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Référence :

Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 623,

[2010] 2 R.C.F. 467

IMM-3786-08

Dong Zhe Li et Dong Hu Li (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Heneghan—Vancouver, 9 et 16 décembre 2008; Ottawa, 9 juin 2009.

* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été infirmée en appel (A-251-09, 2010 CAF 75). Les motifs du jugement, prononcés le 17 mars 2010, seront publiés dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de visiteurs — Contrôle judiciaire d’une décision relative à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) par laquelle l’agente a conclu que les demandeurs étaient visés par l’art. 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les demandeurs étaient des ressortissants chinois qui sont entrés légalement au Canada, mais qui ont subséquemment été détenus en vertu de mandats d’arrestation émis conformément à la Loi —Une mesure d’exclusion a été prise contre eux — Les demandeurs ont déposé des demandes d’ERAR — L’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs avaient commis un crime grave en Chine, qu’ils étaient visés par l’art. 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et qu’ils étaient exclus de la protection des réfugiés en application de l’art. 98 de la Loi — L’agente a commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient visés à l’art. 112(3)c) de la Loi — L’art. 112(3)c) de la Loi s’applique à un demandeur qui a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention — En raison de l’application de l’art. 99(3) de la Loi, les demandeurs ne pouvaient pas présenter des demandes d’asile au titre de réfugiés au sens de la Convention — Ils ne pouvaient donc pas être visés par l’alinéa 112(3)c) — La demande d’asile des demandeurs aurait dû être examinée en vertu de l’art. 113c) — L’art. 113c) prévoit que l’agent doit examiner la demande en fonction des art. 96 à 98 de la Loi — Il appert de la simple lecture du libellé de l’art. 113c) que l’agente avait manifestement compétence pour examiner l’art. 98 — En l’espèce, l’agente n’avait pas correctement exercé sa compétence puisqu’elle avait censément évalué, à tort, la demande en vertu de l’art. 113d) — La conclusion portant que les demandeurs étaient visés par l’art. 112(3) était déraisonnable — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) par laquelle l’agente a conclu que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

Les demandeurs étaient des ressortissants chinois qui sont entrés légalement au Canada à titre de visiteurs, mais qui ont subséquemment été détenus en vertu de mandats d’arrestation émis conformément à la Loi. Une mesure d’exclusion a été prise contre eux et ils ont déposé des demandes d’ERAR. Les demandeurs, nommés dans des mandats d’arrestation émis pour le vol de plus de 170 millions de Yuan, par la fraude de titres négociables en Chine, soutenaient qu’ils risquaient d’être torturés, d’être exposés à des traitements ou des peines cruels ou inusités ou d’être exposés à une menace à leur vie par les autorités chinoises s’ils retournaient en Chine. L’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs avaient commis un crime grave en Chine, qu’ils étaient visés par l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et qu’ils étaient exclus de la protection des réfugiés en application de l’article 98 de la Loi.

Il s’agissait de savoir si l’agente avait commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la Loi et si elle avait compétence pour examiner l’exclusion en vertu de la section F de l’article premier de la Convention.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’alinéa 113c) invite l’agent d’ERAR à examiner si le demandeur n’est pas « visé au paragraphe 112(3) ». Cette conclusion affecte la façon dont l’agent évaluera la demande d’asile. Le paragraphe 112(3) impose à l’agent l’obligation préliminaire de déterminer, en première étape, s’il existe une restriction à la protection disponible. Chacune des quatre situations énumérées prévoit qu’une action a été prise ou qu’une décision a déjà été rendue. Aucune des exceptions prévues au paragraphe 112(3) ne prévoit la restriction de la protection vis-à-vis des personnes qui ne peuvent pas présenter des demandes d’asile au titre de réfugiés au sens de la Convention. En l’espèce, l’agente a commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient visés à l’alinéa 112(3)c). Cette disposition s’applique à un demandeur qui a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention. En raison de l’application du paragraphe 99(3) de la Loi, suivant lequel la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à faire une demande d’asile, les demandeurs ne pouvaient pas présenter des demandes d’asile. Par conséquent, ils ne pouvaient pas être visés par l’alinéa 112(3)c).

