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RÉférence :

Khadr c. Canada (Premier ministre), 2009 CF 405, [2010] 1 R.C.F. 34

T-1228-08

Omar Ahmed Khadr (demandeur)

c.

Le Premier ministre du Canada, le ministre des Affaires étrangères, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité et le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (défendeurs)

Répertorié : Khadr c. Canada (Premier ministre) (C.F.)

Cour fédérale, juge O’Reilly—Toronto, 28 octobre 2008; Vancouver, 23 avril 2009.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Contrôle judiciaire du refus du gouvernement canadien de solliciter le rapatriement du demandeur au Canada de la prison de Guantánamo Bay, aux États-Unis — Le demandeur était un mineur canadien pendant la période visée en l’espèce et il a été interrogé par des responsables canadiens durant son incarcération — Le gouvernement canadien avait l’obligation de protéger le demandeur selon les principes de justice fondamentale en prenant des mesures appropriées pour veiller à ce que son traitement en prison cadre avec les normes internationales en matière de droits de la personne — La participation consciente des responsables canadiens aux mauvais traitements infligés au demandeur constituait un motif convaincant pour conclure que la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquait aux responsables canadiens — La conclusion relative à l’obligation de protéger était aussi éclairée par les circonstances particulières dans lesquelles a été faite la revendication des droits garantis par l’art. 7 de la Charte — Demande accueillie.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — La déclaration publique du premier ministre selon laquelle il ne demanderait pas le rapatriement du demandeur au Canada, et la politique du gouvernement de s’opposer à ce que l’on demande le rapatriement du demandeur constituaient une « décision » susceptible de faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

Couronne — Prérogatives — Même si les décisions touchant les affaires étrangères relèvent de l’exécutif, la prérogative de l’exécutif peut faire l’objet d’un contrôle fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés — La décision du gouvernement de ne pas solliciter le rapatriement du demandeur était susceptible de contrôle judiciaire, mais son opinion quant à la façon de traiter des questions qui ont une incidence sur les relations internationales et les affaires étrangères avait droit à un « poids particulier ».

Pratique — Res Judicata — Dans Canada (Justice) c. Khadr, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la communication de documents ayant trait aux accusations portées contre le demandeur — Même s’il y avait un chevauchement entre cet arrêt et la présente affaire, les questions en l’espèce étaient plus vastes et différentes — Néanmoins, la question de la communication a été examinée en détail par la Cour suprême et elle ne pouvait pas être plaidée à nouveau en l’espèce.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Le rapatriement était le seul recours pouvant atténuer les conséquences des violations de la Charte qui étaient en litige ou cadrer avec l’obligation du gouvernement de favoriser la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale du demandeur.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire du refus du gouvernement canadien de solliciter le rapatriement du demandeur au Canada des États-Unis. Lorsque les événements en l’espèce ont eu lieu, le demandeur était un mineur canadien. Depuis octobre 2002, le demandeur est incarcéré à la baie de Guantánamo, attendant d’être jugé relativement à des accusations de meurtre, de complot et d’appui au terrorisme. Le demandeur a fréquenté des camps d’entraînement associés à Al-Qaïda en Afghanistan. En 2002, il était présent à une bataille armée et on lui reproche d’avoir lancé une grenade qui a causé la mort d’un militaire américain. Le demandeur a été maltraité pendant sa détention, il a notamment été soumis à des techniques de privation du sommeil et il n’a bénéficié d’aucun statut spécial à titre de mineur. Il était gardé en détention sans être représenté par un avocat, sans avoir accès à sa famille, et sans bénéficier de l’aide consulaire du Canada. Les autorités canadiennes ont pris connaissance de ces mauvais traitements avant d’entreprendre de l’interroger dans le but de répondre à des besoins relatifs à l’application de la loi et de recueillir des renseignements. Le demandeur soutenait qu’il y a eu violation des droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés (articles 6, 7 et 12) et il a demandé réparation en vertu du paragraphe 24(1). Il a engagé un certain nombre d’autres instances devant la Cour relativement à sa détention.

Les questions à trancher étaient celles de savoir : 1) si l’affaire était régie par le principe de la chose jugée; 2) s’il existait une « décision » quelconque qui pouvait être soumise à un contrôle judiciaire; 3) si le gouvernement canadien était tenu par la loi de protéger le demandeur; et 4) quelle est la réparation appropriée si cette obligation existe et s’il y a eu manquement à cette obligation.

Jugement : la demande doit être accueillie.

1) Il y avait un chevauchement entre la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Justice) c. Khadr (Khadr) et la présente affaire. Cependant, dans Khadr, la Cour suprême, qui a examiné la question de savoir si les défendeurs étaient tenus de communiquer certains documents, n’a pas jugé nécessaire de décider si les responsables canadiens avaient effectivement violé la Charte en interrogeant le demandeur et en partageant les renseignements avec les autorités américaines. De même, les questions en l’espèce étaient plus vastes et différentes, notamment celle de savoir si les défendeurs se trouvaient dans l’obligation de solliciter le rapatriement du demandeur. Néanmoins, la question de la communication a été examinée en détail et elle ne pouvait pas être plaidée à nouveau.

2) La déclaration publique du premier ministre selon laquelle il ne demanderait pas que le demandeur soit rapatrié au Canada, et la politique du gouvernement du Canada de s’opposer à ce que l’on demande le rapatriement du demandeur étaient manifestement une décision susceptible de faire l’objet à juste titre d’une demande de contrôle judiciaire. S’agissant de savoir si la Cour pouvait soumettre la décision à un contrôle judiciaire, même si les décisions touchant les affaires étrangères relèvent naturellement et à juste titre de l’exécutif, les tribunaux canadiens ont jugé qu’en ce domaine la prérogative de l’exécutif à cet égard peut faire l’objet d’un contrôle fondé sur la Charte. La décision du gouvernement de ne pas solliciter le rapatriement du demandeur était susceptible de contrôle judiciaire en vertu de la Charte. Cependant, son opinion quant à la meilleure façon de traiter des questions qui ont une incidence sur les relations internationales et les affaires étrangères avait droit à un « poids particulier ».

3) Le gouvernement canadien avait l’obligation de protéger le demandeur selon les principes de justice fondamentale en prenant des mesures appropriées pour veiller à ce que son traitement cadre avec les normes internationales en matière de droits de la personne. La participation consciente du Canada aux mauvais traitements infligés au demandeur constituait un motif convaincant pour conclure que la Charte s’appliquait aux responsables canadiens présents à la baie de Guantánamo. L’obligation de protéger satisfaisait aux trois critères applicables pour qu’un principe soit reconnu comme un principe de justice fondamentale. Cette conclusion était éclairée par les obligations internationales du Canada et les circonstances particulières dans lesquelles a été faite la revendication des droits garantis par l’article 7. Dans le cas du demandeur, il fallait notamment prendre en considération sa jeunesse, les soins médicaux dont il avait besoin et son manque d’instruction.

4) Pour conclure, le refus constant du Canada de solliciter le rapatriement du demandeur était contraire à un principe de justice fondamentale et portait atteinte aux droits que l’article 7 de la Charte lui garantit. Les défendeurs ont reçu l’ordre de demander au gouvernement des États-Unis de rapatrier le demandeur puisque aucune autre réparation ne semblait pouvoir atténuer les conséquences des violations de la Charte qui étaient en litige ou ne cadrerait avec l’obligation du gouvernement de favoriser la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale du demandeur.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n44], art. 1, 6, 7, 12, 15, 24(1).

Loi sur les Conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch.  G-3, annexes I à IV, art. 3.

Military Commissions Act of 2006, Pub. L. 109-366, 120 Stat. 2600.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 1 « torture », 15.

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. n3, art. 1, 19, 37, 39, 40.

Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, 25 mai 2000, [2002] R.T. Can. n5, préambule, art. 1, 4.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2003 CAF 295; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3.

décision différenciée :

Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429.

décisions examinées :

Khadr c. Canada, 2005 CF 1076, [2006] 2 R.C.F. 505; Khadr c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2004 CF 1145; Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125, confirmant sub nom. Khadr c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 182, [2008] 1 R.C.F. 270, infirmant 2006 CF 509; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 807; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Al Rawi & Ors, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs & Anor, [2006] EWCA Civ 1279, [2007] 2 W.L.R. 1219; Smith c. Canada (Procureur général), 2009 CF 228, [2010] 1 R.C.F. 3; Abbasi & Anor, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs & Secretary of State for the Home Department, [2002] EWCA Civ 1598; Mohamed, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs, [2008] EWHC 2048 (Admin); Hicks v. Ruddock, [2007] FCA 299; Kaunda and Others v. President of the Republic of South Africa (CCT 23/04), [2004] ZACC 5; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283; Public Committee against Torture in Israel v. State of Israel, HCJ 5100/94, (1999), 38 I.L.M. 1471; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décisions citées :

Rasul v. Bush, 542 U.S. 466 (2004); In re Guantanamo Detainee Cases, 355 F. Supp. 2d 443 (D.D.C. 2005); Hamdan v. Rumsfeld, 548 U.S. 557 (2006); Assoc. des sourds du Canada c. Canada, 2006 CF 971, [2007] 2 R.C.F. 323; Black v. Canada (Prime Minister) (2001), 54 O.R. (2d) 215, 199 D.L.R. (4th) 228, 147 O.A.C. 141 (C.A.); Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, (1999), 216 R.N.-B. (2e) 25.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent des Affaires étrangères et du développement international. Sous-comité des Droits internationaux de la personne. Omar Khadr : Rapport du Comité permanent des Affaires étrangères et du développement international, juin 2008, en ligne : <http://www2.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/392/FAAE/Reports/RP3572352/faaerp07/faaerp07-f.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire du refus du gouvernement canadien de solliciter le rapatriement du demandeur au Canada de la prison de le baie de Guantánamo, aux États-Unis. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Nathan J. Whitling et Dennis Edney pour le demandeur.

Doreen C. Mueller pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Parlee McLaws LLP, Edmonton, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1] Le juge O’Reilly : M. Omar Khadr, citoyen canadien, a été arrêté en Afghanistan en juillet 2002, alors qu’il était âgé de 15 ans. On lui reproche d’avoir lancé une grenade ayant causé la mort d’un militaire américain. Depuis octobre 2002, il est incarcéré à la prison de la baie de Guantánamo, attendant d’être jugé relativement à de graves accusations : meurtre, complot et appui au terrorisme.

[2] M. Khadr conteste le refus du gouvernement canadien de solliciter son rapatriement au Canada. Il soutient qu’il y a eu violation des droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (articles 6, 7 et 12) et il demande réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Il me demande, plus particulièrement, d’annuler la décision des défendeurs de ne pas solliciter son retour au Canada et d’ordonner à ces derniers de demander au gouvernement des États-Unis de le rapatrier. Il souhaite également que j’infirme la décision des défendeurs parce qu’elle est déraisonnable et qu’elle a été prise de mauvaise foi. Enfin, il demande la communication de documents additionnels que les défendeurs ont en leur possession.

[3] Je suis convaincu, dans les circonstances spéciales de l’espèce, qu’il y a eu violation des droits que garantit l’article 7 de la Charte à M. Khadr. J’accueillerai sa demande d’ordonnance obligeant les défendeurs à solliciter son rapatriement des États-Unis. Compte tenu de ma conclusion relative à l’article 7, il est inutile que je traite des autres motifs que M. Khadr m’a soumis. La Cour suprême du Canada a déjà tranché de manière concluante la question de la communication des documents, et cette question ne peut donc pas être débattue à nouveau devant moi.

[4] Les questions qui se posent en l’espèce sont les suivantes :

1. Les questions ont-elles déjà été tranchées dans d’autres instances judiciaires; c’est-à-dire, la présente affaire est-elle régie par le principe de la chose jugée?

2. Existe-t-il une « décision » quelconque qui peut être soumise à un contrôle judiciaire?

3. Le gouvernement canadien est-il tenu par la loi de protéger M. Khadr?

4. S’il y a eu manquement à cette obligation, quelle est la réparation appropriée?

(Les dispositions applicables de la Charte canadienne des droits et libertés et des instruments internationaux cités ci-après sont reproduites à l’annexe A.)

I. Le contexte factuel

a) Les faits menant à l’arrestation et à la mise en détention de M. Khadr

[5] M. Khadr est né au Canada en 1986. Il a déménagé avec sa famille au Pakistan en 1990. En 1995, son père, M. Ahmad Khadr (Ahmad), a été arrêté pour avoir prétendument pris part à un attentat à la bombe visant l’ambassade de l’Égypte, à Islamabad. Les autres membres de la famille sont rentrés au Canada. Ils sont toutefois retournés au Pakistan en 1996, après la mise en liberté d’Ahmad. La famille est revenue au Canada de nouveau en 2001, pour quelques mois, pendant qu’Ahmad se rétablissait d’une blessure due à une mine terrestre. La famille a ensuite déménagé en Afghanistan, en juillet 2001. Après les événements du 11 septembre 2001,
M. Khadr et ses frères ont fréquenté des camps d’entraînement associés à Al-Qaïda.

[6] Les faits entourant l’arrestation de M. Khadr en juillet 2002 sont contestés. Il est clair qu’il était présent à une bataille armée livrée près de Khost (Afghanistan), au cours de laquelle un soldat américain a été tué par une grenade. On reproche à M. Khadr d’avoir lancé cette grenade. Il soutient que non.

[7] M. Khadr a été lui-même gravement blessé par des balles et des éclats d’obus au cours de la bataille armée. Il a été soigné et tenu sous garde à la base aérienne de Bagram pendant plusieurs semaines, et ensuite transféré à la prison de la baie de Guantánamo le 28 octobre 2002.

b) Les conditions à Bagram et à la baie de Guantánamo

[8] Dans son affidavit, M. Khadr décrit diverses formes de mauvais traitements dont il a été victime, tant à Bagram qu’à la baie de Guantánamo. Pour les besoins de la présente instance, il est inutile que je tire des conclusions de fait définitives sur ses conditions d’incarcération. Il y a toutefois trois faits importants qui se rapportent à la présente demande et dont les parties conviennent.

[9] Premièrement, lors de sa détention, M. Khadr n’a [traduction] « bénéficié d’aucun statut spécial à titre de mineur » même s’il n’était âgé que de 15 ans quand il a été arrêté et de 16 ans quant il a été transféré à la prison de la baie de Guantánamo.

[10] Deuxièmement, M. Khadr n’a eu presque aucun contact avec quiconque à l’extérieur de la prison de la baie de Guantánamo avant le mois de novembre 2004, date à laquelle il a rencontré pour la première fois des conseillers juridiques.

[11] Troisièmement, à la prison de la baie de Guantánamo, M. Khadr a été soumis à ce qu’on appelle le [traduction] « programme grand voyageur », qui a consisté à le priver de repos et de sommeil en le changeant d’emplacement toutes les trois heures pendant plusieurs semaines. Les autorités canadiennes ont pris connaissance de ce traitement au printemps de 2004, à l’époque où M. Khadr était âgé de 17 ans, et elles ont entrepris de l’interroger.

c) Les mesures prises par le gouvernement canadien

[12] Après l’arrestation de M. Khadr, les autorités canadiennes ont demandé aux responsables américains de permettre à des représentants consulaires de lui rendre visite pendant qu’il était en détention à Bagram. Cette demande a été rejetée. En outre, le Canada a clairement indiqué qu’à son avis la prison de la baie de Guantánamo n’était pas un endroit convenable où tenir sous garde un enfant. Une note diplomatique datée du 13 septembre 2002 mentionne ce qui suit :

[traduction] L’ambassade du Canada exhorte de plus les autorités américaines à tenir compte du fait que M. Omar Khadr, à l’époque où sont survenus les événements en question, était âgé de moins de seize ans. Selon diverses lois du Canada et des États-Unis, les personnes de cet âge ont droit à un traitement spécial sur le plan juridique ou judiciaire. Cela étant, le gouvernement du Canada croit qu’il serait inopportun que l’on transfère M. Omar Khadr aux installations de détention situées dans la base navale américaine de Guantánamo (Cuba). Selon les informations dont dispose le gouvernement du Canada, ces installations ne seraient pas un endroit convenable où garder M. Omar Khadr en détention.

[13] Pendant que M. Khadr se trouvait à la baie de Guantánamo, des responsables consulaires canadiens ont commencé à s’informer de lui en novembre 2003. Ils ont également cherché à obtenir l’assurance qu’on ne lui imposerait pas la peine de mort et que les détenus en général seraient traités d’une manière conforme au droit international. Le Canada s’est également dit préoccupé par des allégations selon lesquelles M. Khadr et d’autres personnes détenues étaient maltraités. À partir de 2005, des responsables canadiens ont rendu visite à M. Khadr à un certain nombre de reprises pour s’assurer de son bien-être. Ils ont conclu qu’en général il semblait en bonne santé et bien nourri. Lorsqu’il s’est plaint que ses blessures par balles le faisaient souffrir et saignaient encore, les responsables canadiens ont demandé qu’on lui prodigue des soins, et cela a été fait.

