé dans la Force de réserve. Bien que le RPRFC énonce des règles précises régissant la façon de calculer le service dans les FC en fonction de la situation d’une personne (voir par exemple l’article 3 du RPRFC), l’effet est que seuls les jours de service (ou de « jours de service accomplis dans les Forces canadiennes ») rémunérés ou partiellement rémunérés sont comptés aux fins du calcul des prestations de retraite applicables sous le régime de la LPRFC. Je tiens à souligner que le rajustement au titre du RPRFC s’applique aux prestations de retraite du cotisant et non à son service ouvrant droit à pension; les concepts sont différents et distincts.

[38]      La demanderesse fait valoir que le paragraphe 5(5) de la LPFP devrait être interprété de manière à donner effet à la limite réelle d’accumulation du service ouvrant droit à pension de 35 ans pour les employés de la fonction publique — une limite qui reflète les prestations de retraite payables au titre de la LPRFC. La demanderesse fait valoir que l’effet de l’interaction de la LPRFC avec la LPFP ne peut raisonnablement pas être interprété comme une limitation arbitraire de l’accumulation des prestations de retraite sous le régime de la LPFP en raison des années de « service ouvrant droit à pension » non rémunérées sous le régime de la LPRFC pour lesquelles la demanderesse ne reçoit aucune prestation de retraite. La demanderesse soutient que l’utilisation du libellé « qui est à payer […] par la Caisse de retraite des Forces canadiennes » (non souligné dans l’original) confirme son interprétation.

[39]      Le défendeur soutient le contraire. L’avocat soutient que « [p]ar exemple, lorsque le libellé d’une disposition est “précis et non équivoque”, son sens ordinaire joue normalement un rôle plus important dans le processus d’interprétation » (Vavilov, au paragraphe 120). Je suis bien sûr lié par l’arrêt Vavilov.

[40]      À cet égard, je suis d’accord avec le défendeur, mais pas sans réserve. À mon avis, le sens ordinaire du paragraphe 5(3) et de l’alinéa 5(5)c) de la LPFP est que le service ouvrant droit à pension accumulé sous le régime de la LPRFC et payable par la Caisse de retraite des Forces canadiennes est comptabilisé dans la période d’accumulation maximale de 35 ans sous le régime de la LPFP. En toute déférence, j’ai conclu qu’il est clair et sans équivoque que le terme « autre période de service » désigne les « années de service ouvrant droit à pension » accumulées au titre de la LPRFC, et que son calcul est fondé sur la durée cumulative et non seulement sur le temps pendant lequel la demanderesse a été rémunérée ou partiellement rémunérée. Il ne faut pas confondre les autres périodes de service prévues aux paragraphes 5(3) et 5(5) avec le temps de service dans les FC, qui est utilisé pour calculer les prestations de retraite d’une personne et qui, à ma connaissance, est très différent du service ouvrant droit à pension et des autres périodes de service.

[41]      En particulier, je ne suis pas en mesure d’interpréter le terme « autre période de service » au paragraphe 5(5) comme faisant référence à un autre concept comme le [traduction] « service accompli dans les Forces canadiennes » comme le prétend la demanderesse. Je suis obligé de convenir avec le défendeur que, si le législateur avait voulu faire référence au [traduction] « service accompli dans les Forces canadiennes » aux paragraphes 5(3) ou 5(5) de la LPFP, il aurait facilement pu le dire, comme il le fait d’ailleurs dans la LPRFC et dans le RPRFC (voir, à titre d’exemple, l’alinéa 3(1)b) du RPRFC et l’alinéa 16(1)a) de la LPRFC).