La demande d’asile des demandeurs aurait dû être examinée en fonction de l’alinéa 113c). L’agente n’aurait pas été limitée à l’examen de l’article 97, puisque l’alinéa 113c) prévoit que l’agent doit examiner la demande en fonction des articles 96 à 98. Pour l’application des présentes, l’article 98, disposition d’exclusion qui incorpore par référence les sections E et F de l’article premier de la Convention, était la disposition la plus importante pour l’évaluation de la demande d’asile des demandeurs. Même si l’agente avait manifestement compétence pour examiner l’article 98, à la simple lecture du libellé de l’alinéa 113c), l’agente n’avait pas correctement exercé cette compétence puisqu’elle avait censément évalué, à tort, la demande en vertu de l’alinéa 113d). Par conséquent, la conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs sont visés par le paragraphe 112(3) n’était pas raisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « Convention sur les réfugiés », 44, 45, 77(1) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 96, 97, 98, 99, 112, 113, 114, ann.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 172.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1E, 1Fb).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.

décision différenciée :

Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304, confirmant 2003 CF 1023, [2004] 2 R.C.F. 372.

décisions examinées :

Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 941; Biro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 776.

décisions citées :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2009 CAF 85, [2010] 2 R.C.F. 433; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.

    DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision relative à l’examen des risques avant renvoi par laquelle l’agente a conclu que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Christopher Elgin pour les demandeurs.

Cheryl D. E. Mitchell pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Elgin, Cannon & Associates, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

    La juge Heneghan :

Introduction

[1]     M. Dong Zhe Li et M. Dong Hu Li (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire de la décision de l’agente d’examen des risques avant renvoi A. Bremner (l’agente). Dans la décision, datée du 24 avril 2008, l’agente a conclu que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi).

Le contexte

[2]     Les demandeurs sont des ressortissants chinois qui sont entrés légalement au Canada, à titre de visiteurs, le 31 décembre 2004. Subséquemment, ils ont été détenus en vertu de mandats d’arrêts émis conformément à la Loi en février 2007. Une mesure d’exclusion a été prise contre eux le 27 février 2007. Un historique détaillé des diverses procédures judiciaires intentées par les demandeurs au Canada se trouve dans l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2009 CAF 85, [2010] 2 R.C.F. 433.

[3]     Les demandeurs ont contesté l’ordonnance d’exclusion rendue dans les dossiers IMM‑1028‑07, IMM‑1098‑07, IMM‑1026‑07 et IMM‑1099‑07. Les quatre demandes de contrôle judiciaire ont été instruites simultanément et, dans un jugement rapporté au 2007 CF 941 [Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)], M. le juge Simon Noël a rejeté les demandes de contrôle judiciaire aux motifs que l’ordonnance d’exclusion était valide et que, en vertu du paragraphe 99(3) de la Loi, les demandeurs ne peuvent pas demander l’asile parce qu’ils font l’objet d’une mesure de renvoi.

[4]     Dans son jugement, le juge Noël a décrit les principaux faits entourant l’arrivée des demandeurs au Canada, aux paragraphes 5 à 9 de sa décision :

    Les demandeurs sont des citoyens chinois qui sont venus au Canada à la veille du jour de l’An en 2004. Ils sont tous deux entrés au pays avec des visas de résident temporaire (VRT) et n’ont pas tenté d’obtenir une prorogation après l’expiration de leurs visas. Au lieu de quitter le pays lorsque leurs visas ont expiré, les demandeurs sont restés illégalement au Canada et ont pris des mesures conjointes pour éviter les autorités canadiennes. En fait, ils se sont cachés à l’hôtel Sheraton Wall Centre au centre-ville de Vancouver après l’arrestation de leur associé Shan Gao et de l’épouse de celui-ci, Xue Li, le 16 février 2007.