[14] Par ailleurs, des responsables canadiens, dont des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), ont rendu plusieurs visites à M. Khadr et l’ont interrogé. En particulier, en février 2003, des agents du SCRS et un agent du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) l’ont interrogé au cours d’une période de quatre jours. D’autres interrogatoires ont eu lieu en septembre 2003 et en mars 2004. Ces visites avaient pour but de répondre à des besoins relatifs à l’application de la loi et de recueillir des renseignements, et non d’apporter une aide consulaire à M. Khadr. En fait, les responsables canadiens lui ont dit en 2003 qu’ils ne pouvaient rien faire pour l’aider.

[15] Voici ce qu’on peut lire dans le compte rendu d’une visite qu’un responsable du MAECI a faite en mars 2004 (M. Khadr y est appelé « Umar ») :

[traduction] Pour le rendre plus docile et disposé à parler, [blanc] a soumis Umar au « programme grand voyageur ». [P]endant les trois semaines précédant [la] visite, on n’a pas laissé Umar plus de trois heures au même endroit. Toutes les trois heures, il est déplacé à un autre bloc cellulaire, ce qui le prive d’un sommeil ininterrompu et le fait changer constamment de voisins. Il sera bientôt mis en isolement pour une période pouvant atteindre trois semaines et, ensuite, il sera réinterrogé.

[…]

Certes, les trois semaines de « programme grand voyageur » qu’il a subies ne semblent pas l’avoir affecté. Durant tout l’entretien de deux heures, il n’a ni baillé, ni montré un signe quelconque de fatigue. C’est probablement la résilience naturelle d’un jeune de dix-sept ans en bonne santé et bien nourri qui lui permet de supporter ce régime.

[16] Avant même qu’on apprenne que M. Khadr avait été soumis à un régime de privation du sommeil, le juge Konrad von Finckenstein avait rendu une injonction provisoire interdisant d’interroger de nouveau M. Khadr afin d’« empêcher une éventuelle injustice grave » (Khadr c. Canada, 2005 CF 1076, [2006] 2 R.C.F. 505, au paragraphe 46).

[17] Cela signifie donc qu’au printemps de 2004, les responsables canadiens étaient sciemment impliqués dans le fait que l’on soumettait M. Khadr à des techniques de privation du sommeil pour le rendre plus disposé à fournir des informations. À l’époque, M. Khadr était un mineur âgé de 17 ans, qui était gardé en détention mais qui n’était pas représenté par un avocat, qui n’avait pas accès à sa famille et qui ne bénéficiait pas de l’aide consulaire du Canada.

[18] Cependant, en toute bonne foi, on ne peut pas dire que le Canada a laissé tomber complètement M. Khadr. Manifestement, des responsables se préoccupaient de son traitement et de son bien-être et, à partir de 2005, ils ont vérifié régulièrement sa situation.

II. Le cadre juridique

[19] Selon des ordonnances rendues par le président des États-Unis — George W. Bush à cette époque — les personnes gardées en détention à la prison de la baie de Guantánamo étaient considérées comme des combattants illégaux n’ayant pas qualité pour obtenir réparation devant un tribunal quelconque et n’étant pas protégées par les Conventions de Genève [de 1949, voir la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, annexes I à IV]. En juin 2004, la Cour suprême des États-Unis a décrété que les personnes détenues à la prison de la baie de Guantánamo étaient habilitées à soumettre des demandes d’habeas corpus aux tribunaux fédéraux des États-Unis (Rasul v. Bush, 542 U.S. 466 (2004)). La Cour suprême a conclu que l’ordonnance présidentielle à l’effet contraire était illégale.

[20] En septembre 2004, le Combatant Status Review Tribunal (le CSRT) a conclu que M. Khadr était un combattant ennemi. En janvier 2005, après avoir reçu des demandes d’habeas corpus de la part d’un certain nombre de détenus, dont M. Khadr, la Cour de district des États-Unis du district de Columbia a conclu que le CSRT les avait privés de l’application régulière de la loi. En particulier, elle a conclu que ces personnes n’avaient pas eu accès aux preuves présentées contre elles, qu’elles s’étaient vues priver de l’assistance d’un avocat et qu’on avait utilisé contre elles des preuves obtenues sous la torture (In re Guantanamo Detainee Cases, 355 F. Supp. 2d 443 (D.D.C. 2005)).

[21] En 2006, la Cour suprême des États-Unis a statué que le régime juridique appliqué à la prison de la baie de Guantánamo violait les Conventions de Genève [de 1949] parce que les détenus s’étaient vus priver du droit d’être jugés par des tribunaux ordinaires et de bénéficier des mesures de protection d’ordre procédural habituelles : Hamdan v. Rumsfeld, 548 U.S. 557 (2006). Par la suite, le Congrès des États-Unis a adopté la Military Commissions Act of 2006 [Pub. L. 109-366, 120 Stat. 2600] (MCA), qui a fait disparaître le pouvoir qu’avaient les tribunaux fédéraux des États-Unis de recevoir des demandes d’habeas corpus de la part des détenus.

[22] M. Khadr est confronté à cinq chefs d’accusation en vertu de la MCA : 1) meurtre en contravention du droit de la guerre, 2) tentative de meurtre en contravention du droit de la guerre, 3) complot, 4) appui substantiel au terrorisme, et 5) espionnage.

III. Les instances antérieures concernant M. Khadr

[23] M. Khadr a engagé un certain nombre d’autres instances devant la Cour fédérale. En 2004, il a intenté une action en vue d’obtenir des dommages-intérêts
et une déclaration portant que les droits que lui confère la Charte avaient été violés. Le juge Konrad von
Finckenstein lui a accordé une injonction interdisant aux responsables canadiens de le réinterroger, mais aucune mesure additionnelle n’a été prise dans cette instance (Khadr c. Canada).

[24] En 2004 également, M. Khadr a présenté une demande de contrôle judiciaire concernant une décision prise par le ministre des Affaires étrangères de ne pas demander que des services consulaires additionnels lui soient fournis. Là encore, aucune mesure récente n’a été prise dans ce dossier (Khadr c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2004 CF 1145).

[25] En 2006, M. Khadr a demandé que l’on soumette à un contrôle judiciaire une décision du ministre de la Justice de ne pas accéder à une demande de communication de documents qui l’auraient aidé à se défendre contre les accusations portées contre lui. Cette demande a été rejetée (Khadr c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CF 509), mais M. Khadr a interjeté appel et obtenu gain de cause (Khadr c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 182, [2008] 1 R.C.F. 270). La Cour d’appel fédérale a conclu que les droits garantis par la Charte à M. Khadr étaient mis en jeu car des responsables canadiens, dans le cadre de leurs interrogatoires, avaient pris part à la collecte de preuves contre lui. La Cour a ordonné au ministre de la Justice de communiquer à M. Khadr tous les documents pertinents.

[26] La Cour suprême du Canada a rejeté l’appel du ministre mais modifié l’ordonnance de communication. Elle a ordonné à ce dernier de communiquer certains documents du fait « (i) qu’ils se rapportent aux entretiens des responsables canadiens avec M. Khadr ou (ii) qu’ils constituent des renseignements dont la communication aux autorités américaines découle directement du fait que le Canada a interrogé M. Khadr » (Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125, au paragraphe 40).

[27] La Cour suprême a également ordonné qu’un juge de la Cour fédérale passe en revue les documents à communiquer afin de vérifier si des intérêts liés à la sécurité nationale ou d’autres aspects s’y rapportent et de déterminer de façon définitive quels documents devaient être communiqués. Le juge Richard Mosley a procédé à cette revue et a rendu son ordonnance en juin 2008 (Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 807).

[28] En 2007, M. Khadr a introduit une autre demande de contrôle judiciaire, mais celle-ci a été abandonnée en février 2008 (Khadr c. Canada (Ministre de la Justice), T-1319-07).

IV. Les questions en litige

1. Les questions ont-elles déjà été tranchées dans d’autres instances judiciaires; c’est-à-dire, la présente affaire est-elle régie par le principe de la chose jugée?

[29] Les défendeurs soulignent les instances que M. Khadr a engagées antérieurement, notamment celles qui ont mené à la décision de la Cour suprême du Canada, et ils font valoir que les questions soulevées dans la présente demande ont déjà été entendues et tranchées; c’est-à-dire que la présente demande tombe sous le coup du principe de la chose jugée.