[42]      À cet égard, je remarque que le terme « service ouvrant droit à pension » est utilisé environ 80 fois dans la LPRFC, et près de 150 fois dans la LPFP. Le terme « service accompli dans les Forces canadiennes » (ou service accompli dans les FC, ou toute autre variation) est utilisé deux fois dans la LPRFC, et 14 fois dans le RPRFC. À eux seuls, ces faits me font réfléchir. Je suis conscient de la complexité de la législation fédérale — autant la LPFP que la LPRFC — sur la pension de retraite. Je suis réticent à attribuer une nouvelle interprétation au terme « service ouvrant droit à pension » dans l’un ou l’autre des cas en raison de la possibilité de changements corrélatifs involontaires dans l’interprétation d’un terme utilisé à une telle fréquence ailleurs dans la LPRFC et la LPFP.

[43]      Par exemple, si la Cour devait interpréter le paragraphe 5(5) comme le propose la demanderesse, de manière à ce qu’il s’entende du service dans les Forces canadiennes ou du service dans les FC, que ferait-on de la limite de 35 ans sur les cotisations des employés au régime créé par le paragraphe 5(3) de la LPFP qui précise effectivement qu’après 35 ans de service ouvrant droit à pension, un employé n’est plus « [tenu] de verser la contribution »? J’ai posé cette question à l’audience et l’avocat de la demanderesse m’a informé qu’il faudrait apporter des rajustements, mais, avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas convaincu qu’il s’agirait simplement de « rajustements ».

[44]      Le défendeur fait référence aux dispositions législatives suivantes, qui m’amènent également à conclure que l’interprétation de l’article 5 de la LPFP par le Centre des pensions est raisonnable.

[45]      Dans la LPRFC, le service ouvrant droit à pension est défini à l’article 6. L’alinéa 6b) traite du service accompagné d’option. Conformément aux divisions 6b)(ii)(G) et (H) de la LPRFC, le service accompagné d’option comprend tout service accompagné d’option dans la Force de réserve, y compris les périodes intermittentes pendant lesquelles un réserviste n’effectue aucun travail et n’est pas payé, et pendant lesquelles aucune cotisation de retraite n’est versée :

Service ouvrant droit à pension

6 Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le service suivant peut être compté par un contributeur comme service ouvrant droit à pension, pour l’application de la présente loi :

[…]

b) le service accompagné d’option, comprenant :

[…]

(ii) dans le cas d’un contributeur, les périodes de service qui suivent :

[…]

(G) toute période continue de service à plein temps, d’une durée de trois mois ou plus, dans les Forces canadiennes ou dans les forces navales, les forces de l’armée ou les forces aériennes de Sa Majesté, levées par le Canada, autres que la force régulière, s’il choisit, dans le délai d’un an après qu’il est devenu contributeur suivant la présente loi, de payer pour ce service,

(H) le quart de toute période de service dans les Forces canadiennes, ou dans les forces navales, les forces de l’armée ou les forces aériennes de Sa Majesté, levées par le Canada, autres que la force régulière, durant laquelle il était susceptible d’appel pour entraînement ou service périodique par le gouverneur en conseil autrement qu’en cas d’urgence — sauf tout semblable service qu’il peut compter selon la division (C) ou (G) —, s’il choisit, dans le délai d’un an après qu’il est devenu contributeur selon la présente loi, de payer pour ce service,

[46]      Conformément au paragraphe 12.2(3) du RPRFC, un réserviste qui choisit de procéder à un rachat de service dans la Force de réserve n’a d’autre choix que de le racheter en entier — c’est ce que la demanderesse a fait dans la présente affaire. Elle a racheté « la totalité » de son service ouvrant droit à pension dans la Force de réserve :

Choix visant le service dans la force de réserve

12.2 […]

(3) Le choix portant sur le service dans la force de réserve visé aux divisions 6b)(ii)(G) et (H) de la Loi, dans leur version adaptée par le paragraphe (2), porte sur l’ensemble des périodes de service accomplies dans la force de réserve; toutefois, ne sont comptées comme années de service ouvrant droit à pension, à commencer par les plus récentes, que celles qui permettent de porter le nombre d’années de service ouvrant droit à pension du contributeur à un maximum de trente-cinq. (Je souligne.)