    D’après des renseignements qui ont été fournis par les autorités chinoises, les demandeurs se seraient enfuis de la République populaire de Chine (la Chine) quelques semaines avant qu’ils soient tous deux accusés d’avoir volé plus de 170 millions de Yuan (équivalent à 24 500 000 $CAN), en fraudant des titres négociables. Les frères faisaient l’objet d’un mandat d’arrestation en date du 24 janvier 2005, émis par le protectorat de Harbin, dans la province de Heilongjiang (Chine), en vertu de l’article 194 de la Criminal Law of the People’s Republic of China (Loi concernant le droit criminel de la République populaire de Chine). Si cette infraction avait été commise au Canada, elle aurait été équivalente à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, pour fraude dépassant 5 000 $, qui est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

    Le 14 novembre 2006, l’agente d’exécution d’immigration Cheryl Shapka (l’agente Shapka), munie des mandats d’arrêt chinois, a émis un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), L.C. 2001, ch. 27 (les passages applicables de la Loi sont joints aux présents motifs à l’annexe A). De plus, l’agente Shapka a émis un deuxième rapport d’interdiction de territoire contre les demandeurs parce qu’ils avaient dépassé la durée de séjour autorisée par leurs visas de visiteurs. Deux jours plus tard, le 16 novembre 2006, l’agente Shapka a délivré des mandats d’arrestation contre les demandeurs.

    Les demandeurs se sont cachés et ont réussi à échapper aux autorités canadiennes. Lorsque des agents du service de police de Vancouver (SPV) ont finalement réussi à les retrouver à l’hôtel et ont cogné à leur porte le vendredi 23 février 2007, les demandeurs ont refusé d’ouvrir aux policiers. Les agents du SPV ont obtenu un mandat d’entrée spécial et sont entrés dans la chambre d’hôtel des demandeurs. Les demandeurs ont été arrêtés et mis en détention le même jour.

    Les deux demandeurs ont été détenus au détachement de la GRC à North Vancouver, où on les a informés de leurs droits. De plus, l’agente Shapka a interrogé chaque demandeur individuellement au détachement de la GRC et les a avisés qu’ils avaient été arrêtés parce qu’ils étaient interdits de territoire au Canada en raison d’importantes accusations de fraude déposées contre eux en Chine, en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Elle les a aussi avisés qu’ils avaient été arrêtés et détenus en vertu de l’article 55 de la Loi en raison de leur refus de quitter le Canada et de leur défaut de présenter une demande de prorogation lorsque leurs VRT ont expiré.

[5]     Bien que le juge Noël ait donné aux avocats des demandeurs et du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) l’occasion de présenter une question à certifier, aucune des parties ne l’a fait et aucune question n’a été certifiée. Le jugement du juge Noël a été rendu le 21 septembre 2007.

[6]     Les demandeurs ont déposé leurs demandes d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 13 mars 2007. Ils ont demandé que l’examen de leurs demandes soit suspendu jusqu’à ce que leurs procédures en instance devant la Cour fédérale soient tranchées. Dans une lettre datée du 28 septembre 2007, c’est-à-dire après que le juge Noël ait rendu son jugement, l’agente a avisé les avocats des demandeurs de la possibilité de présenter des observations au sujet des risques.

[7]     Dans une lettre datée du 28 septembre 2007, l’agente a avisé les demandeurs qu’elle examinait leurs demandes d’ERAR. Dans une lettre datée du même jour, les avocats des demandeurs ont expliqué qu’ils attendaient une divulgation de documents supplémentaires.

[8]     L’agente a répondu à la lettre des avocats des demandeurs le 28 septembre 2007, en précisant qu’elle attendait des observations quant à la question du risque et des preuves au sujet de la situation qui règne dans le pays et qui pourrait affecter les demandeurs.