[30] La Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si les défendeurs étaient tenus de communiquer des documents en leur possession qui se rapportaient aux accusations portées contre M. Khadr, y compris des comptes rendus d’entretiens et des renseignements relayés aux responsables américains. En analysant cette question, la Cour a examiné si la Charte s’appliquait à la question de la communication, vu que les documents demandés avaient trait à des entretiens qui s’étaient déroulés à l’étranger. La Cour a fait référence à sa décision antérieure dans R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, où elle avait conclu qu’en général la Charte ne s’applique pas aux enquêteurs canadiens agissant hors des frontières du Canada. Mais l’arrêt Hape fait aussi état d’une exception à cette règle générale, qui vise les cas où les activités d’agents canadiens violent les obligations internationales du Canada, notamment ses engagements en matière de droits de la personne. Comme l’a écrit la Cour, au paragraphe 19 :

Si M. Khadr est détenu à Guantanamo en application d’une procédure conforme aux obligations internationales du Canada, la Charte ne s’applique pas et sa demande de communication ne peut être accueillie : Hape. Cependant, si le Canada a participé à une procédure contraire à ses obligations en droit international, la Charte s’applique dans la mesure de cette participation.

[31] La Cour s’est fondée sur la conclusion de la Cour suprême des États-Unis selon laquelle les personnes détenues à la prison de la baie de Guantánamo avaient été illégalement privées du recours à l’habeas corpus et étaient tenues en détention en vertu de dispositions qui violaient les Conventions de Genève : Rasul v. Bush, précité. En outre, elle a signalé que la Cour suprême des États-Unis avait également conclu que le processus des procès tenus devant des commissions militaires enfreignait l’article 3 des dispositions générales des Conventions de Genève [de 1949] (Hamdan v. Rumsfeld, précité). S’appuyant sur ces décisions, et compte tenu de l’adhésion du Canada aux Conventions de Genève [de 1949], la Cour a conclu que « les règles relatives à la détention et à la tenue d’un procès qui s’appliquaient à M. Khadr lorsque le SCRS l’a interrogé constituaient une atteinte manifeste aux droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international » (au paragraphe 24).

[32] Cependant, la Cour n’a pas jugé nécessaire de décider si les responsables canadiens avaient effectivement violé la Charte en interrogeant M. Khadr et en relayant aux autorités américaines les résultats de leurs entretiens. Elle a simplement fait remarquer que les responsables canadiens étaient à ce stade-là liés par la Charte car ils prenaient part à un processus qui enfreignait le droit international. Ils étaient donc liés par les principes de la justice fondamentale, lesquels sont protégés par l’article 7 de la Charte et étayés par les obligations internationales en matière de droits de la personne. L’article 7 oblige les agents de l’État à communiquer des preuves pertinentes aux personnes dont le droit à la liberté est en jeu. Dans le contexte de la cause de M. Khadr, cela voulait dire que les responsables canadiens étaient tenus de communiquer tous les documents portant sur les entretiens qu’ils avaient menés, de même que les autres renseignements relayés aux autorités américaines à la suite de ces entretiens.

[33] Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs pour dire que les questions soulevées en l’espèce ont été tranchées par la Cour suprême du Canada dans l’instance antérieure portant sur la communication de documents. Il est vrai qu’il y a un certain chevauchement. Par exemple, la question de l’application de l’article 7 de la Charte se pose dans les deux cas, et M. Khadr a demandé que des informations soient communiquées dans les deux cas. En l’espèce toutefois, les questions sont plus vastes et différentes. En particulier, celle de savoir si les défendeurs se trouvent dans l’obligation de solliciter le rapatriement de M. Khadr n’a pas été examinée antérieurement.

[34] Pour étayer davantage leur thèse, les défendeurs font également état de la décision que le juge Mosley a rendue après avoir examiné les documents dont la Cour suprême avait ordonné la communication. Il a justifié la communication de certaines informations à M. Khadr en disant qu’à cause de l’interrogatoire auquel l’agent du MAECI avait soumis M. Khadr à la baie de Guantánamo en mars 2004, le Canada était devenu impliqué dans des violations de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies (10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36 (CCT)), ainsi que des dispositions des Conventions de Genève [de 1949]. Comme je l’ai déjà mentionné, cet interrogatoire a eu lieu tout en sachant que M. Khadr avait été soumis à un régime de privation du sommeil afin de le préparer à faire preuve de collaboration lors de l’entretien et, ainsi, à révéler des informations utiles. Le juge Mosley a ordonné que le rapport sur l’interrogatoire de mars 2004 soit communiqué à M. Khadr, et le contenu de ce document a été rendu public.

[35] M. Khadr invoque devant moi des arguments semblables à l’appui de sa thèse selon laquelle les responsables canadiens se trouvent dans l’obligation de solliciter son rapatriement. Mais cela ne rend pas les questions que M. Khadr soulève en l’espèce identiques à celles qui ont été plaidées antérieurement. Les contextes sont nettement différents. Cette partie de la demande de M. Khadr n’est pas chose jugée. Il est toutefois évident que la question de la communication a été examinée en détail et tranchée dans des instances antérieures et qu’elle ne peut pas être plaidée à nouveau devant moi.

2. Existe-t-il une « décision » quelconque qui peut être soumise à un contrôle judiciaire?

a) La déclaration du premier ministre et la politique gouvernementale

[36] Le 10 juillet 2008, après la publication de la décision du juge Mosley dont il est question ci‑dessus, ainsi que des informations concernant la participation canadienne aux techniques de privation du sommeil imposées à M. Khadr, un journaliste a demandé au premier ministre Stephen Harper s’il allait demander que M. Khadr soit rapatrié au Canada. Le premier ministre a répondu : [traduction] « La réponse est non, comme je l’ai dit l’ancien gouvernement, dans notre gouvernement avec la notification du ministre de la Justice, avait pris en considération toutes ces questions et la situation reste la même […] [N]ous continuons de chercher des [promesses] de bon traitement de M. Khadr ».

[37] Outre cette déclaration précise, il est clair que le gouvernement du Canada a pour politique — et celle-ci est exprimée publiquement de temps à autre — de s’opposer à ce que l’on demande le rapatriement de M. Khadr et cette politique peut être l’objet d’un contrôle judiciaire à tout moment (Assoc. des sourds du Canada c. Canada, 2006 CF 971, [2007] 2 R.C.F. 323, au paragraphe 72). Cette politique se reflète dans la dissidence exprimée par le gouvernement du Canada à l’égard d’un rapport, daté de juin 2008, du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international sur la situation de M. Khadr. Ce comité a recommandé que le Canada exige le rapatriement de M. Khadr. La dissidence du gouvernement était fondée sur la volonté que l’on perçoive que le Canada lutte avec force contre le terrorisme. De l’avis du gouvernement, l’affaire Khadr reflète « l’engagement du Canada d’endiguer le terrorisme mondial, et les gestes que nous posons aujourd’hui pourraient avoir des conséquences qui, à long terme, ne sont pas dans l’intérêt du pays » (Chambre des communes, Omar Khadr : Rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (Communication Canada – Édition : Ottawa, 2008), à la page 15 [aussi disponible en ligne]).

[38] En conséquence, je conclus qu’il y a manifestement eu une « décision » qui est susceptible de faire l’objet à juste titre d’une demande de contrôle judiciaire.

b) La Cour peut-elle soumettre la décision à un contrôle judiciaire?

[39] Les affaires comme celle-ci obligent la Cour à trouver la [traduction] « limite juridique entre les fonctions exécutive et judiciaire » (comme l’a dit lord Laws dans la décision Al Rawi & Ors, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs & Anor, [2006] EWCA Civ 1279, au paragraphe 148).

[40] De façon générale, les décisions touchant les affaires étrangères relèvent naturellement et à juste titre de l’exécutif. Pourtant, les tribunaux canadiens ont jugé qu’en ce domaine la prérogative de l’exécutif peut faire l’objet d’un contrôle fondé sur la Charte. Comme l’a déclaré le juge Allen Linden, « l’exercice de la prérogative royale échappe au domaine du contrôle judiciaire, évidemment, sauf en cas de violation d’un droit garanti par la Charte » (Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2003 CAF 295, au paragraphe 16), s’appuyant sur l’arrêt Black v. Canada (Prime Minister) (2001), 54 O.R. (3d) 215 (C.A.).

[41] Le juge Robert Barnes a exposé la situation en ces termes (Smith c. Canada (Procureur général), 2009 CF 228, [2010] 1 R.C.F. 3, au paragraphe 26) :

Les décisions comportant des choix purement stratégiques ou politiques de la nature des prérogatives royales échappent en général au contrôle judiciaire, car leur objet ne se prête pas à un examen par les tribunaux. En revanche si l’objet de la décision affecte directement les droits ou les attentes légitimes d’une personne, la cour est à la fois compétente et qualifiée pour la contrôler.