[47]      Le service dans la Force de réserve racheté par un réserviste sous le régime de la partie I de la LPRFC donne généralement lieu à un nombre équivalent d’années de service ouvrant droit à pension; comme il a été mentionné, le service ouvrant droit à pension comprend le temps passé dans la Force de réserve, qu’il soit rémunéré, partiellement rémunéré ou pas rémunéré du tout.

[48]      En l’espèce, lorsque la demanderesse a choisi de racheter 27 années et 56 jours de service ouvrant droit à pension, le coût était proportionnel aux heures qu’elle avait travaillées et au salaire qu’elle recevait, et il était fondé sur ce qu’elle aurait cotisé si elle avait été cotisante pendant son service dans la Force de réserve, soit une pension équivalant à 12 années et 249 jours de service à temps plein (c’est-à-dire son service dans les FC). Elle a également accumulé une année supplémentaire et 32 jours de service ouvrant droit à pension entre le 1er mars 2007 et le 31 mars 2008 à titre de cotisante.

[49]      Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’en choisissant d’employer le terme « autre période de service » au paragraphe 5(3) de la LPFP et en mentionnant la LPRFC au paragraphe 5(5), le législateur avait en tête la définition et la signification de « service ouvrant droit à pension » sous le régime de la LPRFC. Si le législateur avait voulu que seul le service dans les FC soit compté aux fins du paragraphe 5(3), il aurait utilisé ce terme. Comme je l’ai déjà mentionné, ce n’est pas ce qu’il a fait, et ce, bien que le terme « service dans les FC » (service dans les Forces canadiennes) soit utilisé ailleurs à 16 reprises dans la LPRFC et le RPRFC. De plus, le terme « service ouvrant droit à pension » est utilisé environ 80 fois dans la LPRFC, et environ 148 fois dans la LPFP.

[50]      À cet égard, je remarque que, en concevant le régime comme il l’a fait, le législateur semble également avoir offert des compromis favorables aux personnes dans la position de la demanderesse. Premièrement, même si les personnes dans la situation de la demanderesse ne peuvent plus cotiser en vue d’obtenir une pension plus importante, les retenues salariales liées à la pension passent de 9 p. 100 du salaire à seulement 1 p. 100 du salaire. Ainsi, même si leur pension ne croîtra pas en fonction de l’augmentation du nombre d’années ou du salaire de base, le revenu disponible du cotisant augmente de 8 p. 100 de son salaire, ce qui fait que le revenu disponible accru peut être investi dans un compte d’épargne libre d’impôt (CELI) et des placements non enregistrés, comme les obligations et les actions. La question des cotisations à un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) a été soulevée à l’audience sans qu’il y ait de solution dans un sens ou dans l’autre.

[51]      De plus, le calcul de la pension de base est bonifié par l’article 15. Dans les situations prévues aux alinéas 16(1)c), d) et e) de la LPRFC, c’est le service ouvrant droit à pension — déterminé par la durée cumulative, et non pas seulement par le temps de service rémunéré dans les FC — qui est utilisé pour déclencher l’accès anticipé à une pension non réduite; si le service dans les FC était utilisé, il faudrait beaucoup plus de temps pour l’obtenir. Autrement dit, la personne a accès à sa pension plus tôt, étant donné que c’est le service ouvrant droit à pension (durée cumulative) plutôt que le service dans les FC (temps rémunéré) qui est utilisé. L’acquisition des droits à pension est également améliorée en vertu de l’article 16 de la LPRFC. Aussi, le paragraphe 18(3) dispose qu’une allocation annuelle plus importante est offerte, en raison du calcul de la réduction, à ceux qui ont près de 30 ans de service ouvrant droit à pension, comparativement à ce qui serait payé en fonction de l’âge seulement selon le paragraphe 18(2) (c.-à-d. une réduction de 14 p. 100 par rapport à une réduction de 40 p. 100 dans le cas de la demanderesse).

[52]      On ne peut donc pas dire qu’il n’y a aucun avantage à ce que la LPRFC et la LPFP prévoient une définition commune du service ouvrant droit à pension. Notamment, personne ne pourrait se réclamer des avantages exposés en l’espèce si le service ouvrant droit à pension était calculé en fonction du service rémunéré dans les FC dans le cas de la demanderesse.