[9]     Le 22 octobre 2007, les avocats des demandeurs ont écrit à l’agente de nouveau pour répondre à la question des risques. Le risque que couraient les demandeurs a été identifié comme étant le traitement que les autorités chinoises leur réserveraient lors de l’enquête et de la poursuite pour les crimes financiers que les demandeurs auraient commis en Chine. La crainte des demandeurs de retourner en Chine est fondée sur le fait que des mandats d’arrestation ont été émis à leurs noms pour le vol de plus de 170 millions de yuan, par la fraude de titres négociables. Les demandeurs, par l’entremise de leurs avocats, ont soutenu qu’ils risquaient d’être torturés, d’être exposés à des traitements ou des peines cruels et inusités ou d’être exposés à une menace à leur vie par les autorités chinoises s’ils retournaient en Chine.

[10]     De plus, dans cette lettre, les avocats des demandeurs ont expliqué que les demandeurs avaient le droit à une décision relative à l’ERAR parce qu’ils font l’objet d’une mesure de renvoi, qu’ils ne sont pas visés par le paragraphe 112(3) de la Loi et que l’agente n’avait pas compétence pour appliquer l’article 98. De plus, les avocats des demandeurs ont précisé que, si l’agente appliquait l’article 98 de la Loi, les demandeurs souhaitaient connaître la preuve qui serait examinée afin qu’ils puissent y répondre.

[11]     Dans une lettre complémentaire en date du 10 janvier 2008, l’agente a expliqué qu’elle examinerait la possibilité d’exclure les demandeurs en application de l’article 98 de la Loi, au motif que les demandeurs avaient censément commis des crimes non politiques graves. Elle a précisé qu’elle ne demandait pas d’observations au sujet de sa compétence pour examiner l’application de l’article 98. Elle a ensuite conclu que si les demandeurs étaient visés par l’exclusion prévue à l’article 98, elle effectuerait ensuite un examen des risques en vertu de l’article 97 et que, si cette décision était favorable, c’est-à dire si le risque était établi, elle renverrait la décision pour évaluation.

[12]     Les avocats des demandeurs ont envoyé une autre lettre le 7 février 2008, au sujet de l’application de l’article 98. D’autres observations ont aussi été présentées au sujet des articles 96 et 97. Les avocats n’ont pas fait d’observations au sujet de la compétence de l’agente pour examiner l’article 98, mais ont précisé qu’ils étaient prêts à traiter de cette question plus tard.

[13]     Dans une lettre datée du 18 mars 2008, l’agente a écrit aux avocats des demandeurs au sujet de l’exclusion prévue à l’article 98. Elle a demandé des explications au sujet du fait que les demandeurs possédaient des sommes d’argent importantes à leur arrivée au Canada.

[14]     Les avocats des demandeurs ont répondu à cette lettre le 20 mars 2008, demandant si la question au sujet de l’argent portait sur le montant de 300 000 $US mentionné dans le rapport du caporal Armstrong, sur les actifs que les demandeurs avaient au Canada avant leur arrivée au pays le 24 décembre 2004, ou sur les deux.

[15]     L’agente a répondu par écrit le 20 mars 2008 et a expliqué qu’elle demandait [traduction] « des renseignements au sujet de tous les fonds des demandeurs qui leur ont permis de conclure les opérations financières décrites dans l’affidavit du caporal Dave Armstrong ».

[16]     Dans une lettre datée du 11 avril 2008, les avocats des demandeurs ont présenté des observations supplémentaires au sujet de l’article 98 et ont déposé les affidavits des demandeurs, dans lesquels ils expliquaient pourquoi ils possédaient des sommes d’argent aussi importantes. Dans leurs affidavits, les demandeurs ont nié avoir commis des crimes en Chine.