[42] Les tribunaux d’autres pays se sont penchés sur la question de savoir si les décisions que prennent les gouvernements à l’endroit de personnes détenues à la prison de la baie de Guantánamo sont susceptibles de contrôle. Dans l’arrêt Abbasi & Anor, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs & Secretary of State for the Home Department, [2002] EWCA Civ 1598, lord Phillips a reconnu que les tribunaux peuvent soumettre à un contrôle l’exercice de la prérogative du gouvernement en ce qui concerne les affaires étrangères. Cependant, a‑t‑il conclu, le gouvernement n’a pas une obligation exécutoire générale de protéger ses citoyens à l’étranger. Il a le pouvoir discrétionnaire de le faire, mais les tribunaux ne devraient intervenir que si sa position est illogique ou contraire à une attente légitime. Lord Phillips a ajouté que, bien qu’une décision de faire ou non des démarches diplomatiques en faveur d’un citoyen relève de la conduite de la politique étrangère, le gouvernement a l’obligation de prendre au moins en considération les demandes d’intervention diplomatique et d’y répondre. La question de savoir si le gouvernement peut être légalement tenu d’en faire d’avantage dépend des faits particuliers qui sont en cause.

[43] Il convient de signaler que l’arrêt Abbasi a été rendu à une époque où la situation juridique des personnes en détention n’était pas claire selon la loi américaine. En outre, le Foreign Office du Royaume-Uni avait engagé des discussions sérieuses avec les États-Unis à propos de la situation de ces personnes. De l’avis de la Cour, le moment était donc [traduction] « délicat ». Même si la Cour était [traduction] « profondément préoccupée par le fait que, en contravention manifeste des principes fondamentaux du droit, M. Abbasi [risquait] d’être détenu pendant un temps indéfini dans un territoire sur lequel les États-Unis [exerçaient] un contrôle exclusif, sans occasion aucune de contester la légitimité de sa détention », elle ne pouvait pas, pour les motifs exposés plus tôt, se prononcer en sa faveur (au paragraphe 107).

[44] Dans la décision Al Rawi, précitée, la Cour a examiné la situation des personnes détenues à la prison de la baie de Guantánamo qui étaient des résidents — et non des citoyens — du Royaume-Uni. En 2006, le secrétaire d’État avait fait des démarches auprès des États-Unis en faveur du retour des citoyens du Royaume-Uni, mais il avait refusé de le faire pour les résidents. La Cour a conclu que, dans la mesure où l’arrêt Abbasi reconnaissait l’existence d’un motif pour soumettre à un contrôle judiciaire les décisions du gouvernement concernant des citoyens à l’étranger, il lui fallait se limiter aux ressortissants britanniques. De plus, elle a clairement indiqué que les tribunaux devraient prendre bien garde de ne pas s’immiscer dans les responsabilités de l’exécutif en matière de politique étrangère et de sécurité nationale.

[45] Dans la décision Mohamed, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs, [2008] EWHC 2048 (Admin), le demandeur, M. Binyan Mohamed, détenu à la prison de la baie de Guantánamo, sollicitait la communication d’informations et de documents que détenait le secrétaire au Foreign Office. M. Mohamed, un demandeur d’asile débouté et un résident du Royaume-Uni, disait avoir été arrêté au Pakistan en 2002 et ensuite détenu en secret illégalement jusqu’en 2004, année de son transfèrement à la baie de Guantánamo, où il faisait l’objet de graves accusations. Le secrétaire au Foreign Office s’opposait à cette communication pour des raisons de sécurité nationale. M. Mohamed avait été interrogé par des agents du Royaume-Uni au Pakistan, dans le cadre d’une initiative de collecte de renseignements. Il avait aussi été interrogé par les autorités américaines. Lord Thomas a conclu que les autorités du Royaume-Uni avaient facilité les interrogatoires américains, tout en sachant que le traitement et la détention de M. Mohamed étaient illégaux. La Cour a précisément déclaré qu’elle n’était pas saisie de la question de savoir si le gouvernement du Royaume-Uni avait l’obligation, dans ces circonstances, de formuler des protestations ou de faire des démarches auprès du gouvernement des États-Unis à propos du traitement de M. Mohamed. Elle a cependant conclu qu’en raison de la participation de responsables du Royaume-Uni M. Mohamed avait droit à la communication demandée en common law, sous réserve d’une revendication d’immunité d’intérêt public.

[46] La Cour fédérale de l’Australie a examiné si une demande présentée par un détenu de la prison de la baie de Guantánamo, M. David Hicks, en vue d’obtenir une ordonnance contraignant le gouvernement de l’Australie à solliciter son rapatriement en Australie, avait une chance quelconque de succès. Le juge Tamberlin a rejeté la requête du gouvernement pour que l’instance soit refusée sommairement, concluant qu’il existait, pour la requête de M. Hicks, au moins un certain fondement en droit. Le juge Tamberlin a fait remarquer que [traduction] « la mesure dans laquelle la Cour examinera la conduite de l’exécutif dans le domaine des relations étrangères et des actes de l’État est loin d’être établie noir sur blanc en droit » (Hicks v. Ruddock, [2007] FCA 299, au paragraphe 93). L’affaire n’a jamais été tranchée sur le fond parce que, en fait, M. Hicks a été renvoyé en Australie.

[47] Ces jugements étayent la prétention des défendeurs selon laquelle le droit international, ou la common law, ne reconnaissent pas l’existence d’une obligation claire de protéger les citoyens. Cependant, ils n’aident pas à décider quelles sont les obligations qu’a le Canada envers les citoyens dont les droits constitutionnels garantis par la Charte sont mis en jeu. En outre, ils ne traitent pas des circonstances spéciales dont il est question en l’espèce — en particulier, la jeunesse de M. Khadr et la participation directe des autorités canadiennes aux mauvais traitements qu’on lui a infligés à la baie de Guantánamo.

[48] Dans la décision Kaunda and Others v. President of the Republic of South Africa (CCT 23/04) [[2004] ZACC 5], la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud a examiné s’il existe une obligation légale de venir en aide à des citoyens qui courent un risque dans d’autres pays. Dans cette affaire, la Cour a examiné si le gouvernement de l’Afrique du Sud se trouvait dans l’obligation de prêter assistance à 69 citoyens sud-africains qui avaient été arrêtés au Zimbabwe pour être extradés en Guinée équatoriale relativement à une prétendue tentative de coup d’État. Il s’est posé la question de savoir si le gouvernement sud-africain était obligé d’intervenir diplomatiquement pour le compte de ces personnes, compte tenu du fait que leurs conditions de détention étaient déplorables et que, si elles étaient extradées, elles risquaient la peine de mort en Guinée équatoriale. Le juge en chef Chaskalson a conclu qu’il n’existe pas de droit à une protection diplomatique en droit international. Les États ont [traduction] « le droit de protéger leurs ressortissants au-delà de leurs frontières, mais ils ne sont pas obligés de le faire » (au paragraphe 23 de la décision). Cependant, les citoyens ont le droit de demander au gouvernement [traduction] « de les protéger contre les actes contraires aux normes admises du droit international » (au paragraphe 144, no 5). Le gouvernement doit prendre ces demandes en considération et y répondre convenablement. En outre, la réponse du gouvernement peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de la Constitution. Toutefois, les tribunaux [traduction] « accorderont un poids particulier à la responsabilité spéciale qu’assume le gouvernement et à son expertise particulière en matière d’affaires étrangères, de même qu’au vaste pouvoir discrétionnaire dont il doit disposer pour déterminer la meilleure façon de traiter des questions de ce genre » (au paragraphe 144, no 6).

[49] À mon avis, la même démarche générale s’applique en l’espèce. La décision du gouvernement est susceptible de contrôle judiciaire en vertu de la Charte mais, en même temps, son opinion quant à la meilleure façon de traiter des questions qui ont une incidence sur les relations internationales et les affaires étrangères a droit à un [traduction] « poids particulier ».

3. Le gouvernement canadien est-il tenu par la loi de protéger M. Khadr?

a) L’application de la Charte

[50] Même si l’arrêt de la Cour suprême du Canada au sujet de M. Khadr avait trait à une question différente (c’est-à-dire, l’obligation de communiquer les informations recueillies lors d’un interrogatoire), sa démarche est néanmoins utile pour trancher la question qui m’est soumise : vu la situation personnelle de M. Khadr, de même que les conditions de sa détention et de son traitement à la baie de Guantánamo, et compte tenu de l’implication des autorités canadiennes, le Canada a-t-il une obligation, fondée sur la Charte, de protéger M. Khadr?