2)    Interprétation fondée sur l’objet visé du paragraphe 5(5) de la LPFP

[53]      La demanderesse soutient que l’objet de la législation fédérale sur les régimes de retraite est de conférer une prestation aux cotisants qui respectent certains critères. La LPFP impose un maximum de 35 ans de service ouvrant droit à pension : cela correspond directement aux gains ouvrant droit à pension qu’un employé de la fonction publique est en mesure d’atteindre à la retraite, parce que la prestation est calculée en fonction du service. La LPRFC permet aux membres des Forces armées de toucher des prestations de retraite qui sont assujetties au même maximum de 35 ans. Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné, le calcul de la durée cumulative ou de la durée de la période de service aux fins de la détermination d’une prestation de retraite pour les membres de la Force de réserve qui ont choisi de racheter du service antérieur est assujetti à un « rajustement » déterminé par le RPRFC. Le rajustement imposé par l’article 16.6 du RPRFC réduit chaque année de service ouvrant droit à pension pour tenir compte du service dans les FC, ou des jours rémunérés, lors du calcul des prestations de retraite ou de la pension.

[54]      Autrement dit, la demanderesse se retrouve avec une pension réduite du temps qu’elle a passé dans la Réserve pour lequel elle n’a pas été rémunérée et n’a gagné aucune prestation de retraite. La demanderesse soutient que cela fait en sorte qu’un groupe relativement restreint de personnes, dont elle fait partie, est traité de façon très préjudiciable en raison de services non rémunérés à la Couronne. La demanderesse soutient que cela n’est pas conforme aux objectifs de la LPRFC et de la LPFP.

[55]      Toutefois, le défendeur soutient que l’interprétation téléologique proposée par la demanderesse ne peut pas être retenue, parce que l’interprétation du Centre des pensions confirme en fait l’objet du régime et que la demanderesse bénéficie de ses 28 années de service ouvrant droit à pension en recevant une allocation annuelle à laquelle une réduction inférieure est appliquée, comme il est expliqué ci-dessus. De plus, comme il a été mentionné, en plus d’être un facteur dans la formule de calcul de la pension de base, le service ouvrant droit à pension est important pour toutes les catégories d’employés, particulièrement pour les employés à temps partiel et les réservistes, parce qu’il est utilisé dans la LPFP et la LPRFC pour déterminer certains seuils d’admissibilité aux prestations, les réductions associées à la retraite anticipée et l’acquisition de droits aux prestations.

[56]      Le défendeur soutient également que l’interprétation de la demanderesse signifie que le service ouvrant droit à pension non seulement de tous les réservistes, mais aussi de tous les employés à temps partiel au titre de la LPFP, devrait être réduit à leur période rémunérée réelle. Cela peut toucher beaucoup de gens, et aussi la façon dont le régime est compris et administré. Le défendeur avance l’exemple suivant : si le service ouvrant droit à pension est fondé uniquement sur le service dans les FC (service à temps partiel au titre de la LPFP), les employés à temps partiel et les réservistes auraient besoin d’une plus longue période d’emploi avant de bénéficier des droits acquis, et avant d’atteindre l’exigence de service associée à la retraite anticipée. Sous le régime de la LPFP, les contributeurs du groupe 1 (les membres qui sont devenus des contributeurs avant le 1er janvier 2013) qui atteignent l’âge de 55 ans et 30 années de service ouvrant droit à pension ont droit à une pension non réduite conformément au sous-alinéa 13(1)c)(i) la LPFP. Si l’interprétation de la demanderesse était retenue, les contributeurs ayant travaillé à temps partiel dans la fonction publique ne seraient pas admissibles à une pension non réduite.