La décision de l’agente d’ERAR

[17]     L’agente a examiné brièvement les faits au sujet de l’arrivée des demandeurs au Canada. Elle a noté qu’ils avaient fait l’objet de deux rapports préparés conformément à l’article 44 de la Loi, un au sujet de leur interdiction de territoire pour avoir indûment prolongé leur séjour autorisé par leurs visas de visiteurs et un autre au sujet d’une interdiction de territoire possible pour criminalité. Au moment de prendre sa décision au sujet de la demande d’ERAR, aucune décision n’avait été rendue au sujet de l’interdiction de territoire pour criminalité.

[18]     Dans sa décision, l’agente a conclu que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la Loi. Elle a aussi conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs risquaient d’être torturés en Chine. Dans sa décision, l’agente a examiné la preuve dont elle était saisie, y compris les mandats d’arrestation qui avaient été émis par les autorités chinoises, et les lois applicables de la République populaire de Chine au sujet du crime de fraude financière. Le droit chinois permet l’imposition d’une peine de mort dans les cas de fraude financière grave.

[19]     L’agente a tenu compte de l’affidavit du caporal Dave Armstrong, qui comprenait un résumé des renseignements financiers recueillis au cours de l’enquête au sujet des demandeurs. Elle s’est penchée sur la question de la preuve portant sur le fait que les demandeurs [traduction] « possédaient d’importantes sommes d’argent d’une façon qui n’est pas liée à une source de financement légalement reconnue ».

[20]     L’agente a noté que les demandeurs avaient signé des affidavits dans lesquels ils déclaraient que les accusations portées contre eux étaient fausses.

[21]     Au début de la section d’analyse de sa décision, l’agente a déclaré qu’elle examinerait la preuve pour déterminer si elle devait [traduction] « conclure que les demandeurs sont exclus au sens » de l’article 98 de la Loi. Elle a mentionné l’arrêt Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304, dans lequel la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion du juge de première instance [2003 CF 1023, [2004] 2 R.C.F. 372] selon laquelle une infraction purement économique est suffisante pour exclure une personne du statut de réfugié. Dans cette affaire, le demandeur avait été exclu du statut de réfugié en application de l’article 98 après la tenue d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR).

[22]     L’agente a reconnu la décision de la Cour fédérale Biro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 776, dans laquelle la Cour a décidé que l’absence d’un procès équitable aurait pu affecter de façon défavorable la capacité du demandeur de présenter une défense pleine et entière. L’agente a conclu que les faits dans la décision Xie constituaient un parallèle à ceux de l’affaire en l’espèce et qu’elle devait suivre le principe que [traduction] « les personnes qui fuient une poursuite judiciaire n’utilisent pas les principes d’asile pour éviter leur responsabilité juridique ».

[23]     Finalement, l’agente a conclu que, selon la preuve dont elle était saisie et en fonction de la décision Xie, les demandeurs avaient commis un crime grave en Chine, qu’ils sont visés par la section Fb) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] et qu’ils sont exclus de la protection des réfugiés en application de l’article 98 de la Loi. Elle a ensuite examiné la question des risques conformément à l’article 97 de la Loi et a conclu que les demandeurs risquent de subir de la torture s’ils retournent en Chine. Elle a déclaré que le dossier des demandeurs serait transféré à un délégué du ministre pour évaluation, conformément à l’article 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Les conséquences de la décision de l’agente sont importantes pour les demandeurs.

Observations

[24]     Les demandeurs soutiennent que l’agente n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance d’exclusion et qu’elle n’avait que le pouvoir d’examiner les risques, conformément aux articles 96 et 97.

[25]     De plus, ils font valoir que l’agente a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’arrêt Xie de la Cour d’appel fédérale.

[26]     Quant à lui, le défendeur soutient que l’agente a correctement respecté le régime législatif, qui exige que l’agent d’ERAR examine la demande en fonction de l’article 113, ce qui entraînera l’examen de la demande en fonction du paragraphe 112(3). Le paragraphe 112(3) exige que l’agent examine les restrictions sur l’admissibilité à l’asile. Le défendeur soutient que l’agente n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

Les questions en litige

[27]     Les parties ont soulevé les questions suivantes dans leurs mémoires respectifs des faits et du droit :

1. L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs sont visés par le paragraphe 112(3) de la Loi?

2. L’agente avait-elle compétence pour examiner l’exclusion en vertu de la section F de l’article premier de la Convention?