[51] Tout d’abord, il est clair que la Charte s’applique aux agents canadiens qui se sont rendus à la baie de Guantánamo et qui ont interrogé M. Khadr. La Cour suprême a conclu que « [l]es violations des droits de la personne relevées par la Cour suprême des États-Unis sont de nature à nous permettre de conclure que les règles relatives à la détention et à la tenue d’un procès qui s’appliquaient à M. Khadr lorsque le SCRS l’a interrogé constituaient une atteinte manifeste aux droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international » (au paragraphe 24). Par conséquent, même si les principes de la courtoisie internationale auraient par ailleurs exclu l’application de la Charte, ces principes ne s’appliquent pas dans les circonstances où il y a eu manquement aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne (au paragraphe 18). La détention de M. Khadr à la baie de Guantánamo est illégale, tant en vertu du droit des États-Unis qu’en vertu du droit international. Dans ce contexte, « [l]a Charte s’appliquait dans la mesure où les actes des responsables canadiens ont emporté la participation du Canada à une procédure qui contrevenait à ses obligations internationales » (au paragraphe 26).

[52] À l’évidence, si le simple fait d’interroger M. Khadr a emporté la participation du Canada à une procédure qui contrevient à nos obligations internationales en matière de droits de la personne, la participation consciente aux mauvais traitements infligés à M. Khadr est un motif encore plus convaincant pour conclure que la Charte s’appliquait aux responsables canadiens présents à la baie de Guantánamo.

b) Les principes de justice fondamentale

[53] L’article 7 de la Charte exige que, dans les cas où la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne est en jeu, les responsables canadiens sont tenus de respecter les principes de justice fondamentale. La Cour suprême a conclu que le droit à la liberté de M. Khadr était entré en jeu par suite de la participation de responsables canadiens à une procédure illégale et que les principes de justice fondamentale exigeaient que le Canada communique les informations qu’il avait obtenues. Le Canada avait relayé ces informations aux autorités américaines et, par conséquent, son obligation de communication exigeait que ces informations soient également transmises à M. Khadr. Le refus du Canada de faire droit à cette communication violait les principes de justice fondamentale et, partant, les droits garantis par l’article 7 à M. Khadr.

[54] En l’espèce, il me faut décider si les principes de justice fondamentale applicables exigent que le gouvernement canadien protège M. Khadr. Pour qu’un principe soit reconnu comme un principe de justice fondamentale, il y a trois critères à remplir. Il doit s’agir 1) d’un principe juridique, 2) qui suscite un large consensus quant à son caractère fondamental à l’égard du bon fonctionnement du système de justice, et 3) qui doit pouvoir être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne (R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3).

[55] Par ailleurs, les principes de justice fondamentale sont éclairés par les obligations internationales du Canada. La Cour doit prendre en considération « les obligations internationales contractées par le Canada ainsi que les valeurs exprimées dans “[l]es diverses sources du droit international des droits de la personne — les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumières” » (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 46, citant États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283, au paragraphe 80).

c) Les instruments internationaux applicables

i) La Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants (la CCT)

[56] Selon la CCT, la « torture » désigne « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux » (article premier). La Cour suprême d’Israël a conclu que la privation de sommeil [traduction] « dans le but de fatiguer [le suspect] ou de le “casser” […] déborde le cadre d’une enquête juste et raisonnable » et porte atteinte [traduction] « aux droits et à la dignité du suspect » (Public Committee Against Torture in Israel v. State of Israel [HCJ 5100/94] (1999), 38 I.L.M. 1471, au paragraphe 31). S’appuyant sur cette décision, le juge Mosley [dans la décision Khadr c. Canada (Procureur général), au paragraphe 87] a conclu que le fait de soumettre M. Khadr à des techniques de privation du sommeil contrevenait à la CCT.

[57] En plus de son obligation de prévenir la torture au sein du territoire canadien et de poursuivre ceux qui en sont coupables, le Canada est également tenu de « veille[r] à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure » (article 15). Le Canada a remis les informations qu’il avait obtenues en interrogeant M. Khadr aux autorités américaines afin que celles-ci puissent s’en servir contre lui, tout en sachant qu’on l’avait soumis à des techniques de privation du sommeil.

ii) La Convention relative aux droits de l’enfant (la CDE)

[58] Aux termes de la CDE, le Canada est tenu de « [prendre] toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié » (paragraphe 19(1)). Un enfant est une personne âgée de moins de 18 ans (article premier).

[59] En outre, le Canada doit veiller à ce que « [n]ul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », et à ce que « [n]ul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire ». Par ailleurs, « [l]’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible » (alinéas 37a) et b)).

[60] Le Canada doit également veiller à ce que « tout enfant privé de liberté [soit] séparé des adultes » et « [ait] le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites », sauf circonstances exceptionnelles (alinéa 37c)). De plus, chaque enfant placé sous garde « [doit avoir] le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de [sa] privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière » (alinéa 37d)).

[61] Le Canada se trouve également dans l’obligation de prendre « toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé » (article 39).

[62] Enfin, le Canada reconnaît « à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle » (paragraphe 40(1)).

[63] La CDE impose au Canada un certain nombre d’obligations précises à l’égard de M. Khadr. Le Canada était tenu d’intervenir pour protéger M. Khadr contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, ou de mauvais traitements. Nous savons que le Canada a fait part de ses préoccupations au sujet du traitement de M. Khadr, mais il a aussi toléré implicitement le fait qu’on lui impose des techniques de privation du sommeil, en ayant procédé à des interrogatoires tout en sachant qu’il avait été soumis à ces techniques.

[64] Le Canada a l’obligation de protéger M. Khadr contre toute forme de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, contre le fait d’être détenu illégalement, ainsi que contre le fait d’être gardé en détention pendant un temps qui dépasse la durée la plus brève possible. Dans le cas de M. Khadr, le Canada, même s’il a fait des démarches au sujet du mauvais traitement possible de M. Khadr, a aussi participé directement à une conduite qui a manqué de respect envers les droits de M. Khadr, et il a omis d’intervenir pour le soustraire à une période prolongée de détention illégale parmi des détenus adultes, sans contact avec sa famille.

[65] Le Canada se trouvait dans l’obligation de prendre toutes les mesures voulues pour favoriser le rétablissement physique, psychologique et social de M. Khadr.

iii) Le Protocole facultatif sur la participation des enfants aux conflits armés

[66] Le Protocole facultatif [Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, 25 mai 2000, [2002] R.T. Can. no 5] oblige les États à veiller à ce que les membres de leurs forces armées qui sont âgés de moins de 18 ans ne prennent pas directement part aux hostilités. Les autres groupes armés « ne devraient en aucune circonstance » enrôler ou utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans. Par conséquent, le Protocole facultatif ne semble pas imposer au Canada une obligation juridique précise à l’égard d’une personne qui se trouve dans la situation de M. Khadr.

[67] Cependant, le Protocole facultatif est fondé sur des principes plus vastes, qui sont exposés dans son préambule. Ainsi, les signataires reconnaissent les besoins particuliers des enfants « qui, en raison de leur situation économique et sociale ou de leur sexe, sont particulièrement vulnérables à l’enrôlement ou à l’utilisation dans des hostilités ». En outre, ils reconnaissent qu’il est nécessaire de renforcer la coopération internationale à l’égard de la mise en œuvre du Protocole facultatif, ainsi que « la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale des enfants qui sont victimes de conflits armés ».

[68] À l’évidence, le Canada était obligé de reconnaître que M. Khadr, étant un enfant, risquait de se trouver coincé dans un conflit armé par suite de sa situation personnelle et sociale en 2002 et plus tôt. Le Canada ne peut se désister du fait d’avoir reconnu qu’il est nécessaire de protéger les mineurs, tels que M. Khadr, qui sont plongés dans des hostilités avant de pouvoir juger mûrement des choix qu’ils ont à faire.

d) Les facteurs additionnels

[69] En déterminant l’étendue des principes de justice fondamentale, la Cour suprême a clairement indiqué qu’il est nécessaire de prendre en considération les circonstances particulières dans lesquelles est faite la revendication des droits garantis par l’article 7. Certains facteurs peuvent être propres aux revendicateurs, et d’autres être de nature plus générale (Burns, précité, au paragraphe 65). Par exemple, pour décider si un parent a le droit d’être représenté par un avocat à une audience relative à la garde d’enfants, la Cour a pris en considération la gravité des intérêts en jeu, la complexité de l’instance et la capacité du parent de participer efficacement à l’audience s’il n’était pas représenté par avocat (Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au paragraphe 74).