[57]      Dans les faits, l’interprétation proposée par la demanderesse exigerait que ces employés à temps partiel aient travaillé pendant 60 ans afin d’être admissibles à une prestation de retraite sans « pénalité » à l’âge de 55 ans, ce qui est manifestement absurde. Il a fallu essentiellement que la demanderesse concède ce point, mais l’avocat a souligné qu’elle ne cherche pas à modifier une des lois ou les deux lois dans leur ensemble, mais seulement les paragraphes 5(3) et 5(5) de la LPFP.

[58]      Je ne suis pas convaincu de pouvoir donner une interprétation aussi étroite pour des raisons essentiellement liées à l’objet de la loi, sans créer une injustice ailleurs, ce qui confirme mon point de vue selon lequel la solution à la question soulevée en l’espèce passerait par une modification législative plutôt que par l’interprétation judiciaire. Je dois ajouter que, à mon humble avis, en tant que juge et non en tant que législateur, ce que la demanderesse demande a du mérite, pourvu qu’elle puisse l’obtenir sans créer une injustice dans d’autres situations, et que des personnes comme la demanderesse cotisent à la pension accrue qu’elles obtiendraient.

[59]      À cet égard et en ce qui concerne l’objet du régime, le défendeur fait valoir ce qui suit :

[traduction]

73. Le législateur a établi un maximum de 35 années de service ouvrant droit à pension, déterminé sur une base combinée, afin de limiter le montant des pensions versées par le gouvernement. Ce faisant, le législateur savait que certains employés à temps plein ayant 35 années de service ouvrant droit à pension ne recevraient pas la pension maximale possible en raison de la réduction de leurs prestations de retraite. De même, le législateur savait que certaines personnes n’accumuleraient pas nécessairement un droit à pension comme si elles avaient travaillé 35 ans à temps plein. Le rajustement du montant des prestations de retraite (en vertu de la LPFP ou de la partie I de la LPRFC) tient compte des périodes d’emploi à temps partiel et reflète les cotisations moins élevées qui ont été versées à la caisse de retraite. Ce principe de proportionnalité est également important dans l’objectif global des régimes.

[60]      Je souscris à cette observation. Par conséquent, même si l’un des aspects du régime législatif est de permettre aux employés d’accumuler une pension maximale correspondant à 35 années de service, ce n’est pas son seul objet, ni son objet déterminant. Par exemple, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Burke, 2022 CAF 44, [2022] 4 R.C.F. 142 (Burke), la Cour d’appel fédérale a reconnu que la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9 visait à conférer des prestations, mais a conclu que l’objet du régime ne peut se limiter à cet objectif, bien qu’il soit important. Cet arrêt, la Cour a refusé d’adopter une interprétation qui conférerait des avantages à une personne qui ne répondait pas aux critères d’admissibilité. Comme cela était le cas dans l’arrêt Burke, j’ai conclu que la demanderesse ne répond pas aux critères d’admissibilité établis par le législateur. Accepter les observations de la demanderesse ne serait pas fidèle au libellé clair des dispositions en cause.

VIII. Conclusion

[61]      À mon humble avis, la demanderesse n’a pas démontré que la décision est déraisonnable aux fins du contrôle judiciaire. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

[62]      Toutefois, comme je l’ai expliqué ci-dessus, j’espère que le défendeur acceptera la recommandation du Centre des pensions et fera examiner cette question dans le cadre d’un éventuel examen législatif.

IX.   Dépens

[63]      Les parties ont convenu que le défendeur verserait 2 500 $ à la demanderesse si cette dernière devait avoir gain de cause, tandis que le défendeur n’a pas réclamé de dépens. La demande sera rejetée; toutefois, à mon avis, la demanderesse devrait se voir adjuger une somme modeste au titre des dépens. Dans les circonstances, je lui accorde 1 000 $, tout compris, pour avoir présenté de façon très habile, mais sans succès, une question valable qui, à mon humble avis, doit être examinée dans le cadre d’un examen législatif, comme le souligne lui-même le Centre des pensions du défendeur dans sa décision.

JUGEMENT dans le dossier no T-1343-21

LA COUR STATUE que :

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.       Le défendeur payera à la demanderesse des dépens de 1 000 $.

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