3. La décision était-elle déraisonnable et a-t-elle été prise sans tenir compte des principes de justice fondamentale?

4. L’agente d’ERAR a-t-elle rendu une décision sans tenir compte de la preuve produite?

5. L’agente a-t-elle commis une erreur en faisant passer le fardeau de la preuve aux demandeurs au sujet de la clause d’exclusion?

Analyse et dispositif

[28]     Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a fait état de deux normes de contrôle des décisions administratives : la décision correcte et la décision raisonnable. Les décisions qui portent sur une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique sont généralement examinées en fonction de la norme de la raisonnabilité. La norme de la raisonnabilité s’applique aussi généralement aux questions pour lesquelles le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés : voir Dunsmuir, paragraphe 51.

[29]     À mon avis, la question de savoir si l’agente a commis une erreur en concluant que les demandeurs sont visés par le paragraphe 112(3) est une question de fait. Cette question devrait être contrôlée d’après la norme de la raisonnabilité.

[30]     Les questions de compétence et d’interprétation de la loi telles que celles soulevées dans la deuxième question doivent être contrôlées d’après la norme de la décision correcte.

[31]     La question d’un manquement aux principes de la justice fondamentale, garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), est une question de droit et la décision correcte est la norme de contrôle applicable.

[32]     La question de l’évaluation de la preuve, compte tenu des critères prévus par la loi, est une question mixte de faits et de droit et la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable.

[33]     Je me range à l’avis du défendeur au sujet du fait que la question du transfert du fardeau de la preuve aux demandeurs est une question de droit qui doit être contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte.

[34]     Les principales dispositions légales qui s’appliquent en l’espèce sont les articles 112 et 113 de la Loi. L’article 112 permet à une personne de demander la protection du Canada, comme suit :

    112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

    (2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

    (3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

[35]     Les demandeurs se sont prévalus de la possibilité prévue au paragraphe 112(1). L’article 113 décrit la façon dont l’agent doit examiner la demande d’ERAR et prévoit:

    113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

         (i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

     (ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[36]     L’alinéa 113c) invite l’agent à examiner si le demandeur n’est pas « visé au paragraphe 112(3) ». Cette conclusion affectera la façon dont l’agent évaluera la demande d’asile.

[37]     En l’espèce, l’agente a conclu que les demandeurs étaient visés au paragraphe 112(3), en particulier à l’alinéa c). Cette disposition s’applique à un demandeur qui « a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ».

[38]     À mon avis, l’agente a commis une erreur en concluant que les demandeurs sont visés à l’alinéa 112(3)c). Après la tenue d’une enquête sur l’admissibilité devant la Section de l’immigration le 26 février 2007 et la prise d’une mesure de renvoi le 27 février 2007, les demandeurs ne pouvaient pas présenter une demande de statut de réfugié au sens de la Convention. Cette interdiction découle de l’application de la loi, c’est-à-dire du paragraphe 99(3) de la LIPR. Comme je l’ai mentionné, les demandeurs ont contesté l’effet de la mesure de renvoi dans la procédure devant le juge Noël, et leur demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

[39]     L’agente a mentionné l’arrêt Xie. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’exclusion du statut de réfugié au sens de la Convention conformément à la section F de l’article premier n’entraînait pas l’exclusion de la protection conformément à l’ERAR. Cette situation se distingue de celle en l’espèce parce que les demandeurs n’ont pas présenté de demandes d’asile et qu’en effet, ils ne pouvaient pas le faire.