[70] Dans le cas de M. Khadr, les facteurs qu’il convient de prendre en considération sont les suivants : sa jeunesse, les soins médicaux dont il a besoin, son manque d’instruction et d’accès à une aide consulaire et aux services d’un avocat, son incapacité à contester sa détention ou ses conditions de détention devant une cour de justice, de même que sa présence dans une prison inconnue, éloignée et isolée, sans contact avec sa famille.

e) L’obligation de protection est un principe de justice fondamentale

[71] Je conclus que les trois critères formulés dans l’arrêt D.B., précité, étayent la reconnaissance, en tant que principe de justice fondamentale, d’une obligation de protéger les personnes se trouvant dans la même situation que celle de M. Khadr.

[72] Premièrement, il s’agit d’un principe juridique, formulé en termes clairs et péremptoires dans les instruments internationaux mentionnés plus tôt.

[73] Deuxièmement, compte tenu du vaste appui de la communauté internationale à l’égard de ces instruments, je conclus que ces derniers représentent un consensus selon lequel les obligations qu’ils renferment revêtent un caractère fondamental. Je signale aussi que la Cour suprême du Canada a déjà reconnu que le traitement spécial des jeunes qui se retrouvent coincés dans le système juridique est un principe de justice fondamentale, du fait de leur culpabilité morale amoindrie. Ce faisant, la Cour s’est fondée en partie sur la Convention relative aux droits de l’enfant (D.B., précité, au paragraphe 60), et, en outre, elle a également invoqué la CDE pour reconnaître « l’importance d’être attentif aux droits des enfants et à leur intérêt supérieur dans les décisions qui ont une incidence sur leur avenir » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 71).

[74] Troisièmement, il est possible de cerner convenablement l’étendue de l’obligation de protection et de l’appliquer efficacement aux atteintes à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Dans le présent contexte, je me fonde sur les circonstances spéciales qui s’appliquent à la situation de M. Khadr ainsi qu’à la multiplicité des écarts qui sont survenus par rapport aux normes internationales. Il est certain que l’étendue de l’obligation de protection peut être clairement formulée et appliquée aux faits qui me sont soumis.

[75] Je conclus donc que les principes de justice fondamentale obligeaient le Canada à protéger M. Khadr en prenant des mesures appropriées pour veiller à ce que son traitement cadre avec les normes internationales en matière de droits de la personne.

4. S’il y a eu manquement à cette obligation, quelle est la réparation appropriée?

[76] Dans certains cas, une violation de l’article 7 définira en soi la réparation qui convient. En effet, il est possible de remédier à un manquement à un principe de justice fondamentale en imposant simplement au gouvernement l’obligation de respecter le principe applicable. Dans les circonstances de l’espèce, il n’est peut-être pas nécessaire de recourir au paragraphe 24(1) de la Charte pour trouver une réparation (voir, par exemple, Burns, précité).

[77] Dans le même ordre d’idées, dans sa décision ordonnant la communication d’informations à M. Khadr, la Cour suprême du Canada a déclaré que la réparation que constituait la communication « atténuait les conséquences » de la participation canadienne à la violation des droits de M. Khadr. La question qui se pose donc en l’espèce est celle de savoir quelle est la réparation qui convient pour atténuer les conséquences de la participation de responsables canadiens aux mauvais traitements que M. Khadr a subis à la baie de Guantánamo.

[78] La principale réparation que sollicite M. Khadr est une ordonnance obligeant le Canada à solliciter son rapatriement. Dans les circonstances, aucune autre réparation ne semblerait pouvoir atténuer les conséquences des violations de la Charte qui sont en litige ou ne cadrerait avec l’obligation du gouvernement de favoriser la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de M. Khadr. Les défendeurs n’ont pas proposé une réparation de rechange quelconque. En d’autres situations, il pourrait y avoir des réparations de rechange appropriées mais, compte tenu des faits et des observations qui m’ont été soumis, je me limiterai à la réparation que demande M. Khadr.

[79] Les défendeurs soutiennent que la Cour devrait s’abstenir de les obliger à demander le rapatriement de M. Khadr parce que cette mesure consisterait à ordonner au Canada de prendre des mesures positives pour protéger M. Khadr, et elle ferait participer la Cour à l’exercice de prérogatives se rapportant aux relations étrangères que le Canada entretient avec les États-Unis. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’une ordonnance visant à prendre des mesures positives peut être rendue en vertu de l’article 7 (Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429) et, bien sûr, ainsi que je l’ai mentionné plus tôt, les tribunaux devraient généralement laisser au soin du gouvernement les questions se rapportant aux relations étrangères.

[80] Dans l’arrêt Gosselin, la juge en chef McLachlin a fait remarquer que l’article 7 protège le droit de n’être privé de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Cet article n’impose pas à l’État l’obligation positive de veiller à ce que chaque personne jouisse de la vie, de la liberté et de la sécurité — du moins, la jurisprudence n’a pas encore reconnu l’existence d’une telle obligation. La juge en chef McLachlin a reconnu qu’il était possible que l’on juge un jour que l’article 7 a pour effet de créer des obligations positives. Comme elle l’a écrit, « [j]e n’écarte pas la possibilité qu’on établisse, dans certaines circonstances particulières, l’existence d’une obligation positive de pourvoir au maintien de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne » (au paragraphe 83).

[81] Il était question, dans l’arrêt Gosselin, d’une contestation relative à un régime d’aide sociale créé par la province du Québec, principalement pour cause d’inégalité à l’encontre de l’article 15 de la Charte. L’argument fondé sur l’article 7 avait trait à la question de savoir si la réduction d’un montant d’aide sociale versé par la province portait atteinte au droit de l’appelante à la sécurité de la personne d’une manière qui était contraire aux principes de justice fondamentale. Au dire de l’appelante, la province était obligée de lui procurer une aide sociale suffisante pour bénéficier d’un certain niveau de sécurité.

[82] Selon moi, la présente affaire ne comporte pas une demande semblable d’action positive de la part du Canada. M. Khadr a été très clairement privé de sa liberté et des agents canadiens ont pris part à cette privation. La question est de savoir si le refus du Canada de solliciter le rapatriement de M. Khadr va à l’encontre des principes de justice fondamentale. Si c’est le cas, le recours approprié consiste à ordonner au Canada de poser le geste demandé. Il ne s’agit pas là d’une obligation « positive » au sens où ce terme a été employé dans l’arrêt Gosselin. En fait, il n’est pas rare que les tribunaux ordonnent à des fonctionnaires de l’État de prendre certaines mesures concrètes dans des circonstances où il y a eu manquement aux principes de justice fondamentale. L’ordonnance de communication de la Cour suprême, dans la décision Khadr antérieure, en est un exemple. D’autres exemples incluraient le fait d’exiger que l’État fournisse les services d’un avocat (G. (J.), précité) ou qu’il demande des assurances que la peine de mort ne serait pas imposée ou exécutée (Burns, précité). Dans ces affaires, il fallait que l’État pose des gestes positifs pour atténuer l’effet d’une atteinte aux droits protégés par l’article 7. Dans l’arrêt Gosselin, par contraste, la juge en chef McLachlin traitait de la possibilité que l’article 7 puisse exiger, dans des circonstances spéciales, que l’État prenne des mesures positives pour éviter que l’on porte atteinte à ces droits.

[83] Les défendeurs soulignent que ce sont des non-Canadiens qui ont maltraité M. Khadr. En vertu de l’article 7, « la garantie relative à la justice fondamentale s’applique même aux atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui sont le fait d’acteurs autres que le gouvernement canadien, à condition qu’il existe un lien causal suffisant entre la participation de notre gouvernement et l’atteinte qui survient en bout de ligne » (Suresh, précité, au paragraphe 54). Dans le cas présent, le degré nécessaire de participation réside dans l’interrogatoire de M. Khadr que le Canada a mené, tout en sachant qu’il avait été soumis à des traitements qui allaient à l’encontre des normes internationales en matière de droits de la personne et que le Canada s’était expressément engagé à respecter.

[84] Les défendeurs ont fait également état d’une préoccupation générale à l’égard de la possibilité de porter préjudice aux relations canado-américaines, mais sans signaler un préjudice particulier que l’on causerait en demandant le rapatriement de M. Khadr. Dans le même ordre d’idées, la Cour suprême du Canada a conclu que le fait d’exiger que le Canada demande la garantie que la peine de mort ne serait pas imposée à des personnes extradées aux États-Unis « ne compromet pas de façon appréciable la réalisation des objectifs du Canada en matière d’entraide » (Burns, précité, au paragraphe 37). De plus, la Cour a clairement indiqué que la préoccupation de l’État à l’égard d’un effet préjudiciable sur les relations étrangères doit être étayée par la preuve (Burns, précité, au paragraphe 136) :

En ce qui concerne l’argument portant sur la courtoisie, il ne fait aucun doute qu’il est important pour le Canada de maintenir de bonnes relations avec d’autres États. Cependant, la ministre n’a pas établi que le moyen choisi en l’espèce pour réaliser cet objectif — soit le refus de demander la garantie que la peine de mort ne sera pas appliquée — est nécessaire à cette fin.  Rien dans la preuve ne tend à indiquer que le fait de demander cette garantie nuirait au respect par le Canada de ses obligations internationales ou aux bonnes relations qu’il entretient avec des États voisins.

[85] La Cour a fait également remarquer que les États européens demandaient et obtenaient régulièrement des États-Unis des assurances concernant la peine de mort.

[86] Parallèlement, en l’espèce, les défendeurs n’ont fait état d’aucun préjudice particulier que pourrait occasionner le fait de demander le rapatriement de M. Khadr. De nombreux autres pays ont demandé le renvoi de leurs citoyens ou résidents détenus à la baie de Guantánamo et les États-Unis ont accédé à ces requêtes. En outre, les défendeurs n’ont pas indiqué en quoi la position ferme de ce pays à l’égard du traitement des personnes qui se sont livrées à des actes terroristes serait compromise par le fait que l’on demande que M. Khadr soit rapatrié au Canada pour subir son procès ici. En fait, il s’agit là d’une des recommandations du Rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (précité, à la page 6). Par conséquent, comme je l’ai mentionné plus tôt, bien que j’admette que la Cour se doit d’accorder un poids particulier aux décisions gouvernementales qui ont une incidence sur les relations étrangères, j’ai en main peu d’éléments de preuve à apprécier.

[87] Les défendeurs font valoir que, si M. Khadr revient au Canada, il se posera la question de savoir s’il peut être poursuivi en vertu du droit canadien. Ils se demandent si le critère à remplir pour engager une poursuite — c’est-à-dire, s’il y a une perspective raisonnable de déclaration de culpabilité et si la poursuite est d’intérêt public — serait rempli dans le cas de M. Khadr. Selon moi, toute préoccupation à cet égard ne fait que renforcer les arguments en faveur du rapatriement. S’il existe un doute quant au fait de savoir si ces critères peuvent être remplis, la question de savoir si la détention actuelle de M. Khadr à la baie de Guantánamo cadre avec les principes de justice fondamentale devrait en susciter un aussi.

[88] Les défendeurs laissent également entendre qu’il n’y a pas lieu de croire que les États-Unis accéderaient à une demande de rapatriement de M. Khadr, car la demande d’accès consulaire du Canada à ce dernier a été refusée. Selon moi, le refus de l’accès consulaire rend plus impérieux le besoin de rapatriement; cela ne justifie pas le fait de s’abstenir de solliciter le retour de M. Khadr. En outre, la preuve que des demandes de rapatriement d’autres pays ont porté fruit donne à penser que les États-Unis accéderaient probablement à une demande du Canada. En fait, compte tenu des préoccupations que le Canada a antérieurement exprimées à propos du bien-être de M. Khadr et de son opinion selon laquelle la baie de Guantánamo n’est pas un endroit approprié où le garder en détention, une demande du Canada concernant le rapatriement de M. Khadr ne serait probablement pas une surprise pour les autorités américaines.

[89] Dans la décision Kaunda, précitée, la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud a fait remarquer que la notion de « protection diplomatique » englobe un large éventail de conduites. Il s’agirait [traduction] « de mesures consulaires, de négociations, de médiations, de procédures judiciaires et arbitrales, de représailles, de mesures de rétorsion, d’une rupture des relations diplomatiques, [et] de pressions économiques » (au paragraphe 27). Je suis d’avis que la présentation d’une demande de rapatriement d’un citoyen canadien se situe au bas de l’échelle des interventions diplomatiques et qu’une telle mesure ferait intrusion le moins possible dans la prérogative de l’État à l’égard des affaires étrangères.

a) L’admission des éléments de preuve

[90] M. Khadr m’a demandé d’admettre deux éléments en preuve. Le premier est son affidavit décrivant les traitements subis à la base aérienne de Bagram et à la prison de la baie de Guantánamo. J’ai admis ce document, mais sans conclure qu’il était nécessaire de se fonder dans une large mesure sur lui. Le second élément est un enregistrement d’un documentaire portant sur M. Khadr. J’ai conclu que cet enregistrement n’était pas pertinent en l’espèce, et je ne l’ai donc pas admis.

VI. Conclusion et dispositif

[91] Je conclus que le gouvernement du Canada est tenu par l’article 7 de la Charte de demander le rapatriement de M. Khadr au Canada afin de se conformer à un principe de justice fondamentale, soit l’obligation de protéger les personnes se trouvant dans la même situation que celle de M. Khadr, et ce, en prenant des mesures pour veiller au respect de leurs droits fondamentaux, lesquels sont énoncés dans des instruments internationaux largement reconnus, tels que la Convention relative aux droits de l’enfant. Les défendeurs n’ont invoqué aucun argument permettant de conclure que l’atteinte aux droits de M. Khadr était justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[92] Le refus constant du Canada de solliciter le rapatriement de M. Khadr est contraire à un principe de justice fondamentale et porte atteinte aux droits que l’article 7 de la Charte lui garantit. Pour atténuer l’effet de cette atteinte, le Canada doit demander le plus tôt possible aux États-Unis de rapatrier M. Khadr.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que 

1. La demande de contrôle judiciaire soit accueillie, avec dépens.

2. Les défendeurs demandent aux États-Unis de renvoyer M. Khadr au Canada aussi tôt que possible.

Annexe A

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.)

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit  :

a) de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

(4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

Garanties juridiques

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[…]

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

[…]

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[…]

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987

Article 15

Tout État partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite.

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990

Article 19

1. Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

[…]

Article 37

Les États parties veillent à ce que  :

a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans;

b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible;

c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles;

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière.

[…]

Article 39

Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. Cette réadaptation et cette réinsertion se déroulent dans des conditions qui favorisent la santé, le respect de soi et la dignité de l’enfant.

Article 40

1. Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci.

2. À cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des instruments internationaux, les États parties veillent en particulier  :

a) À ce qu’aucun enfant ne soit suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale en raison d’actions ou d’omissions qui n’étaient pas interdites par le droit national ou international au moment où elles ont été commises;

b) À ce que tout enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le droit aux garanties suivantes  :

i)      Être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie;

ii)     Être informé dans le plus court délai et directement des accusations portées contre lui, ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de ses parents ou représentants légaux, et bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense;

iii)    Que sa cause soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétentes, indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable aux termes de la loi, en présence de son conseil juridique ou autre et, à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en raison notamment de son âge ou de sa situation, en présence de ses parents ou représentants légaux;

iv)    Ne pas être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable; interroger ou faire interroger les témoins à charge, et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans des conditions d’égalité;

v)     S’il est reconnu avoir enfreint la loi pénale, faire appel de cette décision et de toute mesure arrêtée en conséquence devant une autorité ou une instance judiciaire supérieure compétentes, indépendantes et impartiales, conformément à la loi;

vi)    Se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend ou ne parle pas la langue utilisée;

vii)   Que sa vie privée soit pleinement respectée à tous les stades de la procédure.

3. Les États parties s’efforcent de promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale, et en particulier  :

a) D’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale;

b) De prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable, pour traiter ces enfants sans recourir à la procédure judiciaire, étant cependant entendu que les droits de l’homme et les garanties légales doivent être pleinement respectés.

4. Toute une gamme de dispositions, relatives notamment aux soins, à l’orientation et à la supervision, aux conseils, à la probation, au placement familial, aux programmes d’éducation générale et professionnelle et aux solutions autres qu’institutionnelles seront prévues en vue d’assurer aux enfants un traitement conforme à leur bien-être et proportionné à leur situation et à l’infraction.

Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, 25 mai 2000, entré en vigueur le 12 février 2002

Les États Parties au présent Protocole,

[…]

Conscients des besoins particuliers des enfants qui, en raison de leur situation économique et sociale ou de leur sexe, sont particulièrement vulnérables à l’enrôlement ou à l’utilisation dans des hostilités en violation du présent Protocole,

[…]

Convaincus de la nécessité de renforcer la coopération internationale pour assurer la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale des enfants qui sont victimes de conflits armés,

[…]

Article premier

Les États Parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les membres de leurs forces armées qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans ne participent pas directement aux hostilités.

[…]

Article 4

1. Les groupes armés qui sont distincts des forces armées d’un État ne devraient en aucune circonstance enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans.

2. Les États Parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour empêcher l’enrôlement et l’utilisation de ces personnes, notamment les mesures d’ordre juridique voulues pour interdire et sanctionner pénalement ces pratiques.

3. L’application du présent article du Protocole est sans effet sur le statut juridique de toute partie à un conflit armé.

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