[40]     Comme les demandeurs ne pouvaient pas présenter de demande de protection des réfugiés au sens de la Convention, la Commission n’a jamais rejeté de demande à leur sujet en application de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Par conséquent, ils ne peuvent pas être visés par l’alinéa 112(3)c).

[41]     À mon avis, cette prétention n’a aucune valeur. Si l’agente avait effectué une évaluation correcte des faits, elle aurait conclu que la demande de protection des demandeurs devait être examinée en fonction de l’alinéa 113c). Cette approche aurait entraîné un examen des motifs prévus aux articles 96, 97 et 98. S’il était conclu que les demandeurs sont visés par l’exclusion prévue à l’article 98, ils seraient alors exclus de la protection des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger. Dans ce scénario, l’article 114 ne s’applique pas.

[42]     Le défendeur soutient que la conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs sont visés par l’alinéa 112(3)c) est raisonnable, peut-être même correcte, pour éviter [traduction] « un résultat absurde » qui leur permettrait d’obtenir le statut de réfugiés au sens de la Convention en raison de l’application de l’article 114 de la Loi, malgré le fait qu’ils ne peuvent pas réclamer l’asile en application du paragraphe 99(3).

[43]     Le défendeur soutient cet argument en me suggérant d’interpréter de façon large la Loi en y ajoutant certains mots afin que « la demande d’asile » prévue à l’alinéa 112(3)c) comprenne une « demande de protection » dans le cadre du processus d’ERAR.

[44]     À mon avis, cette approche place la charrue avant les bœufs. Avant que l’agente puisse conclure que les demandeurs sont visés par le paragraphe 112(3) parce qu’ils ont présenté une demande d’asile dans le cadre du processus d’ERAR, qui a été déboutée en application de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, elle devait d’abord rejeter leur demande pour ce motif. Cela, en soi, créerait un résultat absurde puisque l’agente rejetterait essentiellement la demande d’asile, puis reviendrait sur la demande pour la réexaminer en fonction de son rejet initial. À mon avis, les observations du défendeur à ce sujet ne sont pas fondées.

[45]     Le fait de conclure que les demandeurs sont visés par le paragraphe 112(3) leur enlèverait la possibilité d’obtenir l’asile, possibilité prévue par le paragraphe 114(1) de la Loi, qui précise :

    114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

[46]     Le paragraphe 112(3) impose à l’agent l’obligation préliminaire de déterminer, en première étape, s’il existe une restriction à la protection disponible. Il s’agit essentiellement d’un exercice d’appréciation des faits, conformément aux critères précisés au paragraphe 112(3).

[47]     Par souci de commodité, le paragraphe 112(3) est reproduit ci-dessous :

112. (1) [. . .]

    (3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

[48]     Chacune des quatre situations mentionnées aux alinéas a), b), c) et d), respectivement, prévoit qu’une action a été prise ou qu’une décision a déjà été rendue. Les alinéas 112(3)a) et b) traitent des conséquences des enquêtes prévues à l’article 45 de la Loi. Ces enquêtes sont menées par la Section de l’immigration.

[49]     L’alinéa 112(3)c) décrit les conséquences d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés, lorsqu’une demande a été rejetée en application de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. L’article premier fait partie de la Loi, en annexe, conformément au paragraphe 2(1) [définition de « Convention sur les réfugiés »] de la Loi, et prévoit comme suit :

Article premier

Définition du Terme « Réfugiés »

[. . .]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 a)        Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 b)        Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 c)        Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[50]     L’alinéa 112(3)d) porte sur les conséquences des actions prises par le ministre en vertu du paragraphe 77(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi.

[51]     À mon avis, aucune des exceptions prévues au paragraphe 112(3) ne prévoit la restriction de la protection vis‑à‑vis des personnes qui ne peuvent pas présenter des demandes de protection de réfugiés au sens de la Convention en raison de l’application de l’article 99 de la Loi.

[52]     Comme je l’ai noté ci-dessus, l’article 113 prévoit une « feuille de route » pour la façon dont une demande de protection doit être examinée. Les alinéas 113c) et d) mentionnent tous les deux le paragraphe 112(3) :

    113. [. . .]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

         (i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

     (ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[53]     Le libellé de ces dispositions renforce mon opinion selon laquelle le point de départ de l’examen d’une demande de protection est la conclusion de fait conformément au paragraphe 112(3). Cette conclusion de fait dictera la façon dont la demande d’ERAR est évaluée par l’agent, conformément à la Loi et au Règlement.

[54]     À la page quatre de sa décision, l’agente a conclu que les demandeurs sont visés au paragraphe 112(3). Elle a ensuite examiné leurs allégations de risques en fonction de l’alinéa 113d), c’est‑à‑dire en fonction des facteurs établis à l’article 97 de la Loi. Si elle avait évalué les demandeurs en fonction de l’alinéa 113c), l’agente n’aurait pas été limitée à l’examen de l’article 97 puisque l’alinéa 113c) prévoit que l’agent doit examiner la demande en fonction des articles 96 à 98. L’article 96 sert de fondement pour la demande de statut de réfugié au sens de la Convention. L’article 97 porte sur le degré de risque qui n’est pas limité aux motifs prévus par la Convention. L’article 98 est une disposition d’exclusion qui incorpore par référence les sections E et F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Ces trois dispositions se lisent comme suit :

    96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

    97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

         (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

         (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

         (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

     (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

    (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

    98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[55]     Pour les besoins de l’espèce, il me semble que l’article 98 est la disposition la plus importante de la Loi pour l’évaluation de la demande de protection des demandeurs. Je suis convaincue que l’agente a le pouvoir d’examiner l’article 98 lorsqu’elle agit en fonction de l’alinéa 113c). L’article 98 prévoit que l’agent doit examiner si le demandeur est visé par la section E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. La section F est pertinente en l’espèce compte tenu des allégations selon lesquelles les demandeurs ont commis des crimes non politiques graves, c’est-à-dire de la fraude, à l’extérieur du Canada, soit en Chine.

[56]     Les avocats des demandeurs ont contesté la compétence de l’agente en matière d’examen de l’article 98. Ils ont aussi contesté ses conclusions à ce sujet. Bien que je sois convaincue que l’agente a clairement compétence pour examiner l’article 98, à la simple lecture du libellé de l’alinéa 113c), je ne suis pas convaincue qu’elle a correctement exercé cette compétence puisqu’elle a censément évalué, à tort, la demande des demandeurs en fonction de l’alinéa 113d). Cela signifie qu’en l’espèce, l’agente a conclu à tort qu’elle avait compétence.

[57]     Par conséquent, je conclus que la déclaration de l’agente selon laquelle les demandeurs sont visés par le paragraphe 112(3) n’est pas raisonnable.

[58]     Tant les demandeurs que le défendeur soutiennent que le paragraphe 112(3) doit être interprété de façon téléologique et contextuelle, dans le respect des directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. Cependant, les demandeurs soutiennent que l’importance doit être accordée au contexte de l’examen des risques, alors que le défendeur prétend qu’il faut tenir compte de l’objet plus large de la Loi, c’est‑à‑dire la réglementation de l’entrée au Canada des immigrants et des personnes à protéger.

[59]     Les demandeurs font valoir qu’une interprétation de l’alinéa 113c) qui permettrait à un agent d’exclure une personne en vertu de l’article 98 entraînerait comme résultat injuste le fait que cette personne soit renvoyée du Canada sans examen des risques, ce qui pourrait contrevenir à l’article 7 de la Charte et qui serait contraire à l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.

[60]     À mon avis, l’examen de cet argument, c’est-à-dire de la troisième question, ainsi que des arguments au sujet des quatrième et cinquième questions, est prématuré puisque je suis convaincue que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, que la décision de l’agente devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[61]     Les avocats auront sept jours, suivant la réception des présents motifs, pour présenter une question à certifier.

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